Daniel 2 - La terreur des songes
Daniel 2 - La terreur des songes
Daniel 2
Dieu, le Dieu du livre de Daniel et de l’Évangile de Jésus-Christ, n’est soumis à aucune activité inconsciente, celles précisément auxquelles l’homme est asservi, et qui sont l’une des sources et causes majeures de ses terreurs. Les songes constituent l’une de ces activités inconscientes; elles ne sont en général que la ressuscitation d’un passé aussi impotent que mort.
Ce passé réapparaît dans nos rêves, nous rappelant sans cesse et de façon dramatique notre fragilité et l’absence de liberté véritable dans notre vie, l’impossibilité à nous déterminer par nous-mêmes et, par là, de prendre notre destinée entre nos mains. Les rêves — et ici, je ne chercherai pas à établir une distinction entre rêve et songe, même si cette distinction était possible ou légitime — nos rêves nous rappellent notre mort, mais ils nous parlent aussi de la folie de l’arrogance de l’homme. Même le plaisir que de manière fugace on peut éprouver dans un rêve n’est que pure illusion. L’on a dit justement à leur sujet « qu’après les noces le cadavre ».
L’irréalité du pouvoir humain est cruellement démontrée dans les rêves; son ombre plane, sarcastique, sur les prétentions de l’homme dressé contre Dieu, s’imaginant capable d’exercer un contrôle sur le cours des événements, décider, seul de sa destinée. Mais il conviendrait dans ce cas de se poser, avec lucidité et courage, la question suivante : Suis-je éveillé ou bien toujours plongé dans le sommeil? Est-ce un songe ou bien la réalité?
Telle est en effet notre condition lorsque nous cherchons à devenir comme Dieu, lorsque nous affichons une prétendue et illusoire liberté vis-à-vis de lui; les songes peuvent nous causer alors une terreur démesurée. Ils nous rappellent notre situation de créatures déchues, notre culpabilité vis-à-vis de Dieu et, surtout, le jugement qui pèse sur nous. La terreur que cause le rêve est celle de notre inévitable mortalité, de notre irrémédiable faute… Les changements et les mutations que nous subissons sur lesquels nous ne pouvons exercer aucun contrôle ni n’avons aucune prise nous plongent parfois dans le désespoir. Telle est notre condition de créatures déchues.
Le roi Nébucadnetsar, dont le livre de Daniel nous rapporte la biographie spirituelle, était parvenu soit de façon consciente, soit de manière inconsciente à éprouver une terreur de cette nature. Avant de s’endormir, il s’était plongé dans de profondes cogitations au sujet de l’avenir, trahissant ainsi un souci légitime, quoique démesuré pour l’esprit d’un mortel. Que lui réservait l’avenir? Son immense empire, bâti sur le principe de la permanence et avec le rêve chimérique d’un monde unifié, pourrait tragiquement connaître la discontinuité d’une rupture irréparable, mourir et se détruire, ainsi qu’avait été le sort, avant lui, de toutes les tours de Babel. Ce potentat oriental d’il y a plus de 25 siècles entretenait de l’histoire une conception cyclique, comme tous les hommes sans Dieu, avant lui et de nos jours. Endormi à la suite de pesantes et tristes réflexions, Nébucadnetsar fit un rêve qui lui fut accordé par Dieu comme une réponse à ses malheureuses cogitations de la soirée précédente. Le souverain Maître de l’univers lui dévoilait par ce moyen le proche avenir. Pourtant, cette réponse fut pour lui une source de terreur.
Aussitôt réveillé, il témoigna d’une haine irrationnelle contre l’impotence de ses fonctionnaires scientifiques et religieux, qui n’avaient pu lui expliquer son rêve. Il décida donc de démontrer la futilité de leur savoir. Ayant eu l’avant-goût des terreurs engendrées par l’invisible, il manifesta le désir capricieux, arbitraire, de détruire en masse son Académie, d’anéantir son Université, avec le ressentiment qu’éprouve le malade vis-à-vis du bien-portant, du mourant pour celui qui reste encore en vie. Il venait de se rendre soudain compte de l’inanité de son entreprise colossale, il voyait anéantie l’œuvre de sa vie et son existence glorieuse vouée aussi au néant. Il chercha alors à détruire la science et la sagesse et faire disparaître ses élites. Que tout disparaisse avec lui, et même avant lui!
Il demanda que ses Chaldéens et autres astrologues et interprètes de songes lui interprètent non seulement le sens de son rêve, mais qu’ils lui racontent encore celui-ci en détail! Il ne l’avait nullement oublié, mais il le dissimulait avec calcul pour savoir si ses sages étaient capables de lui dire la vérité. Quant à la réponse de ceux-ci, terrifiés par le cruel châtiment qui les attendait s’ils ne satisfaisaient pas les désirs du capricieux potentat, elle montre qu’ils cherchaient désespérément à fuir leurs responsabilités, à gagner du temps, ne serait-ce que quelques moments durant lesquels l’humeur démente du monarque aurait pu s’apaiser et sauver ainsi leur vie. Ils n’étaient pas prêts à envisager les conséquences de ce rêve extraordinaire et terrible.
L’homme sans Dieu veut oublier le véritable sens de ses rêves afin d’éviter de se connaître réellement tel qu’il est. Les rêves, de même que la confiance qu’il place dans les étoiles, deviennent une manière subtile de fuir sa responsabilité. Ceci est une contradiction parmi les plus flagrantes de sa totale schizophrénie, puisque, d’une part, l’homme sans Dieu cherche à vivre dans une liberté totale, en dehors des lois de Dieu, et, d’autre part, il a recours aux prédictions des astrologues, chiromanciens, médiums ou il se fie encore à la chance aveugle.
Nébucadnetsar, lui, veut exposer l’inanité du savoir humain, veut le forcer à capituler devant la terreur et la mort. Il ne tolérera ni science ni espérance. Ayant senti de près l’odeur pestilentielle de la mort, il se met à haïr la vie. Aussi décrète-t-il l’exécution de ses savants. Notons que ce décret vise essentiellement le savoir humain; il est l’agression contre une connaissance qui, aux yeux du monarque frustré et désenchanté, est totalement dénuée de sens. Si lui, le grand Nébucadnetsar et la grande Babylone qu’il a bâtie sont assujettis à une mutation aussi radicale et cruelle, alors, que philosophes et savants disparaissent tous en même temps, et surtout avant lui, car tout n’est qu’illusion… Tous se sont trompés, tous l’ont trompé.
Daniel et ses compagnons, à leur tour à la merci de ce verdict irrévocable bien qu’ils ne soient coupables de rien, cherchèrent aussitôt le Dieu de l’alliance dans la prière. Aussi lisons-nous que Daniel reçut la réponse durant la nuit et qu’il se rendit aussitôt compte de son importance (Dn 2.20-22). Il savait que l’histoire se trouve entre les mains divines, contrôlée par une sagesse transcendante. Rien ne dépend ni d’une aveugle fatalité ni des corps sidéraux, amas de matière inerte.
Si Dieu admet que les ténèbres existent et que sa bonne création porte un lourd fardeau, il révèle aussi que la sagesse et la lumière existent également, qu’elles se trouvent de son côté et qu’elles l’emporteront immanquablement. Tout prend sens à cause de sa Parole, à cause de ses décrets éternels, de ses choix permanents. Le temps présent n’est pas simple préau du futur, son antichambre; le temps présent est déjà porteur de la révélation de Dieu. Dieu y opère; il y parle ici et maintenant. Il ne réserve pas sa Parole pour un futur lointain. Il est en visitation, et sa Parole, déjà parmi nous, est sa visitation; elle retentit comme la plus authentique et la plus vérifiable des annonciations.
L’attitude cynique de Nébucadnetsar est sans objet en soi; pourtant, elle pointe sûrement tel un vecteur, vers la désillusion que devrait apporter chaque savoir humain non fondé en Dieu. Daniel se réjouit donc en la grâce divine. Amené en présence du monarque, il souligne l’impotence humaine face au décret éternel du Dieu des cieux et de l’histoire. Le pouvoir, la gloire et la connaissance se trouvent de son côté. Daniel n’est qu’un interprète; le roi ne doit se voir et se connaître qu’en Dieu. Son rêve est une image terrible, démesurée : tête en or poitrine et bras en argent, ventre et côtes en airain, jambes en fer, mais pieds en argile.
Une pierre, détachée sans le secours d’une main, frappe la grande statue du rêve de Nébucadnetsar et la réduit en poussière. Daniel donnera ensuite l’interprétation. Il s’agira, dira-t-il en somme, de l’apparition de quatre empires, à commencer par l’empire babylonien, la tête en or.
Quand apparaîtra la cinquième monarchie, un autre Empire, d’origine surnaturelle, détruira le rêve ancien et se substituera aux vieilles et décadentes monarchies. Il deviendra le Royaume qui se soumettra la terre et sera un règne perpétuel.
Le despote babylonien, tout à l’heure terrorisé, reçoit à présent la réponse et il en est soulagé. En effet, la clé de l’histoire ne se trouve pas dans les étoiles, et ce ne sont pas des Chaldéens qui sauraient la manier. L’alternative est donc ou bien le règne ultime de la chance, un déterminisme aveugle et matérialiste de la religion astrale babylonienne, ou bien le décret et la Parole éternelle de Dieu. En même temps, cette Parole établit et fonde aussi la responsabilité de l’homme, de tout homme, aussi bien des grands de ce monde que des insignifiants tels que moi. La Parole de Dieu n’ignore pas les mutations et les effets contingents. Toutefois, l’homme demeure assujetti au contrôle absolu de Dieu; en dehors de la Parole divine, il n’existe point de sens, seulement indétermination, progrès aveugle, tourbillon autour du moi pris dans la danse frénétique des cycles supposés récurrents de l’histoire.
Nébucadnetsar est à présent rassuré, et même heureux! Il va jusqu’à adorer le Dieu de Daniel et le confesser comme unique Seigneur. Mais le roi babylonien ne semble toujours pas avoir saisi la finalité de la libération de l’histoire.
Durant l’antiquité, il était assez fréquent que peuples et individus fussent à la recherche d’un sauveur mondial qui pût les aider à retourner au paradis perdu. Alors ils se dotaient d’une religion et poursuivaient un objectif religieux, mais en dehors du Dieu unique. De là la faillite totale, le constant échec de ces religions dans les peuples et civilisations qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. L’homme n’a cessé, dès le commencement, d’entretenir un rêve messianique; il s’est toujours acharné à regagner l’Eden. Matérialismes rouges ou capitalismes païens, depuis la cité qu’a bâtie Caïn le fratricide jusqu’à l’érection de la tour de Babel, en passant par l’Empire romain, les chimériques ordres nouveaux de l’Occident, de l’Atlantique à l’Oural, les djihads du panislamisme ou encore les criminelles croisades du pantouranisme. Or, tout cela n’est que chimère d’hommes refusant le Royaume des cieux.
Seule la petite pierre détachée sans le secours de main d’homme réussira là où tous les empires de l’histoire ont lamentablement échoué. C’est grâce à elle qu’actuellement, nous autres chrétiens, peuple de Dieu, nous pourrons fonder une philosophie valable de l’histoire humaine, évaluer, apprécier ou juger tous les événements mondiaux. À cause d’elle, à cause du livre de Daniel et de l’Évangile de Jésus-Christ, le chrétien ne sombrera pas un seul instant dans le défaitisme, certainement pas en ce temps qui semble terroriser les grands et les savants et surtout tous les prophètes de malheur.
Ce monde ne deviendra pas définitivement le trône de l’Antichrist. La cinquième Monarchie l’emportera sur toutes les autres et les détruira. Elle n’est pas terrestre, ne poursuit pas un paradis terrestre humainement achevé. Elle cherche la restauration de la communion avec Dieu, la réconciliation entre les hommes, la rédemption de tous les égarés, la récapitulation du cosmos, dont le paradis, décrit dans les pages du livre d’Ésaïe et dans celle de l’Apocalypse, est le résultat final.
La cinquième Monarchie offre le paradis dans la nouvelle Jérusalem qui descend des cieux. Elle n’est pas délimitée de manière géométrique, n’est pas spatialement située dans ce Proche-Orient en continuel bouleversement.
Les quatre empires du rêve du roi de Babylone étaient représentés comme l’image d’un seul homme, mais homme déchu, faux messie voué à la destruction. Même l’Église institution, qui se prétendrait l’unique Église universelle, subirait leur sort.
Nulle créature humaine n’est appelée ni à réaliser ce Royaume ni à en disposer à sa guise. Nous sommes appelés, invités, exhortés, pressés à prendre nos responsabilités sous les ordres du Monarque universel, Jésus-Christ. L’histoire des hommes sera une suite de crises perpétuelles, allant d’une tragédie à l’autre. Les tours de Babel successives s’effondreront, l’empire de Satan s’émiettera et tous les soi-disant ordres nouveaux, de quelque nom qu’ils s’appellent, seront fatalement ensevelis dans les sables de l’histoire. L’homme n’est pas un Atlas pour porter le monde sur ses épaules! Nous subirons le jugement de Dieu si nous nous obstinons à nous substituer à lui.
Signalons pour terminer un point important. Dieu n’a pas seulement jugé le despote païen. Il a aussi laissé de côté son peuple dans la réalisation de son plan. Il ne s’en est pas servi pour réaliser ses desseins éternels. Nous ferions bien de ne pas identifier la cinquième Monarchie avec le peuple d’Israël, car le dessein éternel avait précédé le choix et l’élection d’Israël.
Dieu le tout-puissant règne donc d’âge en âge. Il ordonne les choses et elles arrivent. Il dit et voilà qu’elles se réalisent. Il déclare « Que la lumière soit », et la lumière est; il décide d’accomplir son plan, et il le mène jusqu’au bout.