Matthieu 13 - Le prix de la grâce - Parabole de la perle de grand prix
Matthieu 13 - Le prix de la grâce - Parabole de la perle de grand prix
« Le Royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherche de belles perles. Ayant trouvé une perle de grand prix, il est allé vendre tout ce qu’il avait, et l’a achetée. »
Matthieu 13.45-46
Saurons-nous jamais apprécier à sa juste valeur le prix que Jésus consentit pour nous dévoiler le mystère de la rédemption? La distance qu’il parcourut pour nous atteindre reste incommensurable. Ce fut le Verbe incarné, le Fils, la Sagesse divine, l’Intelligence ordonnatrice et le Cerveau ordinateur de la création tout entière qui consentit à s’adresser à nous dans les termes familiers — et presque banals — de ses discours. Il se fit homme et prit la forme d’un rabbi juif itinérant pour transmettre de façon simple et captivante le message qui nous libère; enfants ou adultes, cultivés ou ignorants. Avec Jésus, nous sommes loin des artifices langagiers et des fioritures de style. Venu de l’autre côté du monde sensible, il n’utilise pas un langage métaphysique. Le seul interprète de la Parole divine n’eut point recours aux subtilités de l’herméneutique des hommes. Dieu est incompréhensible en ce sens qu’il dépasse les capacités de la pensée humaine. Mais en Jésus, il s’est approché des hommes et il leur a parlé dans un langage humain, sans dialectique de concepts ni déductions syllogistiques.
Quel parcours depuis l’éternité jusqu’aux chemins poussiéreux de l’obscure Galilée, sur lesquels le Fils de l’homme, la deuxième personne de la Trinité, voulut marcher payant le prix exorbitant de la grâce afin que désormais nul parmi ceux qu’il élit et qu’il appelle ne demeure en dehors de son histoire. Écoutons-le donc nous parler dans la simplicité déroutante de cette parabole lorsque, une fois de plus, il emprunte une image familière de la vie quotidienne et compare le Royaume de Dieu à un homme d’affaires richissime et averti. Certes, les paraboles existaient bien avant lui et les rabbis juifs illustraient leurs discours à l’aide d’images tirées de la vie courante. Mais la différence entre eux et Jésus est essentielle. C’est pourquoi le contraste entre eux et Jésus est frappant. Un fossé infranchissable les sépare.
Dans les quelque soixante paraboles des Évangiles, Jésus fait de sa personne et de sa mission le message de toutes ses illustrations. Toutes l’annoncent. Car il n’est pas un quelconque conteur d’histoires, mais le contenu même de l’Histoire avec un H majuscule, la seule vraie qui vaille la peine d’être contée et écoutée, celle de notre salut à laquelle, dans sa divine condescendance et avec une générosité qui nous bouleverse, il veut nous associer personnellement.
Cette brève parabole dévoile de manière dramatique le sens de sa mission et annonce l’offrande de la croix. Christ est celui qui a payé le prix de la grâce. Il ne faut pas nous méprendre sur le sens de cette illustration. N’inversons pas les rôles nous imaginant que nous serions l’homme riche, le marchant averti en mesure de payer le prix inouï de la perle en question. Cette transaction, presque absurde, fut effectuée par le seul riche véritable, Jésus, le Fils de Dieu. Or, par nature, nous avons tendance à inverser les rôles. Parcourez l’histoire de l’humanité, son histoire religieuse, elle n’est que le témoignage prétentieux, le récit de ses vanités exaltées, de son arrogance en matière religieuse. Recherche de Dieu, quête de pureté, soif d’absolu, toutes les religions polythéistes qu’elles soient grossièrement païennes ou d’un spiritualisme raffiné, toutes les mystiques profondes et (profondément dépersonnalisantes) de l’homme, furent les sommes imaginaires — ces chèques sans provision — pour payer le prix du salut fixé par l’orgueilleuse angoisse de l’homme. L’humanité rebelle et apostate posséderait-elle d’autres sommes que les trente misérables pièces d’argent, le vil prix de toutes ses trahisons?
Les chrétiens eux-mêmes seraient-ils au-dessus de tout soupçon? Que de subterfuges du côté des uns et que de triomphalismes arrogants de la part des autres, tous prétendant mettre la main sur Dieu pour se l’approprier, le domestiquer, faire de lui un bijou de plus pour leur collection de marchands de brocante!
Combien d’Églises et de chrétiens rivalisent entre eux pour exhiber leur collection de perles de pacotille. Les théologies d’erreur et de perdition, les rites obscurantistes, une foi amalgamée, un piétisme douteux, des engagements enfiévrés ou des débordements et des bavardages de névrosés : quelle somme en monnaie de singe! Que d’étalages vaniteux de bimbeloterie spirituelle et de fausses valeurs religieuses!
Mais les chrétiens auraient-ils oublié le diagnostic de Jésus? « Parce que tu dis : Je suis riche, je me suis enrichi et je n’ai besoin de rien, et parce que tu ne sais pas que tu es malheureux, misérable, pauvre, aveugle et nu… » (Ap 3.17). En réalité, cet avertissement nous annonce la banqueroute frauduleuse, la faillite irréversible qui nous contraint à déposer le bilan. Voilà, nous ne sommes pas riches, et c’est là toute la vérité sur nos personnes. Non seulement nous ne le sommes pas, mais en outre nous ne savons même pas apprécier la vraie richesse, celle de Dieu, à laquelle nous avions été appelés. Descartes voulait que l’homme soit « le maître et le possesseur de l’univers ». À présent, cet homme ne connaît que le comble du vide.
Et gardons-nous de ne parler à cet égard que du langage spirituel. Notez bien le langage économique de la parabole de Jésus. Impossible de ne pas en tirer des leçons économiques pour notre propre compte. Notre appauvrissement religieux se transforme en misère matérielle. Dieu nous avait confié les abondantes ressources de son univers et établis garants et gérants de ses trésors. Et voici que depuis, nous sommes acculés sans cesse à la crise économique et nous vivons des débâcles écologiques insolubles! Nous ne connaissons que dévaluation et inflation.
Et d’où vient tant d’inégalité entre nantis et pauvres, entre Nord et Sud? Pourquoi l’exploitation, les spoliations, les vols, les fraudes, quels que soient les systèmes économiques instaurés, et sans que le vol vulgaire soit essentiellement différent de l’appropriation par l’État des biens des citoyens? C’est là notre véritable misère, car non seulement nous ne sommes pas riches, mais encore nous piétinons la richesse de l’univers créé par le Dieu souverain. D’où nous viendrait l’idée d’acquérir « la perle de grand prix »? Toute notre histoire n’est que la trame tragique de nos dénuements.
Mais qu’est-ce qu’une perle? « Concrétion, formée d’un grain sur laquelle se superposent des couches successives de carbonate de calcium. » L’huître, qui n’aura pas lu cette savante définition du grand Larousse, dira, elle, avec force et gémissement, que cette concrétion-là n’est autre chose qu’un corps étranger, malfaisant, une tumeur maligne, sa maladie mortelle. Pour ce mollusque, la perle est devenue le mal absolu et elle voudrait bien s’en défaire.
Or, ce qui n’est que maladie mortelle pour l’huître revêt à nos yeux d’hommes une immense valeur! Précisément celle que Jésus nous accorde. Car le pécheur qu’il vint chercher et sauver devient, par sa décision, la perle de grand prix pour laquelle il consent à se dépouiller de toute sa richesse divine. Cette histoire devrait nous saisir et nous empoigner. Christ a payé un tel prix pour nous, qu’il nous déclare sa perle. Depuis la crèche jusqu’au Calvaire, dès ses premiers cris de bambin venu au monde, jusqu’au « grand cri » poussé sur la croix, depuis sa fuite en Égypte jusqu’à sa mise au tombeau dans une sépulture étrangère, il paya le prix de la grâce. Quel dépouillement que ses souffrances physiques, sa passion morale, sa descente aux enfers! Tout cela est folie et scandale pour l’homme arrogant, mais l’homme de la foi pourrait-il ne pas s’associer à la simple et émouvante confession de saint Paul et déclarer : « Le Fils de Dieu m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi » (Ga 2.20). « Car ce n’est pas par des choses périssables — argent ou or — que vous avez été rachetés, mais par le sang précieux de Christ, comme d’un agneau sans défaut et sans tache », déclare de son côté saint Pierre (1 Pi 1.18-19).
À présent, vous voilà homme de la foi, revêtu de votre valeur, enrichi au prix de son appauvrissement. Vous qui vous préoccupez tant de vous-même. Souvent en quête de discours louangeurs, à moins que, vous apitoyant sur votre sort, vous vous dépréciiez, passant ainsi de l’auto-exaltation à l’autoflagellation! Cessez vos spéculations et vos bavardages sur votre personne! Un autre vous regarde, j’ose même dire, vous contemple. Celui dont la Parole vous avait appelé à l’existence et dont l’Esprit vous anime. Celui en qui sont cachés les trésors de la divinité. Est-ce peu de chose que de lui appartenir désormais corps et âme, dans la vie comme dans la mort? Christ a offert sa divine personne pour faire de nous la perle qui ornera sa couronne royale.
L’actualité de cette parabole touche l’homme sécularisé autant que l’homme de la foi. Il faut que lui aussi redécouvre et reconnaisse d’où lui vient sa vraie dignité, quelle est sa valeur authentique et sur quoi se fondent ses droits indéniables. Sa création à l’image de Dieu et la rédemption offerte en Jésus-Christ, voilà ce qui est essentiel pour lui. Il devrait, une fois pour toutes, mettre fin à tout bavardage, à toute déclaration au sujet de la dignité de l’homme et des droits de la personne. Car ni l’une ni les autres ne passent par Helsinki ou par d’autres porte-parlottes, fussent-ils les incurables bavards de nos bureaucraties ecclésiastiques. Ils se trouvent en la croix de Jésus-Christ.
En dépit de tout et de tous, l’homme moderne reste toujours la victime des goulags, et aujourd’hui plus encore que dans le passé. Il se sait davantage dupe et victime. Il se voit aussi, désespérément, dans toute son insignifiance. Regardez l’homme moderne et sa figure dans l’œuvre extraordinaire de sculpteur Alberto Giacometti. Une figure démesurément grande et mince qui avance sans forme extérieure ni contenu intérieur. Elle est plus mince et plus fragile qu’une simple allumette. « Il n’y a de bataille qui vaille que celle pour l’homme », disait Charles de Gaulle. En effet, pourvu qu’il s’agisse de la bataille livrée sur le Calvaire, là où le Fils de l’homme, Jésus-Christ, vint payer de sa vie la rançon pour plusieurs. Là où dans sa grande passion pour les âmes lui seul a payé le prix de la grâce.
Que nous reste-t-il d’autre à faire si ce n’est à nous confondre dans la reconnaissance? Comme Marie, qui, dans un récit évangélique parmi les plus émouvants, par un geste fou, témoigna la gratitude jaillissant d’un cœur débordant de foi. Soudain, dit l’évangéliste, elle pénétra dans la pièce où se tenaient Jésus et ses disciples, et, s’avançant vers le Maître avec une fiole contenant un parfum de grand prix, elle en brisa le goulot et versa sur la tête et les pieds de Jésus le contenu précieux. Ensuite, en un geste encore plus audacieux, elle dénoua ses longs cheveux et se mit à sécher la tête et les pieds du Seigneur. « En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour ma sépulture », dit Jésus aux assistants étonnés ou scandalisés (Mt 26.12). Je suppose que le Vendredi saint, sur l’emplacement où fut dressée la croix et dans les rues que le divin supplicié dut parcourir avec la sinistre cohorte — au milieu d’une foule haineuse et des gens vociférants — un reste de ce parfum flottait encore autour de lui : parfum de la foi reconnaissante pour la passion du Sauveur, témoignage de la gratitude envers le Seigneur. Avec Marie, avec la parabole de Matthieu et avec l’Église universelle, bénéficiaires de la rédemption et héritiers du Royaume, nous ne devons rien connaître d’autre que Jésus-Christ crucifié.