Liberté, égalité, fraternité
Liberté, égalité, fraternité
Que dire d’un point de vue chrétien, de la devise — connue internationalement — de la République française : liberté, égalité, fraternité? Quand on y réfléchit bien, on est frappé de voir que chacun de ces motifs, et même leur combinaison en une seule devise, prend sa source dans une thématique chrétienne. Cela peut sembler étrange lorsque l’on sait que l’esprit de la Révolution française a été tout sauf attaché à la foi et à la tradition chrétiennes. Et pourtant…
1. La liberté⤒🔗
Prenons le thème de la liberté. Il est central à travers toute la Bible : le peuple d’Israël est libéré par Dieu de l’esclavage en Égypte. Au vingtième chapitre du livre de l’Exode, le Décalogue, c’est-à-dire les dix commandements, commence par ces mots qui servent d’introduction à la loi divine : « Je suis l’Éternel, ton Dieu qui t’ai fait sortir d’Égypte, du pays où tu étais esclave. » Cela dit, la libération accomplie par Dieu n’est pas là pour laisser le peuple d’Israël maître de son destin, libre de faire ce qu’il lui plaît, mais au contraire pour le lier à ce Dieu tout-puissant et à sa loi, qui le maintiendra sur un sentier sûr et stable, quelles que soient les circonstances de son histoire. Donc il ne s’agit pas d’une libération politique et sociale laissant la porte ouverte à une autonomie sans bornes, mais d’une liberté assurée dans une vie d’alliance avec Dieu.
La lettre de Jacques, dans le Nouveau Testament, s’en fait l’écho de cette manière :
« Voici au contraire, écrit-il, un homme qui scrute la loi parfaite qui donne la liberté, il lui demeure fidèlement attaché et, au lieu de l’oublier après l’avoir entendue, il y conforme ses actes : cet homme sera heureux dans tout ce qu’il fait » (Jc 1.25).
Cette liberté, c’est finalement celle que Jésus-Christ a acquise pour les croyants en venant accomplir parfaitement la loi et le plan de Dieu annoncés dans la Bible. À ceux qui avaient cru en lui, il déclarait un jour :
« Si vous vous attachez à la Parole que je vous ai annoncée, vous êtes vraiment mes disciples. Vous connaîtrez la vérité, et la vérité fera de vous des hommes libres. Mais ces gens lui ont répondu : Nous, nous sommes les descendants d’Abraham, nous n’avons jamais été esclaves de personne. Comment peux-tu dire : vous serez des hommes libres? Vraiment, je vous l’assure, leur répondit Jésus, tout homme qui commet le péché est esclave du péché. Or un esclave ne fait pas partie de la famille, un fils, lui, en fait partie pour toujours. Si donc c’est le Fils de Dieu qui vous donne la liberté, alors vous serez vraiment des hommes libres » (Jn 8.31-36).
Voilà la clé de la vraie liberté, dans l’Évangile : c’est Jésus-Christ seulement, en tant que Fils de Dieu, qui peut l’accorder, car, selon ses propres paroles, il est le chemin, la vérité et la vie (Jn 14.6). Quel contraste avec la devise : « Ni Dieu ni maître » que l’on veut si souvent faire passer pour l’expression de la vraie liberté. On peut bien séculariser tous les grands thèmes chrétiens, comme on le fait depuis quelque 250 ans, mais sans le fondement du Christ, on aboutit à l’échec de l’application de tous nos impératifs moraux et humanistes.
2. L’égalité←⤒🔗
L’égalité est un des thèmes favoris de la plupart des gens et aussi le second volet de la devise républicaine de la France, comme chacun sait. Tout comme le thème de la liberté, il relève bien d’une thématique chrétienne, même si on lui a fait prendre ensuite une autre connotation. L’égalité entre tous les êtres humains au sens chrétien, elle existe bien sûr au regard de Dieu, qui est en premier lieu le Créateur de tous. Tous les hommes et toutes les femmes, à toutes les époques de l’histoire humaine, ont été créés à l’image de Dieu, nous dit la Genèse. C’est cela qui définit leur identité primordiale, leur dignité et leur vocation d’êtres humains.
Par delà la diversité de caractéristiques et de dons particuliers, il y a en chacun cette marque qui nous lie non seulement à notre Créateur, mais aussi à notre prochain, dans une relation devant être marquée par l’amour et le respect. Toute idéologie raciste s’en trouve par là même exclue dès le départ.
Mais l’égalité entre tous les hommes est hélas! aussi celle d’une condition de déchéance aux yeux de Dieu depuis un acte de rébellion ayant entraîné dans sa chute l’humanité tout entière. Condition de rupture d’alliance qui obscurcit complètement notre rapport à Dieu et à notre prochain : source de misère, de tensions, de violence et de haine dont on voit les traces à tous les échelons de la vie : au niveau personnel, social et politique. L’apôtre Paul résume cette condition de manière lapidaire au troisième chapitre de sa lettre aux chrétiens de Rome : « Tous ont péché, en effet, et sont privés de la glorieuse présence de Dieu » (Rm 3.23). Bien sûr, la déchéance en question s’exprime à des degrés différents dans la vie des uns et des autres, car Dieu, par sa providence souveraine, en limite les effets les plus destructeurs et permet que la vie continue sur terre. Mais personne ne peut se croire exempté de cette condition de rupture qui en fin de compte mène à la mort.
Pourtant, au milieu de cette condition mortelle marquée par la déchéance, surgit une espérance adressée à tous, indistinctement (autre signe d’égalité dans la foi chrétienne) : celle du salut, de la réconciliation avec Dieu et avec le prochain. En fait, je ne vous ai cité que partiellement la déclaration de Paul dans sa lettre aux Romains. Je la reprends maintenant : « Tous ont péché, en effet, et sont privés de la glorieuse présence de Dieu, et ils sont déclarés justes par sa grâce : c’est un don que Dieu leur fait par le moyen de la délivrance apportée par Jésus-Christ » (Rm 3.23-24). À partir de là, une humanité nouvelle revient à la vie, appelée au service de Dieu et du prochain dans l’amour et le respect.
Une des marques de l’égalité humaine sur laquelle la Bible insiste souvent, conformément à l’égalité de condition d’êtres créés à l’image de Dieu, c’est celle de tous devant la justice humaine. Il ne s’agit pas d’essayer d’effacer radicalement toutes les distinctions sociales, comme on le voudrait souvent sur la base d’une autre conception de l’égalité, mais d’assurer une justice publique impartiale pour tous, quel que soit leur statut social. Dans la Bible, un des meilleurs exemples nous en est donné avec Josaphat, roi du petit royaume de Juda au 9e siècle avant Jésus-Christ. Je vous cite un passage du deuxième livre des Chroniques, dans l’Ancien Testament, au chapitre 19 :
« Josaphat établit des juges dans toutes les villes fortifiées du pays de Juda, et leur donna les instructions suivantes : Veillez avec soin à ce que vous faites, car ce n’est pas pour des hommes que vous prononcez des jugements, mais pour l’Éternel, et il vous assistera lorsque vous rendrez la justice. Maintenant, agissez en craignant l’Éternel et soyez circonspects dans tout ce que vous faites, car l’Éternel, notre Dieu, ne tolère ni l’injustice, ni la partialité, ni la corruption par des cadeaux » (2 Ch 19.5-9).
3. La fraternité←⤒🔗
La fraternité entre les hommes est l’idéal à atteindre qu’exprime le troisième volet de la devise de la République française : liberté, égalité, fraternité. Tout comme les deux précédents, il trouve sa source dans l’enseignement chrétien, même s’il s’appuie sur des idées assez différentes, et finalement contradictoires. Vous connaissez sûrement l’Ode à la joie du poète allemand Schiller, mis en musique par Beethoven dans le dernier mouvement de sa neuvième symphonie : Tous les hommes deviendront frères, chantent les solistes et le chœur. Où en sommes-nous aujourd’hui dans la réalisation universelle de ce bel idéal? Les peuples ne sont-ils plus en compétition les uns avec les autres? La lutte économique et la survie des plus forts aux dépens des plus faibles a-t-elle laissé la place à l’harmonie généralisée dans les relations humaines?
Il y a en fait une grosse contradiction dans l’idéologie dominante qui gouverne les pensées et les cœurs des hommes de notre époque : on ne peut pas déclarer à la fois que la loi de base qui régit les relations humaines et animales c’est la survie du plus fort aux dépens du plus faible, avec pour conséquence évidente l’élimination de ceux qui ne savent ou ne peuvent pas s’adapter, et que d’autre part l’idéal à atteindre c’est la fraternité humaine généralisée. Il faut être totalement schizophrène pour soutenir que ces deux principes peuvent exister ensemble. C’est bien pourtant ce qu’on voudrait nous faire croire.
Pour la foi chrétienne, la fraternité entre les hommes est avant tout le fait d’une réconciliation avec Dieu opérée par Jésus-Christ, qui est devenu le modèle d’une humanité nouvelle. Sur ce fondement, le Christ déclare à ses disciples au moment du repas pascal célébré en commun peu avant son arrestation, son procès et sa crucifixion : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13.34). Reconnaître en l’autre son semblable n’est possible que si on reconnaît d’abord qu’il est créé à l’image de Dieu lui aussi, tout comme soi-même, et que cette image est sacrée.
Je mentionnais précédemment de l’égalité des hommes devant Dieu, en particulier devant la justice publique. Aucun favoritisme n’est toléré devant le siège judiciaire, aucune corruption n’est permise. Mais sur quelle base? Uniquement sur celle du Dieu éternel et tout-puissant qui jugera lui-même tous les hommes. Cette égalité devant la justice doit permettre de protéger les plus démunis, les plus faibles, contre l’abus et l’exploitation des plus puissants, sans toutefois que cette protection devienne partiale et injuste à son tour.
Un très beau texte du livre du Deutéronome, dans l’Ancien Testament, à la fin du dixième chapitre nous dit ceci :
« L’Éternel votre Dieu est le Dieu suprême et le Seigneur des seigneurs, le grand Dieu, puissant et redoutable, qui ne fait pas de favoritisme et ne se laisse pas corrompre par des présents. Il rend justice à l’orphelin et à la veuve et témoigne son amour à l’étranger en lui assurant le pain et le vêtement. Vous aussi vous aimerez l’étranger parmi vous, car vous avez été étrangers en Égypte » (Dt 10.17-19).
L’amour du prochain, c’est donc avant tout l’exercice d’une justice impartiale à son égard, la reconnaissance de son droit à exister en paix, même et surtout s’il est plus fragile que les autres. C’est cela que l’Évangile proclame, et c’est bien le contraire de l’idéologie naturaliste qui non seulement admet la survie exclusive du plus fort, mais de plus l’encourage de manière éhontée.