3 Jean 1 - En route
3 Jean 1 - En route
« C’est pour le nom du Seigneur qu’ils se sont mis en route. »
3 Jean 1.7
Cette simple note que Jean, l’auteur inspiré, trace au fil de la plume dans son billet adressé à Gaïus nous aidera à préciser le sens de notre témoignage chrétien et la raison de notre itinéraire.
Voici quelques frères faisant partie d’une équipe itinérante d’évangélistes qu’une Église a dépêchés vers un point… Comme les apôtres avant eux, ces hommes vont annoncer la Parole et fortifier l’esprit des disciples. Et nous lisons que « c’est pour le nom de Jésus-Christ qu’ils se sont mis en route ».
L’événement est minuscule si nous le considérons dans le panorama où se dessine le combat de l’Église; il nous rappelle une chronique locale. Mais il est significatif au point d’illustrer à nos yeux la situation de l’Église. Alors, il nous est permis de voir dans notre mission chrétienne, dans la nôtre comme dans celle des siècles passés, la même nécessité d’un retour à cette situation. C’est pour le nom de Jésus-Christ que nous nous sommes mis, que l’Église missionnaire s’est mise « en route ».
Une Église missionnaire; une Église en route; un peuple en marche… Ce mot revient pour recomposer à nos yeux l’image de l’Église dans sa vie qui est obéissance, hors de laquelle elle serait réduite à l’inutilité. Une Église dont la louange célèbre le Seigneur pour des bilans positifs et pour des valeurs retrouvées; une Église qui s’active à remplir sa fonction d’Église, dans un ministère défini et définitif. Pourvu que ces louanges ne s’élèvent pas pour elle-même ni pour la satisfaction de ses membres et de ses abonnés… Car alors, elle serait non pas une Église en marche, mais une églisette de fonction, satisfaite d’elle-même, un club religieux, un de plus parmi les innombrables qui pullulent en cette époque dite sécularisée, et pourtant fort adonnée aux fausses religions…
On se plaît actuellement à rabâcher comme une rengaine, avec une sorte d’autosatisfaction — l’orgueil encore, l’orgueil toujours — que l’Église d’aujourd’hui pose des questions, voire se pose des questions… Comme si cela pouvait nous rassurer ou nous faire avancer d’un pouce! Car la question décisive est non de se poser des questions, mais de poser la bonne, la vraie, l’urgente question. Il y a des questions bien futiles et même malfaisantes, comme celles de la curiosité, de la mauvaise conscience, du libertinage…
La question, la vraie, ce n’est pas l’Église qui doit se la poser en s’analysant et en s’autoanalysant, et sombrant par là dans un narcissisme maladif. Cette question interrogation doit lui être posée par un autre, depuis en haut, par celui qui est à la fois la question sur chacune de nos vies personnelles et la réponse à toutes nos angoisses et dans tous nos égarements. L’Église chrétienne se laissera-t-elle interroger par son Seigneur, celui qui lui donne l’ordre de marche et qui l’envoie au près et au loin, en mission, celui qui met ses membres sur les routes pour le nom de Jésus-Christ?
Que nous soyons soulevés par des actions de grâce au souvenir des grandeurs du passé ou tendus par les exigences du moment, la question posée, et qui nous déconcerte, est formulée par une voix qui peut se mêler aux louanges ou aux mots d’ordre, mais qui donne toujours une note radicalement étrangère au concert, qui demande si l’Église est encore l’Église ou si elle ne l’est plus…
Puisse cette question la troubler. Car c’est alors qu’elle se mettra en marche et secouera sa torpeur, ébranlera sa paralysie et se mettra en route, pour le nom de Jésus-Christ.
Avec ces quelques mots, l’Église est située et cernée. Puissions-nous les prononcer en nous courbant, avec une constante prière, demandant au Seigneur de nous arracher à toute ambiguïté et de faire de ces mots notre référence. Non pas une référence qui jouerait seulement pour un secteur de l’existence, mais l’unique référence, à laquelle toute la vie doit être rapportée. Car ce nom révèle et atteste une présence vivante et dominatrice; il s’impose à nous dans un amour qui s’est sacrifié, un amour vivant, parce qu’il a vaincu la mort.
Présence qui opère une mutation de notre identité, en sorte que ce nom devient pour nous un nom de famille, que nous portons au sens de titre et de charge, avec l’implication du pouvoir attaché à l’un et à l’autre. Il est un mandat, un nom qui est un ordre de marche. Et l’auteur du petit billet nous dit de « marcher dans la vérité ».
Évoquons ici les étapes du peuple d’Israël dans le désert, sur un itinéraire qu’il ne choisit ni ne prévoit, car ses avancées successives sont réglées par les apparitions et disparitions de la nuée. Ainsi, cette marche dans la vérité est à tout instant une marche dans la vérité qui contraint, et la foi qui anime ce peuple n’est pas une possibilité parmi d’autres possibilités, mais son unique possibilité, en sorte qu’on peut dire de lui et de quiconque marche pour le nom du Seigneur qu’il est prisonnier de sa foi.
Position inconfortable de celui qui, vivant sa vie à l’intérieur de sa foi, cherche à dépasser ses désobéissances et à retrouver l’obéissance; il accueille ainsi les heurs et malheurs sans échapper aux silences et aux apparentes fuites de Dieu, dans le débat qui appelle ses révélations et ses retours.
« Il est requis, écrit Calvin, que jusqu’à la fin nous ayons les mains prêtes à caver [c’est-à-dire à creuser] les puits, et les ongles à gratter la terre si besoin est. »
Mais alors, dans la vie du peuple qui porte ce nom et de quiconque est lié à ce nom entrent inévitablement l’inquiétude et le risque, l’inquiétude essentielle de bien porter ce nom et de l’apporter dûment aux hommes d’aujourd’hui. Or, ce nom, nous le trahissons tous les jours par nos inconséquences, ce que les autres discernent avec une acuité dont nous sommes, hélas!, privés nous-mêmes, en sorte que notre première inquiétude est de nous bien auto-examiner.
Et nous usons de ce nom en pure perte lorsque nous cherchons à l’apporter à d’autres de manière maladroite et inappropriée. Il nous faut lever les malentendus en sorte que, de bouche à oreille, on le communique dans le respect, la vénération et l’adoration de la foi.
Mais même des inquiétudes parfaitement fondées, suscitées par une juste analyse, peuvent demeurer stériles si elles refusent le risque.
S’être mis en route « pour le nom de Jésus-Christ » signifie que nous voulons nous soumettre à sa volonté, donc que l’itinéraire et le voyage sont réglés par lui. Acceptons que sa volonté, mystérieuse par moments, puisse intervenir d’une manière imprévisible, tant en ce qui regarde notre confort que nos projets; le risque s’impose alors nécessairement à propos de ces données élémentaires qui s’appellent le temps, l’argent et la réputation.
Cesser de risquer, a dit quelqu’un, c’est mourir. Mais l’Église ne doit pas prendre des risques de sa seule initiative, des risques souvent irréfléchis, hasardeux et inutiles. Il n’est pas question de se laisser prendre par l’attrait du risque pour le risque, de se soumettre aux caprices de ceux qui choisissent le risque gratuit. Mais nous refuserons une prudence timorée, faite de peur et d’égoïsme, pour nous mettre en marche pour le nom de Jésus-Christ.
Ce risque nous est imposé, ordonné et donné tout à la fois comme une grâce; il devient risque sanctifié, risque pour le seul nom, risque pour le Royaume, risque dans le sacrifice total. Telle est la leçon que nous offre l’exemple des témoins qui, le jour, marchent à la suite de la colonne de nuée et la nuit à la lueur de la colonne de feu, comme Israël dans le désert, peuple de pèlerins et de témoins. Mais les ombres et les fulgurations ouvrent une piste inconnue dans le désert en même temps qu’elles enveloppent le peuple d’une paroi sans fissure.
Nous connaîtrons la sainte inquiétude et le risque sanctifié dans l’assurance joyeuse de la foi, dans la certitude de celui dont nous portons le nom en vue de l’accomplissement de notre obéissance, de la poursuite de notre mission.
Ce nom est celui que porte la pauvrette Église, la nouvelle nation élue, le peuple de Dieu. Il est l’unique dans le temps et jusque dans l’éternité, le seul nom que nous porterons, car il n’y en a pas un autre par lequel nous soyons sauvés.