Amos 2 - L'Église aussi
Amos 2 - L'Église aussi
« Ainsi parle l’Éternel : À cause de trois crimes de Juda, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt : parce qu’ils ont rejeté la loi de l’Éternel et qu’ils n’ont pas gardé ses préceptes, parce qu’ils se sont laissé égarer par les mêmes mensonges auxquels leurs pères s’étaient ralliés, j’enverrai le feu contre Juda, et il dévorera les donjons de Jérusalem. Ainsi parle l’Éternel : À cause de trois crimes d’Israël, même de quatre, je ne révoque pas mon arrêt : Parce qu’ils ont vendu le juste pour de l’argent, et le pauvre pour une paire de sandales; ils convoitent jusqu’à la poussière de la terre qui est sur la tête des indigents, ils violent le droit des humbles. Le fils et le père vont vers la même fille afin de profaner mon saint nom. Ils s’étendent près de chaque autel sur des vêtements pris en gage et ils boivent dans la maison de leurs dieux le vin de ceux qu’ils ont mis à l’amende. »
Amos 2.4-8
Le prophète-berger va atteindre à présent son objectif principal. Son précédent réquisitoire contre les nations étrangères n’était qu’une entrée en matière, l’exorde d’un long discours qui à présent est dirigé contre les siens. Notons qu’il s’agit du peuple même de l’alliance, de Juda et d’Israël, les deux sœurs de la même famille spirituelle. Juda sera la première attaquée. Quant à Israël, elle portera la responsabilité la plus accablante. Inversons cependant l’ordre et commençons par cette dernière.
Le chef d’accusation est bien long, contrairement à celui concernant les « goïm », les nations païennes voisines. Si ces dernières ne sont pas accusées d’aucune faute religieuse particulière, car, païennes qu’elles sont, que pourrait-on en attendre dans ce domaine? Israël, elle, est accusée d’une quadruple culpabilité. Le prophète n’en dissimule pas les détails. Les sept nations mentionnées n’occupent dans son livre que le premier chapitre, tandis qu’Israël en occupe à elle seule un chapitre entier. Dieu est toujours plus sévère envers les siens. Sa sainteté devient plus exigeante lorsqu’il s’agit de ses élus, ceux qui ne peuvent pas se prévaloir de leurs privilèges comme s’ils leur étaient automatiquement acquis. Dieu ne réagit pas injustement. Ayant accordé sa grâce bienveillante, il est en droit de s’attendre en retour à une reconnaissance à la mesure de son offre.
Révélé comme le Dieu d’une alliance immuable et éternelle, mû sans cesse par son amour, Dieu fait subir un examen rigoureux à Israël et le scrute à la lumière de ses projecteurs qui ne laissent intact aucun des sombres recoins d’une existence peu recommandable. Il met son doigt sur les plaies et, devant une telle infection, il la menace de son jugement.
Si son amour peut user d’une grande sévérité, c’est en vue de nous discipliner, car il ne prend pas plaisir à nous tourmenter comme un souverain capricieux et cruel. Mais il n’est pas davantage celui que nous aimons à nous représenter, un être indulgent et falot qui ferait bon marché de nos égarements et dont la conduite serait régie par une bonté faite davantage d’impotence que de grâce souveraine.
Les transgressions d’Israël, au nombre de quatre, se résument en une : l’oppression du pauvre et de celui qui est sans défense. Réalité affligeante et scandaleuse. Si souvent la miséricorde et la compassion font défaut dans la liste des vertus du peuple de Dieu… L’Église chrétienne, elle aussi, peut agir à l’occasion avec dureté, si ce n’est avec cruauté. Son histoire n’a été éclairée, à certaines périodes de son histoire, que par les lueurs des bûchers. On a levé des croisades pour délivrer une terre prétendument sainte; plus près de nous, dans une époque qualifiée de Renaissance, il y a eu des Saint-Barthélemy, et plus près de nous encore, en plein « Siècle des Lumières », on a envoyé les meilleurs des chrétiens aux galères, tandis que leurs familles subissaient les bastonnades et les dragonnades de convertisseurs devenus bourreaux…
Et même durant notre siècle, si féru de « droits de l’homme », des hommes et des femmes ayant un héritage chrétien sont restés étrangement silencieux devant la persécution subie par une partie de leurs concitoyens, envoyés mourir en grand nombre dans des camps dits de concentration. S’ils ne connaissaient pas toujours leur destination finale, leur absence de réaction devant les exactions dont ils avaient été témoins était, à ne pas en douter, la preuve de la dureté du cœur humain, même lorsqu’il se dit chrétien…
Dieu se souvient des événements de l’histoire. Il exige non seulement des aveux, mais aussi la réparation. Lorsqu’on s’y refuse, il prend en main la cause de l’opprimé, de l’orphelin, de la veuve et de l’étranger, c’est-à-dire de ceux qui n’ont pas de droits, ou si peu… Ce n’est pas l’Histoire avec un grand H qui prononcera le grand jugement sur les forfaits commis par les humains, mais Dieu en personne, le grand Chroniqueur de l’histoire humaine. Il les jugera avec sa sainte justice. Ce qui nous console c’est d’apprendre qu’il prend parti en faveur du pauvre et de l’opprimé. C’est la raison pour laquelle, au lieu de nous prêcher nous-mêmes ou de prêcher les mérites de nos institutions cléricales, nous annonçons la sainteté, la justice et l’amour du Dieu très miséricordieux.
Bien entendu, lorsque Dieu prend la défense des pauvres et des malheureux, cela ne veut pas dire qu’il s’est converti aux idéologies humanistes bavardes de nos contemporains. La Bible parle de la justification par la foi et non par les œuvres, selon un christianisme social et politisé dont démagogues et néo-pharisiens se sont faits les avocats et défenseurs.
Et il intervient aussi. Le pauvre Lazare de l’Évangile ne va pas au ciel simplement parce qu’il est pauvre, mais parce qu’il a attendu le secours de Dieu seul. D’ailleurs, telle est l’étymologie de son nom. Dieu attend que nous usions de miséricorde envers tout homme non par amour de la pauvreté, mais pour l’honneur de son nom. En Israël, il y eut des injustices flagrantes et des crimes odieux. On alla jusqu’à confisquer les souliers du pauvre pour se faire rembourser une dette. Or, d’après le Lévitique, on devait traiter l’Israélite, « son frère », avec justice et humanité. Personne ne devait retenir comme gage au-delà de la soirée un vêtement appartenant à un pauvre, de peur qu’il n’ait que les ténèbres de la nuit pour se couvrir!
Au temps d’Amos, l’intention des puissants n’était pas seulement d’accroître avidement leurs biens, mais encore d’exercer un contrôle total sur sa propriété, de mettre le grappin, hectare après hectare, sur toute terre cultivable. Ces iniques se moquaient éperdument du pauvre plongé dans la poussière, meurtri par la peine et sombrant dans l’amertume sinon le désespoir.
J’ai connu, dans l’Église, tel jeune pasteur ne sachant où aller se loger avec sa femme et ses trois enfants, parce que le presbytère qu’il habitait avec sa famille, vendu à prix d’or grâce à la spéculation foncière (curieusement fort bien acceptée dans ce cas concret par des autorités ecclésiastiques se voulant très « progressistes »), se voyait jeté à la rue par les démolisseurs venus arracher le toit de son foyer… L’hypocrisie de certaines gens d’Église n’arrive pas toujours à cacher leur véritable visage, plus hideux que ceux des impies de l’extérieur.
Amos signale encore une autre transgression : l’immoralité. À tel point qu’un père et son fils couchaient avec la même fille, sans doute servante dans leur maisonnée et ne jouissant d’aucune protection. Le riche ne se contentait pas d’opprimer. Il ajoutait à l’oppression le déshonneur de la classe faible et sans défense tout en se rendant, le sabbat suivant, dans le sanctuaire du Seigneur psalmodier ses louanges. La corruption des juges, buvant le vin de ceux qu’ils taxaient, était une autre forme de cette immoralité.
L’immoralité est souvent de nature religieuse, car c’est d’une religion corrompue que les forfaits et les scandales jaillissent. Pourrions-nous nous croire innocents, nous qui condamnons l’Israël d’il y a 28 siècles? L’Église moderne ne devrait-elle pas se regarder dans le même miroir prophétique? Serait-elle, comme la femme de César, au-dessus de tout soupçon?
Issu de la tribu de Juda, Amos ne l’épargnera pas davantage que sa sœur aînée. D’ailleurs, il avait commencé par l’accuser la première. De quoi l’accusait-on au juste? Apparemment de rien de très précis ou de très grave. Juda ne semblait pas commettre, apparemment, ni de grosses iniquités ni des crimes scandaleux. Mais elle avait rejeté les commandements de Dieu et ses préceptes. Était-ce si grave? Justement oui, car la racine de tout mal se trouve dans la répudiation ouverte ou sournoise de la loi de Dieu.
Emmanuel Kant, le penseur allemand du 18e siècle, qui n’avait pourtant jamais lu sérieusement l’Ancien Testament, n’avait-il quand même pas appris que l’impératif catégorique, cet héritage culturel empoisonné qu’il a légué aux Occidentaux, ne peut se séparer du Dieu Législateur, et que la religion et la morale sont indissolublement liées? Elles doivent fonctionner de concert, car la morale chrétienne n’est rien de moins que l’expression de la loi sainte, parfaite, bonne et sage du Dieu Créateur et Législateur. Comme il est impossible de séparer le levain du pain que vous mangez, de même la loi de Dieu et la morale de l’homme ne feront qu’une, autrement elles ne pourront pas exister. Le péché de Juda n’était donc pas une affaire anodine. Juda venait de rejeter la Torah, la loi parfaite de Dieu, à la fois Seigneur et Libérateur, et source d’une loi absolue.