Jean 2 - Les noces de Cana
Jean 2 - Les noces de Cana
« Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus fut aussi invité aux noces, ainsi que ses disciples. Comme le vin venait à manquer, la mère de Jésus lui dit : Ils n’ont pas de vin. Jésus lui dit : Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi? Mon heure n’est pas encore venue. Sa mère dit aux serviteurs : Faites tout ce qu’il vous dira. Il y avait là six jarres de pierre, destinées aux purifications des Juifs et contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus leur dit : Remplissez d’eau ces jarres. Et ils les remplirent jusqu’en haut. Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’organisateur du repas. Et ils lui en portèrent. L’organisateur du repas goûta l’eau changée en vin; il ne savait pas d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs qui avaient puisé l’eau le savaient; il appela l’époux et lui dit : Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent. Tel fut à Cana en Galilée, le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui. »
Jean 2.1-11
Après le témoignage rendu à Jésus par Jean-Baptiste d’abord et ensuite par ses premiers disciples, voici maintenant un signe éclatant de la messianité de Jésus : le miracle de Cana. « C’est ici le premier miracle que fit Jésus » (Jn 2.11).
« C’est aussi le début d’une année, l’an de grâce du Seigneur est inauguré par ce miracle. Dans son Évangile de Noël, le quatrième évangéliste nous a fait remonter à l’origine de toutes choses, alors que “l’Esprit de Dieu se mouvait sur les eaux”. Ce Dieu qui est, qui plane et qui règne sur les eaux nous parle encore dans le miracle des eaux changées en vin » (Walter Lüthi).
Ce récit, comme ceux qui le précèdent, appartient à un groupe de narrations que le quatrième évangéliste a seul conservées, essentiellement à cause de sa signification spirituelle. Il s’agit ici de saisir surtout, avec certes la réalité du miracle de Cana, son enseignement véritable. Saint Augustin écrivait que la signification du miracle consiste non seulement dans le fait réel et extraordinaire, mais aussi dans le symbole d’une opération plus haute. Le changement de l’eau en vin permet aux croyants la foi en d’autres mutations divines.
Dans le monde oriental, dans les villages palestiniens du temps de Jésus, les noces sont l’occasion de grandes festivités. Les tables sont dressées plusieurs jours, parfois toute une semaine à l’avance. Chacun est invité et accueilli; la parenté, les amis, les voisins et même l’étranger de passage sont là et participent à la joie des époux. Jésus fut convié avec les siens. À peine donc retourné en Galilée, il va rejoindre sa mère dans une fête nuptiale. Bien différent en cela de l’austère Jean-Baptiste, il n’hésite pas à participer à la vie des hommes et à sanctifier de sa présence la joie simple, même un peu grossière, de ces noces. (Notons en passant que le mariage chrétien est l’union d’un homme et d’une femme qui joignent leurs vies en présence de l’Époux divin de l’Église, Ép 5.21-23. Pourtant, là n’est pas la pointe de notre récit).
Marie retrouve son fils, mais depuis leur séparation se sont passé ces choses mystérieuses dont parlent avec enthousiasme les disciples qui entourent maintenant Jésus. Ils ont certainement raconté à leurs amis ou voisins comment le prophète qui baptise sur le bord du Jourdain a reconnu en Jésus le Messie annoncé et l’a salué du titre de Fils de Dieu. Par l’effet de ces récits, les grands événements qui avaient accompagné la naissance de Jésus, que Marie n’avait certes pas oubliés, mais qui étaient demeurés sans suite apparente, retrouvent en son esprit leur pleine signification. Son fils est bien celui qui lui a été annoncé jadis par l’ange, le Messie tout-puissant, « le Fils du Très-Haut. […] Il régnera sur la maison de Jacob éternellement et son règne n’aura pas de fin » (Lc 1.32-33). Il lui semble alors que l’occasion est propice, au milieu de cette foule d’amis, pour accomplir un prodige éclatant qui le fera reconnaître par tous comme le roi d’Israël.
Jésus entend sa mère, mais il comprend que, dans son amour aveugle, elle voudrait le voir suivre la route large et facile que lui suggérait déjà le tentateur lorsque, peu de temps auparavant, il lui proposait de changer les pierres en pain et de se précipiter du haut du Temple (Lc 4.9-10). Non, ce n’est pas par des prodiges qu’il doit établir son règne ici-bas, mais par le don de lui-même : il est l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde au prix de son sacrifice. C’est pour cette heure qu’il est venu, mais cette heure n’a pas encore sonné.
Le verset 11 constitue la principale conclusion de l’évangéliste. « Tel fut à Cana en Galilée le commencement des miracles que fit Jésus. Il manifesta sa gloire et ses disciples crurent en lui » (Jn 2.11). C’est lors de cette mémorable noce villageoise que Jésus s’est révélé pour la première fois. Pour cette famille, sa présence fut le secours de Dieu plein de grâce et de fidélité. Ce qu’ils n’osaient peut-être même pas attendre de Dieu, il l’a fait pour eux. Par sa parole, il est intervenu et les a libérés de la crainte d’être couverts de confusion.
Cependant, ce miracle, il va l’accomplir dans un tout autre esprit. Il veut ainsi donner à ceux qui l’ont déjà suivi et aimé un signe destiné à fortifier leur foi et à leur révéler, dans une parabole vivante, le sens même de sa venue parmi eux. Certes, ses disciples sur le moment ne comprirent pas; ils ne virent en son acte qu’une manifestation grandiose de sa puissance et ce n’est que plus tard, bien plus tard, après la résurrection, qu’ils comprirent tout ce que Jésus avait voulu leur dire (comme l’évangéliste le fait remarquer à plusieurs reprises, au verset 22 et ailleurs).
N’est-ce pas le naïf maître d’hôtel qui nous donne la clé de ce récit? Dieu n’agit pas comme les hommes. Il a d’abord donné à son peuple l’eau nécessaire et bienfaisante de la loi, mais insuffisante et sans saveur (Jn 1.17; Ga 4.4); maintenant, il leur donne le meilleur vin de sa vigne, son Fils unique et bien-aimé, qui est grâce et vérité et qui remplit les cœurs d’une sainte ivresse. C’est pourquoi il faut que l’Évangile s’ouvre dans la joie d’une fête de noces, et l’immense quantité d’eau transformée en vin représente la plénitude, l’abondance des grâces que le Seigneur apporte sur la terre.
Mais pour que les hommes puissent recevoir les dons de Dieu, il faut que l’Agneau soit immolé; ainsi s’accomplira le salut accordé par le Père. C’est pourquoi le vin, emblème de la joie, est aussi le signe de la douleur rédemptrice, du sang versé. La purification rituelle des Juifs (comme celle que représente le baptême de Jean-Baptiste, symbolisée par l’eau des six vases) doit être remplacée par le pardon qui sera accordé au monde par l’effusion du sang du Rédempteur. Ainsi, en ce jour de joie qui inaugure le ministère du Christ, au milieu de l’allégresse de la bonne nouvelle enfin apportée aux hommes, commence à se profiler à l’horizon la croix du Calvaire où, lorsque son heure sera venue, le Seigneur donnera sa vie pour purifier les hommes de la souillure mortelle de leurs péchés. La gloire du Fils, dont il est question ici (verset 11), c’est de faire la volonté de son Père (Jn 17.4-5).
Mais cette gloire ne sera pleinement manifestée que par la victoire de la résurrection. C’est dans cette intention qu’au signe des noces de Cana l’évangéliste ajoute aussitôt celui que donne le Christ lorsque, dans l’épisode suivant, il parle du Temple détruit et rebâti en trois jours (Jn 2.19-21). Au seuil de l’Évangile est ainsi symboliquement annoncé le but vers lequel il va nous conduire : le sacrifice et la victoire du Seigneur.
Nous avons déjà signalé qu’outre le signe miraculeux matériel, le changement de l’eau en vin indique une mutation plus profonde aussi. Car celui qui changea l’eau en vin peut aussi changer d’autres choses. Ce message est particulièrement précieux pour nos esprits en des temps de mutations et de profonds bouleversements. Par nous-mêmes, nous restons toujours les mêmes. Or, il faudrait des hommes renouvelés pour que les situations changent et deviennent nouvelles. Mais la grâce répond à cette attente, et le miracle de Cana en est déjà la pleine assurance. Le Christ qui a changé l’eau en vin peut changer nos esprits. Notre foi n’est pas — nous y prenons garde — la foi dans le miracle matériel seulement (cela relèverait de la recherche du merveilleux dont nous nous satisferions), mais ce que le signe matériel annonce comme miracle de la grâce divine. Car le Christ, qui a opéré ce miracle il y a deux mille ans, peut opérer d’autres miracles, ceux de la transformation de nos personnes, dans notre situation personnelle, dans nos légalismes ou nos anarchies, dans nos stérilités spiritualistes ou dans nos refus obstinés de l’Esprit. Il est le même Dieu tout-puissant, celui dont l’Esprit planait au-dessus des eaux et qui forma un cosmos ordonné.
Nous avons été témoins de transformations miraculeuses. Nous avons vu des vies changées, des conversions opérées, des pécheurs repentis, des endurcis humiliés, des athées retrouvant le sein paternel, des égarés rentrant au foyer, des mariages au bord de la rupture, renouvelés, recommençant une nouvelle lune de miel. Nous avons assisté à la transmutation d’enfants rebelles et ingrats qui, touchés par la puissance de la grâce, se sont soumis.
Le Christ a le pouvoir d’endiguer des torrents tumultueux et dévastateurs dans nos vies personnelles comme dans celle de la société et de la communauté internationale. Le miracle de Cana peut se reproduire dans les affaires du monde, dans les politiques entre nations, dans l’univers du travail, dans le domaine des activités culturelles, voire au sein d’Églises sclérosées par leur légalisme, leur ritualisme, leurs litanies stériles, leur traditionalisme mort, leurs pompeuses cérémonies sans âme.
Le miracle de Cana fait jaillir pour nous en cette fin de siècle et au début du troisième millénaire une immense espérance. Nos sociétés décadentes seront transformées par la puissance du Christ. Il a le pouvoir de toucher au cœur des peuples endurcis et hostiles. La morale sera renouvelée, les avortements cesseront, les perversions sexuelles disparaîtront, ceux qui abusent physiquement, mentalement et économiquement des faibles se convertiront, par la grâce puissamment opérante du Christ.
C’est à une telle espérance qu’a été liée toute l’action extraordinaire des anciens, depuis les apôtres jusqu’aux réformateurs, en passant par des hommes vaillants et des femmes exceptionnelles, et ceci jusqu’à nos jours. Un Jean Calvin voulant voir Genève devenir une ville modèle de piété et de service envers Dieu; un John Knox voulant une Écosse émancipée de la tyrannie d’une reine mégère; un William Booth cherchant une Angleterre plus compatissante et humaine envers les démunis… Ces devanciers, nos pères et frères dans la foi, avaient cru au miracle de Cana, miracle survenu au milieu des circonstances normales, quand la grâce se manifesta au milieu des vins et de la musique. De jeunes couples chrétiens de Palestine vont, nous dit-on, faire bénir leur union à l’emplacement de Cana, actuellement un gros bourg pimpant appelé Kefr Kana. Si seulement ils pouvaient communier surtout à l’esprit du miracle transformateur sans s’arrêter à une tradition séculaire vide de contenu!
« Le chrétien se trouve entre deux; d’un côté les six vases et tous les miracles du Christ qui désignent le Royaume de Dieu, de l’autre le pas encore, l’attente. D’un côté la foi avec la vision, de l’autre la foi nue. Les signes dont Dieu ne nous démunit jamais entièrement nous sont accordés comme des encouragements à attendre joyeusement et activement la rédemption finale. Alors ce ne sera plus seulement une petite poignée de croyants qui auront été changés, ce seront un nouveau ciel et une nouvelle terre où la justice habitera. D’ici là, nous sommes à la fois dans l’espérance et dans l’humilité, consolés et meurtris, élevés et abaissés. Croire, c’est cela. L’évangéliste conclut son récit en disant : “Et ses disciples crurent en lui” » (Walter Lüthi).