Introduction au livre de la Genèse
Introduction au livre de la Genèse
- Généralités
- Titre
- Plan
- Période couverte
- Auteur
-
Message
a. La Genèse et la science
b. Les origines
c. Les généalogies
d. Les générations
e. La chronologie
f. Les noms
g. Les deux premiers chapitres
h. Eden et la chute
i. Origine et unité du genre humain
j. La chute et ses conséquences
k. Les patriarches
1. Généralités⤒🔗
La Genèse est le premier livre du Pentateuque; elle raconte, comme son nom l’indique (genèse signifie commencement), les origines du monde et le début de l’action de Dieu parmi les hommes. Bien que faisant partie de la loi de Moïse, elle contient essentiellement des récits qui concernent les ancêtres du peuple d’Israël, ses pères. Elle inaugure ainsi une histoire qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui et intéresse, avec le peuple juif et l’Église du Christ, l’humanité tout entière.
Elle rapporte divers épisodes de la vie des patriarches, qui ont été groupés de façon à montrer que Dieu intervient constamment auprès d’Abraham et de sa famille en vue de préparer le salut du monde. C’est pourquoi les récits patriarcaux sont précédés d’un prologue, qui situe Abraham et ses descendants au sein des peuples de la terre et contient certains des chapitres les plus célèbres de la Bible : la création, Adam et Ève, le déluge, la tour de Babel… qui forment comme un raccourci saisissant de la marche de l’humanité ici-bas, de ses entreprises et de ses échecs.
Elle est très riche en thèmes et en figures qui se retrouvent dans d’autres passages de la Bible et que la tradition, tant juive que chrétienne, ne cessera de méditer. Ainsi, la Genèse s’ouvre par le récit de la création et l’attitude d’Adam au jardin d’Eden. L’histoire du déluge servira de toile de fond au drame de la fin des temps, ou de figure au baptême. La destinée d’Abraham commence avec une promesse, sans cesse confirmée par Dieu, qui éclaire et détermine le sort de ses descendants proches et lointains, dont les patriarches, tout comme Israël au temps de Josué ou de David, attendent l’accomplissement et dont l’apôtre Paul salue la réalisation dans le Christ.
L’Église lira le premier livre de la Bible pour apprendre le mystère de l’origine du monde et le sens de sa destinée, pour y découvrir aussi les premières étapes de l’œuvre de Dieu en faveur des hommes. La Genèse permet, en effet, d’enraciner la vie des individus et des nations dans la volonté d’amour du Dieu qui s’est révélé à Abraham. La richesse en thèmes et en figures est une ouverture au monde de la Bible devant lequel les croyants ne cesseront jamais de s’émerveiller.
On peut dire avec tous les théologiens et les spécialistes du texte biblique que le livre de la Genèse est le livre dans lequel les fondements des choses et des êtres étant établis, tout ce que la Bible révèle par la suite y est déjà contenu en puissance, de même que la graine contient en puissance la tige, la fleur et le fruit. En puissance, car on peut dire avec juste raison qu’il convient, pour comprendre ce livre, avoir présent à l’esprit le reste de l’histoire, et essentiellement le centre de cette histoire : Jésus-Christ, « la Parole faite chair ».
La Genèse est la pierre fondamentale de l’édifice de la révélation, et l’Apocalypse en est la clé de voûte. Supprimer l’un, c’est faire s’écrouler toute la construction; supprimer l’autre, c’est exposer l’édifice entier aux intempéries du dehors. On comprend que Satan se soit acharné sur la Genèse pour semer le doute quant à la véracité de ses récits et à l’authenticité de ses révélations. Il a surtout concentré ses efforts sur les trois premiers chapitres, sans lesquels le reste de la Bible perd tout son sens et toute sa valeur. Il sait pertinemment qu’en réussissant à ébranler notre foi en la réalité du péché et ses conséquences, en l’amour et la justice de Dieu, il n’a plus rien à craindre de nous. Ne nous laissons pas prendre au piège : lisons, méditons et étudions la Genèse en laissant l’Esprit de Dieu graver en nos cœurs les grandes vérités qu’elle contient.
2. Titre←⤒🔗
Les Juifs avaient donné pour titre aux livres du Pentateuque les premiers mots de chacun. Ainsi « au commencement » ou « beréshith » pour la Genèse, nom dérivé du grec « genesis », qui veut dire « origine ». C’est en effet dans la Genèse que nous trouvons le récit du commencement de toutes choses (excepté Dieu). Le livre devait être étudié au point de vue historique et prophétique, au point de vue des dispensations divines et de la typologie.
3. Plan←⤒🔗
La Genèse se divise en deux parties : l’histoire des origines (Gn 1 à 11) et l’histoire des patriarches, avec qui Dieu traite une alliance (Gn 12 à 50).
1. L’histoire des origines - 1.1 à 11.9
a. De la création à la chute - 1.1 à 2.24
1. La création
2. Eden, l’homme mis à l’épreuve
b. Péché et châtiment - 3.1-24
c. De la chute au déluge - 4.1 à 8.14
1. Caïn et Abel
2. Les descendants de Caïn et de Seth
3. La corruption de l’humanité et le déluge
d. Du déluge à Babel - 8.15 à 11.9
1. L’alliance avec Noé
2. La postérité des trois fils de Noé
3. La confusion de Babel
2. L’histoire des patriarches - 11.10 à 50.26
a. Abraham
b. Isaac
c. Jacob
d. Joseph
4. Période couverte←⤒🔗
La Genèse commence par le récit de la création de l’univers et du premier homme et se termine par la mort de Joseph, couvrant une vaste période de plus de 2300 ans.
5. Auteur←⤒🔗
La tradition juive et la première tradition chrétienne ont à l’unanimité attribué à Moïse la composition du Pentateuque, par conséquent de la Genèse. À l’appui de cette thèse traditionnelle, nous pouvons souligner certaines preuves internes, les passages disant que « Moïse écrivit toutes les paroles que l’Éternel a prononcées ». Noter aussi que le titre même donné au Pentateuque (loi de Moïse, livre de loi de Moïse) présuppose que Moïse en est l’auteur principal. À cet égard, les passages des Évangiles dans lesquels Moïse est présenté comme parlant lui-même dans les livres de la loi sont intéressants (Mt 19.7; Mc 12.19,26; Lc 24.27,44; Jn 1.45; 5.46-47).
Au 19e siècle, certains commentateurs mirent en doute l’origine mosaïque du Pentateuque, donc aussi de la Genèse, reprenant et complétant les idées émises par Jean Astruc (catholique) du 18e siècle. Constatant que différents noms de Dieu sont employés, on en déduisit que le rédacteur s’était servi de plusieurs sources différentes (document élohiste, avant tout un code législatif, document jahviste, qui serait davantage un document historique, etc.). Le texte que nous possédons serait ainsi une sorte de mosaïque de ces différents écrits originaux, hypothèse bien plus difficile à soutenir que ne l’est l’origine mosaïque, qui n’exclut d’ailleurs pas la possibilité de l’utilisation de différentes sources et de certaines adjonctions (par exemple le chapitre sur la mort de Moïse dans le livre du Deutéronome).
6. Message←⤒🔗
La Genèse contient les vérités fondamentales (non finales) de la théologie, de la cosmologie, de l’anthropologie, de la sociologie, de l’hamartiologie, de l’ethnologie, de la sotériologie… Ses déclarations répondent à des problèmes que l’investigation scientifique n’a jamais pu résoudre, elles nous en donnent la clé initiale sans nous faire pénétrer toutefois jusqu’au fond du mystère.
La Genèse nous présente Dieu comme le Créateur, le Gouverneur et le Rédempteur. Elle déclare que l’univers a été créé par un acte de la volonté divine. Elle enseigne que l’homme créé par Dieu a été placé sous l’autorité divine (il est donc responsable vis-à-vis de Dieu) et qu’il lui a été ordonné de dominer ce qui se trouve en dessous de lui; elle présente la famille comme la première cellule de la société, basée sur les relations du mariage. Quant au péché, elle affirme qu’il consiste en un manque de confiance en Dieu et en son amour, entraînant une rébellion contre ses lois. En ce qui concerne les races, elle raconte comment l’unité de la race humaine fut brisée après la folle tentative de se liguer contre Dieu à Babel. Sur le sujet du salut, elle parle en symboles ou en actes symboliques, démontrant que ce salut ne peut venir pour l’homme que de Dieu. Toute initiative est du côté divin.
La Genèse nous révèle en outre deux grandes vérités, à savoir que l’homme et Dieu sont intimement liés : Dieu créa l’homme à son image, et les lois qu’il lui impose dans son amour sont pour son meilleur bien. De cette relation découle le fait que l’homme n’arrivera à la plénitude de la vie que par la foi en Dieu, qui s’exprime dans l’obéissance. Cette foi qui peut revêtir des caractères différents est la loi suprême de la vie.
Analysons cependant divers autres points, essentiels à notre avis, pour comprendre à la fois le message de la révélation divine et le rôle que ce premier livre de la Bible y tient.
a. La Genèse et la science←↰⤒🔗
De savants chrétiens essaient parfois de concilier les affirmations de la Genèse et les données de la science, estimant que la Parole de Dieu ne peut pas être en contradiction avec les découvertes de la géologie, de la paléontologie ou de la préhistoire. Mais c’est à la fois partir d’une fausse conception de la Parole de Dieu et de son infaillibilité, et donner aux hypothèses scientifiques une certitude qu’elles sont loin de détenir.
On peut dire, en gros qu’avec la deuxième partie de la Genèse commence l’histoire proprement dite du peuple de la révélation. Les recherches archéologiques ont mis à jour des documents contemporains de l’époque d’Abraham. Par contre, la première partie de la Genèse traite d’événements dépassant la science historique actuelle, encore que des phénomènes comme le déluge puissent être attestés par des dépôts sédimentaires que les fouilles mettent à jour, et que des tours comme celle de Babel aient été retrouvées à Babylone et ailleurs.
Ces événements, qui se situent en dehors de la période dont on dispose de documents, nous sont rapportés dans un langage que plusieurs estiment ne pas être nécessairement celui de la science physique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Nous devons cependant reconnaître que le langage de la science moderne, qui d’ailleurs change constamment, et même très rapidement de nos jours, n’est pas normatif pour nous révéler la Parole de Dieu; elle n’exprime pas non plus définitivement la réalité créée. Nous acceptons donc, telle quelle, la forme d’expression que Dieu a choisie pour nous révéler sa vérité, qui reste la même que Jean exprimera plus tard dans sa célèbre déclaration : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3.16).
Il ne faut donc pas lire d’un œil distrait le récit des origines, sous prétexte « que les notions scientifiques d’autrefois sont dépassées », car tout ce que Dieu nous révèle dans sa Parole est vrai et digne de notre entière confiance.
Les onze premiers chapitres de la Genèse donnent une portée universelle à des événements particuliers. Comme tels, ils présentent le caractère de la vérité fondamentale, essentielle à notre compréhension de la condition humaine et du monde. Mais le langage de la révélation reste inchangé lorsqu’il nous parle du Dieu Créateur et du Dieu de l’Évangile, de la destinée de l’homme, de sa perdition et de son salut. C’est Jésus-Christ lui-même qui le sanctionne.
Les récits de la création ont une valeur permanente; dans ces pages sont établis et dévoilés les fondements mêmes des choses et des êtres, l’ordre voulu par leur Créateur, qui ne peut être enfreint sans péril, et la solidarité universelle qui découle d’une commune origine. Celui qui les nie ou les passe sous silence se prive par là même d’une partie de la vérité. Avancer cela ne tend pas à brider l’essor de la science, mais seulement à rendre clair qu’elle doit s’incliner devant ce qui est hors de sa portée : les causes originelles, les actes créateurs surnaturels de Dieu, l’ordre et la hiérarchie de tout ce qu’elle s’applique à inventorier, classer et expliquer. Sur cette terre, nous ne connaissons qu’imparfaitement et ne voyons que confusément. Nous avons besoin de la révélation divine.
Le but du récit de la création est, avant tout, de nous présenter et de nous amener à croire au Dieu Créateur de tout ce qui existe, manifesté en Jésus-Christ. Du même coup, il a aussi pour but de nous rendre compte de notre condition de créatures privilégiées, déchues et sauvées.
b. Les origines←↰⤒🔗
« Au commencement » s’applique à la fois au commencement du monde et aux conséquences pour chaque vie humaine. Il présente l’homme dans une condition originelle juste, sainte et bonne, puis s’étant révolté de son Créateur pour être ensuite en condition de chute, qui est l’état naturel de chaque être venant à l’existence. Le paradis lui est fermé, l’homme est un loup pour l’homme, son prochain lui est étranger… Il porte en lui la nostalgie de ce qui fut « au commencement »; il lève les yeux vers les chérubins à l’épée flamboyante qui le séparent de la présence de Dieu. Il est sans cesse à la recherche, toujours déçue, d’une véritable communauté humaine. Mais « au commencement », une promesse lui est déjà faite et une alliance lui est proposée (Gn 3.15).
Tout cela n’est clairement compréhensible que par la suite de l’histoire en et par Jésus-Christ, qui est déjà présent au moment de cette naissance des êtres et des choses.
c. Les généalogies←↰⤒🔗
Parmi les épisodes des onze premiers chapitres se trouvent plusieurs listes généalogiques; l’une d’entre elles est celle de Caïn (Gn 4.17-24); l’autre celle de Seth (Gn 4.25-26 et 5.1-31). Des noms semblables apparaissent dans les deux listes : par exemple Hénoc, dont le nom hébreu évoque l’idée d’initiation et de consécration. Il est, avec Élie, le seul homme de la Bible dont il est dit qu’il ne mourut pas. Aussi occupe-t-il une place importante dans la littérature apocalyptique juive.
La postérité des fils de Noé contient en elle tous les peuples de la terre (Gn 10) : Japhet et ses fils, les peuples de l’Asie Mineure et de la Méditerranée; Cham et ses fils, les peuples du sud : Éthiopiens, Égyptiens, etc.; Sem et ses fils, le Proche-Orient : Perse, Chaldée et les tribus d’où est issu Israël. Ces différentes nations de la terre mêleront par moments leur histoire à celle du peuple élu. Elles seront aussi, par quelques individus, témoins de la révélation. Citons Balaam, Rahab, la reine de Saba, Cyrus, le centenier romain du Vendredi saint, l’officier éthiopien, l’officier Corneille…
d. Les générations←↰⤒🔗
La succession de ces nombreuses générations, à travers la lignée de Sem et d’Abraham (Gn 11.10-26), aboutira à Jésus-Christ. Luc exprime aussi cette réalité dans le chapitre 3 de son Évangile et nous montre ainsi la continuité du dessein de Dieu qui s’accomplit dans le déroulement de l’histoire, en mettant son empreinte sur la pâte humaine.
Elles nous enseignent aussi que l’homme ne peut jamais être considéré comme un individu isolé, « né d’inconnus et mort célibataire », selon la boutade de Taine. Il doit toujours être considéré par rapport à sa famille, son milieu, son terroir. Tout cela, il le porte en lui. Cela fait partie de sa personne. La coutume sémite de nommer les gens par le nom de leur père (« fils de… ») est le reflet d’une vérité que la Bible met en lumière. Le judaïsme et le paganisme ont accordé une importance excessive à la filiation charnelle, à la race et au sang, mais ceux qui exaltent l’autonomie de l’individu commettent une erreur tout aussi grande. Les tenants et les aboutissants de chaque homme ne sont pas indifférents pour la Bible.
e. La chronologie←↰⤒🔗
Les onze premiers chapitres de la Genèse fournissent plusieurs indications chronologiques. D’après le chapitre 5, il se serait écoulé, de la création au déluge, 1656 années; le total des années vécues par les dix premiers hommes, d’Adam à Noé.
Pour la période suivante, on compte 365 ans du déluge à la vocation d’Abraham, 215 d’Abraham à la descente en Égypte; enfin, le livre de l’Exode fixe à 430 ans la durée du séjour en Égypte. Le total de ces chiffres donne, de la création à la sortie d’Égypte, 2666 ans.
f. Les noms←↰⤒🔗
Le nom d’un homme est l’explication de sa destinée. C’est une idée très ancienne que le nom qui désigne une personne n’est pas simplement un moyen de le distinguer de ses semblables, mais qu’il reflète son caractère en même temps qu’il commande son avenir. Connaître le nom de quelqu’un donne du même coup un pouvoir sur lui. Adam « nomme » les animaux de la création (Gn 2.19-20), parce qu’il est leur maître et répond d’eux devant Dieu. D’autre part, le nom passe pour imprimer certaines qualités à celui qui le reçoit.
La magie s’est emparée de cette idée antique et l’a discréditée. Mais tout n’est pas à rejeter dans cette conception. Des rapports existent entre le nom et ce qu’il nomme, soit que cette influence vienne de l’intention de celui qui nomme, soit que celui qui a reçu le nom s’y conforme, consciemment ou non… Ainsi, assez souvent les noms propres de la Bible ont un sens, qui n’apparaît pas obligatoirement dans la traduction et qu’on ignore généralement, mais qui importe parfois pour la compréhension du texte.
Le premier être nommé dans la Genèse c’est l’homme, qui reçoit le nom d’Adam, afin qu’il n’oublie jamais son origine. Son nom, qui signifie « homme », vient du même mot que le nom de l’argile rouge, d’où toute créature a été tirée : « L’Éternel Dieu forma l’homme de la poussière du sol » (Gn 2.7).
Quand Adam nomme la femme, marquant ainsi l’autorité qu’il a sur elle, il l’appelle Ève, c’est-à-dire « vie », parce qu’elle est la mère de tous les vivants (Gn 3.20).
Les noms communs d’homme et femme indiquent leur situation l’un par rapport à l’autre; car en hébreu le terme qui veut dire « femme » est le féminin du mot qui veut dire « homme » (« ish » et « ishah », Gn 2.23). De même, en français, nous disons : « époux, épouse; maître, maîtresse ». Les deux termes impliquent le même honneur et des responsabilités semblables, mais non identiques.
Dans le premier récit de la création, lorsqu’il est question de la création de « l’homme » (Gn 1.27), il faut noter que cette expression englobe à la fois l’homme et la femme et marque ainsi l’unité profonde du mariage, où les deux existences qui le composent trouvent leur plein épanouissement; elles sont ensuite distinguées, à la fin de la phrase, littéralement : « Il le créa mâle et femelle. »
Adam et Ève eurent d’abord deux fils. Les noms qu’ils leur donnent expriment les deux aspects contradictoires de la condition humaine. Caïn veut dire : « J’ai gagné et obtenu. » Par ce nom, Ève exprime toute la joie qu’elle éprouve à défier la mort en créant la vie. Dans chaque naissance humaine brille cette allégresse, mais celui qui porte ce nom de triomphe est, justement, le meurtrier!
Le nom d’Abel, au contraire, exprime le vide sans consolation de la vie humaine, le désespoir sans remède. C’est le mot qu’emploie l’Ecclésiaste au début de son livre : « Vanité ». Et c’est Abel qui trouve grâce, mais c’est aussi lui qui est la victime. Tout cela est obscur, comme le développement de l’embryon chez sa mère. Une « genèse » : qu’est-ce que cela veut dire? Que l’orgueil de la vie entraîne aux abîmes? Que l’innocence et la douceur sont bafouées? Bien sûr! N’est-ce pas là la situation à laquelle condamne le péché du monde? Elle ne sera surmontée que par l’incompréhensible grâce de Dieu acceptant l’expiation du crime de Caïn par la seule victime innocente, dont le sang parle mieux, plus clairement, que celui d’Abel (Hé 12.24), et assurant dans le sacrifice du Calvaire la rédemption de la descendance de Caïn, de cette créature merveilleuse dont parle le Psaume 139 et qui, nulle part, ne peut se soustraire à son Créateur.
Un fils mort, un autre en fuite, Ève place tout son espoir en une nouvelle descendance, d’où le nom de Seth qui veut dire « mis, placé ». Ce nouveau fils est le fondement sur lequel la promesse reposera et se tiendra. Le nom d’Énoch veut dire : homme faible, en opposition à Élohim, Dieu fort et puissant; il peut signifier que la descendance de Seth n’est pas livrée à la détresse de l’humanité pécheresse, mais qu’elle porte la promesse de sa grâce dans un combat constant. C’est dans sa lignée que l’on commence alors à invoquer Dieu sous le nom de Yahvé, le Seigneur ou l’Éternel (Gn 4.26).
Enfin, voici un homme dont la vie mouvementée fut marquée par la fin tragique d’une civilisation et par un recommencement; par l’espoir que toutes choses seront nouvelles et, de nouveau, par l’empreinte victorieuse de la faute originelle. Et le nom de cet homme veut dire « repos ». Quelle ironie que de s’appeler Noé et d’avoir un tel destin! Mais non, puisque ce juste qui a obtenu la faveur de Dieu (Gn 6.8-9) est le seul en son temps à savoir où se trouve, pour l’homme dont « la vie est courte et saturée d’agitation » (Jb 14.1), son seul repos.
g. Les deux premiers chapitres←↰⤒🔗
Le séjour dans le paradis (Gn 2.5-25) nous fait entrer dans le domaine de l’histoire de l’homme; car l’homme est dès ce moment témoin et acteur d’une partie des faits racontés. L’histoire commence et se superpose à la nature, maintenant achevée; voilà pourquoi le récit de la création de l’homme est repris à nouveau. Au chapitre premier, l’homme avait été considéré comme appartenant à l’ensemble de la nature dont il est le couronnement; ici, il apparaît comme sujet de l’histoire, dans laquelle sa propre activité se combine incessamment avec l’action divine. Sa création n’avait été racontée que très sommairement au chapitre premier, tandis qu’il est repris ici en détail, autant en ce qui concerne la formation de l’homme lui-même qu’à celle de la femme; car c’est de cette distinction des sexes que dépend le développement de la race et par conséquent celui de l’histoire.
Le récit prend aussi un caractère moins solennel, plus simplement narratif, et les mêmes idées sont exprimées par d’autres expressions et d’autres tournures de phrase. Nous n’y verrons cependant aucune contradiction.
Le chapitre 1 voit le monde dans son ensemble, et le chapitre 2 s’occupe spécialement de l’homme et nous place par conséquent dans sa contrée particulière, là où il habita au commencement et où se trouvait le jardin appelé paradis. Il nous fait connaître l’état des choses tel qu’il existait au moment et dans le lieu où l’homme ouvrit pour la première fois les yeux à la lumière, ce jardin luxuriant, rempli d’arbres et arrosé par quatre fleuves. C’est le récit qu’il a transmis à ses descendants et dont nous trouvons ici la rédaction. Il nous place au sixième jour du chapitre premier, immédiatement avant la création de l’homme.
h. Eden et la chute←↰⤒🔗
Cette péricope est l’une des plus importantes de l’Écriture sainte. De la manière dont nous la comprenons résulte, pour une grande part, l’idée que nous nous faisons des points essentiels à la base de la doctrine chrétienne : l’origine et la nature du péché, le degré de la culpabilité de l’homme et la rédemption qu’il nécessite. Bon nombre de penseurs et de théologiens ont prétendu que le tableau de l’état primitif de l’humanité, tel qu’il ressort de notre récit, est incompatible avec les faits et les lois de l’histoire; ils n’y ont vu qu’un mythe analogue à ceux des autres peuples anciens, un essai tout humain d’expliquer l’introduction dans le monde du mal physique et moral. Selon eux, le développement de l’humanité suit une marche constamment ascendante de l’état d’animalité au degré le plus élevé de la religion et de la civilisation, et ce que la Bible présente comme une chute ne peut avoir été qu’un progrès.
Nous aurons à examiner si les faits confirment cette théorie et si l’état barbare et fétichiste des peuples sauvages, que l’on identifie avec l’état primitif de l’humanité, n’est pas réellement, comme le fait comprendre l’Écriture, le résultat d’une décadence de l’état primitif, tel que le décrit le récit de la Genèse (et que nous pourrions appeler évolution régressive).
i. Origine et unité du genre humain←↰⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction à la Genèse).
Dans le passage en question (récit de la création du couple humain) est renfermée la conception biblique de l’origine de l’homme. Cette conception tient compte à la fois des traits par lesquels l’homme appartient au monde animal, et de ceux qui l’en distinguent et font de l’humanité, comme on l’a dit, un règne à part.
Mais d’après une opinion à laquelle adhèrent un certain nombre de savants, l’humanité procéderait, sans intervention divine particulière, de l’animalité qui l’a précédée, et cela aussi bien quant à ses facultés intellectuelles et morales que quant à son corps. Nous ne pensons pas que cette manière de voir, opposée à la conception biblique, réponde à l’ensemble des faits qui peuvent nous éclairer sur la question. Il y a entre l’homme et l’animal toute une série de différences caractéristiques qui ne permettent pas d’envisager l’apparition de l’homme autrement que comme un commencement nouveau, le produit d’un acte créateur immédiat.
Voici quelques-uns de ces traits. L’homme est une personnalité consciente et disposant d’elle-même, tandis que l’animal n’agit que comme représentant de l’espèce à laquelle il appartient. L’homme a l’intuition du bien et du mal, et par cette conscience il devient responsable de ses actes; l’animal ne connaît que la sensation agréable ou pénible et ne peut être envisagé comme moralement responsable. L’homme parle; l’animal n’a pas de langage, non que les organes lui manquent pour cela, mais parce qu’il n’a que des représentations individuelles et qu’il est incapable d’idées générales comme celles qu’exprime le langage. L’homme progresse incessamment; l’animal demeure stationnaire, enfermé qu’il est dans le cercle que lui trace l’instinct. À ces différences intellectuelles et morales correspondent celles que l’on constate au point de vue physique; la constitution du cerveau en particulier établit une distance incomparablement plus grande entre l’homme le plus inférieur et l’animal le plus élevé que celle qui sépare l’animal le plus élevé de ceux qui le suivent de plus près.
Les partisans de l’origine animale de l’homme pensent qu’il doit y avoir eu une ère intermédiaire, dont l’existence aurait comblé cet intervalle immense. C’est là une pure hypothèse, qui n’est appuyée sur aucun fait. Ou bien ils pensent qu’à l’origine l’homme était beaucoup plus rapproché de l’animalité qu’il ne l’est actuellement. Mais tous les faits constatés jusqu’ici réfutent cette manière de voir; les crânes humains les plus anciens qu’on ait retrouvés dans des couches terrestres sont, de l’aveu même des partisans de la théorie que nous réfutons, exactement semblables à ceux des hommes de nos jours.
L’Écriture nous pose comme un fait indubitable l’unité d’origine du genre humain. Dans le récit de la création, il est dit que Dieu créa un seul couple d’où la famille humaine tout entière dut procéder. Jésus dit : « Ne savez-vous pas que Dieu fit au commencement un homme et une femme? » (Mt 19.4). Saint Paul déclare aux Athéniens que « Dieu a fait naître d’un seul sang tout le genre humain » (Ac 17.26).
Aujourd’hui, nombre de savants sont disposés à reconnaître l’unité attestée par l’Écriture. Elle est confirmée, en effet, par des faits nombreux qui prouvent que les différences existant entre les hommes ne sont pas celles d’espèces diverses, mais celles de simples variétés. Tandis que les différentes espèces animales, même proches, en s’unissant ne donnent naissance qu’à des produits stériles ou dont la fécondité ne dépasse pas deux ou trois générations, les races humaines, en se croisant, donnent naissance à des rejetons d’une fécondité permanente. Tous les hommes ont la même conformation du squelette; la température moyenne du corps et la rapidité des battements du pouls sont la même chez tous; ils sont sujets aux mêmes accidents physiologiques et aux mêmes maladies; le temps de la grossesse est le même chez toutes les races.
L’unité morale est plus évidente encore si possible; les lois de la logique et celles de la conscience, ainsi que tout un ensemble de sentiments naturels étendent leur pouvoir aussi loin que s’étend l’homme; le travail intellectuel d’une partie de l’humanité réagit, tôt ou tard, sur la totalité de la race; enfin, l’influence du christianisme s’exerce également chez tous les peuples de la terre. Ce n’est qu’à condition de cette unité morale du genre humain que peut être proclamée la grande loi qui domine son existence : aimer son prochain comme soi-même.
Relativement à l’état primitif de l’homme, on a souvent exposé une théorie d’après laquelle l’homme se serait progressivement élevé d’un état sauvage, à demi brutal, au degré le plus bas de la civilisation, vers la hauteur à laquelle nous sommes aujourd’hui parvenus. Primitivement dénué de toute pensée religieuse et ne pratiquant aucun culte, il aurait, à un degré plus avancé, divinisé certains objets qui avaient pour lui une importance particulière : un arbre, une pierre, un fleuve, puis, à un degré supérieur encore, le feu, les astres, en particulier le soleil; il en serait venu à se représenter les astres comme habités par des puissances divines en grand nombre; enfin, par la contemplation de l’unité du ciel, il se serait élevé à la pensée d’un Dieu unique. Ainsi serait né graduellement, à travers les phases de l’athéisme, du fétichisme et du polythéisme, notre monothéisme actuel.
Si l’homme veut se mettre à créer l’histoire par un procédé d’imagination, il arrive assez naturellement à la conception que nous venons d’exposer; mais s’il veut étudier les faits, ce qui est la seule méthode sûre pour arriver à la vérité, il sera conduit à un résultat tout opposé et reconnaîtra que le monothéisme doit avoir été le point de départ de l’humanité, que le polythéisme a été une première dégénérescence et que le fétichisme est une dégradation plus profonde encore et n’a plus au-dessous de lui que l’athéisme matérialiste qui s’est emparé de nos jours d’un très grand nombre de nos contemporains.
On a étudié les religions de tous les peuples du monde, et cette étude a conduit à constater le fait que toutes ont, à leur origine, une notion monothéiste qui sans doute se confond chez plusieurs d’entre elles avec la notion de l’unité du ciel visible. Le polythéisme qui a suivi n’a été que comme un fractionnement de cette unité primitive, et le fétichisme que nous trouvons aujourd’hui aux plus bas degrés de la civilisation humaine, n’est, d’après le témoignage des peuples eux-mêmes qui sont arrivés à ce point, que le reste de notions religieuses plus élevées que possédaient leurs ancêtres. Aussi n’a-t-on jamais vu un peuple fétichiste se relever par lui-même de cet état pour parvenir à une religion plus pure sans le secours des peuples plus avancés.
Mais, d’autre part, si l’histoire nous conduit à admettre que la connaissance religieuse primitive de l’humanité a surpassé, au point de vue de la pureté, celle des états subséquents, cela ne doit pas nous empêcher d’envisager cet état primitif comme un simple point de départ, d’où l’humanité devait sans tarder commencer à s’élever vers un terme beaucoup plus glorieux. C’est précisément ce que nous fait comprendre le récit scripturaire en nous montrant le couple primitif dans un état d’innocence, mais aussi de communication directe avec le Seigneur Dieu qui était pour eux ce qu’un père et une mère sont pour leurs enfants et qui veillait à leur progrès intellectuel et moral, non moins qu’à la satisfaction de leurs besoins physiques. (Bible annotée).
j. La chute et ses conséquences←↰⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction à la Genèse).
Si Dieu a créé l’homme dans l’innocence, ce n’était pas pour le laisser à ce degré encore inférieur du développement moral. La présence des deux arbres au milieu du jardin prouvait que la pensée de Dieu visait à son développement ultérieur, physique et moral. Cette épreuve est le point de départ de deux chemins, dont l’homme devra choisir l’un ou l’autre : celui de l’obéissance, qui mène de l’innocence à la sainteté et de la sainteté à la vie éternelle et à la gloire; ou celui de la désobéissance, qui mène à la condamnation et à la mort. Mais il a certainement fallu une cause étrangère pour prêter à la désobéissance, rendue possible par le commandement même, un attrait capable de lutter avec toutes les impressions bienfaisantes et saintes qu’avaient dû produire sur l’homme la grandeur et la bonté de Dieu.
Quant à la victoire de l’un de ces attraits sur l’autre, c’est ici un fait résultant de cette faculté mystérieuse de la détermination propre, dont l’homme a été doué et dont nous constatons le mode d’action sans pouvoir l’expliquer. Tout ce que nous pouvons constater, c’est que placée entre l’attrait de la jouissance et l’obligation du devoir, la volonté humaine n’est pas déterminée par une de ces formes en tant qu’elle serait la plus puissante. Car ces deux sollicitations sont de nature hétérogène et ne peuvent par conséquent être mises en relation mathématique l’une avec l’autre. Ce qui fait pencher la balance, c’est la volonté humaine elle-même en acquiesçant de son propre chef à l’une ou à l’autre, et cela parce qu’elle le veut ainsi. Cette liberté, qui n’est plus aujourd’hui que relative chez l’homme depuis que la première décision a donné la prépondérance à l’attrait exercé par le penchant, était encore absolument intacte chez nos premiers parents, au moment où ils se livrèrent à l’une des deux sollicitations.
Pour tenter l’homme, une action venant du dehors était nécessaire. Le récit de la chute (Gn 3) attribue cette sollicitation extérieure au serpent, l’un des animaux du jardin. La question est de savoir si ce fut le serpent qui fut vraiment le tentateur ou si cet animal n’était que l’organe d’un être supérieur. Le serpent pourrait à la rigueur être considéré comme le représentant du monde animal; comme tel il aurait mangé du fruit défendu aux yeux de la femme, sans en éprouver aucun dommage; il aurait ainsi excité chez nos premiers parents l’appétit sensuel, le désir de jouir; et par cette impulsion énergique, il aurait rompu chez eux l’équilibre entre l’amour de la jouissance et celui du devoir.
Mais si nous examinons le récit de près, nous verrons qu’il y a plus que cela, et que bien des traits dépassent l’idée que nous nous faisons d’un simple animal, même du plus rusé d’entre tous. Le serpent se rend compte de la situation; il sait ce que Dieu a dit à l’homme; il a des pensées, et même des pensées fort subtiles, qu’il exprime par la parole; puis il a un but bien arrêté qu’il poursuit avec un grand savoir-faire. Outre ces traits, qui nous révèlent l’existence de l’intelligence et de la volonté chez cet être, il en est d’autres qui en font un être mauvais, étranger par conséquent à la création qui nous est racontée au chapitre premier. Le but qu’il se propose est de détourner l’homme de son devoir envers Dieu; et ce but, il le poursuit par le moyen du mensonge. Il n’est donc pas possible de l’identifier avec l’un des animaux qui, d’après le chapitre 1, avaient été créés bons. Enfin, au verset 15, dans la sentence prononcée sur lui, il est envisagé et traité comme un être responsable, par conséquent doué de conscience et de liberté.
C’est sans doute sur le récit de la chute, expliqué d’après tous ces indices, que repose dans l’Ancien Testament la croyance en un être malfaisant appelé Satan, et au rôle de tentateur et d’accusateur des hommes qui lui est attribué (Jb 1 et 2; 1 Ch 21; Za 3.3). Cette participation de Satan à la première tentation est formulée expressément dans le livre de la Sagesse (chap. 2.24).
Jésus lui-même a confirmé ce fait dans cette parole décisive : « Le père dont vous êtes issus c’est le diable, et vous voulez accomplir les désirs de votre père; il a été meurtrier dès le commencement » (Jn 8.44). Ces mots ne peuvent s’appliquer qu’au meurtre de la race humaine par le premier péché (voir 2 Co 11.3; Ap 12.9; 20.2).
Quel intérêt pouvait avoir un tel être à faire pécher l’homme? Avant tout, celui qu’a tout pécheur de multiplier le nombre de ses complices; un être déchu ne peut supporter à ses côtés un être innocent. Mais peut-être avait-il un but plus particulier encore. Si le livre apocryphe de la Sagesse attribue cette intervention de Satan à la jalousie, ce livre part sans doute de l’idée que Satan était d’esprit supérieur, auquel ce monde avait été primitivement soumis, et que, se voyant sur le point d’être dépassé par l’homme, il a voulu l’entraîner dans sa chute, afin de déjouer le plan de Dieu en faisant tomber son rival. Cette pensée peut trouver un appui dans cette parole que Satan ose adresser à Jésus : « Je te donnerai tous ces royaumes et leur gloire, car elle m’a été donnée » (Lc 4.6), comme aussi dans le titre de prince de ce monde que Jésus lui donne. Ainsi s’expliquerait le fait mystérieux que l’ennemi se trouve là, dans le jardin, aussitôt que l’homme apparaît. (Bible annotée).
k. Les patriarches←↰⤒🔗
Les chapitres 12 à 50 de la Genèse racontent l’histoire des patriarches Abraham, Isaac, Jacob et Joseph. C’est encore un commencement (et les remarques que nous avons faites concernant la première partie du livre sont bonnes pour la seconde), un commencement qui ne concerne plus l’humanité désormais dispersée sur la surface de la terre, mais un peuple parmi tous les peuples; le peuple de Dieu qui sera le témoin de sa révélation, de son jugement et de sa grâce.
Ces récits sont vivants, pittoresques, anecdotiques, parfois très réalistes, profondément humains, avec des accents pathétiques ou humoristiques. Ce qui en fait la valeur ce n’est pas tant l’histoire de ces hommes d’un lointain passé, dont les coutumes et les mœurs nous paraissent parfois étranges, que l’action de Dieu envers eux, selon un plan dont ni les hommes ni les circonstances ne peuvent empêcher l’exécution. Pour lire et comprendre ces histoires, il convient donc de se mettre toujours dans l’attitude de celui qui écoute ce que Dieu veut lui dire au travers des péripéties de ces existences humaines et pécheresses. Cette attitude est celle de la foi au Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, qui est aussi le Dieu de Jésus-Christ; c’est elle qui nous est recommandée dans l’épître aux Hébreux (Hé 11), où nous avons le plus beau résumé de l’histoire des patriarches.
Dès lors, le plan de Dieu apparaît clairement. On peut dire qu’avec les patriarches, Dieu change de méthode en face de l’humanité. Après le déluge qui anéantit les hommes descendant d’Adam et d’Ève, et après la dispersion qui suivit l’épisode de la tour de Babel pour les hommes descendant de Noé, Dieu décide de se constituer un peuple qui sera son peuple, pour montrer à tous la volonté de sauver l’humanité pécheresse elle-même. Pour cela, Dieu choisit librement l’homme qui deviendra le père des croyants : Abraham.
L’élection et la vocation d’Abraham restent l’expression de la souveraine liberté de Dieu vis-à-vis de l’homme. Puis il lui fait une promesse : une terre qui sera le pays d’Israël, une descendance innombrable et une bénédiction particulière qui reposera sur elle. L’évangéliste Matthieu commencera son récit de la vie de Jésus par ces mots : « Généalogie de Jésus-Christ, fils de David, fils d’Abraham » (Mt 1.1).
Enfin, Dieu demeure toujours fidèle à sa promesse : quelles que soient les circonstances humaines en apparence défavorables (vieillesse d’Abraham et de Sara sans enfants, stérilité de Rachel) ou les infidélités des hommes héritiers de cette promesse (tromperie de Jacob, violence des frères de Joseph), la promesse de Dieu est tenue fidèlement par celui qui l’a faite. L’Éternel barre la route à toutes les tentatives purement humaines pour assurer l’avenir et malgré le péché de ceux qu’il a élus. Il fait ce qu’il veut, en montrant déjà la vérité de la parole apostolique : « Si nous sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même » (2 Tm 2.13).
Voir dans les patriarches des exemples de vertus que nous aurions à suivre serait faire complètement fausse route. Par contre, y discerner l’œuvre miséricordieuse et patiente de Dieu dans la vie d’hommes appelés, quoique pécheurs, c’est nous orienter sans cesse vers la vérité centrale de la Bible : c’est en Jésus, le Fils, que Dieu se donnera; et à l’arrière-plan du sacrifice d’Isaac se profile la croix du Sauveur.