Éphésiens 2 - Les fondements de la foi
Éphésiens 2 - Les fondements de la foi
« Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l’angle. »
Éphésiens 2.20
En face de moi ce professeur de théologie, homme de vaste culture disparu depuis et dont les positions théologiques sont aux antipodes des miennes. Il avait été membre du jury qui, vingt ans auparavant, m’avait examiné lors de mon entrée dans le ministère pastoral. La conversation est polie. Soudain, il me pose la question : « Si je vous traitais de fondamentaliste, me dit-il, seriez-vous vexé? Est-ce une injure pour vous? » « Nullement, lui réponds-je. Je serais même très honoré d’être considéré comme un tenant des positions fondamentales et d’être traité de fondamentaliste. » Je lui en donne les raisons, et le présent exposé reprendra, en les développant, l’essentiel de mes arguments.
Les termes de fondamentaliste et d’intégriste recouvrent actuellement un sens tout à fait péjoratif; ce sont des appellations dérogatoires, et peu nombreux sont les chrétiens prêts à les accepter comme un terme ou un adjectif les qualifiant objectivement. La majorité de nos contemporains s’en servent pour dénigrer les chrétiens opposés à tout libéralisme. On ne prend même pas le soin de s’informer correctement des positions défendues, disons, par le protestant orthodoxe, si souvent taxé « d’attardé »; ailleurs, il sera ouvertement méprisé si, allant contre les courants qui se prétendent « dans le sens de l’histoire », il s’en tient aux doctrines chrétiennes essentielles, telles que la christologie, la Trinité ou l’attachement sincère et sans réserve à l’autorité des saintes Écritures. Il sera alors considéré comme un fondamentaliste à l’esprit étroit et rigide, rebelle à toute ouverture d’esprit, récalcitrant à tout progrès dans la pensée, nostalgique d’un passé à jamais révolu…
Le dénigrement systématique et facile se dispense de tout effort honnête; il ne regarde pas en face les questions et les problèmes essentiels; il n’examine pas sans partialité les positions que défendent les fondamentalistes, pas plus que l’esprit ou les motifs qui les poussent à le faire.
Qu’est-ce donc que le fondamentalisme, tel que je le conçois avec un grand nombre d’autres chrétiens? Pour commencer, voici une appréciation globale positive sur l’orthodoxie théologique, c’est-à-dire sur l’expression correcte de la foi et sa conformité à la révélation qui la fonde.
Une position fondamentaliste se veut exclusivement au service de l’Église afin de contribuer pleinement à son édification. La proclamation de l’Évangile transmis depuis vingt siècles reste aussi pertinente pour la situation actuelle qu’elle le fut pour les fidèles de l’Église primitive. L’orthodoxie est également facteur d’unité et de solidité pour l’Église chrétienne. En outre, et ce point mériterait un exposé à part, elle est garante de stabilité sociale et politique. Les décisions du Concile de Chalcédoine, en 451 de notre ère, relatives à la personne une en deux natures, divine et humaine, de Jésus-Christ, sont aussi importantes pour le témoignage de l’Église que pour une vie sociale et politique normale dans le siècle présent.
La position orthodoxe de la foi, les déclarations théologiques qui s’en tiennent au fondement de celle-ci, le combat pour en préserver la pureté et l’intégrité sont des services rendus au peuple du Christ dans les temps qui sont les nôtres. Les fondements de la foi possèdent un caractère universel; lorsque nous confessons le Credo, « je crois l’Église universelle, apostolique, une et sainte », nous confessons tout d’abord l’universalité de la foi; l’Église apparaît seulement après. La foi doit être universelle pour que l’Église puisse le devenir à son tour. Grâce à une telle foi, dont l’origine est en la volonté de Dieu et qui est transmise par l’Église, la vie chrétienne du baptême au catéchisme, de l’ordination des ministres à la mission dans le monde, cessera d’être une affaire d’opportunité ou de contingence, voire de manœuvres ecclésiastiques ou de diplomatie manipulatrice, pour permettre à l’Église de rester debout, de s’édifier, d’être vigilante, d’être nourrie et de combattre sur le seul fondement établi une fois pour toutes.
Quels sont alors les éléments qui composent ce fondement? Pour commencer, prenons garde à un très grave et dangereux écueil : ne faisons pas de la foi et de sa profession une affaire purement cérébrale. Qu’il nous soit permis de signaler, en passant, que parler de théologie correcte n’est nullement une affaire d’intellectualisme auquel on pourrait opposer une spontanéité et un subjectivisme qui, hélas!, ne s’appuient pas sur un socle doctrinal solide.
Défendre une position théologique fidèle est loin d’être une adhésion froide, dépourvue de cœur, qui assène des vérités sèches et sans vie. L’intellectualisme stérile de la foi, même sous prétexte de fidélité, recèle en effet un danger mortel, et cela est apparent dans des orthodoxies mortes, figées et improductives. Cependant, verser dans l’extrême opposé n’est pas une solution envisageable. Éprouver la foi d’une manière tout à fait personnelle et en faire l’expérience vivante ne nous autorise pas à la confondre avec nos propres états d’âme, à nous livrer à une expression de la foi qui, en dernière analyse, n’aura comme fondement que ses propres élans et ne sera que l’expression de sentiments fragiles et peu fiables. Nous n’avons ni à être éclectiques, choisissant dans la foi ce qui nous convient ou nous plaît, ni à nous laisser aller dans le déversement désordonné de toutes sortes de sentiments futiles et nocifs.
La doctrine chrétienne n’est pas en soi facteur de division, de conflit, d’âpres polémiques; mais le dialogue en soi ne garantit pas comme par enchantement l’unité idéale dont on rêve.
Nous n’avons à opter ni pour un absolutisme doctrinaire rigide, hostile et extrême ni pour une prétendue « ouverture » sans base biblique ni ossature doctrinale.
La Réforme du seizième siècle, comme d’ailleurs les Pères ecclésiastiques des premiers siècles, a distingué entre ce qui est fondamental et ce qui est secondaire, ce qui est périphérique et ce qui est essentiel à la foi et à l’Église. La Réforme a su conserver admirablement le sens de la mesure théologique et maintenir un sain équilibre doctrinal, mettant le peuple de Dieu en garde contre toute rupture, causée soit par des outrances laxistes, soit par l’intransigeance des extrémistes. Comme le disait avec raison Blaise Pascal : « On ne montre pas sa grandeur pour être à une extrémité, mais bien en touchant les deux extrêmes à la fois et remplissant tout l’entre-deux ».
« Dans les choses essentielles, dit-on souvent, garder l’unité; dans les choses secondaires, laisser la liberté, et en tout conserver les liens de la charité. »
Certes, la rage de certains théologiens a causé d’irréparables dommages à l’Église; ceci est bien connu dans le monde ecclésiastique. Mais cette rage-là n’est pas, croyez-moi, le fait des seuls fondamentalistes. Loin de là! Avec quelle intolérance le côté opposé, tout en se voulant libéral, s’acharne à clouer le bec aux orthodoxes! D’un côté comme de l’autre, on a perdu toute innocence. Il est bon alors de se rappeler une autre règle essentielle : S’il faut combattre à tout prix l’erreur théorique, il faut aussi prendre garde à ne pas blesser inutilement la personne de son adversaire. L’anecdote personnelle par laquelle je commençais mon exposé a donné une bonne illustration, j’espère, de la manière de mener le dialogue entre adversaires.
En ce qui concerne les points secondaires de la foi, ils sont actuellement bien plus nombreux et infiniment plus complexes que dans le passé.
Du côté luthérien, on parle des adiaphora, c’est-à-dire des choses indifférentes pour la bonne profession de la foi ou de la vie pratique; du côté réformé calviniste, je crois avec plus de justesse, on parle de choses moyennes. Quelques simples critères bibliques nous permettront d’effectuer des distinctions nécessaires.
« L’éternel notre Dieu, l’Éternel est un » (Dt 6.14). Cette déclaration du livre du Deutéronome précède le premier et le grand commandement de la foi biblique. Elle est le premier article de tout catéchisme chrétien. Cela veut dire en pratique que ni les Baals ni les Astartés du pays de Canaan, ni les Zeus des Grecs ni l’Allah des déserts d’Arabie ne sont le vrai Dieu auquel le chrétien doit soumission. Il n’est pas légitime de changer le nom du Dieu de la révélation biblique en s’imaginant que l’on parle du même Dieu…
Il n’existe pas de révélation générale qui, de manière univoque, identifierait les divinités du passé et du présent avec l’Éternel Dieu de la Bible chrétienne. Aucune de ces religions et spiritualités n’annonce le Dieu à la fois unique et trinitaire. Pas plus d’ailleurs que « le fondement de l’être » de tel théologien protestant moderne ou de tel théologien ex-catholique romain. Non seulement la déclaration biblique est vraie, mais encore elle l’est exclusivement, de manière absolument certaine et vraie, qui ne tolère la moindre comparaison. Car si deux absolus existaient, celui du Dieu de la Bible et celui d’une autre foi, ils ne pourraient que s’exclure mutuellement.
D’autres points fondamentaux sont aussi clairement exposés dans la Bible. Leur répudiation reviendrait à ignorer le véritable christianisme. Songeons à la doctrine de la régénération, du renouvellement de la personne mortelle et pécheresse par l’efficace du Saint-Esprit. Le baptême administré au nom du Christ, avant même d’avoir pu développer une foi et un témoignage personnels; la prière adressée à Dieu au nom du Christ et portée au trône de sa grâce par le pouvoir efficace de l’Esprit Saint, ce sont là des points essentiels et fondamentaux de la foi. Confesser Jésus-Christ comme le Fils unique de Dieu, engendré et non créé, manifestation visible sur terre du Père, et non seulement « fenêtre sur le ciel », « copain du ciel », ou doux enfant saint-sulpicien des crèches populaires… Voilà encore un point vital pour se tenir sur le fondement de la foi. Cette confession sera associée bientôt à celle de la Trinité (Mt 28.20).
Pour n’en rester qu’au chapitre de la christologie, rappelons la très forte insistance du Nouveau Testament sur l’incarnation. Quiconque déclare que ce Jésus n’est pas le Fils incarné de Dieu se fait complice et est le porte-parole de l’Antichrist (1 Jn 4.3; 2 Jn 1.7). Au sein de l’Église, disent les écrits du Nouveau Testament, se trouvent des docteurs auxquels non seulement il ne faut accorder aucun crédit, mais qu’il ne faut même pas accueillir ou saluer! (2 Jn 1.10).
Certains articles de foi furent proclamés en premier (voir 1 Co 15.3-5) : la mort expiatoire du Christ, conformément aux écrits de l’Ancien Testament; de même, sa résurrection corporelle, article auquel tout fidèle doit accorder sa foi sans réserve, dans l’espérance de sa propre résurrection.
Au temps de la Réforme, l’article de la justification par la grâce seule, au moyen de la foi, était considéré comme l’un des plus importants du débat ecclésiastique. Car prêcher un légalisme à la manière des judaïsants contemporains de saint Paul ou des modernes insistant sur le salut par les œuvres, c’est annoncer « un autre évangile », opposé au véritable (Ga 1.8).
Ces critères bibliques permettront de discerner avec précision et certitude ce qui est vital pour la foi et la proclamation de l’Évangile au cours de notre génération.
Il ne nous est guère possible d’établir ici une liste exhaustive des articles fondamentaux de la foi chrétienne, dont nous avons donné quelques indications. Cependant, il est opportun de rappeler que l’Église fidèle ne se contentera pas d’une confession et d’une déclaration minimes de sa foi. Car même l’admirable Symbole des apôtres est, à cet égard, nettement insuffisant. Une bonne confession de foi comportera le plus grand nombre d’éléments de connaissance biblique possibles, afin de permettre d’évaluer la richesse de la révélation et de témoigner de la plénitude de la foi. Si le Symbole des apôtres est insuffisant, que dire de la Déclaration du Conseil œcuménique des Églises! Pour le chrétien réformé, elle est totalement inadéquate.
Si nous sommes disposés à admettre ce qui constitue le contenu fondamental de la foi, nous exercerons une vigilance toujours accrue pour empêcher les égarements, pour découvrir l’erreur et combattre l’hérésie qui menace sans cesse l’intégrité de la foi. L’Église fidèle a le droit et le devoir d’exercer une discipline, de contrôler l’enseignement de ses ministres, au besoin de les excommunier, si cet enseignement n’est pas conforme à la saine doctrine. Aussi pénible que soit une amputation, l’Église prononcera l’anathème basée sur Galates 1.18. En exerçant ses responsabilités, elle ne sera ni sectaire ni intégriste au sens péjoratif du terme, mais agira selon sa vocation : celle de rester la servante du Seigneur et de dispenser fidèlement sa sainte Parole.
On ne peut que déplorer l’idée erronée de l’amour chrétien, laquelle, hélas!, a couvert une multitude d’hérésies.
La Réforme du seizième siècle était née de cette exclusive préoccupation de fidélité. L’Écriture seule, mais aussi le Christ seul, la grâce seule et la foi seule, ne sont pas des clichés éculés, mais les éléments vitaux d’une profession de foi fidèle et adéquate. Les Églises chrétiennes qui maintiennent une orthodoxie partielle négligent des points essentiels de la foi. On ne saurait, par amour d’un œcuménisme sans ossature, se rapprocher d’elles. Il ne suffit pas de professer la Trinité, il faut encore saisir toutes les implications théoriques et morales de la rédemption. Il n’est pas légitime d’établir un dialogue œcuménique avec ceux qui refusent la doctrine de la pure grâce et de célébrer en commun des baptêmes, des eucharisties ou des mariages si, de part et d’autre, on ne souscrit pas aux points fondamentaux de la foi révélée. S’il ne faut point intellectualiser la foi, il ne faut pas davantage banaliser et trivialiser la doctrine biblique. La foi qui se nourrit de l’Écriture sainte y reconnaîtra et y découvrira non seulement un événement, une histoire, mais aussi l’interprétation correcte de celle-ci.
Puisse l’Esprit de Dieu accorder à l’Église toute la lucidité et tout le courage pour que, éclairée et guidée par la Parole, elle demeure non seulement ancrée dans le fondement de la vérité, mais encore en être la colonne et l’appui, aussi bien par sa confession de la foi que par son témoignage vécu.