Jacques 1 - La tentation
Jacques 1 - La tentation
« Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne. Mais chacun est tenté, parce que sa propre convoitise l’attire et le séduit. Puis la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché; et le péché, parvenu à son terme, engendre la mort. Ne vous y trompez pas, mes frères bien-aimés : tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation. Il nous a engendrés selon sa volonté, par la parole de vérité, afin que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures. »
Jacques 1.13-18
Il n’y a aucune vie humaine sans tentation. Chaque jour, chaque heure de notre vie nous apporte une tentation. C’est pourquoi notre Seigneur, lorsqu’il vivait sa vie d’homme, a été aussi tenté et nous enseigne à prier chaque jour : « Ne nous soumets pas à la tentation ».
Mais en quoi consiste donc la tentation? On peut en tout cas répondre qu’il n’y a pas plusieurs sortes de tentations, mais une seule. En l’affirmant, nous pensons à cette histoire que racontent les premières pages de la Bible, cette histoire qui nous révèle comment la tentation s’est approchée pour la première fois des hommes. Le livre de la Genèse nous dit que cette tentation a pris la forme d’un serpent prononçant ces mots : « Dieu a-t-il réellement dit…? » (Gn 3.1). Mais en quoi ces mots sont-ils une tentation puisqu’il y est aussi question de Dieu? Ce n’est justement que dans nos rapports avec Dieu qu’il y a tentation. Là où Dieu se révèle et parce qu’il est Dieu, alors il y a tentation. Si tout au cours de notre vie nous n’avions rien à faire avec Dieu, nous ne connaîtrions aucune tentation.
La tentation a diverses causes. La pauvreté peut par exemple induire un homme en tentation; à plus forte raison la richesse. Le bonheur comme le malheur peuvent nous induire en tentation. Mais précisons que ni la pauvreté ni la richesse, pas plus que le malheur ou le bonheur, ne sont la tentation elle-même. La tentation peut avoir des effets et des conséquences très divers. On peut être tenté de tuer, de voler, de mentir ou de commettre l’adultère. Mais là encore, ce ne sont que des conséquences de la tentation, qui est la source d’où découlent ces conséquences.
La tentation est quelque chose qui se passe entre Dieu et moi, avant même qu’on en voie les conséquences. La tentation est le doute en face de la volonté de Dieu, de l’ordre qu’il m’adresse. Le mensonge, le vol et l’adultère sont, pour ainsi dire, le côté visible de la tentation. Mais le psalmiste disait : « J’ai péché contre toi seul, et j’ai fait ce qui est le mal à tes yeux » (Ps 51.6). La tentation c’est le fait de laisser se glisser quelque chose entre Dieu et nous. La cause de tous les péchés, de toutes les folies, c’est de s’obstiner à vivre le dos tourné à Dieu.
Si nous comprenons cela, nous comprendrons aussi ce que Jacques dit ici avec autorité : Jamais ni d’aucune manière la tentation ne vient de Dieu, bien qu’elle soit en rapport avec lui. « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : c’est Dieu qui me tente. » Comment Dieu pourrait-il vouloir que nous nous séparions de lui? Une telle supposition est absurde. C’est une grave erreur de penser que c’est Dieu qui est responsable lorsque nous tombons en tentation. Car nous le compromettons, lorsque nous prétendons l’entraîner dans les profondeurs ténébreuses où nous font tomber nos tentations, et nous voyons ainsi disparaître notre dernier espoir. Car si Dieu lui-même était l’auteur de notre chute, comment pourrait-il encore vouloir nous sauver?
Il y a, certes, des puissances de ténèbres qui nous tentent, mais Dieu siège au-dessus de tout cela, dans une lumière immuable. Il domine aussi bien la faute que sa peine. S’il arrive que nous soyons précipités dans les ténèbres, cela ne vient pas de lui. Si nous trébuchons et tombons, c’est bien contre la volonté de Dieu et le signe que nous l’abandonnons.
Pour que tout soit bien clair, Jacques décrit maintenant ce qui se passe quand nous sommes tentés. « Chacun est tenté, parce que sa propre convoitise l’attire et le séduit. Puis la convoitise, lorsqu’elle a conçu, enfante le péché; et le péché, parvenu à son terme, engendre la mort. » Férus de psychologie comme nous le sommes actuellement, nous avons certainement la prétention de saisir tout ce qui se passe dans l’âme humaine. Mais aucune psychologie ne sera jamais capable d’exprimer mieux ce que Jacques dit dans ces quelques phrases.
Si quelqu’un est tenté, dit-il, c’est sa propre convoitise qui l’attire et l’amorce. Cette convoitise qui pousse à tout entreprendre, le bien comme le mal, à tout mener à chef par soi-même, à tout vouloir surmonter sans le Père, sans Dieu. Ce « sans Dieu », cette volonté arrêtée de tout vouloir faire par soi-même, voilà la tentation! Et cela rend le bien que je fais tout à fait inopérant, c’est-à-dire qu’il perd toutes ses forces et toute sa valeur, et reste impuissant. « Dieu a-t-il réellement dit? » Dieu m’a-t-il vraiment donné un ordre, ai-je vraiment des ordres à recevoir de lui? Il est très inquiétant, ce raisonnement naturel qui me conduit à croire que je suis mon propre seigneur et maître; elle est très inquiétante, cette liberté que je prends de vivre sans Dieu, de me débarrasser de lui, dans le bien, ou soi-disant tel, comme dans le mal; c’est là la racine du mal qui corrompt toute vie.
Pourtant, nombreux sont les appels et les occasions qui nous sont adressés d’aller à Dieu le Père, de saisir sa main, de cheminer avec lui jour après jour. À vrai dire, Dieu nous entoure de tous les côtés. Il n’existe aucun lieu, il n’y a aucune situation, aucune joie ni aucune peine, aucun bonheur ni aucun malheur où Dieu ne veille pas sur nous, où nous ne puissions le retrouver. C’est Jésus-Christ qui a introduit cette présence du Père dans notre vie, si bien que nous pouvons toujours aller à lui, que nous soyons dans l’abaissement ou dans l’élévation. Tout peut nous arriver, mais rien ne peut nous arriver qui n’a été prévu par Dieu et qui ne nous est salutaire. Dieu le Père est là. Mais la convoitise, cette envie de tout faire sans lui, est aussi présente. Et cette convoitise fait de moi un prisonnier. Même si je m’imagine être un homme libre, je suis un prisonnier.
Jacques nomme péché la conséquence de la convoitise. Le fait de fermer son cœur à Dieu engendre tout aussi nécessairement le péché. Et le péché, lui, enfante la mort. C’est encore une implacable nécessité, un événement qu’on ne peut éviter. Mais pourquoi Jacques nous dit-il tout cela? Que faire de cette terrible vérité du péché, qui entraîne notre vie dans une course à la mort? Remarquons que Jacques nous dit : « Tout don excellent et tout cadeau parfait viennent d’en haut, du Père des lumières, chez lequel il n’y a ni changement ni ombre de variation. » Quel est le sens de ce remarquable message que Jacques proclame ici, après avoir dépeint l’esclavage auquel nous réduit notre péché? Il signifie que le Père, celui que nous avons abandonné, ne nous a pas abandonnés, lui. Même si les choses tournent mal dans tous les domaines, Dieu reste notre Père qui nous attend. Il reste ce qu’il est, le Père des lumières à la fidélité l’immuable.
Dieu n’est pas seulement le Père de l’homme au moment de sa création, il reste le Père de l’homme qui a succombé à la tentation et le Père de l’homme arraché à la mort. C’est encore de Jésus-Christ qu’il est question ici, bien que Jacques ne prononce pas son nom. N’est-ce pas lui, notre Sauveur, qui nous révèle ce que nous venons de constater : la course folle dans laquelle nous entraîne notre péché? L’incompréhensible liberté et la grâce immense de Dieu nous sont révélées par le don qu’il nous fait de son Fils, qui doit nous délivrer de la tyrannie du péché et établir, là où règnent le péché et la mort, la victoire du pardon et de la vie comme signe de sa miséricorde.
« Car il nous a engendrés, selon sa volonté, par la parole de vérité, afin que nous soyons en quelque sorte les prémices de ses créatures. »