Jean 20 - Pourquoi prêcher?
Jean 20 - Pourquoi prêcher?
« Le soir de ce jour, qui était le premier de la semaine, les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient fermées, par la crainte qu’ils avaient des juifs; Jésus vint, et debout au milieu d’eux, il leur dit : Que la paix soit avec vous! Quand il eut dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent en voyant le Seigneur. Jésus leur dit de nouveau : Que la paix soit avec vous! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi, je vous envoie. Après ces paroles, il souffla sur eux et leur dit : Recevez l’Esprit Saint. Ceux à qui vous pardonnerez les péchés, ils leur seront pardonnés, et ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »
Jean 20.19-23
Il est aisé d’imaginer ces circonstances, car, tout au long des siècles, tous les disciples du Christ et l’Église dans son ensemble ont vécu de tels moments et ont fait l’expérience d’une telle conduite. Un étrange mélange de foi et de crainte a caractérisé les chrétiens. Peur des sarcasmes et de la moquerie des incrédules et parfois même panique devant la persécution ouverte et violente venant de leurs adversaires. Elle s’est laissée parfois enfermer entre les quatre murs d’un sanctuaire qui lui a servi plus de refuge que de lieu de célébration. La foi ne lui a pas totalement manqué et la communion fraternelle a empêché que l’Église ne se disperse et ne se perde dans la foule. Mais elle a souvent manqué de cette audace nécessaire pour aller prêcher à l’extérieur.
Je ne tiens pas à l’accabler, comme je ne me propose pas de faire une analyse psychologique de la situation des disciples ce premier soir de la résurrection, dans l’intention de les critiquer. Je note simplement que dans des circonstances aussi peu encourageantes, la présence du Ressuscité se fait sentir sans défaut. La crainte des disciples fut aussitôt bannie, et la conséquence puissante et irréversible de cette présence fut qu’ils osèrent prêcher Jésus-Christ. Ils venaient de le rencontrer vivant, lui, le Seigneur!
Il les rassura de sa conquête. Pendant un instant, ils furent surpris, peut-être même désorientés et ils gardèrent le silence de l’émerveillement. Mais ils ne pouvaient plus douter; les rumeurs de la journée s’avéraient exactes. Il était à présent au milieu d’eux, et rompant le silence, il les saluait : « La paix soit avec vous » (Jn 20.19). Il leva ses bras faisant en sorte que tous remarquent et revoient les marques des clous et les traces de cette lance qui avait transpercé son flanc. C’était bien lui, leur Maître, celui qu’ils avaient abandonné seul sur la croix pour s’enfuir. Il n’y avait plus aucun doute. Et l’annonce de sa paix, tout autre que celle que donne le monde, avait à présent dans sa bouche et à leurs oreilles une résonance particulière.
La victoire de Dieu, la consolation promise à Israël, la confusion des adversaires, devenaient une réalité et une expérience personnelle. Oui, cette paix n’était pas celle que le monde aurait pu leur offrir. Alors ils furent remplis de joie. D’une joie indicible; semblable à celle d’une jeune mère qui, après les douleurs de l’enfantement, regarde, avec quelle tendresse et avec quel bonheur, le visage de l’enfant auquel elle vient de donner le jour. Joie d’autant plus intense qu’elle signifiait la réconciliation et qu’elle donnait naissance à l’espérance. La mort était étouffée, et avec elle le péché et le mal étaient écrasés. Une vie nouvelle prenait son départ. Parce que le Seigneur était bon pour eux, leur vie était belle, d’une beauté bienheureuse et bénie.
Ne nous imaginons pas que la situation en dehors des quatre murs de leur chambre fut changée comme par enchantement. Les autorités civiles avaient toujours leur joug maudit. Les pouvoirs religieux entretenaient leur haine et respiraient la menace. Mais que leur importait! Ils venaient de rencontrer celui qui était plus fort que toutes les forces du monde réunies, aussi bien sur terre que dans les airs. Oublierions-nous, nous autres chrétiens de notre temps, que c’est à lui qu’appartiennent la force, le pouvoir et la gloire? Paralysés souvent dans la panique, nous nous plaçons en dehors de ce cercle, qui pourtant est universel et qui s’appelle espérance chrétienne. Parce que nous sommes apeurés, nous fuyons les problèmes ou nous maintenons des positions de repli. Ailleurs, nous nous agitons un peut trop, à vrai dire, pour nous donner meilleure contenance afin de nous justifier aux yeux d’autrui et surtout à nos propres yeux. Activités superflues qui ne donnent pourtant aucune raison d’être à la joie dont nous parle l’Évangile selon Jean.
Je remarque avec vous que le Seigneur ressuscité donna à ses disciples bien davantage que la preuve désormais irréfutable de sa présence corporelle. Il les chargea d’une mission. « Comme le Père m’a envoyé ainsi je vous envoie » (Jn 20.21). Pour Jésus, une telle mission signifiait faire la volonté du Père. À quoi cette mission allait-elle les engager, eux? Se sont-ils rappelés de cette parole qu’il avait prononcée : « Le Fils de l’homme est venu non pour être servi, mais pour servir »? (Mc 10.45). Ou de cette autre qui bouleverse encore nos cœurs : « Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu »? (Lc 19.10). Christ venait au milieu d’eux pour leur confier un ministère, celui de bergers de son troupeau. Lui, le Bon Berger, qui avait donné sa vie pour les siens afin qu’ils vivent, et qu’ils vivent d’une plénitude divine, choisissait à présent, en la personne de cette dizaine de Galiléens, des bergers placés sous sa propre autorité, eux-mêmes restant l’Évêque suprême et le Pasteur universel de son peuple. À eux, à présent, de proclamer la Parole, de faire entendre la voix du bon Berger, de transmettre le message du salut et d’espérance; de communiquer la réconciliation avec Dieu; d’annoncer le pardon des offenses.
Peu de jours après la mission qui leur fut confiée, les disciples se rendirent compte qu’ils avaient besoin de l’ordre donné par Jésus-Christ. Ils furent traduits devant les tribunaux ecclésiastiques. Plus tard, ils seront amenés en présence des juges et des magistrats romains. Voyez cependant leur hardiesse : « Vous avez fait mourir le prince de la vie » (Ac 3.15). Et quelle audace inouïe de la part de ces hommes incultes et aux manières rudes! « Repentez-vous », clamaient-ils devant leurs juges et accusateurs. Disciples modernes de Jésus-Christ, nous n’avons pas grand-chose à inventer ni à ajouter à l’essentiel de la prédication de l’Évangile.
L’opposition, presque aussi violente dans le fond sinon dans la forme, ne tardera pas à se faire sentir. Pourquoi prêcher Jésus-Christ aujourd’hui? Qu’est-ce que le pardon des offenses? Pourquoi le Fils de Dieu serait-il mort et même ressuscité pour nous sauver? Pour les non-chrétiens, une telle prédication est pire qu’un impérialisme religieux. Elle leur apparaît comme une dictature de l’esprit. Pour certains chrétiens, ou qui s’imaginent tels, cette proclamation sans compromis ni nuances est incompatible avec l’esprit des temps. Il faut composer, dira-t-on, avec l’esprit du temps, « faire une synthèse », voire conclure une alliance avec toutes les religions spirituelles qui d’ailleurs bourgeonnent ici et là dans le vaste monde. Si vous persistez dans votre voie, ces chrétiens modernes vous taxeront soit d’intégristes retardés soit de fondamentalistes dépassés.
Je ne prétends pas qu’il suffit de proclamer la vie éternelle en oubliant les misères terrestres ou les questions qui se posent au jour le jour. Je n’ai pas à discourir de façon abstraite sur l’amour de Dieu alors que l’amour parmi les hommes reste le perpétuel absent. Je suis parfois même confus de parler de la paix du Christ lorsque je me rends compte de toutes les divisions qui déchirent son corps, l’Église chrétienne. Que de suspicions, que d’amertumes, que de méfiances, devenues de solides barrages entre nous autres chrétiens! Qui oserait prêcher encore, sans l’ordre du Christ?
Mais c’est précisément là notre mission. Il faudra prêcher. C’est la raison pour laquelle les premiers témoins de la résurrection ont prêché. Et la mission principale de l’Église consistera, jusqu’à la fin des siècles, en la proclamation de l’Évangile. La prédication chrétienne n’est pas une idée chère, un discours chimérique, mais le message que des ambassadeurs ont à transmettre à travers le monde, et cela coûte que coûte, en dépit même de leurs propres défaillances. Quels que soient les problèmes inextricables de la situation humaine et les fardeaux de la misère, notre sollicitude envers tout homme, durant chaque génération, sera toujours manifestée tout d’abord dans l’annonce du pardon des offenses. Si nous osons prêcher, ce n’est point fondés sur nos mérites, mais uniquement encouragés par celui qui nous envoie comme porte-parole de sa grâce, comme confesseurs de son autorité suprême.
Remarquons, enfin, qu’il les a préparés à assumer cette mission. Il a soufflé sur eux son Esprit. Cet Esprit qui a pu anéantir leur paralysie et dissiper leurs craintes. Le même Esprit nous est accordé. Sans l’ordre prononcé par Jésus-Christ et sans l’autorité dont nous revêt son Esprit, nous n’aurions aucun droit de devenir proclamateurs de l’Évangile, ni même de nous ériger en guides spirituels. Christ le Sauveur miséricordieux, est au milieu des siens par sa Parole et par le souffle de son Esprit. Celui qui a adressé vocation aux pêcheurs de Galilée pour faire d’eux des pêcheurs d’hommes, les a aussi préparés par l’Esprit répandu dès le premier soir de sa résurrection. Ainsi, il assurait la pérennité de la mission chrétienne. S’il nous charge d’une mission, il en prend sur lui tout le poids et toute la responsabilité. Il prend soin de notre proclamation chrétienne.
Le lecteur me fera peut-être remarquer que l’expérience des disciples fut unique. Eux, ils eurent le privilège de le toucher, de l’entendre, de s’entretenir directement avec lui. Quant à nous, quelle est notre assurance? La voici : aujourd’hui, la même Parole de l’Évangile, le même Esprit – celui du Christ – nous parviennent avec la même fraîcheur, la même force dans toute leur actualité. Partout où on se réunit pour écouter l’Évangile, là, Christ est présent. Partout où l’Écriture sainte est ouverte pour être lue, méditée, expliquée, là se trouve Jésus-Christ et sa présence y est réelle. Dieu ne nous a pas donné un esprit de timidité, mais de courage et de sainte audace. À notre tour, confesseurs du Christ jusqu’à la fin des temps, nous oserons proclamer le seul nom sous le ciel en qui et par qui nous avons la paix et le salut, en qui notre foi a pris racine et par qui notre existence est illuminée chaque jour d’une bienheureuse et ferme espérance.