Amos 3 - Des témoins
Amos 3 - Des témoins
« Faites retentir votre voix dans les donjons d’Asdod et dans les donjons du pays d’Égypte, et dites : Rassemblez-vous sur les montagnes de Samarie, et voyez quelle immense confusion au milieu d’elle, que d’oppressions en son sein! Ils ne savent pas agir avec droiture, — Oracle de l’Éternel —, ils entassent dans leurs donjons les produits de la violence et de la rapine. C’est pourquoi ainsi parle le Seigneur, l’Éternel : Voici un ennemi! Il investit le pays! Il te dépouille de ta force, et tes donjons sont pillés. Ainsi parle l’Éternel : Comme le berger sauve de la gueule du lion deux pattes ou un bout d’oreille, ainsi seront sauvés les Israélites habitant à Samarie, eux qui sont allongés sur des lits et des tapis de Damas. Écoutez et témoignez de ceci contre la maison de Jacob! — Oracle du Seigneur, l’Éternel, le Dieu des armées. Le jour où je demanderai compte à Israël de ses transgressions, je lui demanderai compte des autels de Béthel; les cornes de l’autel seront brisées et tomberont à terre. Je renverserai la maison d’hiver sur la maison d’été, les palais d’ivoire seront ruinés, ce sera la fin de nombreuses maisons, — Oracle de l’Éternel. »
Amos 3.9-15
Consacrer toute une série au livre prophétique d’Amos ne va pas sans poser quelques questions.
Quelle est l’actualité de cet âpre message, rudoyant peuples et souverains? Ce berger, cultivant des sycomores et devenu prophète, pèse-t-il vraiment sur l’histoire de notre civilisation après 28 siècles? Car les centres d’intérêt de celle-ci semblent se trouver ailleurs. Les Occidentaux, tout au moins, ne jurent que par d’autres messages et tètent à d’autres mamelles culturelles. Quel éclat et quel prestige que ceux de la culture héritée des penseurs grecs! Éblouis par cette brillante civilisation, beaucoup de nos contemporains ne se consolent pas de sa disparition. Ils veulent la ressusciter, la faire revivre à tout prix afin de donner vie à un Occident en voie de désintégration.
Certains néo-philosophes, tels des enfants promus au rang de chefs éclaireurs, s’accrochent aux mamelles pourtant vides et desséchées de la philosophie grecque, s’acharnant à donner vie à des cadavres et à rafistoler avec du plâtre les ruines et grabats jonchant le sol… Ils feraient mieux d’écouter Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles… » Ces courants anti-chrétiens, servant un néo-paganisme devenu à la mode, devraient apprendre l’ABC d’une pensée digne de ce nom.
Aucun passé, qu’il soit gréco-romain, européen, arabo-musulman, ou indo-israélien, n’a été en mesure de produire une civilisation qui pût demeurer sur ses pieds au-delà de quelques siècles. De quel droit Athènes et son Académie pèseraient-elles plus lourdement sur nos destinées que le discours d’un prophète de Dieu, sans raffinement pour un monde qui se veut civilisé? Je prétends, et je ne suis ni le premier ni le dernier à le faire, que sans le prophète Amos et toute la pléiade des prophètes bibliques et chrétiens, l’Occident ne serait jamais devenu ce qu’il est, ou ce qu’il était jusqu’à une époque récente, et que l’univers aurait sans doute cessé d’évoluer sur ses axes. Nous sommes les témoins reconnaissants de ces oracles prophétiques qui prennent la défense de l’homme, jettent les fondements de la justice et proclament tout haut la dignité inhérente à toute personne humaine, parce qu’accordée par Dieu en personne dès le début, plus clairement à travers la loi donnée à Moïse, et dans sa perfection en la personne et l’œuvre de Jésus-Christ son Fils.
Amos est infiniment supérieur aux stoïciens inconscients et aux hédonistes irresponsables de la civilisation gréco-romaine. Et ce, parce qu’il est, en tout premier lieu, le témoin de Dieu et son combattant. En quelques courtes phrases au chapitre 3, il prononce un discours saisissant. Sa souffrance morale est engendrée par l’escalade de la violence, de l’oppression et de l’injustice. Et il nous entraîne à sa suite pour faire de nous aussi les témoins de Dieu et les combattants de son règne de justice. Je dis bien de justice, sans y coller l’adjectif de « sociale ».
Car il n’y a pas de justice autre que celle de Dieu; celle qu’on appelle « sociale » est hélas! asservie à des idéologies multiples et contradictoires, plus sanguinaires qu’équitables, plus oppressives que libératrices. La justice, la vraie, est celle qui vient de Dieu et qui a Dieu à ses côtés, et lorsqu’on veut l’affubler d’oripeaux idéologiques, que ce soit ouvertement ou de manière larvée, elle étouffe et devient exsangue.
Le vocabulaire d’Amos, avec des termes tels qu’oppression ou violence est un langage qui attribue le mal à une cause fondamentale et unique. Tous les crimes dénoncés et toutes les irrégularités commises sont, avant tout, des péchés contre Dieu, avant de constituer une transgression de l’ordre social. Le prophète sait à l’occasion être sarcastique. Dans une sorte de représentation imaginaire, il somme des témoins à assister à un grand procès public. Des hérauts sont envoyés dans des territoires lointains pour inviter des spectateurs, sommés à se ranger dans un vaste amphithéâtre, mais les étrangers choisis ne sont pas n’importe qui, notez-le bien. Ce sont les Égyptiens voisins ou les Philistins des alentours. Les hérauts et les accusateurs, eux, vont se placer sur les toits des maisons et les donjons des tours.
Quiconque a voyagé en pays méditerranéen se souviendra que, même de nos jours, les toits des maisons sont plats, servant de terrasse. On peut s’y tenir pour haranguer de là-haut la foule, ce qui montre que le procès intenté sera public et non à huis clos ou en catimini.
Cette démarche rappelle les médias modernes. À ceci de différent que le message divin fera preuve d’une rigueur et d’une droiture que nous souhaiterions trouver chez les artisans modernes de l’information. Philistins et Égyptiens sont conviés au procès pour mieux confondre Israël. Rappelons-nous que l’Égypte était son oppresseur par excellence et qu’Asdod, la ville philistine, avait elle aussi joué un fort triste rôle. Un jour, Samson, héros national, y avait ébranlé les piliers d’un temple païen et enseveli avec lui, sous les décombres, trois mille hommes. Mais à présent, ces deux peuples étrangers, oppresseurs honnis, sont sommés de reconnaître qu’il y a pire qu’eux : Israël, l’esclave de jadis, libéré par Dieu pour être son témoin et pratiquer sa justice, est devenu à son tour un tyran accompli.
L’Égypte et les Philistins avaient maltraité les étrangers; Israël, lui, aggrave son cas en sévissant contre ses propres enfants. Le renversement de l’ordre voulu par Dieu était devenu si radical que ce qui était noir était considéré comme blanc et le blanc comme noir. Voilà le plus abominable des péchés d’Israël. Personne ne savait plus ce qu’était le bien. Le mal rongeait comme une gangrène ce peuple à qui avait été confiée jadis l’Alliance de grâce et la plus parfaite des lois religieuses et morales.
Nous pouvons nous permettre d’établir un parallèle avec des situations modernes. Depuis le début du 20e siècle, nous assistons à ce genre de renversements étranges. Voici un peuple soumis à un régime despotique qui croit gagner sa liberté grâce à une révolution sanglante. Que s’est-il produit? Des purges, des massacres, des Goulags, une répression impitoyable contre les insoumis et les dissidents… Ou encore tel ou tel autre peuple, plus ou moins colonisé dans le passé et réussissant, tant bien que mal, avec ou sans guerre, à chasser le colonisateur. Nous assistons, encore là, à des exactions, massacres et injustices bien pires que celles de jadis. Peut-on lire le livre d’Amos sans songer aussitôt à la situation mondiale contemporaine?
Une fois de plus, je songe à nos humanistes, ces conducteurs aveugles de masses d’aveugles, ayant placé leur foi uniquement en l’amour de l’homme. Je voudrais tant leur signaler que la dignité, la justice et la liberté véritables resteront des formules creuses si elles ne s’ancrent pas dans une foi au Dieu de l’homme.
Ne soyons pourtant pas partiaux. Il n’y a pas que les humanistes qui aient le droit de se convertir à Dieu… Le diagnostic d’Amos est valable aussi pour nous autres chrétiens. L’Église se rend-elle compte qu’elle a, elle aussi, beaucoup de témoins et de spectateurs de sa conduite? Et de quel regard scrutateur! Les moindres écarts dans les actes et le témoignage des chrétiens sont passés au peigne fin.
Quelle que soit notre confession ecclésiastique, il est fort possible que nous y cachions des Tartuffes et même des vipères. Et n’oublions pas que la foule de témoins ne se limite pas aux seuls humains. Une cohorte d’observateurs invisibles nous regarde. Les démons mènent une danse de joie frénétique chaque fois que nous glissons vers la chute. Et dans l’amphithéâtre cosmique, l’armée des anges, elle, s’étonne et s’attriste de l’inconduite des chrétiens, si souvent indignes de la vocation que l’Évangile leur adresse.
N’oublions surtout pas que l’Observateur suprême, même s’il reste silencieux, n’en enregistre pas moins tous nos faits et pensées, dont il nous demandera un jour des comptes, car il en a le droit. Dieu, Juge universel, est avant tout le Juge impartial de son Église. Et chaque fois que nous devenons les témoins indignés des événements inhumains de notre époque, n’oublions pas, frères chrétiens, que nous, en tant qu’Église visible et aussi en tant que ses membres individuels, nous ne sommes pas nécessairement au-dessus de tout soupçon… Reconnaissons en toute humilité que le chrétien que je suis et que vous êtes faisons partie, nous aussi, de la race des déchus.
Le prophète Amos veut réintroduire la religion de la loi, sa morale et sa justice sur les marchés, dans toutes les transactions, dans l’intimité du foyer aussi bien que sur la place publique et, bien entendu, dans les sanctuaires. Autrement — et il illustre son message par une image sarcastique — autrement, il y aura un sauvetage qui n’en est pas un. On sera sauvé… en lambeaux, comme ceux que le berger arrache aux griffes du fauve, une oreille par ici, un bout d’épaule déchiquetée par là… Tout sera détruit dans la capitale orgueilleuse. Et la mort, lorsqu’elle survient comme châtiment de l’iniquité, est une chose terrible.
Mais le prophète adresse un discours dans le cadre d’une alliance religieuse; pour lui, Yahvé reste encore le Berger d’Israël, le responsable du troupeau que sont ces anciennes tribus de nomades auxquelles il avait juré fidélité. Il préserve son honneur et reste fidèle à cette alliance en préservant, malgré tout, « un reste fidèle ». Israël ne sera pas entièrement détruit. Si les branches sont émondées ou brûlées, le vieux tronc et les racines seront conservés. Si les boucs sont envoyés à la destruction, les brebis, elles, seront préservées.
En tant que nations, Samarie et Juda ont disparu. Mais les croyants individuels sont nombreux « comme le sable de la mer », à travers les générations que Dieu a rassemblées, ce « reste » à travers lequel Dieu prouve sa fidélité et la fiabilité de chacune de ses promesses. Nous sommes témoins de cette intervention divine durant le cours de l’histoire : « D’une racine morte », écrivait un autre prophète, « a surgi un bourgeon ». Jésus-Christ, qui déclarait : « Je suis le bon Berger; le bon Berger donne sa vie pour ses brebis » (Jn 10.11).
Nous sommes, nous autres croyants, disciples du Christ, ce « reste ». Pas un très grand nombre. Je ne prends d’ailleurs guère au sérieux les chiffres (officiels ou pas) qui nous sont donnés par les statisticiens : 750 millions de rite romain, 550 millions de chrétiens protestants, 234 millions de chrétiens de rite orthodoxe, etc. Peu importent les chiffres. L’Église de Jésus-Christ sera, aujourd’hui comme hier et comme dans l’avenir, composée elle aussi d’un « reste fidèle ». Une « pauvrette Église », ainsi qu’aimait le dire Jean Calvin. Nous sommes comme des apatrides et des réfugiés, mais le Christ prend soin de nous et nous protège. J’espère que vous aussi vous faites partie de ce reste de témoins et que, émerveillés de reconnaissance, vous entendez la voix du Berger et vous suivez ses pas.