L'expérience chrétienne - Un aperçu historique - Les mouvements spiritualistes d'origine protestante
L'expérience chrétienne - Un aperçu historique - Les mouvements spiritualistes d'origine protestante
- Le piétisme
- Le puritanisme anglais
- Le méthodisme
- Le perfectionnisme
- Le revivalisme américain
- L’origine du mouvement pentecôtiste moderne
Considérons à présent, en commençant par le piétisme, les divers mouvements d’origine réformée, ou protestante en général, que l’on peut considérer comme les plus proches parents du mouvement pentecôtiste et charismatique moderne.
1. Le piétisme⤒🔗
Le piétisme apparut sur le sol d’Églises issues de la Réforme, aussi bien luthérienne que calviniste. À ses débuts, il réagit fortement contre ce qu’il tenait pour une orthodoxie morte. Mais le système piétiste finit par placer au centre de la religion l’homme croyant et sa piété. L’œuvre du Christ, l’Église et les moyens de grâce n’y apparaissent qu’en second lieu. Certes, il convient de tenir compte du contexte historique pour saisir la nature de la réaction piétiste.
Il est aisé de reconnaître la louable intention des piétistes de lutter contre l’affaiblissement de la foi et de la piété, dû à un enseignement doctrinal quelque peu rigide dans les Églises officielles. Une conception beaucoup trop intellectualiste de la foi avait fini par atrophier tout enthousiasme et même toute participation personnelle à la foi professée. Avec raison, le piétisme attira l’attention sur le fait qu’on n’appartient pas avec légèreté au peuple de Dieu.
Un piétisme plus particulier aux Églises réformées, en accord avec la théologie calviniste, insista sur le fait que tous les membres d’une Église visible n’étaient pas forcément des élus, mais que la cause de l’élection se trouvait entièrement en la miséricorde souveraine de Dieu. Cependant, même ainsi, il déviait de la doctrine réformée en fondant la certitude du salut non pas exclusivement en la promesse de Dieu que l’on reçoit par la foi, mais sur l’expérience subjective du fidèle.
Certes, le piétisme n’alla pas jusqu’à considérer les œuvres pieuses de l’homme comme une contribution à apporter à son salut. Il était convaincu de la corruption totale à un tel degré que parfois cette conviction se trouvait en conflit avec la notion biblique de la responsabilité, qui n’est pas arbitrairement limitée par la souveraineté de la grâce. L’erreur piétiste consista à concevoir une relation incorrecte entre l’œuvre du Saint-Esprit et celle du Christ. Nous avons noté plus haut que l’homme piétiste devait passer d’abord par l’expérience spirituelle avant de prétendre croire que le Christ était mort à sa place et de se savoir déclaré enfant de Dieu. La nécessité de la régénération pour entrer dans le Royaume était comprise de telle manière qu’il était impossible à l’homme piétiste de s’approprier les promesses objectives de l’Évangile. Très souvent, il lui manquait la certitude du salut. Il est certes normal de se demander si on a véritablement la foi et si l’on sert Dieu de manière appropriée et suffisante. Mais selon l’Écriture, aussi bien la foi que la conversion ne sont que la réponse donnée par l’homme au salut par grâce. Elles n’en sont nullement la condition. La foi et la vie nouvelle qui la caractérise sont les conséquences de l’assurance du salut.
Malheureusement, le piétisme oublia de tenir compte de ce point capital. À ses yeux, l’œuvre de l’Esprit complète celle du Christ. Ainsi commit-il l’erreur fatale de ses prédécesseurs. D’après lui, c’est l’Esprit qui fonde le salut en complétant l’œuvre du Sauveur. Le piétisme n’a donc pas rendu suffisamment justice à la tâche principale de l’Esprit, lequel nous informe et nous assure de la perfection de la rédemption; contrairement à la théologie réformée, le piétisme accordait à l’œuvre de l’Esprit une attention indépendante, sans légitimation biblique. Pour la théologie piétiste, le Christ aurait seulement obtenu la possibilité du salut, que l’Esprit rendrait actuel.
Ce faisant, le piétisme fixait deux objets au salut, le premier étant l’œuvre achevée du Christ et l’autre, totalement indépendante, l’œuvre actuelle de l’Esprit. Un autre trait caractérisait encore le piétisme : la nécessité d’un laps de temps suffisamment long pour pouvoir distinguer la toute première expérience chrétienne des autres expériences successives. Ce n’est qu’à la suite d’une expérience exceptionnelle que l’on peut se dire enfant de Dieu. Il peut s’agir d’un rêve, de la lecture d’un passage biblique produisant un choc dans la conscience croyante, etc. Dans ce cas, la foi, même considérée comme le don de l’Esprit, perd son caractère christocentrique réceptif.
Notons en passant qu’il existe de notables différences entre piétistes réformés et piétistes arminiens. Un point pourtant les rapproche : la foi est un complément apporté à l’œuvre parfaite du Christ. Elle est la préparation pour l’accueil de la grâce. En dernière analyse, elle devient, même involontairement, la cause du salut.
Notons que cette évaluation critique du piétisme n’est pas récente et pas seulement confinée aux seuls réformés. Karl Barth mentionne les treize objections soulevées contre le mouvement piétiste allemand par le luthérien Valentin Ernst Löscher (1673-1749), professeur à Wittenberg et plus tard superintendant à Dresde. Nous les reproduisons :
« Selon Löscher, voici les caractéristiques du piétisme : (1) Son indifférence, en vertu d’un pseudo-christianisme autoritaire, envers la vérité évangélique. (2) Le mépris des moyens de grâce dont les piétistes font preuve en les liant à la pureté humaine. (3) L’infirmation du ministère qui doit être maintenu non en faveur des pasteurs mécréants, mais pour l’amour de la cause en soi, par la négation de la grâce objective inhérente à cette fonction. (4) La confusion de la justice par la foi et de la justice par les œuvres, l’interprétation de la justification comme un événement se déroulant à l’intérieur de l’homme. (5) La tendance au chiliasme. (6) La limitation de la repentance à une période déterminée de la vie. (7) Le “précisisme”, c’est-à-dire la condamnation de tout désir naturel et des choses dites intermédiaires. (8) Une confusion mystique de la nature et de la grâce dans la conception d’une partie essentielle de l’homme, qui serait pure et bonne en soi déjà avant la nouvelle naissance. (9) L’anéantissement des soi-disant “subsidia religionis”, à savoir de l’Église extérieure et visible, par le mépris de ses symboles et de ses ordres; par la lutte contre la théologie systématique, etc. (10) Les égards dont on entourait certains fanatiques manifestes, les excusant sur toute la ligne. (11) La notion d’une perfection absolue et nécessaire engendrant l’orgueil ou le désespoir. (12) L’entreprise d’améliorer, c’est-à-dire de transformer non seulement les personnes, mais l’Église elle-même. (13) La tendance manifeste au schisme.1 »
2. Le puritanisme anglais←⤒🔗
Bien que sa préoccupation théologique soit différente, on peut associer au mouvement piétiste continental le puritanisme anglais, dont la forte charpente doctrinale d’inspiration généralement calviniste, à quelques rares exceptions arminienne, l’a empêché de dégénérer en un pur anthropocentrisme religieux.
Le terme « puritain » devint assez courant durant les années 1560 comme sobriquet appliqué à des protestants insatisfaits du régime élisabéthain ecclésiastique. On les a comparés aux cathares et albigeois du 13e siècle.
La théologie puritaine est cependant aussi variée que l’ecclésiologie. Cependant, une chose certaine est que le puritanisme a poursuivi des réformes ecclésiastiques, politiques et intellectuelles comme moyens seulement pour parvenir à une réforme morale et spirituelle. Ainsi, la caractéristique essentielle du puritain est sa constante recherche d’un développement et d’une croissance spirituelle. Ceci n’était possible que grâce à l’opération de l’Esprit, laquelle plaçait la conviction religieuse personnelle au centre de la vie religieuse. Le puritain invitait tout homme à devenir un héraut de la foi dans l’exercice de ses tâches quotidiennes et dans son existence ordinaire. La théologie puritaine mit en valeur la vie conjugale et familiale et invita le chrétien à voir en toutes circonstances de sa vie une occasion de servir Dieu. Aussi bien la théologie hautement scolastique, par laquelle l’anglicanisme naissant était déjà contaminé, que le monachisme en furent rejetés. Le sentiment vital de la providence divine engageait le puritain à interpréter les affaires locales, sociales et privées à la lumière de la direction divine. Quasiment tout foyer devenait une petite Église.
Une étude plus approfondie du puritanisme relèverait des points d’une pensée et d’une spiritualité autrement supérieures à celle du piétisme continental. Néanmoins, ici et là, on trouve des points de ressemblance entre eux tels que par exemple la valeur de la méditation et de la contemplation, devenant à ses yeux des preuves authentiques de sanctification. À vrai dire, si ces deux mouvements n’avaient eu aucun lien avec la pensée biblique, on pourrait, sur ce point au moins, les assimiler sans peine à la contemplation platonicienne de Dieu.
Grâce au silence de la contemplation, les piétistes allemands comme les puritains anglais cherchaient à atteindre la Parole de Dieu. Une vie de sainteté était considérée comme la conséquence inévitable d’une vie intérieurement renouvelée. Non seulement le Saint-Esprit contribuait-il à la connaissance de ce que le Christ avait effectué, mais encore il actualisait l’ensemble de cette œuvre. Cette actualisation s’effectuait de manière quasi autonome; elle était considérée comme une œuvre « indépendante » de l’esprit humain. La révélation n’était pas complète à moins qu’elle ne soit accomplie grâce à une expérience personnelle.
Contrairement à Luther, qui insistait sur la lutte intérieure contre la tentation et l’incrédulité, les piétistes, en accordant un temps initial de lutte, soulignaient les joies de vivre dans l’assurance de la faveur de Dieu dans la vie actuelle.
3. Le méthodisme←⤒🔗
John Wesley et George Whitefield ont mis fortement l’accent dans leur prédication sur le péché et sur le jugement, tout en annonçant la grâce offerte au pécheur repenti. Le méthodisme n’a pas évoqué la nécessité d’un délai afin d’éprouver la réalité du salut personnel. Cependant persiste l’idée selon laquelle le Saint-Esprit doit nécessairement préparer le terrain à travers certaines expériences, en vue de la réception de l’œuvre du Christ. L’œuvre de l’Esprit n’est pas seulement considérée comme le moyen par lequel le salut obtenu par le Christ devient salut personnel, mais encore comme la cause véritable du salut devenu personnel. Dans la pensée méthodiste, en particulier wesleyenne, le salut reste une possibilité générale, à moins que le Saint-Esprit n’intervienne pour l’appliquer personnellement. Il prédispose l’homme avant que ce dernier ne reçoive ce que le Christ a accompli en sa faveur. Cette conception n’est pas essentiellement différente de la théologie romaine et de sa conception de la préparation à la grâce.
Ici même, nous n’engagerons pas de débat relatif à la nécessité de l’expérience chrétienne, dont la légitimité nous est déjà apparue de manière suffisamment claire. Ce qui nous semble davantage sujet à caution, c’est la nature de cette expérience, conçue comme une étape préparatoire disposant l’homme, futur croyant, à l’intime communion avec les souffrances du Christ et avec la puissance de sa résurrection. L’idée selon laquelle quelque chose en nous, plus ou moins indépendant de l’œuvre du Christ, est indispensable pour obtenir le salut ne peut se soutenir sur un terrain biblique. Car toute notre capacité vient du Christ. La foi, en elle-même, ne peut pas exister comme prédisposition à la grâce. Elle n’est que la réponse accordée à celle-ci. Dans leur ensemble, les méthodistes ont opté pour la théologie arminienne, considérant que la préparation à la croix est le fruit de la coopération entre le Saint-Esprit et la volonté naturelle et libre de l’homme. Être sauvé (à l’instar du catholicisme romain) est le résultat de la coopération des trois facteurs suivants : l’œuvre du Christ, l’œuvre de l’Esprit et, enfin, la contribution apportée par l’homme croyant.
Les divers mouvements spiritualistes contemporains de la Réforme nous intéressent, car ils permettent de saisir l’essentiel du méthodisme et, par là, du pentecôtisme qui en est directement issu. Le méthodisme est le plus important des courants spiritualistes modernes. Au 19e siècle, il donna naissance au mouvement de la sainteté (« holiness »), lequel à son tour engendra le pentecôtisme moderne. Incarnation prolongée du méthodisme primitif, le pentecôtisme est parvenu aux conclusions les plus logiques et les plus radicales de celui-ci. Les mouvements méthodistes et « de sainteté » sont les progéniteurs de la doctrine de la sanctification immédiate ou instantanée, qui devait aussitôt suivre la justification. Le pentecôtisme, lui, porte ses aspirations vers une expérience instantanée du baptême de l’Esprit, qui ne doit intervenir qu’après la conversion. Le pardon des péchés et le renouvellement du cœur sont deux étapes successives dans l’existence du croyant. Tant le méthodisme que le pentecôtisme mettront régulièrement l’accent quelque part après la justification. L’influence principale du méthodisme sur le pentecôtisme concerne l’expérience.
Avant John Wesley, une conception de la sanctification portée à ce degré était inconnue. Depuis le fondateur du méthodisme, ceux qui ont embrassé cette doctrine peuvent être considérés comme ses rejetons et, parmi eux, à l’heure actuelle, les plus en vue sont bien évidemment les pentecôtistes.
Le mouvement méthodiste, ainsi que l’un de ses plus éminents théologiens, George Whitefield, qui resta pourtant calvinien, insista sur la nécessité de la sainteté, mais en la détachant de l’œuvre de l’Esprit afin de faire d’elle une activité quasi autonome de l’homme. Si, à la suite de la Réforme, John Wesley maintint quand même la doctrine de la justification (la justice de Dieu en Christ, à la fois passive et active, et cause méritoire de notre justification permettant l’accès auprès de Dieu), la sainteté, elle, était indispensable pour qualifier le pécheur en vue de son obtention du salut.
Les trois mouvements mentionnés ci-dessus, le piétisme allemand, le puritanisme anglais et le méthodisme wesleyen, insufflèrent une certaine vigueur à des Églises de la Réforme devenues quelque peu rigides du fait d’une théologie scolastique ayant perdu la saveur de l’Évangile. Ils insistèrent sur la nécessité de la dimension de la foi qui faisait défaut dans les Églises traditionnelles. Bien que nous devions leur rendre cette justice, il faut rappeler que la préoccupation principale et constante de la Réforme, le « soli Deo gloria » et l’avènement de son règne, semble être presque absente des mouvements spiritualistes de revivalisme. La porte reste donc largement ouverte à des développements subjectivistes excessifs appelés trop facilement de « haute spiritualité ».
Certes, les mouvements en question n’ignoraient pas le motif de la Réforme, le « soli Deo gloria », mais en pratique, le salut individuel et la conversion de l’âme étaient considérés comme les seuls actes rendant gloire au Seigneur. Inévitablement, ces spiritualités atteignirent un haut degré d’introversion, mais grâce aux racines théologiques les liant quand même à la Réforme, les piétistes ne tombèrent pas dans une mystique panthéiste, comme ce fut souvent le cas des spiritualistes de tradition catholique romaine.
Cependant, cette spiritualité, bien que se réclamant d’une théologie évangélique, avait de sérieuses réserves vis-à-vis du monde. Elle cherchait une vision céleste afin d’envelopper toute activité terrestre du manteau céleste. Les piétistes comme les puritains s’opposèrent à une vie pieuse considérée comme formaliste. Les puritains soulignèrent la nécessité de cette vie engendrée par l’Esprit et la Parole. Cependant, les uns et les autres firent preuve de trop d’optimisme quant à la grâce et de beaucoup de pessimisme quant à la nature. Ce qui revient à dire que la sanctification en tant qu’effort conscient du sujet croyant perdait de sa valeur.
Par conséquent, l’œuvre de l’Esprit obtenait autant d’importance que l’œuvre de la réconciliation. Malheureusement, le légalisme et le moralisme, les tabous et les interdits ne tardèrent pas à se manifester, mettant presque au rancart la liberté souveraine de la grâce. On alla jusqu’à interdire de comparaître devant les tribunaux civils ou de prêter serment. Il y eut également interdiction absolue de divorcer ainsi que de mener une vie plaisante et facile. Chez certains piétistes, le célibat devenait le degré, voire la norme suprême de la sainteté.
4. Le perfectionnisme←⤒🔗
Le chapitre consacré à l’appel à la sainteté nous a démontré que notre sanctification est le fruit de la passion et de la résurrection du Sauveur, que l’Esprit applique en nous, dans nos vies, avec une irrésistible efficacité.
Malgré l’éblouissante clarté de la doctrine biblique, les déviations théologiques n’ont pas manqué au cours des siècles, ainsi que nous venons de le constater. Le Néerlandais Hendrikus Berkhof les résume en deux tendances : La première rejette la nécessité de la sanctification pour se borner strictement au terrain de la justification du pécheur. À ses yeux, l’idée même de la sanctification donnerait lieu à un orgueil spirituel, cultivant une inexcusable propre justice. Au siècle dernier, le Néerlandais Kohlbrugge fut l’éminent représentant de cette école. À l’opposé se trouve le courant qui prétend que l’homme régénéré est l’artisan de sa propre sanctification. Celui-là estime que, dès la vie présente, on peut parvenir à la perfection évangélique et à l’éradication totale du péché. Ce type de perfectionnisme fut promu au rang de doctrine quasi officielle dans le méthodisme wesleyen. En principe, tous les mouvements issus du méthodisme, et donc le pentecôtisme, furent avec plus ou moins de bonheur partisans d’un perfectionnisme chrétien. Si la première déviation aboutit à l’antinomisme, c’est-à-dire au rejet de l’autorité de la loi et de la morale qu’elle fonde, la seconde, ainsi qu’il fallait s’y attendre, engendra un intolérable orgueil spirituel dépourvu de tout sentiment évangélique. Berkhof note qu’une sanctification qui ne se fonde pas sur la justification ne sera, en définitive, qu’une simple culture de la personnalité, sans la moindre parenté avec l’Esprit.
Il sera nécessaire par conséquent d’accorder au perfectionnisme une brève attention. Roussas John Rushdoony nous guidera dans l’évaluation de cette nouvelle déviation théologique avec ses conséquences fâcheuses pour l’expérience chrétienne. L’idée de la perfection, rappelle Rushdoony, est en son essence une doctrine païenne. Le terme « parfait » tel qu’il apparaît dans l’Écriture revêt un autre sens que celui qu’il possède dans les cultures païennes. Plusieurs termes grecs sont employés dans le Nouveau Testament. Dans Matthieu 5.48, « soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », le grec dit « téléios », qui signifie mûr, ayant atteint l’objectif, complet. D’autres mots traduits par parfait ont aussi des sens similaires. Au sens biblique, être parfait signifie mûrir dans notre vocation, accomplir la volonté du Père pour nos existences et le servir de tout notre cœur, notre esprit et notre âme. Dans ce sens-là, la perfection est un processus en cours.
Au sens non biblique du mot, la perfection a été depuis toujours l’objectif des diverses religions païennes. Elle a essentiellement été associée à l’idée de l’homme autonome. En termes néo-platoniciens, l’homme devra incarner en lui-même le principe d’être et atteindre la perfection. C’est là une quête solitaire, puisque pour atteindre la véritable spiritualité ou l’intellectualité vraie, pour être pur en esprit et dans l’intellect, l’on doit divorcer du monde physique et des autres, de ses prochains. Car les gens autour de soi sont des gens ennuyeux, causant sans cesse des problèmes, s’intéressant à leurs affaires et empêchant ainsi la réalisation du principe d’être.
Ce concept païen de la perfection sépare la personne du monde et de la société. Il donne lieu à des ermites, moines et gens volontairement isolés du reste de l’humanité. Une religion païenne après l’autre fixe la fin véritable de tout homme dans le détachement, dans la négation du monde et de la vie. Les religions orientales en particulier se sont occupées de ce détachement radical. L’Occident n’a pas davantage été à l’abri. Nous l’avons vu dans le cas des moines et des ermites, mais également dans celui de la piété populaire, tant romaine que protestante. Au 14e siècle, les moines du célèbre monastère d’Athos, en Grèce du Nord, pensaient que, par le jeûne et la contemplation, ils seraient capables d’atteindre l’essence incréée de Dieu.
La voie de la perfection est celle du solitaire. Elle est souvent liée au mysticisme. Dans ses formes ecclésiastiques, elle cherche la vision de Dieu, ou, sous d’autres formes, dans le piétisme par exemple, elle cherche la perfection de la piété individuelle. De toutes les façons, c’est là un exercice autonome, individuel, asocial, non communautaire. Dans ses rapports avec le monde, elle poursuit l’anonymat et la fuite hors du monde. Perfectionnisme et absorption de soi vont ensemble.
Or, la doctrine de la sainteté est totalement différente, ainsi que nous l’avons expliqué. En exhortant à chercher la perfection, le Seigneur nous demande de mûrir, de croître pour le servir et être saint pour lui. Rappelons ici que le sens du mot saint est appartenir à Dieu, être consacré au Seigneur, et non être impeccable, parfait en un sens moraliste. Notre sainteté résulte de notre appartenance à Dieu.
La Réforme, et à cet égard rendons justice aux puritains réformés, définit l’œuvre de la sainteté en rapport avec le Royaume de Dieu, comme un ministère qui est exercé au nom du Christ (voir Ap 11.15). Ce même objectif était déjà présent depuis les tout premiers jours de l’Église et même au sein de l’Église médiévale, bien que le perfectionnisme néo-platonicien l’ait emporté sur le concept biblique.
Le piétisme n’est pas étranger à la subversion de l’idée de perfection et de sainteté. Ici encore, la fausse idée perfectionniste l’a emporté sur l’exhortation biblique. Une fausse sanctification, associée au perfectionnisme, a donné lieu à une vie chrétienne inactive et non pratique. Le modernisme, plus encore que l’orthodoxie romaine ou protestante, a un fort penchant pour le perfectionnisme. Aussi a-t-il énormément nui au monde. Rushdoony signale par exemple le pacifisme comme exemple de perfectionnisme moderniste.
Des hommes d’Église identifient « leurs bonnes intentions » avec la perfection. Mais le perfectionnisme est un remède bon marché. Satan, le grand perfectionniste, offrait dès le début une solution simple. Dieu demandait à l’homme d’apprendre et d’exercer la discipline du travail, de la science et de la domination sur le « jardin ». Mais cette demande a été considérée comme un processus beaucoup trop lent, requérant des siècles et des siècles pour atteindre la perfection. Combien plus simple ce serait si l’homme pouvait, tel un dieu, prononcer un « fiat », déterminer à son gré ce qui est bon et ce qui est mauvais et ainsi devenir le créateur et le seigneur de son univers. La voie de Dieu, elle, exigeait la sainteté, une obéissance totale, le lent processus de maturation. Le tentateur, quant à lui, offrait une route plus simple et plus directe qui menait à la perfection, mais non à la sainteté. À la place de l’obéissance à la Parole du Seigneur, Satan proposait la possibilité de devenir Dieu et de créer un monde parfait.
Le perfectionnisme place également sa confiance en des exercices religieux de piété, comme les voies pour atteindre le pouvoir de Dieu (voir à ce propos la dénonciation vigoureuse du prophète Ésaïe, És 58.5-11).
Ce que le Seigneur exige de nous c’est la sainteté. Mais celle-ci ne se gagne pas en disant « je deviendrai un saint! » La sainteté vient quand nous cherchons le Royaume d’abord. Nous ne devenons pas saints en cherchant la sainteté pour elle-même. Dieu seul est saint au sens absolu du terme. Notre but c’est de suivre le Fils, le parfait Saint, qui vint sur terre pour faire les œuvres de Dieu. La sainteté est souvent vue sous un jour négatif, en tant que « sanctification moraliste » consistant à ne pas boire, à ne pas danser, à ne pas faire ceci et cela. La véritable sainteté est une consécration au Seigneur dans la totalité de notre être. Selon les paroles du psalmiste, « le zèle de ta maison m’a dévoré » (Ps 69.9).
Le thème de la sainteté semble être de nouveau à l’ordre du jour, mais il est assimilé à la fausse notion de perfection, à celle d’une perfection moraliste et légaliste, un perfectionnisme sans rapport avec la sainteté biblique. Toute recherche de perfection qui ne serait pas une entreprise dans une action dynamique, efficace, nécessaire, voire urgente, ne prendrait pas en compte le Dieu parfait lui-même, qui agit depuis toujours et dont le Fils a déclaré qu’il était venu faire les œuvres.
5. Le revivalisme américain←⤒🔗
Tandis que le méthodisme a exercé une profonde influence sur la formation du mouvement de la Pentecôte, le revivalisme d’inspiration américaine n’a pas manqué de façonner à son tour et de manière décisive la méthode du réveil pentecôtiste. L’ancêtre américain immédiat en est le grand Réveil qui a radicalement transformé l’intelligence de l’appropriation du salut et de son application par la foi. Les réveils de Charles Finney et de Dwight Moody ont été conçus et ont couvé dans le protestantisme revivaliste américain.
À cet effet, on peut dire que le revivalisme est la carte d’identité de l’américanisation du christianisme, devenu une force largement répandue pour mieux répondre aux besoins de l’Amérique du Nord. Il a grandement contribué à l’individualisme et à l’expression sentimentale de la foi, considérée comme l’alternative à la civilisation hautement dépersonnalisée du 19e siècle. Le pentecôtisme est aussi un revivalisme radical d’origine et de forme purement américaines. Il est l’héritier de la théologie de l’expérience de Wesley et des méthodes et des expériences du revivalisme, se précipitant dans un monde affamé d’expériences personnelles afin d’apporter une réponse se voulant satisfaisante à de profondes aspirations spirituelles et surtout psychologiques.
Charles Finney est de loin le revivaliste le plus important après Wesley. Il a su maîtriser le mouvement en lui donnant une plus grande extension et en mettant un sceau personnel indélébile sur le pentecôtisme. Sa méthode a exercé une influence profonde et durable sur celui-ci. Sa Théologie systématique est considérée comme un ouvrage de base et admise comme un manuel pour toute étude théologique. D’après Finney, le baptême de l’Esprit est une expérience qui doit suivre la conversion. Toutefois, c’est son Discours sur le réveil religieux qui demeure l’influence permanente sur le christianisme américain. Elle consiste à amener l’homme à une crise spirituelle volontaire, hautement émotive et éminemment individuelle. Il justifie la procédure en prétextant que Dieu a trouvé nécessaire de profiter de la faculté d’excitation de l’homme pour la provoquer chez lui avant de l’amener à l’obéissance!
En réalité, l’influence de Finney sur le pentecôtisme porte davantage sur le domaine de l’émotivité que sur le contenu de l’enseignement et des conceptions théologiques. Finney avait écarté l’idée biblique de la justification juridique (forensique), pour souligner l’importance de la sanctification comme le terrain sur lequel l’homme peut se tenir devant Dieu. Il avait virtuellement placé la justification après la sanctification en adoptant, sans doute à son insu, l’ordre du salut catholique romain. Sa théologie systématique contient six chapitres consacrés à la sanctification, mais un seul à la justification!
Le mouvement de sainteté a été également le fruit direct du méthodisme wesleyen et du revivalisme de Finney. On peut dire encore à son sujet qu’il est né dans des circonstances sociales expliquant largement sa genèse. L’une d’entre elles est la guerre de Sécession et son effet démoralisant sur les esprits. De nouveau, l’axe théologique reste l’expérience de la sainteté. Les partisans de cette théologie chercheront la sanctification totale dans l’amour parfait. C’est à ce dernier mouvement que le pentecôtisme empruntera l’expression « baptême de l’Esprit », qui sera d’une portée décisive pour le pentecôtisme et qui, popularisée, deviendra quasiment l’équivalent de l’expérience même de la sanctification ou de la « deuxième bénédiction ». Boardmann, l’un des théologiens du mouvement, écrit qu’il existe une deuxième expérience et une deuxième conversion… Selon lui, le Christ ne s’est pas offert dans une partie seulement de ses offices pour en retenir l’autre moitié! Si nous nous contentons de nous approprier qu’un Sauveur partiel pour refuser la totalité, ce sera entièrement de notre faute.
Rappelons enfin le nom d’un dernier représentant de ces mouvements spiritualistes, l’Américain Ruben Torrey, que le mouvement de Pentecôte tient en grande estime. Son enseignement porta également sur le baptême de l’Esprit. Selon Gee, l’un des théologiens modernes du mouvement, ce fut probablement Ruben Torrey qui donna le premier un enseignement systématique sur le baptême de l’Esprit. Il souligne fortement la puissance d’en haut, principalement en vue du témoignage et du service chrétiens. Torrey affirme que tout croyant possède l’Esprit, mais que tous n’ont pas reçu son baptême.
En Angleterre, le mouvement est connu sous le nom de « Keswick », du nom de la ville dans la région des lacs où le vicaire anglican avait accueilli sur les terrains de son église une convention annuelle de revivalisme et de sanctification.
Le but de ces conventions était d’approfondir la vie spirituelle, d’y opérer à la manière d’une clinique pour l’âme à l’intention des chrétiens inefficaces, voire plongés dans la défaite en ce qui concerne leur marche dans la foi. On suivait progressivement, durant une semaine, l’ordre que voici : Le premier jour, l’attention se portait sur le péché et ses effets incapacitants dans la vie du fidèle. On y soulignait non seulement son pouvoir, mais encore la culpabilité qu’il engendre. Le second jour, le péché était vu à la lumière de la croix. Romains 6 à 8 occupaient le centre des études et des méditations; on soulignait la manière dont Paul rappelle l’identification du croyant avec le Christ. Certes, on ne prônait pas, comme dans un certain méthodisme, l’éradication du péché dans la vie présente et on n’attendait pas l’impeccabilité ici et maintenant. Venait ensuite la question de la consécration, qui est la réponse de l’homme à Dieu, la promesse de s’abandonner au règne du Christ et de rechercher la puissance du Saint-Esprit. Tous les chrétiens ont reçu l’Esprit, mais tous ne vivent pas de sa puissance. Enfin, le dernier jour, on abordait les résultats produits par une vie remplie par l’Esprit.
Essentiellement, l’idée dominante est qu’on ne lutte pas contre le péché par ses propres moyens. En dépit de ses louables intentions, ce mouvement interecclésiastique, dans lequel on rencontre même des pasteurs et des théologiens qui se veulent réformés, favorise un certain quiétisme. Ce dernier n’entend pas ou plus l’appel à la sainteté, sous prétexte que c’est Dieu qui l’accomplit. À son tour, Keswick souligne la nécessité d’une « deuxième expérience », afin d’obtenir la bénédiction spéciale de l’Esprit. De la même manière que le pécheur est gratuitement justifié en Christ, il est aussi sanctifié, sans engager sa responsabilité personnelle. La différence entre les deux consiste, à ses yeux, dans le fait qu’en une première étape le chrétien reçoit le Christ comme son Sauveur personnel, tandis que dans la seconde celui-ci lui assure la victoire sur tous ses péchés.
Ces divers mouvements n’ont pas rendu suffisamment justice à la doctrine de la sanctification biblique. S’ils entendent l’appel, c’est pour mieux se hisser au rang d’artisans de leur sainteté; ou alors, à l’inverse, ils n’entendent même pas cet appel…
Le légalisme et le moralisme sont sans doute les deux principales déviations qui guettent imperceptiblement la doctrine de la sanctification. Dans le premier cas, le salut personnel est fortement conditionné par la rectitude de la conduite morale. La sainteté cesse ainsi d’être un don de Dieu pour devenir une œuvre humaine. Paul s’élevait déjà avec toute son énergie contre cette fausse idée de la sanctification. Dans le moralisme, nous rencontrerons un autre versant de la déviation. La foi y sera considérée comme une œuvre humaine, l’apport du croyant, une vertu théologale. Le moralisme est le fruit de la théologie arminienne, dans laquelle la foi est considérée comme cause de la justification et non comme le moyen pour l’obtenir. Comme dans la théologie romaine, elle passe pour un mérite.
L’antinomisme se trouve aux antipodes du légalisme et du moralisme. Il s’agit de l’attitude et de la théorie qui s’oppose à la loi et refuse de lui reconnaître une autorité pour la conduite du pécheur. Sous prétexte que le salut est offert, on prétend que le croyant n’est plus tenu de vivre une obéissance éthique. À son insu et afin d’éviter jusqu’au moindre soupçon de mérite humain, Luther favorisa cette attitude.
Ces divers mouvements de revivalisme et de sainteté, de conception spécifiquement anglo-saxonne, ont rendu de fort mauvais services à la conception biblique et réformée de la vie dans la foi. Tout en laissant l’impression de ranimer des Églises moribondes, ils ont certainement contribué à confondre l’œuvre de l’Esprit avec les états d’âme du sujet avide de nouvelles expériences. Et ceci faute d’avoir fait un diagnostic correct des carences théologiques.
Karl Barth, qui combattit le piétisme, laissa malheureusement la porte ouverte à l’antinomisme. Ceci explique sans doute la faiblesse de sa doctrine de la sanctification.
6. L’origine du mouvement pentecôtiste moderne←⤒🔗
Le mouvement pentecôtiste fait remonter ses origines à une incidence de glossolalie dans la ville de Topeka, au Kansas aux États-Unis, au début de notre siècle. Sous la direction de Charles Fox Parham, un ex-prédicateur méthodiste, fut formulée la doctrine fondamentale pentecôtiste selon laquelle le parler en langues est la preuve irréfutable de la « deuxième bénédiction » spirituelle. Selon Parham, l’un des étudiants de l’école biblique Béthel en aurait fait le premier l’expérience.
Des cas de glossolalie avaient été constatés assez souvent en Angleterre et aux États-Unis au cours du 19e siècle, sans pour autant prendre l’ampleur qu’on constatera à partir de l’apparition du pentecôtisme. Ce fut par exemple le cas sous le ministère d’un Edward Irving, pasteur presbytérien de Londres, ou dans les réunions de mère Ann Lees et le mouvement dit des « shakers », ainsi que parmi les mormons, secte fondée par Joseph Smith aux États-Unis au début du 19e siècle.
Les pentecôtistes reconnaissent la fréquence de ces glossolalies, mais pour eux l’extension de cette pratique commence à partir des réunions tenues dans la rue Azusa, à Los Angeles. Une église méthodiste abandonnée, au numéro 312 de la section industrielle de la grande métropole californienne, peut être considérée comme le berceau où vit le jour le mouvement. Un prédicateur noir de « sainteté », William Seymour, y fonda son Église missionnaire de la foi apostolique. Les réunions organisées étaient quotidiennes et elles durèrent pendant trois ans. L’un des traits les plus étonnants y fut la coopération entre chrétiens noirs et blancs, ainsi que la participation active des femmes. À l’époque, on associa ce mouvement au réveil connu au pays de Galles, en Grande-Bretagne. Les réunions de la rue Azusa demeurent donc un symbole pour toutes les activités pentecôtistes ultérieures. C’est à partir d’ici que le pentecôtisme prit de l’extension.
Nous signalions plus haut que les divers mouvements revivalistes trouvèrent un sol favorable pour leur développement dans les circonstances historiques, sociales, culturelles, politiques et économiques qui caractérisaient l’époque. À partir de l’Amérique du Nord et de l’Angleterre, le mouvement de sainteté dit de vie supérieure gagna de nombreux autres pays et il resta pendant longtemps sous les auspices de missionnaires méthodistes. Ces mouvements n’insistèrent pas sur les phénomènes charismatiques, mais sur l’expérience consciente du baptême de l’Esprit en vue de la restauration de l’Église dans la pureté apostolique. D’autres aspects du mouvement insistèrent sur la guérison miraculeuse en tant que réponse accordée à la prière et montrèrent un intérêt renouvelé pour l’attente du règne millénaire du Christ. Nous avons de nombreux témoignages au sujet des expériences d’ordre émotionnel accompagnant la recherche ou la réception de la fameuse « deuxième bénédiction » ou plénitude de l’Esprit. Elles étaient marquées soit par des explosions de joie et des exclamations, soit par des pleurs, ou encore par un grand silence, signe de la paix exceptionnelle de l’âme ayant atteint « la deuxième bénédiction ».
Vers 1895, un nouveau mouvement, né dans l’État d’Iowa, mit l’accent sur une « troisième bénédiction » devant suivre aussi bien la conversion que la sanctification. Benjamin Hardin Irwin, de Lincoln dans l’État du Nebraska, appela son mouvement « l’Église sainte baptisée de feu ». Plusieurs autres mouvements parallèles se répandirent bientôt ailleurs. Non seulement les prédicateurs « de la sainteté » encouragèrent-ils de telles expériences religieuses conscientes, mais encore ils tendirent à encourager ses personnes à rechercher comme expériences des crises provoquées instantanément par la prière de la foi.
Ainsi, au tournant du siècle, le mouvement de sainteté pense à l’expérience religieuse davantage en termes de crises qu’en catégorie progressive de sanctification. L’Église des baptisés de feu se mit à enseigner la conversion grâce à la nouvelle naissance, à la sanctification instantanée en tant que « deuxième bénédiction » et à un baptême « de l’Esprit », instantané lui aussi, à travers la prière. Sans oublier, bien entendu, le règne millénaire imminent du Christ.
D’après la prédication de A.B. Simpson, fondateur de la « Christian and Missionary Alliance », il devait aussi exister un salut instantané, un baptême instantané de l’Esprit, la guérison divine et le retour imminent du Christ. Ainsi, lorsqu’on constata le parler en langues à Topeka, la glossolalie fut la seule contribution nouvelle du pentecôtisme aux mouvements de sainteté déjà existants.
Mais en dépit de tant de liens de parenté, la majorité des dirigeants du mouvement de sainteté rejetèrent le mouvement naissant, l’accusant d’instabilité mentale et même de possession diabolique… Certains se rendirent à la rue Azusa pour une investigation des phénomènes liés à l’Église pentecôtiste, tandis que d’autres adhérèrent à la nouvelle doctrine.
Cependant, de profondes divergences doctrinales, ainsi que des scissions apparurent bientôt, notamment au sujet de la doctrine de la sanctification et, plus grave encore, au sujet de la Trinité.
Si les premiers pentecôtistes inclinaient vers une interprétation de la sanctification comme étant une seconde œuvre de la grâce avant l’expérience de la « Pentecôte », leurs disciples tinrent pour une troisième étape indispensable aussi bien le baptême de l’Esprit que la glossolalie. Le schisme le plus important se fit autour du dogme même de la Trinité, certains pentecôtistes n’acceptant que le « Jésus seul », confondu et identifié avec le Père et l’Esprit.
Nous ne nous attarderons pas ici sur l’explication de ces disputes ni même sur les détails de l’expansion ultérieure du pentecôtisme. Rappelons que le mouvement prit une nouvelle tournure lorsque naquit vers 1960 le mouvement charismatique, qui se trouve actuellement répandu dans plusieurs dénominations chrétiennes. Pour les distinguer de la confession pentecôtiste, vraisemblablement la plus large parmi toutes celles qui doivent leur origine au protestantisme évangélique, disons que les charismatiques sont des particuliers ou des groupes agissant au sein d’Églises établies, aussi bien à l’intérieur du protestantisme que du catholicisme romain.
Pour conclure notre revue des diverses tendances revivalistes, il faut encore mentionner les techniques modernes de la piété que sont les diverses psychologies ou « pensées positives », issues toujours du christianisme américain, et qu’un auteur, pourtant américain lui aussi, traite de psychohérésies. Dans ces psychologies, la sanctification est réduite à une pure dynamique de la personne, visant à obtenir des résultats immédiats et à remporter des succès de la personnalité. Piété pragmatique et utilitaire, elle cherche à s’assurer de la santé psychospirituelle du sujet, santé pourtant aux antipodes de la sainteté biblique. Ce type de religion à succès, avec des recettes pour bien réussir sa foi, se pratique à l’aide de techniques modernes s’inspirant des prétendues possibilités « psychiques » de l’homme. L’exubérance, l’émotivité et l’intensité du sentiment intérieur sont considérées comme l’équivalent d’un amour légitime envers soi.
La sanctification biblique et l’expérience chrétienne ne tolèrent ni techniques ni « méthodismes » de piété. Elles ne sont pas l’équivalent de manipulations génétiques pour une foi qui serait développée « in vitro »… Notre sanctification, ainsi que toute expérience chrétienne, dépendra du Christ et elle l’honorera, lui qui a été pour nous sanctification comme il a été justification, rédemption et sagesse (1 Co 1.30).
Note
1. K. Barth, La théologie protestante au XVIIIe siècle, Labor et Fides, p. 76.