Introduction au livre des Lamentations
Introduction au livre des Lamentations
1. Généralités⤒🔗
« Les discours des prophètes ont été les chefs-d’œuvre de ce qu’on appelle en littérature le genre oratoire; les Lamentations de Jérémie peuvent être considérées comme ce qu’il y a de plus élevé et de plus parfait dans le genre élégiaque. Le livre ainsi nommé comprend cinq complaintes, qui ont pour sujet la ruine de Jérusalem et la destruction du peuple de Dieu par le roi des Babyloniens. Les Hébreux nomment ce livre “Eca”, terme qui signifie “Comment?” parce que c’est par ce mot que commence le premier chant (voir aussi le commencement des second et quatrième chants). C’est un usage juif de nommer les livres d’après le mot ou d’après le sujet initial. Les traducteurs grecs (LXX) ont appelé le livre qui nous occupe “Thrénoi”, c’est-à-dire chants funèbres; la version latine (Vulgate) lui a donné le nom de Lamentations, qui est passé dans notre langue. Chez les rabbins, il est souvent appelé “Kinoth”, c’est-à-dire “complaintes”. (Ce nom est appliqué, en 2 Samuel 1.17, à l’élégie composée par David sur la mort de Saül et de Jonathan, et en 2 Chroniques 35.25, au chant funèbre que composa Jérémie sur la fin tragique du roi Josias). Ce prophète emploie lui-même plusieurs fois ce terme dans le livre de ses prophéties (voir Jr 7.29; 9.10,20). Ces passages prouvent que dès les temps les plus anciens c’était l’usage d’employer la forme poétique pour exprimer les grandes douleurs nationales » (Bible Annotée, Introduction aux Lamentations).
La Bible hébraïque range ce livre parmi les Hagiographes. La Bible grecque et la Vulgate la placent à la suite du livre de Jérémie, avec un titre qui en attribue la composition au prophète.
Ce petit livre a joué un rôle dans le culte du peuple élu. Il était lu en entier au cours du jour de deuil célébré chaque année en souvenir de la destruction du temple (Za 7.1-5; 8.8,19).
2. Contenu←⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction aux Lamentations).
Nous avons indiqué en passant le sujet de ces cinq complaintes. Quoiqu’elles traitent toutes au fond le même thème, il est aisé cependant de découvrir entre elles des nuances et une certaine gradation. Dans la première, le poète pleure sur le fait déchirant pour tout cœur israélite de la ruine de Jérusalem. Dans la seconde, il trace le tableau de la cité de Dieu en ruines et il montre dans la juste colère divine la raison de ce châtiment. Dans la troisième, l’auteur, comme représentant de l’Israël fidèle, médite sur cette dispensation extraordinaire. Soumission au saint jugement de Dieu, confiance en son inépuisable miséricorde, tels sont les sentiments que font naître en lui cette heure de profond recueillement. Dans les deux premiers chants, sa douleur paraissait rester sans consolation; avec le troisième, la clarté commence à luire dans son cœur; la plainte aboutit à une prière filiale. C’est certainement ici que l’auteur se replonge dans le souvenir de toutes les horreurs de ce siège par lequel la population de la ville sainte a dû passer. Enfin, dans le cinquième, il décrit la misère actuelle des habitants du pays à la suite de la conquête.
Pour la forme comme pour le fond, ces cinq élégies ont des caractères à la fois semblables et différents. Elles sont composées de 22 strophes chacune; c’est le nombre des lettres de l’alphabet hébreu. Et de plus, dans les quatre premières, chaque strophe commence par une lettre différente placée d’après son rang alphabétique. Mais voici la variété introduite par le poète : dans les deux premiers chants, une strophe est composée de trois propositions parallèles, exprimant à peu près la même idée et ne formant toutes trois qu’un même verset. Dans le troisième, le rythme est plus compliqué. La strophe comprend trois versets composés chacun par la même lettre de l’alphabet que la strophe elle-même. Cette troisième élégie renferme ainsi 66 versets (22 x 3) au lieu de 22. Par cette richesse plus grande et cette ordonnance plus soignée, l’auteur a signalé ce chant comme le faîte du poème. Dans le quatrième chapitre, il revient au rythme des deux premiers, mais en ne donnant à chaque verset que deux propositions parallèles au lieu de trois; enfin, dans le dernier, il revient presque au langage poétique ordinaire en abandonnant la forme alphabétique, dont il ne reste plus, comme dernière trace, que le nombre de 22 strophes.
Ce rythme alphabétique a un but didactique; il devait servir de soutien à la mémoire pour ceux qui voulaient graver le poème dans leur cœur. Dans des compositions de ce genre, où un sentiment unique et profond domine l’âme du poète, les pensées sont puisées chacune immédiatement dans le sentiment qui inspire l’ensemble plutôt qu’elles ne se lient logiquement chacune à la précédente et à la suivante. Sans le soutien extérieur du rythme alphabétique, la mémorisation serait donc très difficile. (Bible Annotée).
3. Plan←⤒🔗
Nous ne donnerons pas un plan détaillé du livre, ainsi que nous le faisons d’habitude pour les autres livres bibliques.
Contentons-nous d’indiquer les cinq paragraphes sous lesquelles on pourra classer les divers passages du livre. Nous suivrons l’ordre donné par la TOB.
- Les Lamentations déplorent le deuil de Jérusalem; elle s’est effondrée dans les larmes, les gémissements, l’affliction, l’état désertique, le dénuement et la faim.
- Elle est blessée dans ses êtres les plus chers : les enfants, les jeunes filles, les jeunes gens, les anciens, les prêtres, les prophètes et les rois. Elle est profanée dans ses réalités les plus saintes. Le temple et l’assemblée fidèle au rendez-vous divin.
- Dans son affliction et grâce à elle, la ville prend conscience de son péché, qui est révolte, désobéissance et perversité. Ce péché, elle le confesse. La main de Dieu s’appesantit sur elle à travers ses ennemis (plus de 20 fois nommés).
- C’est Dieu, en effet, qui fait découvrir à ses enfants son refus absolu de tout mal, qu’on appelle sa colère, sa fureur, son déchaînement, sa flamme terrifiante. C’est lui qui prend pour les pécheurs le visage d’un ennemi; il afflige, assombrit, engloutit. Il semble alors loin, et pourtant il est toujours proche, il entend, il voit, il se souvient.
- On peut compter sur lui; il est juste, tout-puissant, sauveur, rédempteur, capable de consoler et tellement bon qu’il manifeste « ses entrailles », c’est-à-dire ses tendresses maternelles, neuves tous les matins. Le malheur, fruit du péché, est de sa part la grâce suprême : il conduit à l’humble aveu et finalement à la conversion, non point à la conversion que l’homme prétendrait opérer par lui-même, mais la conversion que Dieu seul peut opérer en l’homme : « Fais-nous revenir vers toi, Seigneur et nous reviendrons! » (Lm 5.21).
4. Époque←⤒🔗
« Il est difficile de se prononcer sur le moment précis où l’auteur a composé cet admirable poème. Serait-ce, comme on le dit souvent, sur les ruines encore fumantes de la ville sainte, avant le départ des Juifs et de Jérémie pour l’Égypte? Nous avons de la peine à croire qu’une œuvre d’art d’un travail aussi soigné, et même compliqué, ait été composée dans des circonstances si agitées et si difficiles. Encore moins pourrions-nous en placer, avec quelques-uns, la composition dans le mois qui s’écoula entre la prise de Jérusalem et la destruction de la ville. Ce n’est qu’à une certaine distance des faits qu’on peut les contempler poétiquement et les décrire avec toutes les ressources de l’art. Il faut se garder de trouver un présent réel dans les tableaux qui n’ont pour le poète qu’une actualité idéale. Si Jérémie est bien l’auteur du poème, il nous paraît donc qu’il ne peut l’avoir composé qu’après être arrivé en un lieu de repos, ainsi durant son séjour en Égypte, peu avant sa mort » (Bible Annotée, Introduction aux Lamentations).
L’essentiel, déjà indiqué dans les lignes qui précèdent, se résume en la situation que voici : le peuple de Juda apprit à connaître la faim dans toute son horreur. Il connut aussi des situations telles qu’il eût été impossible de les imaginer en temps normal. Il fit l’expérience de ce que deviennent les hommes poussés à bout par la faim et la misère lorsqu’ils ne sont pas fermement enracinés en une foi vivante; le spectacle de mères dévorant leurs propres enfants ne lui fut pas épargné (Lm 2.20; 4.10; 5.11). Enfin et surtout, les gens furent cruellement déçus par ceux qui leur avaient promis de l’aide (Lm 4.17).
C’est en se rappelant ces faits désastreux qu’il faut lire les Lamentations.
5. Auteur et authenticité←⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction aux Lamentations).
La tradition juive attribue ce poème à Jérémie. On lit en tête des Lamentations dans la version des Septante (LXX) la note suivante : « Et il arriva, après qu’Israël eut été emmené en captivité et que Jérusalem eut été dévastée, que Jérémie s’assit en pleurant et prononça cette complainte sur Jérusalem, et dit… » Cette indication si précise de l’auteur paraît provenir d’une tradition positive. Josèphe, l’historien juif du 1er siècle de notre ère, dit que « Jérémie composa pour les funérailles du roi Josias une complainte, qui a été conservée jusqu’à ce jour ». Il est bien évident que ces derniers mots se rapportent au livre des Lamentations et que Josèphe s’est trompé en lui donnant pour sujet la mort de Josias et la prise de Jérusalem qui suivit cette catastrophe. Mais cette parole n’en prouve pas moins que la tradition juive attribuait ce poème à Jérémie. Nous retrouvons d’ailleurs cette même donnée dans d’autres écrits juifs assez anciens.
Plusieurs modernes contestent la vérité de cette tradition et attribuent le livre à quelque disciple de Jérémie ou à Baruch, son secrétaire. On allègue de prétendues contradictions entre les Lamentations et le livre des prophéties de Jérémie; puis deux ou trois passages où l’on croit trouver une imitation du livre d’Ézéchiel, ce qui obligerait à considérer les Lamentations comme composées postérieurement à celui-ci; enfin, l’absence de certaines expressions familières à Jérémie. Aucune de ces raisons ne suffit pour fonder une conviction opposée à la tradition. Il est aisé de montrer que les contradictions alléguées n’existent pas; que les prétendues imitations d’Ézéchiel ne sont que des coïncidences d’expressions toutes naturelles, et enfin que l’absence dans notre écrit de quelques expressions dont aime à se servir Jérémie est abondamment compensée par la conformité générale bien évidente des sentiments et du langage dans les deux livres. On trouve dans les Lamentations plusieurs des expressions favorites du prophète, ainsi que des allusions très distinctes aux circonstances de son ministère. (Bible Annotée).
6. Message←⤒🔗
« Lors même que les Lamentations de Jérémie ne contiennent pas de prophéties proprement dites, ce livre n’en appartient pas moins au ministère prophétique du serviteur de Dieu que fut Jérémie. Il avait tout fait, tout souffert pour prévenir le châtiment divin. Après que la verge eut frappé, son œuvre n’était pas encore achevée. Il lui restait à montrer à la partie épargnée et fidèle d’Israël comment elle devait courber la tête sous le jugement et, par l’aveu de ses fautes et l’espérance du relèvement, donner gloire à la fois à la justice et à la miséricorde divines. C’est ce que fait le prophète par sa parole et par son exemple. Le grand deuil national, ainsi transformé en prière, devenait la vraie, la salutaire préparation du rétablissement. En Dieu, on ne pleure pas seulement pour pleurer, mais pour se relever » (Bible Annotée, Introduction aux Lamentations).
« Saint Paul a dit à l’égard d’Israël : “Les dons gratuits et l’appel de Dieu sont irrévocables.” (Rm 11.29). Ésaïe avait déjà dit la même chose sous une autre forme (És. 6.13). C’est le sentiment qui se dégage, non avec éclat, mais avec une fermeté humble et soumise, des abîmes de souffrances décrits dans le poème des Lamentations. Ce caractère le distingue des simples produits de la muse (poésie). L’auteur gémit, mais dans l’atmosphère vivifiante de la divine révélation et de la promesse. La révélation divine est un fleuve qui traverse sans cesse des régions nouvelles et dont les eaux grossissent à chaque pas par les apports nouveaux du Saint-Esprit » (Bible Annotée, Conclusion aux Lamentations).
Ainsi que l’écrit Edward J. Young, spécialiste réformé de l’Ancien Testament :
« Ce livre est l’un des plus tragiques de la Bible. La nation dont devait venir le salut devint si perverse que Dieu allait détruire sa forme extérieure théocratique. C’est contre cet arrière-plan qu’il faut comprendre la lamentation : Comment la cité s’assied-elle solitaire, elle si remplie de gens? Comment est-elle devenue comme une veuve, elle qui était grande parmi les nations, princesse parmi les provinces, comment est-elle devenue (à présent) tributaire? »
Lus aujourd’hui encore par la Synagogue lors des commémorations de la catastrophe de 586, ces poèmes de deuil expriment l’insondable douleur qui fut celle des Judéens et du prophète lors de la catastrophe nationale. Ils expriment la détresse où se trouvent les exilés, leur humiliation sous le jugement du Seigneur et leur timide attente d’un rétablissement. La certitude qui les anime est celle de la présence du Dieu vivant au milieu de son peuple captif et de sa miséricorde inépuisable, en laquelle les déportés peuvent trouver la source d’une espérance nouvelle.
L’abattement désolé qui s’y exprime fait mieux ressortir, s’il est typique de la spiritualité des exilés, ce qu’il y avait d’extraordinaire dans la prédication d’un Ézéchiel liquidant le passé pour affronter le présent et préparer l’avenir, et dans les fresques grandioses d’Ésaïe 40 et suivants contemplant l’œuvre irrésistible de Dieu dans l’histoire universelle.
Le message des Lamentations rappelle donc parfaitement celui des prophètes. Le peuple de Dieu ne doit pas considérer ses malheurs comme les conséquences d’un destin immérité et incompréhensible. Au contraire, ils doivent l’amener à reconnaître sa culpabilité (Lm 1.8,14; 2.14; 3.40; 4.13-14; 5.16). On retrouve ici la conception de l’histoire propre à Jérémie, au Deutéronome aussi et aux livres des Rois. La communauté de l’alliance ne saurait rester simplement passive face à l’arrogance des impies, qui s’accroît à mesure que toutes les espérances du peuple élu sont anéanties (Lm 1.7; 2.16). L’affirmation la plus profonde de ces hymnes c’est que Dieu lui-même est devenu l’ennemi des siens. C’est pourquoi il a suscité contre eux des puissances de la destruction.
Cette certitude absolue de la maîtrise de Dieu sur les événements de l’histoire ne laisse pas de place au désespoir; elle doit conduire à la prière. Elle inspire même des prières de vengeance (Lm 1.22; 3.64-66; 4.22). Mais il ne s’agit pas là d’un simple ressentiment humain, et même pour nous, ces prières conservent leur valeur. Une connaissance de Dieu capable de discerner l’inimitié fondamentale qui sépare l’homme de son Créateur ne saurait, en effet, conduire le croyant à réclamer de simples représailles contre ses persécuteurs. En réalité, il s’agit de toute autre chose dans ces prières de vengeance; derrière leur apparence justicière se cache la certitude que Dieu n’abandonne ni son alliance ni sa promesse, même lorsqu’il rencontre son peuple en ennemi (voir le Psaume 73 : « Je suis toujours avec toi »). L’élection demeure comme la main de Dieu tendue vers son peuple, qui le soutient par-dessus l’abîme de la misère et des illusions perdues.
C’est donc à la communauté visitée par le malheur que s’adresse le livre des Lamentations. Il atteste à tous ceux qui ont été déçus dans leur espérance que leur expérience correspond bien à la réalité et que Dieu s’est vraiment éloigné d’eux; mais en même temps, il atteste que, dans son éloignement, ce Dieu demeure fidèle à sa Parole et que la communauté consciente de ces choses peut, non par elle-même, mais par la grâce de son Seigneur, et si accablante que soit sa situation, vivre vraiment dans la force de l’espérance qu’il donne.
Nous ne devrions pas conclure ce livre sans y découvrir, bien qu’implicitement, la figure même du Christ. Nous avons déjà écrit, dans notre introduction au livre de Jérémie, que le prophète était un type, une figure du Christ. Le livre des Lamentations, à son tour, comprend des éléments qui illustrent la vie et le ministère du Sauveur en tant que l’homme de douleurs, familier avec la douleur. Lui aussi fut affligé, méprisé, vilipendé par ses ennemis (voir Lm 2.15-16), mais pour ôter le châtiment que nous méritions et nous accorder un salut glorieux (voir Lm 3.14,30).