Méditation sur une nuit blanche
Méditation sur une nuit blanche
« Avez-vous bien dormi? » Cette question, banale formule de politesse que nous prononçons distraitement, ne nous porte pas nécessairement à nous pencher sur le mystère que constitue le sommeil ni surtout à l’élucider. Ce sommeil restera encore un mystère pour longtemps, en dépit des nouvelles explorations dans le domaine de la neurobiologie.
« Nos connaissances sur la physiologie du sommeil et la neurochimie sont encore à l’état d’ébauche. Il est probable que tout ce que l’on dit aujourd’hui apparaîtra comme futile dans quelques années. »
Ainsi s’exprimait récemment, lors d’un colloque consacré au sommeil, un savant français, le professeur Cathala.
Que savons-nous au juste sur le sommeil? Qu’il est un temps pendant lequel la sensibilité et l’activité se trouvent assoupies et suspendues; qu’il est la perte de conscience du monde extérieur, l’abolition plus ou moins complète des fonctions des centres nerveux et le ralentissement relatif des fonctions de la vie organique. Cessation temporaire de la vie consciente, le sommeil est le plus complet et le plus salutaire de tous les repos. Nous parlerons ainsi du sommeil profond et paisible ou du sommeil léger et agité.
Le récent colloque consacré à l’étude du sommeil nous apprend que celui-ci est formé de deux états bien différenciés, le sommeil ordinaire ou lent et le sommeil rapide ou paradoxal. Ces deux types de sommeil vont se succéder au cours de la nuit en quatre cycles de durée inégale. Sommeil lent d’abord, ensuite léger, puis profond et, enfin, paradoxal. Pendant les trois premières heures dominera le sommeil lent et profond. C’est la période la plus importante, qui permet de récupérer la fatigue et qui assure la sécrétion des hormones qui favorisent l’assimilation des éléments nécessaires à l’organisme.
Nous savons que près d’un tiers de notre vie est consacré au sommeil. Cessation de sensibilité et d’activité, le sommeil ne signifie pas pour autant l’absence totale des sens, puisqu’il nous permet de récupérer des forces et qu’il nous prépare à commencer une nouvelle journée probablement harassante… Aussi longtemps que notre santé est normale, le sommeil nous apporte un bien-être naturel.
On peut pourtant s’interroger. Pourquoi nos forces s’épuisent-elles et pourquoi doivent-elles se restaurer durant la nuit? Sans doute Dieu « qui ne sommeille ni ne dort » (Ps 121.4) a-t-il ses raisons. La Bible dit quelque part : « La nuit même mon cœur m’exhorte » (Ps 16.7). Est-ce le cas et l’expérience de chacun d’entre nous? Car durant la nuit il n’y a pas que le sommeil bienfaisant; il y a aussi, hélas, l’insomnie! Or, le manque de sommeil peut avoir parfois des conséquences fâcheuses sur notre santé. Il peut donner lieu à une désorganisation biologique, pour ne mentionner que celle-ci.
Tout le monde ne peut pas s’associer au poète Musset et s’écrier : « Ô doux sommeil, ô baume des esprits! » Ils sont sans doute nombreux ceux d’entre nous qui peuvent se plaindre de passer des nuits blanches, parfois entrecoupées de sursauts; troublées par des cauchemars, torturées par l’angoisse ou talonnées par le mal physique ou moral. Je ne m’étendrai pas sur le rôle des rêves. Ils ne sont pas toujours rassurants, ces rêves qui dévoilent le fond plutôt sombre de nos existences et de notre personnalité. Parfois, ils tiennent un rôle prémonitoire ou encore nous mettent en rapport avec des êtres que nous avions chéris. Mais, en général, aussitôt que nous sommes réveillés, les impressions s’évanouissent et les images s’effacent sans laisser de traces…
« L’insomnie conduit-elle inexorablement à la névrose? Celle-ci ne se définit pas uniquement par sa durée, mais aussi par la plainte de l’insomniaque. » C’est ainsi que s’exprimait le journaliste qui rendait compte du colloque en question. C’est la mauvaise impression qui compte. Le remède serait-il l’absorption de somnifères ou autres tranquillisants? Il vaudrait sans doute mieux s’interroger sur les causes réelles et profondes de l’insomnie et ne pas se contenter de demander au médecin de rajouter l’ordonnance : « quelque chose pour dormir! »
Ce n’est donc pas à une recette médicale que je songe en parlant ou en méditant sur une nuit blanche. C’est vers l’Esprit de Dieu que je tiens à attirer votre attention, celui dont je disais il y a un instant « qu’il ne sommeille ni ne dort ». Car Dieu opère aussi durant les heures de la nuit, que nous soyons endormis ou éveillés, et qu’il prépare notre formation et l’édification de notre vie intérieure. Ceci constitue à nos yeux de croyants un mystère plus grand encore que le mystère de la nuit et du sommeil. Je crois avec le vieux croyant de l’Ancien Testament que, lorsque nous passons ces heures interminables à attendre les premières lueurs du matin, le Seigneur, lui, agit de manière certaine, même à notre insu. Une nuit blanche ne prend de sens réel et profond que lorsque la maladie, des soucis ou même l’âge agitent notre sommeil. Un autre croyant de la Bible écrivait : « Je bénis l’Éternel qui me conseille. Même la nuit mon cœur m’exhorte » (Ps 16.7). De son côté, un autre auteur biblique confiait : « Je me rappelle de mon cantique pendant la nuit » (Ps 77.7; voir également És 26.9; Jb 35.10).
« Mon âme te désire pendant la nuit », telles sont les paroles que les fidèles de la Bible ont répété depuis toujours, comme une prière. L’insomnie peut devenir soit une affaire extrêmement pénible, pour ne pas dire redoutable, en jetant son ombre sur le lendemain, nous égarant et nous conduisant finalement vers le mal; ou il peut nous amener en la présence de Dieu. S’il nous plonge dans une humeur sombre, il donnera lieu au mal et au péché. En effet, que de fois avons-nous cherché dans le sommeil un baume à notre esprit inquiet, tandis qu’agités, nous nous tournions et retournions dans notre lit… Nous avons sans doute essayé de compter des moutons ou de nous imaginer au milieu d’un paysage pastoral empreint de calme et de sérénité. Pourtant, rien à faire! L’insomnie s’acharne sur nous et finit par devenir une véritable malédiction, tandis que nous-mêmes, anxieux et épuisés, nous nous laissons entraîner dans la rébellion contre Dieu.
En revanche, il est possible d’employer les heures d’une nuit blanche à rechercher et à renforcer notre intimité avec Dieu. Dans ce cas, l’insomnie nous prépare à une journée radieuse. Nous n’aurons pas besoin d’avoir recours aux services de la pharmacopée moderne. Si l’insomnie de la révolte engendre épuisement et tourment, celui de la foi devient source de renouveau. Car lutter contre Dieu, que ce soit durant la journée ou pendant les longues heures de la nuit, finit par nous épuiser et même par anéantir notre personnalité. Au contraire, si dans la prière nous nous mettons à converser avec lui, quelle profusion de lumière intérieure! Il y a des nuits blanches maudites. Il devrait y avoir celles qui procurent le repos intérieur et qui nous remplissent de sérénité et de vigueur spirituelle.
Pourtant, de tels résultats ne sont pas le premier but que nous devrions rechercher. Ils sont secondaires. La recherche d’intimité avec Dieu ne devrait pas devenir une sorte de succédané des sédatifs. Car l’essentiel consiste à chercher Dieu pour lui-même, pour ce qu’il est, et redire avec tous les fidèles de la Bible : « Pour moi, il est bon d’être avec Dieu. »
La vie active risque de nous éloigner de Dieu. Elle nous aliène souvent de son intimité. Mais durant la nuit, nous sommes plus disponibles.
Les pressions parfois insupportables de la journée ont cessé et les conditions de converser avec Dieu sont prêtes. La nuit blanche est l’heure où, mieux qu’à tout autre moment, nous pouvons accéder jusqu’au sanctuaire de Dieu. Et alors ces heures d’éveil deviennent des instants privilégiés, préfigurant aux yeux de la foi le grand sabbat du repos éternel que tout croyant attend. Mais une telle nuit blanche devrait, si j’ose m’exprimer de la sorte, être soigneusement préparée. La lecture d’un passage biblique, une prière de confiance et de reconnaissance, éventuellement le chant d’un cantique nous prépareront à pénétrer en la présence divine.
Mais il ne suffit pas de penser à Dieu pour sentir cette intimité. Il faut encore que lui il veuille s’approcher de nous. Autrement, nous ne saurions jouir de sa communion. Si nous ne comptons que sur notre disponibilité pour l’accueillir, nous courons le risque de lui imposer notre façon de faire. Or, c’est lui le Maître. La communion avec Dieu est une réalité ardente, mais sachons que c’est lui qui en prend l’initiative et qui nous l’accorde. Dans sa divine compassion, il condescend jusqu’à nous.
Alors, avec quelle joie et avec quelle force nous nous lèverons le lendemain, forts de sa présence et assurés de ses faveurs! Nos toutes premières pensées se tourneront vers lui. Durant les heures d’insomnie, nous sommes si petits, si insignifiants, même à nos propres yeux. Quel contraste avec le personnage que nous endossons dans la journée, se prenant ou voulant qu’on le prenne tellement au sérieux! Couchés dans notre lit et tourmentés par l’insomnie, nous nous rendons compte de notre fragilité. Aussi pouvons-nous nous accrocher à Dieu, lui qui est le seul grand, le seul vrai, dont la fidélité est constante, dont la bonté nous environne et dont l’amour nous secourt. La joie qu’il apporte chasse les ténèbres. Il nous est possible de commencer une nouvelle journée comme si nous pénétrions dans son Temple, pour nous prosterner devant lui et pour le louer par toutes nos activités, même les plus banales. Durant les longues heures d’une nuit blanche, Dieu nous accordera un chant nouveau. Je vous propose alors de conclure cet exposé par cette prière du soir :
Ô mon Dieu, mon Père en Jésus-Christ, je viens me prosterner devant toi, à la fin de cette journée si importante pour moi. Que ton Saint-Esprit inspire les sentiments de mon cœur et les paroles de ma bouche! Je repasse, en mon esprit, toutes les grâces que j’ai reçues en ce jour. J’ai entendu la prédication de la parole; j’ai chanté les louanges dans l’assemblée des fidèles; j’ai pris devant toi de sains engagements. Seigneur, je ne suis pas digne de tant de bienfaits. Je ne suis pas même capable de les apprécier à leur valeur, d’en comprendre la grandeur, de célébrer dignement ton amour. Seigneur, aie compassion de ma faiblesse; éclaire-moi de ta lumière; fais-moi croître dans ta connaissance et reçois ma prière et mes actions de grâces, quelque imparfaites qu’elles soient. Ô Dieu, accorde-moi le don de la persévérance. Que je ne m’éloigne pas de toi. Je suis ton enfant, ô mon Père, garde-moi, fortifie-moi, Seigneur Jésus, je suis ta brebis. Défends-moi des atteintes de l’ennemi qui rôde autour de ton bercail comme un loup affamé. Saint-Esprit, mon corps est le Temple où tu veux habiter; demeure avec moi et en moi, et rends-moi saint et irrépréhensible dans ma conduite. Dieu trois fois saint, pardonne-moi. Daigne bénir ma famille et mon Église. Que la paix soit sur cette maison; qu’elle soit sur moi et en moi, au nom de Jésus. Amen.