2 Corinthiens 5 - L'évaluation qui compte
2 Corinthiens 5 - L'évaluation qui compte
« Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal du Christ, afin qu’il soit rendu à chacun d’après ce qu’il aura fait dans son corps, soit en bien, soit en mal. »
2 Corinthiens 5.10
L’évaluation qui compte pour notre personne, pour notre existence et pour nos actes est soit fonction de la foi en Dieu, soit des convictions humanistes athées. Assurément, l’athéisme incrédule qui refuse Dieu engendre, à plus ou moins brève échéance, l’absence de confiance en l’homme.
L’athéisme n’est pas un problème intellectuel dont on pourrait débattre dans les cercles académiques. Il constitue la tragédie majeure dont découlent tant et tant de drames humains ainsi que les grandes tragédies de notre époque.
Là où Dieu n’est pas honoré, l’homme, porteur de son image, sera lui aussi bafoué, sa dignité et ses droits complètement violés. Il en est ainsi parce que « l’homme en soi » n’existe pas. En dépit des perpétuelles déclarations sur les droits de l’homme — aussi généreuses que vaines — celui-ci est aussi vilipendé, déprécié et avili que le fût jadis l’esclave vendu dans les marchés de l’antiquité ou que l’ont été, plus près de nous, les indigènes de certains pays du Tiers et du Quart du monde.
Si l’homme n’a aucun rapport avec Dieu son Créateur et s’il reste incapable — à cause d’un véritable état d’analphabétisme spirituel — de déchiffrer les lignes de sa destinée, alors il ne peut prétendre à rien d’autre qu’à être le produit d’un hasard sans nécessité, dépourvu de sens et d’importance.
Selon Alain (dans Propos) : « Il est nu et seul dans sa planète voyageuse. » Il peut disparaître un de ces prochains millénaires sans laisser de traces ni même des regrets.
Écrivains, dramaturges, philosophes ou sociopoliticiens désemparés — ou résignés quand ce n’est pas ouvertement nihilistes — décrivent comme Céline un voyage au bout de la nuit dans le pessimisme le plus noir et l’agnosticisme le plus lugubre.
Aux propos désabusés et nihilistes des penseurs contemporains viennent s’ajouter les réflexions des uns et des autres après la découverte de l’espace sidéral. Comme si, de manière ouverte et involontaire, ces explorations des espaces infinis, qui effrayaient déjà tant Blaise Pascal, offraient aux hommes des raisons supplémentaires de douter de leur importance et de leur signification.
Lorsque la planète Jupiter apparaît dans toute son immensité, que nos engins spatiaux doivent voyager des dizaines de milliers de kilomètres avant d’atteindre la planète la plus proche et qu’astronomes et mathématiciens nous apprennent à calculer les distances en années-lumière, on est en droit, en effet, de se poser des questions sur la signification de sa propre personne.
Songeons encore non seulement à notre minuscule système solaire ou même à notre galaxie, mais au nombre incalculable des galaxies qui peuplent l’univers, connues ou inconnues. Il y a vraiment de quoi rabattre le caquet de l’Homo sapiens qui, par moments, se prend pour le véritable dieu de l’univers. En réalité, nous ressemblons à des microbes invisibles accrochés aux parois d’une minuscule boule dans l’incommensurabilité du cosmos… Lorsque nous réfléchissons à cela, tout peut nous paraître insignifiant. Et pourtant c’est cette petite planète et ceux qui l’habitent qui sont l’objet de l’amour de Dieu et de son attention toute particulière.
Assis l’autre soir en compagnie de ma famille, je regardais avec émerveillement et vertige les dernières vues en couleurs des planètes et des galaxies de notre « voisinage » projetées par mon fils aîné, grand amateur d’astronomie. Des pensées inévitables m’agitèrent, et ce furent les paroles d’un vieil auteur qui me vinrent à l’esprit : « Quand je contemple les cieux, l’ouvrage de tes mains […]. Qu’est-ce l’homme pour que tu t’en souviennes et le fils de l’homme pour que tu prennes garde à lui? » (Ps 8.4-5).
Il y a une différence essentielle entre cette exclamation reconnaissante du vieux psalmiste de l’Ancien Testament et les propos désabusés de nos modernes penseurs. Dans la bouche du fidèle croyant, cette interrogation résonne tel un eurêka, comme la découverte du sens de la vie, celui de toute vie humaine. Elle est l’opposée même de la tragique affirmation de l’insignifiance de l’homme et de l’absurdité de toutes choses qui, volens nolens, rend la vie encore plus inhumaine. Elle engendre la laideur et le mensonge, l’irrespect et l’écrasement. Elle fait disparaître les notions du bien et du mal. Fruit empoisonné de l’athéisme humaniste, elle provoque le plus grave des traumatismes pour l’homme et se rend coupable de la prolifération des maladies mentales, véritable épidémie contemporaine.
Quelque part, l’Autrichien Victor Frankl, décrit le mal moderne en termes de « noogénique », ce qui n’est ni simplement nerveux ni purement psychique, mais qui atteint l’esprit, c’est-à-dire l’essence même de la personnalité.
La psychologie nous apprend un fait élémentaire : Nous avons tous profondément besoin d’être encouragés et stimulés pour découvrir notre valeur. Nous avons tous besoin d’être aimés et respectés plutôt que d’être toujours pris à rebrousse-poil! Regardez l’enfant nouveau-né : C’est la dermatologie moderne qui vient de nous apprendre que la toute première chose dont il a besoin c’est des caresses sur son épiderme, d’un contact tactile affectueux et plein de tendresse, pour se sentir bien dans sa peau… À l’inverse, martelez à longueur de journée votre fils ou votre fille à chacune de ses maladresses : « Tu es complètement stupide, tu ne seras jamais bon à rien »! Et vous avez de fortes chances d’en faire des ratés, en tout cas des ratatinés dans l’existence, plutôt que des aigles… Cela pourrait même aboutir à l’exutoire de trouver un certain plaisir dans une agressivité violente et dans un défoulement délinquant.
Si nous n’avons pas plus d’importance que le champignon qui pousse en une seule nuit, alors nos sentiments et nos pensées, nos paroles et nos actes seront dépourvus de toute signification. Résignons-nous alors et subissons sans broncher toutes les humiliations injustes et toute la cruauté mentale des adjudants-chefs en tout genre. Enfuyons-nous dans la poussière pour passer inaperçus, découragés, si ce n’est mortellement blessés pour toujours…
Mais que vous soyez citoyen honorable ou délinquant en détention, je vous propose de repenser toute votre personne. L’état de grâce humain ou étatique, si par miracle il existait, ne vous serait d’aucun secours. Des paroles flatteuses et creuses ne vous feraient aucun bien, et l’humanisme athée, même dans ses formes les plus généreuses, restera le plus redoutable ennemi de l’humanité.
Repenser notre personne pour en découvrir toute l’importance signifie nous placer au préalable sur une échelle de valeurs qui nous transcende et nous dépasse. L’idée que nous avons de nous-mêmes, nous la recevons — telle une grâce imméritée — du Dieu de nos origines. C’est à aller vers lui que je vous invite. Aussi étrange que cela puisse vous paraître, je vous propose une courte phrase de Paul, apôtre, pour vous inviter à réfléchir sur votre propre personne : « Car il nous faut tous comparaître devant le tribunal du Christ » (2 Co 5.10).
Cet énoncé est à mon avis le plus grand compliment et le plus grand stimulant que nous ayons jamais entendu sur nous-mêmes. Le tribunal du Christ est l’endroit et l’occasion où Dieu évaluera exactement ce que nous sommes et se prononcera avec justice et équité sur chacun d’entre nous. Comparés à son avis, tous les avis de l’opinion publique, les douloureuses méprises sur notre personne ou même les serviles flatteries dont nous aurions été l’objet, n’auront pas plus de poids qu’un fétu de paille brisé. Quelles que soient les circonstances, notre réputation ou le rang que nous occupons, ils apparaîtront tous dans leurs justes et véritables proportions.
Ainsi, au jeune homme frais émoulu de nos grandes écoles qui, pessimiste et las avant même d’être entré dans la vie active et qui me dit : « Voilà, je viens d’empocher mon diplôme, à quoi bon? L’histoire ne retiendra pas mon nom, je ne laisserai aucune trace », à ce jeune homme je réponds : « Mais l’Histoire, avec un grand H, n’a rien à faire ici. Ce que vous êtes, ce que vous ferez, ne prend de l’importance qu’aux yeux de Dieu. Il vous appelle à lui afin que vous viviez d’après son échelle de valeurs transcendantes. » D’ordinaire, nous ne pensons pas au jugement de Dieu en ces termes-là. Nous avons peut-être certaines réminiscences de discours chrétiens maladroits qui nous avaient effarouchés. Pourtant, sa fonction est la plus positive. On pourrait dire comme une boutade que s’il n’existait pas, il faudrait l’inventer… Autrement, pourquoi nous référer au Christ et à son Évangile, prendre au sérieux sa morale? À quoi bon le suivre comme disciple?
Le texte de Paul, apôtre, nous aide à considérer le jugement de Dieu sous un autre jour, et à cette lumière, nous pouvons nous voir baignés d’une lumière qui évalue avec justesse et équité notre personne et nos actes. Dieu tient compte de mes propos et de mes actes, de mes pensées et de mes sentiments, non pas pour m’écraser, mais comme l’importance qu’il accorde à ma personne.
C’est parce que je comparaîtrai devant le tribunal du Christ que mon existence peut se dérouler dans un univers moral; que le bien et le mal peuvent s’y distinguer comme le blanc et le noir, et que la beauté et la vertu y sont reconnues et y seront un jour assurées.
Il n’est donc pas vrai « que le bon et le méchant, le sage et le fou poussent dans le même sens… »
« Je reconnais ici — écrit Alain — le grand jeu des dieux supérieurs qui font que tout serve leurs desseins. Mais grand merci — poursuit-il — je n’aimerais point cette mécanique. Je vois l’homme nu et seul dans sa planète voyageuse et faisant son destin à chaque moment : mauvais destin s’il s’adonne, bon destin aussitôt qu’il se reprend. »
Le Christ Jésus des Évangiles a parlé de l’évaluation de notre destinée. Il a prononcé un discours sur le jugement qu’il exercera le dernier jour. Il a annoncé la discrimination définitive et irrévocable. Pour qu’elle soit bénéfique, il nous invite à nous conformer à ses critères, à nous aligner sur ses pas, à nous mettre sous son enseigne. Si nous refusons, ce sera alors cette nudité dont parle Alain, nudité de toujours, et l’angoisse de notre solitude dans l’angoisse et les cauchemars quotidiens.
Christ nous appelle à sa compagnie et à la plénitude; il nous faut abandonner les tricheries, renoncer à tromper, à voler, à forniquer. Si Dieu n’existait pas, alors tout cela serait permis, mais voilà, Dieu existe et son Fils qui est apparu la première fois comme le Sauveur des hommes réapparaîtra à la fin comme le Juge universel. Cette connaissance permettra donc de réévaluer notre personne et de voir toute l’importance que notre existence a devant ses yeux.
Pourquoi le refuser? Nous serions nus, seuls et surtout insensés. Voici que ma vie, qui passe inaperçue au regard du plus grand nombre ou qui est peut-être méprisée par ceux qui m’entourent, revêt une extraordinaire importance. Dieu, celui de mes origines, n’a pas épargné la vie de son propre Fils pour donner à ma vie un prix inestimable. Quel encouragement, quelle stimulation et quel compliment généreux! Dieu m’accueille pour me hausser jusqu’à lui. Il préserve mon existence et prend chaque jour soin de moi. Je suis donc quelqu’un aux yeux de Dieu.