À propos de l'ordination des femmes - Introduction
À propos de l'ordination des femmes - Introduction
Avec J.J. Von Allmen1, reconnaissons que le problème de la consécration des femmes, non pas à un ministère dans l’Église, mais au ministère spécifiquement pastoral, est non seulement extrêmement ardu, mais aussi la solution qu’on lui apporte est également extrêmement controversée. Dans ce qui suit, nous n’avons pas la prétention de traiter de tous les aspects du problème. Il s’agira d’une tentative de réponse à l’aide d’un examen, quoique rapide toutefois fidèle, de principaux passages bibliques relatifs au thème.
En commençant notre recherche, nous aimerions souligner trois convictions fondamentales qui nous guident au moment où nous abordons celle-ci et entamons le débat.
1. Nous voulons d’abord réitérer notre attachement indéfectible à l’autorité souveraine et à la toute suffisance des saintes Écritures. Nous voulons en toute humilité y écouter la voix de notre Seigneur. Sans rechercher à en dévier délibérément, nous observerons les règles d’une fidèle interprétation biblique, telles que l’a définie la pensée réformée depuis le 16e siècle.
2. Nous estimons que, selon cette règle de lecture, il n’existe pas d’opposition ou d’inégalité dans la dignité qui caractérise l’homme et la femme. Aussi bien dans la création que dans la rédemption, la femme, autant que l’homme, porte l’image de Dieu; elle bénéficie au même titre que son partenaire mâle des privilèges de la grâce (Ga 3.28). Les différences fonctionnelles n’impliquent point l’infériorité de la femme par rapport à l’homme et n’altèrent pas sa position en Christ.
3. Nous estimons enfin que le ministère est plus large que la question de l’ordination. Tout chrétien bénéficie du don du Saint-Esprit, jeune comme adulte, femme comme homme. Ce don et les dons du Saint-Esprit nous rendent tous, sans distinction, capables d’assurer un service dans l’Église.
Le débat est récent, car, jusqu’à il y a peu, il existait virtuellement un accord universel sur l’exclusion de la femme du ministère pastoral. La situation a radicalement changé et, le moins qu’on puisse dire, ce débat est placé sous les rampes de l’actualité, même en dehors des Églises.
D’où surgissent les divergences d’interprétation du rôle de la femme? Nous mentionnerons pour commencer le déni à reconnaître l’autorité des saintes Écritures, d’où découle inévitablement une herméneutique défectueuse, pour ne pas dire inexacte et infidèle. Certains ont ainsi jeté le doute sur l’intégrité même de l’Écriture sainte. Ainsi, on accusera l’apôtre Paul d’être incohérent dans sa pensée relative à la place et au rôle de la femme, parce qu’il serait incapable de surmonter la tension entre les données nouvelles du Nouveau Testament et son ancien mode de pensée, débiteur du judaïsme rabbinique. Aussi, pour prouver le bien-fondé de l’ordination de la femme au ministère pastoral, l’on sacrifie la doctrine même de l’infaillibilité des Écritures.
D’autres, tout en maintenant cette doctrine, dénient à l’Écriture son caractère de clarté. La terminologie au sujet de la primauté de l’homme (le grec « képhalè », qui signifie « chef » ou « tête ») est réinterprétée de telle manière qu’elle ne rend plus le même sens. Puisque, argue-t-on, Dieu a permis que des discours et des cantiques rédigés par des femmes soient inclus dans sa Parole, il est normal d’en conclure que les femmes peuvent également proclamer la Parole.
Une troisième approche jette le doute sur la finalité même des Écritures. Ici, la Bible n’est plus la Parole définitive de Dieu, mais une flèche qui pointerait vers la bonne direction. Aussi, a-t-on déjà produit une « herméneutique du développement » établissant une distinction entre les principes de liberté, d’égalité et de mutualité proclamés par le Nouveau Testament et sa description de la manière dont ceux-ci furent appliqués au cours du premier siècle. La manière ou les manières dont l’Évangile a été pratiqué au premier siècle doivent être entendues, acceptées comme un simple vecteur placé au début d’un parcours. L’herméneutique catholique romaine, notamment depuis Maurice Blondel, n’avait pas dit autre chose, puisque la révélation y est comprise comme le gland qui contient tout le potentiel de l’arbre, que sera la doctrine, fixée et interprétée par un magistère infaillible. Certaines théologies protestantes modernes, parfois même évangéliques, semblent être simplement des… versions protestantes du catholicisme romain!
D’aucuns estiment, et estimeront, que la Bible n’est qu’un texte pour hommes, un écrit machiste et archaïco-patriarcal. Elle soulignerait exclusivement le rôle et l’importance des hommes, tandis que les femmes, elles, n’y occuperaient qu’une position subalterne, si ce n’est totalement méprisée. Rien n’est pourtant plus éloigné de la vérité. Contrairement à d’autres religions pour qui la femme ne possède pas d’âme, ou bien dont la valeur est à dédaigner, sinon inexistante, l’Écriture sainte du début à la fin reconnaît la dignité et la valeur de la femme, partenaire de l’homme, à son tour créée par l’acte du divin Créateur.
Un exemple qui contredit de tels lieux communs nous est offert dans l’insistance avec laquelle la Bible souligne davantage les faiblesses, les manquements et les transgressions d’hommes que ceux des femmes. Peu nombreuses sont en effet celles dont la conduite est franchement jugée et condamnée par les auteurs bibliques parce qu’elles seraient des femmes!
Il nous faut déblayer le terrain et fixer les règles de l’herméneutique biblique avant d’entreprendre l’essentiel de l’étude de notre sujet. Or, l’essentiel de celle-ci consiste à se demander sans cesse : « Que disent les saintes Écritures, notamment les textes du Nouveau Testament? »
Pour la Réforme du 16e siècle, la Bible est l’autorité suprême en matière de foi et de vie. Sola Scriptura, l’Écriture seule, laquelle, convenons-en, signifie plus qu’une anodine référence à un principe scripturaire. Elle est Parole de Dieu, non par la décision et l’accord de l’Église, mais parce qu’elle se donne comme telle. Les passages abondent, dont, par mesure d’économie, nous donnerons seulement les références (2 Tm 3.16; 1 Pi 1.20-21; 1 Co 2.12; 2 Co 2.17; Ga 1.8,11; 1 Th 2.13).
Aux yeux des réformateurs, non seulement l’Écriture se donne comme Parole de Dieu, mais encore est-elle son propre interprète. La tradition réformée a depuis toujours ramené l’exégète à la soumission au texte, donné la priorité à la Parole de Dieu sur la réflexion de l’esprit humain. Un grand auteur réformé contemporain, le Néerlandais G.C. Berkouwer d’Amsterdam, dans ses nombreuses monographies de théologie dogmatique, nous a appris toujours à nouveau, avec une insistance grave, à poser la question essentielle : « Que disent les Écritures? »
Rédigées par des hommes, elles ne nous égarent pas. Car, tout en usant d’une analogie, comprise par notre foi régénérée, elle est à la fois un texte humain et une Parole divine, comme le Christ, le Fils incarné de Dieu; de même que le divin Sauveur était exempt de péché, de même la Parole inspirée de Dieu est exempte d’erreur lorsqu’elle nous annonce les desseins salvifiques de Dieu. Toute l’herméneutique fidèle adoptera l’attitude de Marie lors de l’annonciation : « Je suis la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta Parole » (Lc 1.38).
L’herméneutique actuelle superpose à l’autorité des Écritures un magistère étranger, celui de la science exégétique. Et, ainsi que nous le constaterons plus loin, dans l’herméneutique en vogue, les analyses sociologiques, les approches psychologiques, la lourde chape d’une idéologie moderne, calquée sur le Zeit-gheist, l’esprit des temps, s’imposent au texte et en altèrent finalement le sens. L’herméneutique, science utile en soi, parvient à faire dire autre chose que ne dit le texte. Sous le prétexte abusif que l’Église réformée est celle qui sans cesse se réforme, on parvient à inventer du neuf en oubliant que, ainsi que l’on a dit excellemment, l’Église parle « de nouveau », mais ne dit pas du « neuf », elle ne dit pas des choses nouvelles. Car on ne reconnaîtrait alors plus ce que le texte dit.
Nous estimons que, dans une telle herméneutique, il peut y exister des mobiles inavoués, celui d’aller dans le sens du courant, pour accueillir le consensus à n’importe quel prix, se conformer au siècle présent, faire de l’homme, même croyant, la mesure de toutes choses. Von Allmen a attiré l’attention sur ce point. En sont responsables les idées généreuses, mais chimériques de l’égalitarisme ici, celles prétentieuses d’un progressisme illusoire ailleurs, négligeant certains passages bibliques, ou bien en en dégageant d’autres motifs que ceux qu’on veut prêter aux auteurs bibliques. On les examine en partant des idées préconçues. Si l’idée de l’herméneute ne se trouve pas dans le texte, tant pis, il l’y introduira, tel le chameau de la fable sous la tente du Bédouin dans le désert, qui finira par s’y installer entièrement en en chassant le pauvre Arabe! Les textes ne sont pas examinés pour eux-mêmes, ils ne s’éclairent pas les uns par les autres; une lumière étrangère les éclaire.
L’homme d’aujourd’hui décide ce que la Parole a dit depuis trois millénaires; en attendant que l’homme de demain puisse apporter sa propre contribution et, hautain et méprisant, se prononçant ex cathedra, balayer du revers de la main la tradition périmée d’hier! Ainsi, après le sort qu’on a déjà fait à l’Église, c’est au tour de la Bible de subir les sévices de l’herméneutique moderne sophistiquée, structuraliste, déconstructrice et reconstructrice, qui décide ce qui doit être accepté et qui fixe de son autorité un nouveau magistère plénipotentiaire. La Bible, peut-on dire, est devenue cette auberge espagnole dans laquelle chacun trouve ce qu’il cherche.
Von Allmen, dans l’article précité, nous rappelle ceci :
« Il me paraît en effet important de relever et de souligner que la question qui nous occupe n’est pas une de ces questions nombreuses qu’au seizième siècle l’on classait parmi les “cérémonies” et qu’aujourd’hui on situe plus volontiers au niveau de “bene esse”, bien-être de l’Église. S’il faut rappeler que le ministère pastoral ne relève pas de la catégorie des droits de l’être humain, si, comme tout ministère, il est une grâce, il faut rappeler en conséquence que l’obéissance de l’Église est en jeu quand on cherche à savoir comment accueillir, reconnaître cette grâce et comment l’intégrer à sa vie. L’enjeu, ici, c’est la fidélité de l’Église et donc l’ecclésialité authentique de l’Église. Il ne saurait être question d’adaptation progressiste ou d’obstination réactionnaire, car nous n’avons à nous conformer au siècle présent ni dans ce qui le pousse ni dans ce qui le retient : il est question simplement d’obéissance ou de désobéissance, de fidélité ou d’infidélité. Cette obéissance ou cette désobéissance peuvent bien sûr se manifester à des degrés divers; on peut désobéir avec assez de retenue pour ne pas heurter de front certaines affirmations bibliques qu’il est impossible d’escamoter entièrement; on peut aussi obéir d’une manière qui rend cette obéissance suspecte parce qu’on justifie à l’aide d’arguments qui, pour ne pas être de notre siècle, sentent beaucoup plus de siècles passés que le siècle qui vient. J’espère ne pas proposer ici à l’Église une obéissance paresseuse ou réactionnaire, mais au contraire une obéissance exigeante, imaginative et informée par l’espoir de la résurrection. »
Et plus loin, l’auteur ajoute une nécessaire précision :
« Pour éviter toute confusion, il importe cependant de commencer par définir ce que l’on entend par ministère pastoral : Le ministère pastoral est la grâce que le Seigneur a voulue pour l’Église et instituée dans l’Église, par laquelle un fidèle, à la suite des apôtres, est appelé à agir au nom du Christ Prophète, du Christ Sacrificateur et du Christ Roi. De ce fait, à la suite des apôtres et donc au nom du Christ, le pasteur est ministre de la Parole, des sacrements et de la discipline. C’est par la puissance de l’Esprit Saint, invoqué sur lui lors de sa consécration, qu’il est légitime à exercer ce ministère dans l’Église, et qu’il ose l’exercer avec confiance. »
Note
1. « L’ordination des femmes au ministère pastoral », Verbum Caro, no 65.