L'appel à la sanctification - L'imitation du Christ
L'appel à la sanctification - L'imitation du Christ
Parce qu’une certaine théologie a bâti sur cette notion tout un système de morale réservé à une élite capable de se procurer des mérites surérogatoires, on s’est méfié de la notion de l’imitation. L’imitation du Christ évoque une mystique suspecte qui ne semble pas respecter les limites entre le Christ et l’homme. La phrase piétiste « que ferait Jésus à ma place? » soulève une légitime suspicion. Ceci explique pourquoi on éprouve une réticence justifiée du côté réformé à parler de l’imitation du Christ. Pourtant, nous devrions interroger à son sujet le Nouveau Testament où nous trouvons un bon nombre de passages qui en soulignent la nécessité, car elle est l’un des aspects fondamentaux de l’expérience chrétienne.
La mise en garde indispensable contre toute mystique subjectiviste ne concerne pas le devoir impérieux d’imiter le Sauveur. Certes, le Christ n’est pas un modèle que l’on pourrait imiter sans d’abord se placer au bénéfice de sa croix rédemptrice. Autrement, on réduirait l’Évangile en une loi aliénante, en un moralisme légaliste, à l’instar des juifs, ou, pis encore, en un moralisme païen. Toutefois, nous sommes exhortés à imiter celui qui est devenu notre Maître et à exprimer les sentiments qui étaient les siens. Nous imiterons le bon Berger qui est aussi notre Sauveur. Le Sauveur nous a précédés en nous indiquant le chemin que nous aurons à parcourir.
Cependant, il y a des limites tracées à notre imitation du Christ. Notre œuvre ne possède pas la même qualité que la sienne. D’ailleurs, elle est d’une autre nature. Notre imitation procède de la foi en celui qui nous a réconciliés avec Dieu. Inversement, nous ne serons pas réconciliés avec Dieu à moins d’imiter le Christ, qui demeure également l’exemple parfait de soumission dans la foi. L’Esprit Saint rend la présence du Christ réelle à nos yeux, nous rappelle l’enseignement du Christ, nous rend capables de vivre comme lui…, car l’unique impeccable est devenu l’archétype de la nouvelle humanité. Il possède le droit de nous soumettre à son joug : « Vous m’avez appelé Maître et Seigneur et vous faites bien, car je le suis. En vérité, le serviteur n’est pas plus grand que le Maître » (Jn 13.1-16).
Ce n’est point parce que le péché persiste en nous que nous devrions abandonner la voie de la sanctification et l’effort de l’imitation. Nous n’avons pas le droit de nous satisfaire de certains de nos progrès. Au contraire, l’acceptation de son joug et l’obéissance à son commandement, ainsi que le fait de nous charger de nos croix sont une partie essentielle de notre expérience chrétienne.
Examinons la teneur de certains passages du Nouveau Testament en suivant l’examen de P. Prigent1. L’imitation du Christ n’est pas qu’un principe de morale (voir Rm 15.1-7 et 1 Co 10.33 à 11.2 sur le souci des autres; 2 Co 8.9 sur la générosité; Ph 2.5 et Jn 13.4-17 sur l’humilité; Ép 4.32 à 5.2 et Col 3.12-13 sur le pardon; 1 Pi 2.21 sur la patience dans l’épreuve). Si ces textes se réfèrent à l’exemple du Christ, ils soulignent moins ses qualités particulières que l’essentiel de la christologie.
Sans examiner tous les passages cités, retenons celui de Jean 13.4-17 : l’incident du lavement des pieds. Jésus commente son geste en précisant qu’on ne peut se passer de l’exemple qu’il vient de donner si on veut bien saisir le sens de sa mission et en bénéficier. Il est clairement question de l’imiter. Que faut-il imiter? Apparemment l’exemple de son humilité. Mais Jésus précise : « Ce que je fais, tu [Pierre] ne le sais pas maintenant, mais tu le comprendras plus tard » (Jn 13.7). Il s’agit donc de toute autre chose que d’un exemple d’humilité. Il s’agit d’avoir ou de ne pas avoir part au Christ et à son œuvre de salut, c’est-à-dire à la croix. En introduisant l’incident, l’évangéliste écrit ceci : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, poussa son amour à la perfection, il les aima jusqu’à la fin » (Jn 13.1). Ce que les disciples comprendront plus tard, c’est que l’action du Christ annonçait à l’avance cet amour mené à son accomplissement, c’est-à-dire Pâques. Voilà l’exemple à imiter, voilà le modèle. Alors commençons-nous à entrevoir la solution du problème sur lequel nous butons depuis longtemps : Avoir part au Christ implique nécessairement une acceptation de cette communion, donc une volonté que nos textes expriment à travers le mot ambigu d’exemple devant être imité.
1 Pierre 2.18-25 parle de la « suivance » du Christ. Ailleurs, lorsque le Seigneur en personne s’adresse à ceux qui le suivent ou expriment le désir de le suivre, nous constatons qu’il ne fait pas appel à une imitation morale, mais à partager son sort avec tous les renoncements que cela implique. C’est une question de salut éternel et non de morale supérieure. Imiter le Christ et le suivre, c’est la question même du salut.
Si cela implique la volonté de l’homme, il ne s’agit que d’une volonté de réponse, car l’initiative humaine est incapable d’inventer ce mouvement. Il s’agit d’être étroitement associé au Christ, de partager son sort avec toutes les ruptures qui en découlent.
Il s’agit par conséquent de parler d’association au ministère du Christ. Dans Philippiens 3.10, l’apôtre précise qu’on ne peut connaître le Christ que sous un double aspect : celui de la puissance de sa résurrection et de la communion à ses souffrances. Celui qui croit en moi, dit Jésus, fera lui aussi les œuvres que je fais; il en fera même de plus grandes… (Jn 14.12). L’œuvre du Christ dans le quatrième Évangile c’est le salut, l’œuvre de la nouvelle création de Dieu en Jésus-Christ.
« De même qu’en Christ Dieu réconciliait le monde avec lui-même, de même nous avons le ministère de la réconciliation, nous sommes ambassadeurs, […] comme si Dieu exhortait par notre intermédiaire » (2 Co 5.19-20).
Dieu s’adresse aux hommes; aujourd’hui, c’est le temps du salut. Ce ministère, Paul l’accomplit comme le Christ l’a accompli, dans les tribulations et les souffrances. Le monde ne s’y trompe pas lorsqu’il prononce sur nous le même jugement qu’il prononça sur le Christ dont nous continuons l’action. Mais dans cette humiliation et cette pauvreté, nous sommes enrichis. Nous entrons dans le grand plan de Dieu qui est de descendre vers les hommes afin que la parole du salut, l’Évangile, retentisse au sein même de la plus grande misère. Ainsi, que ce soit ce texte ou d’autres dus à la plume de Paul, suivre le Christ, vivre sa présence et sa mission sur terre, être associés à son œuvre de salut et la poursuivre, c’est être l’Évangile pour le monde, d’une manière mystérieuse, mais indiscutablement enseignée, comme le Christ fut cet Évangile pour le monde. C’est être les témoins de ce nouvel homme qui est Jésus-Christ, selon la volonté de Dieu. En fin de compte, imiter le Christ, c’est imiter Dieu dans son œuvre de grâce et de rédemption (Ép 5.1).
Note
1. P. Prigent, « Imitation de Jésus-Christ », Église et Théologie, 25e année, no 78, décembre 1962.