2 Timothée 2 - Haut les coeurs!
2 Timothée 2 - Haut les coeurs!
« Souviens-toi de Jésus-Christ, ressuscité d’entre les morts, issu de la descendance de David, selon mon Évangile, pour lequel je souffre jusqu’à être lié comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n’est pas liée. »
2 Timothée 2.8-9
La deuxième lettre de Paul à Timothée a été décrite comme l’appel du haut les cœurs. En ceci, elle se trouve dans la ligne droite de tout l’Évangile, qui est un sursum corda et, en ce sens, message par excellence, à la fois d’exhortation et de consolation. Le terme grec de « paraclèse », « parakaleien », l’exprime parfaitement; il se traduit aussi bien par exhortation que par consolation; encouragement d’une part, appel à se dresser debout d’autre part.
Par nature, nous sommes des créatures faibles et fragiles; même nous sachant pris en charge par Dieu en Christ, nous nous préoccupons pour tout et pour rien, nous sommes souvent angoissés… Cependant, parce que nous avons été pris en charge par Dieu, nous avons également le privilège de la paraclèse biblique; elle nous rassure.
Timothée, le destinataire de cette lettre, était un jeune pasteur débutant, disciple de Paul. Il exerçait son ministère dans une ville présentant tous les désavantages possibles et imaginables; l’Église dont il était devenu le berger était implantée à Éphèse, ville idolâtre s’il en fut, dont les habitants vouaient un culte fanatique à la grande déesse Diane; ville turbulente aussi, parfois violente, pouvant atteindre les sommets d’une rare méchanceté. Sachant donc dans quelles circonstances son jeune ami et collègue se trouvait et quels risques il courait, l’apôtre Paul cherche à l’encourager. Quel serait d’ailleurs le chrétien, et à plus forte raison le ministre de l’Évangile, qui n’a jamais connu d’abattement? Aussi peut-il abondamment bénéficier de l’encouragement que le saint apôtre prodigue à son jeune compagnon de lutte.
Cependant, cet encouragement ne fut pas prodigué par un professeur confortablement calé dans son fauteuil dispensant un cours magistral. Rappelons brièvement les circonstances au milieu desquelles saint Paul rédigeait cette lettre, dite pastorale. Enchaîné dans une geôle dans la capitale même de l’Empire, Rome, la missive qu’il adresse à Timothée est la dernière qu’il aura rédigée; en tout état de cause, la dernière dont nous ayons connaissance. Cependant, bien avant cette situation, dans une autre lettre, il signalait à ses lecteurs que les tentations qui leur étaient survenues n’étaient pas de nature à dépasser leurs forces (1 Co 10.13). Et cet avertissement était une appréciation positive de leur situation; ils n’avaient pas à désespérer. Il encourageait pastoralement les fidèles de l’Église corinthienne.
À présent, en rédigeant une deuxième lettre à Timothée, l’apôtre, emprisonné tel un vulgaire criminel de droit commun, souffre. Il est la victime sans défense de la persécution qui vient de s’ouvrir contre les adeptes de sa foi, contre les chrétiens. Il se souvient des luttes menées durant sa prodigieuse carrière, des conflits et des confusions au sein des Églises qu’il a établies, et en dépit des nombreux succès remportés, il s’inquiète de l’avenir de ces Églises. Un vieux compagnon de route, Démas, vient de l’abandonner lâchement, car il avait mieux aimé le monde. Un certain Alexandre l’avait malmené. Il cherche alors à mettre en garde contre les agissements de tels renégats, apparemment de rusés faux frères, les fidèles de l’Église éphésienne (2 Tm 4.14). Les erreurs doctrinales des uns et l’apostasie des autres ravageaient déjà les jeunes communautés chrétiennes; Phygelles et Hermogènes se trouvaient parmi les hérésiarques.
Lors de sa comparution dans un premier procès, nombre de ses amis chrétiens l’ont laissé seul. Mais, ajoute-t-il aussitôt : « C’est le Seigneur qui m’a assisté et qui m’a fortifié, afin que la prédication soit portée par moi à sa plénitude et entendue de tous les païens. Et j’ai été délivré de la gueule du lion » (2 Tm 4.17). On peut penser, en connaissant les mœurs romaines de l’époque, qu’il s’agissait là d’un lion en chair et en os, et non d’une figure de style.
En lisant d’autres écrits de Paul, nous sommes informés que d’autres maux l’affligeaient encore, physiques autant que spirituels; il avait dû mener une existence extrêmement précaire, poursuivre une carrière pleine de troubles, témoigner du Christ et de sa cause dans des conditions humainement intolérables…
Et voilà que rien de tout cela n’arrive à le faire chanceler, à le faire basculer dans un sombre pessimisme (voir par exemple Ac 20.24). D’où lui vient une telle assurance? Où puise-t-il cette force de caractère que nous admirons tant chez cet exceptionnel ouvrier du Seigneur? Tâchons de la découvrir dans le passage que nous venons de lire.
1. En premier lieu, dans cette admirable exhortation : « Souviens-toi de Jésus-Christ. »
Saint Paul a connu le monde de son époque et ses réalités, aussi bien celles apparemment brillantes que celles qui trahissaient déjà une décrépitude pathogène. Il a souvent recours au langage de l’athlétisme contemporain : il parle d’armure, de gladiateurs et il se sert d’images de lutte et de guerre; il a dû connaître à fond, durant les trois années où il a séjourné dans la ville d’Éphèse, la crasse de son paganisme grossier dissimulée sous une mince couche de civilisation raffinée. Raffinement d’apparence, barbarie de fond. N’avait-il pas aussi, auparavant, connu la ville de Corinthe, l’une des plus immorales du monde gréco-romain? « Vivre à la corinthienne » était devenu une expression courante pour décrire les mœurs dégénérées de l’époque; Philippes, autre colonie romaine rude et cruelle, lui était aussi bien connue, ainsi qu’Athènes et sa philosophie vaine et abstraite… Et Jérusalem, avec sa religiosité hypocrite, vidée de toute sa substance, était pour lui la plus familière d’entre toutes.
Il s’était nourri de la culture brillante des Grecs, avait fait l’expérience douloureuse de l’inhumaine puissance impériale de Rome, subi la persécution due au fanatisme aveugle de ses compatriotes juifs… Il ne prodigue donc pas à son jeune ami des conseils faciles à partir d’une tour d’ivoire. Au contraire, il a derrière lui toute l’expérience d’un passé douloureux et il discerne, en même temps, les signes des temps qui s’approchent : décadence des mœurs, avenir sombre… Lucide et réaliste, Paul n’est pas un visionnaire de plus prêchant une nouvelle utopie.
Et le voilà qu’il se souvient de l’essentiel, c’est-à-dire d’une personne : en ce qui nous concerne, nous nous accrocherions peut-être aux images du petit écran pour oublier nos troubles; ou bien nous nous jetterions sur les journaux d’information, nous laissant absorber exclusivement par les événements et les faits du jour; quant à l’apôtre, il dit simplement : « Souviens-toi de Jésus-Christ. » Du vrai Jésus-Christ, de celui de la Bible et de l’Évangile, non d’une figure imaginaire ou mythique, taillée sur mesure selon ses rêves et ses désirs.
Il est, affirme-t-il, le Fils incarné de Dieu; il aurait certainement pu ajouter : né d’une femme, d’une vierge, homme parfait, le Messie promis; Jésus-Christ crucifié, mais aussi ressuscité des morts par la puissance du Saint-Esprit; Jésus-Christ selon son Évangile, un Évangile qui n’est ni tradition morte ni légende mystique, mais histoire véridique et vérifiable.
Aussi, le tout premier motif d’encouragement, voire le fondement unique, solide et inébranlable pour la foi de Timothée et pour son ministère, c’est bien la personne divine et la mission céleste de Jésus-Christ.
2. Le deuxième motif d’assurance, il l’exprime par cette autre conviction : « La Parole de Dieu n’est pas liée. »
Certes, Paul souffre à cause de l’Évangile et paie un lourd tribut pour le proclamer; mais qu’importe. Si Paul est lié par les lourdes chaînes de la police impériale, Dieu, l’auteur de l’Évangile et le Seigneur universel qui appelle Paul à son service, n’est pas lié.
Au cours des vingt siècles qui se sont écoulés depuis ce temps-là, les tyrans persécuteurs des disciples du Christ ont été légion. On a recouru à toutes sortes de moyens pour les exterminer ou, tout au moins, pour les réduire au silence. On a cherché à faire disparaître la Bible, et paradoxe et ironie divins, c’est dans les lieux les plus sombres et les moins prometteurs que l’Évangile a éclos le mieux et a porté le plus de fruits.
On pourrait citer nombre d’exemples illustrant cette puissance qui balaie tous les obstacles et qui brise toutes les barrières. Le fait de mettre le corps des chrétiens à mort n’est pas parvenu à subjuguer leurs esprits. L’Évangile est le triomphe ultime. Le prophète Ésaïe, dans un passage célèbre, le prédisait déjà bien avant la venue du Christ :
« Comme la pluie et la neige descendent des cieux et n’y retournent pas sans avoir arrosé, fécondé la terre et fait germer les plantes, sans avoir donné de la semence au semeur et du pain à celui qui mange, ainsi en est-il de ma parole qui sort de ma bouche : elle ne retourne pas à moi sans effet, sans avoir exécuté ma volonté et accompli avec succès ce pour quoi je l’ai envoyée » (És 55.10-11).
L’Église fidèle à Jésus-Christ est celle qui est liée à la Parole, mais n’est liée par personne. À moins qu’elle ne s’enchaîne elle-même, qu’elle ne sombre dans la paresse, qu’elle ne devienne occasion de chute et de scandale…
3. Enfin, dernier motif d’assurance, source de consolation et stimulant d’encouragement : « La solide base posée par Dieu subsiste » (2 Tm 2.19).
Saint Paul s’est souvent lamenté sur les divisions qui sévissaient dans les Églises. Il a vu à l’œuvre, avec quelle douleur, nombre de pervertisseurs de cette foi transmise une fois pour toutes; il a constaté les ravages causés par des sectes pernicieuses propageant leurs faux enseignements; aussi exhorte-t-il son compagnon Timothée à cet effet (2 Tm 2.14-16).
« Évite les faux docteurs. » Le plus grand ennemi de l’Église n’est certainement pas l’adversaire de dehors, mais celui qui, s’étant infiltré à l’intérieur tel un loup ravisseur habillé en peau d’agneau, sape la colonne et l’appui de la vérité.
L’apôtre pourrait se livrer ici à un bilan catastrophique en récapitulant l’état de l’Église et en prédisant les maigres chances de l’Évangile : persécution ouverte ici, sournois minage là, hérésies mortelles ailleurs, membres renégats un peu partout, emprisonnement pour celui qui reste ferme dans sa foi… À vue humaine, les fondements de l’Église paraissent ébranlés et l’édifice prêt à s’effondrer. Sans doute, l’apôtre avait médité la profonde interrogation du psalmiste : Quand les fondements seront ébranlés, le juste, le fidèle, que fera-t-il? (Ps 11.3-4).
Mais au lieu de faire un bilan négatif, il entreprend aussitôt d’encourager. La société pourrait s’écrouler et, certes, des édifices réputés solides s’écroulent devant nos yeux. Néron, l’odieux persécuteur de l’Église, cherche à décimer les disciples et les donne en pâture aux bêtes féroces. Il fait massacrer les uns; il en fait brûler d’autres comme des torches vivantes pour éclairer ses jardins; il fera bientôt décapiter Paul et crucifier Pierre…
Mais le fondement a été posé une fois pour toutes. Il en est sûr, et c’est Dieu lui-même qui en est l’architecte. Il connaît les siens et il veille sur son Église. Ceux qu’il a appelés ne seront pas perdus. Il reste le garant d’âge en âge. Son élection de l’Église assure à celle-ci son existence et sa protection. Ce n’est point l’héroïsme des martyrs ou le courage des témoins qui prévaudra contre les forces infernales; mais Dieu le Seigneur tout-puissant et Sauveur (voir Rm 8.38-39).
Ce choix de Dieu pour son Église est un mystère, nous ne saurons jamais le scruter adéquatement.
Nous avons cependant notre part, celle de la soumission et de la recherche de la sanctification. Dieu nous appelle à le servir en cherchant la sainteté. Sauvés par grâce, il nous est donné le privilège de nous placer sous ses ordres. Les chrétiens devraient-ils sombrer dans le pessimisme, être découragés face à des événements qu’ils jugent incontrôlables, aussi bien sur le plan mondial que sur celui de leur existence individuelle? Si tel est le cas, la raison peut en être une secrète faiblesse, un péché toléré dans leurs vies… Auraient-ils oublié Jésus-Christ pour ne s’occuper que d’eux-mêmes? Auraient-ils la secrète conviction qu’à la fin du second millénaire la Parole de Dieu a cessé d’être libre et agissante?
Haut les cœurs! Sursum corda, ainsi que le disaient les chrétiens dans le passé. Le fondement a été posé, Dieu est fidèle, et lui qui a commencé une telle œuvre l’achèvera, l’accomplira, la rendra parfaite. Lui qui nous a choisis depuis son éternité ne nous abandonnera pas comme des victimes sans défense succombant sous des forces incontrôlables; il ne nous laissera pas désarmés dans le combat spirituel que nous menons, non pas contre la chair et le sang, mais contre les puissances mauvaises, les dominations, le prince du mensonge.
Sursum corda, amis chrétiens, haut les cœurs!