Le cadre religieux juif du Nouveau Testament - Les groupes politico-religieux
Le cadre religieux juif du Nouveau Testament - Les groupes politico-religieux
- Les hassidim
- Les sadducéens
- Les pharisiens
- Les zélotes
- Les sicaires
- Les hérodiens
- Les esséniens
- Les Samaritains
- Les prosélytes et les craignant Dieu
- Les apocalyptistes
Après la chute de Jérusalem en 70, le judaïsme survivra grâce aux pharisiens et ce sont leurs traditions qui structureront la loi juive jusqu’à nos jours. Aussi a-t-on parfois tendance à projeter cet état de choses sur la période antérieure à 70 en pensant qu’à l’époque du Christ il en allait de même. Certes, les Évangiles font mention des sadducéens, des hérodiens, des Samaritains, ils signalent qu’un disciple, Simon, est surnommé le zélote, mais les seuls adversaires sérieux, au plan doctrinal, restent les pharisiens. Une telle simplification ne rend pas compte pourtant du bouillonnement des idées qui diversifient alors le judaïsme. Josèphe, lui, nous parle de trois « sectes » pour en présenter effectivement quatre : pharisiens, sadducéens, esséniens et zélotes.
1. Les hassidim⤒🔗
Le terme de hassidim signifie les pieux. Les hassidim se préoccupent principalement de réforme religieuse organisée autour des 4e et 3e siècles avant notre ère. Ils ont formé le noyau de la révolte des Maccabées et, sous les Syriens, ils résistent à l’hellénisation. On les a associés aux esséniens à cause de leur fidèle observation de la religion, mais il est plus probable qu’ils soient les ancêtres spirituels des pharisiens. On note chez eux une stricte observation de la loi et des commandements; leurs prières sont ferventes, leur pratique sabbatique extrêmement rigide. Le Nouveau Testament ne les mentionne pas. Il se pourrait qu’au temps de Jésus ils se soient confondus avec le mouvement pharisien.
2. Les sadducéens←⤒🔗
Le nom des sadducéens, semble-t-il, les rattache à Saddoq (ou Tsadoq). Ils se considèrent comme les détenteurs du sacerdoce légitime, dans la ligne d’Ézéchiel 40.46, ce que revendiquent aussi les « fils de Saddoq » de Qumran. On peut les considérer comme les descendants du sacerdoce et de l’aristocratie de l’époque maccabéenne, accueillants envers l’hellénisme et fidèles à la dynastie asmonéenne. C’est un groupe organisé sous Jean Hyrcan (135-104) qui, par l’intermédiaire du grand-prêtre et du Sanhédrin, intervient constamment dans la vie politique du pays (voir 2 S 8.17; 15.24; 1 R 1.34-35; 1 Ch 12.29; Éz 40.46; 43.19; 44.10-15; 48.11).
Ils contrôlent le Temple et les affaires du pays en tant que représentants de l’aristocratie sacerdotale, soutenant les princes asmonéens. Même sous la loi romaine ils exerceront sur le peuple un contrôle politique considérable. Ils sont davantage enclins à adopter la culture hellénistique que d’autres groupes et partisans des Romains.
Leur conception de Dieu est davantage anthropomorphique que celle des pharisiens. En tant qu’élément conservateur de la religion, ils rejettent la loi orale et n’acceptent que la loi écrite de Moïse; ils nient la résurrection des corps et l’existence des anges, soulignent le culte des sacrifices au Temple, considèrent que Dieu est indifférent aux affaires humaines et ne croient pas en la providence. En tant que groupe politique, ils sont considérablement opposés à la foi chrétienne (Mt 22.23; Mc 12.18; Ac 4.5-6; 23.8). L’Église primitive eut davantage à les craindre que d’autres adversaires. Ils disparaîtront avec la démolition du Temple.
3. Les pharisiens←⤒🔗
Les pharisiens apparaissent en tant que parti politique et religieux durant le second Temple, peu après la révolte maccabéenne entre 165-160 avant J.-C. Vraisemblablement, ils prennent leur origine chez des hassidim; pharisien peut aussi dériver de la racine hébraïque signifiant séparé de, se séparer des pratiques et des forces païennes.
Mouvement essentiellement populaire, les pharisiens mèneront un combat violent pour libérer la religion du pouvoir et du contrôle des prêtres. Ils rénovent plusieurs cérémonies du Temple et les placent dans les foyers juifs. Tandis que les sadducéens s’occupent du Temple, les pharisiens, eux, enseignent la loi de Dieu. Ils sont plus libéraux et davantage flexibles dans leur interprétation de la loi que les sadducéens. Leur théologie consiste à croire au Dieu tout-puissant, sage, omniscient, omniprésent. Dieu a créé en l’homme deux impulsions fondamentales, l’une pour le mal, l’autre pour le bien. L’homme possède un libre arbitre pour faire son choix moral. La Torah consiste en la loi révélée aussi bien dans la loi orale que la loi écrite donnée à Moïse. La loi doit être interprétée à l’aide de la raison que donne Dieu et selon les idées et la connaissance propres à chaque âge. Ce n’est pas le sacrifice, mais l’étude de la Torah qui fut l’adoration véritable. Dieu exerce le pouvoir absolu, aidant les gens à faire le bien, mais permettant aussi l’existence du mal. Ils croient en la survie dans l’au-delà, en la résurrection des morts, à l’existence des anges et des mauvais esprits.
Toutes les références hostiles à l’égard des pharisiens que nous trouvons dans le Nouveau Testament concernaient ceux qui étaient des hypocrites, lesquels sont même jugés par leurs confrères (Mt 23; Lc 18.9-14). Paul était fier de son héritage religieux de pharisien (Ac 22.3-5). Des croyances des pharisiens sont assez proches de celles de premiers chrétiens.
Les pharisiens eux-mêmes savaient, avec un humour féroce, distinguer entre les bons et les mauvais d’entre eux. Quatre textes du Talmud nous en donnent des listes différentes. Voici quelques extraits présentant sept catégories de pharisiens :
Les forts d’épaule qui écrivent leurs actions sur leur dos pour se faire honorer des hommes; les traînards qui prétextent un précepte urgent à accomplir pour retarder le traitement des ouvriers; les calculateurs qui se disent : comme j’ai à mon actif beaucoup de mérites, je puis me payer un délit; les économes qui se demandent : quelle petite chose vais-je accomplir pour augmenter mes mérites?; les scrupuleux qui se demandent : quel péché ai-je commis pour le compenser par une bonne action?; les pharisiens de la crainte qui agissent comme Job; les pharisiens de l’amour qui agissent comme Abraham : ceux-là sont les vrais.
4. Les zélotes←⤒🔗
On peut conjecturer que les zélotes sont actifs à partir de 37 avant notre ère et le resteront jusqu’à 70 de la nôtre; on suppose que leur origine remonte à celle des hassidim. Ils sont les farouches opposants et résistants au régime romain et ils ne tolèrent aucun compromis avec un pouvoir païen. Leur zèle religieux leur a donné leur épithète, ils refusent de payer l’impôt et terrorisent leurs adversaires politiques comme aussi l’envahisseur. Fanatiques de la foi et de la Torah, ils font une apparition sur scène où est désigné un disciple de Jésus, Simon (Lc 6.15; Ac 1.13). On peut rapprocher aussi le terme de « cana » en hébreu, signifiant être zélé (Mt 10.4; Mc 3.18). Ils disparaîtront après la catastrophe de l’an 70.
5. Les sicaires←⤒🔗
Groupe de zélotes extrémistes qui se souleva contre l’occupation romaine, les sicaires dérivent leur nom de « poignard » en grec, signifiant celui qui égorge les amis des Romains lorsque la victime désignée se trouve mêlée à une foule nombreuse.
Autour des années 50 à 70 de notre ère, des bandes d’assassins sicaires ont saccagé et terrorisé la Judée. Ils seront à l’origine de la révolte dont la destruction de Jérusalem fut la conséquence; plusieurs d’entre eux se réfugieront dans la Massada. Ils professent la même théologie que les zélotes. Ils sont mentionnés dans Actes 21.28 comme des terroristes.
6. Les hérodiens←⤒🔗
Le mouvement des hérodiens apparaît au cours du règne de la dynastie hérodienne. Ils soutiennent Hérode et sa famille, acceptent l’hellénisation et la domination étrangère, sans doute appartiennent-ils à la classe aisée et exercent-ils une assez grande influence politique. Ce ne sont pas des membres d’un parti religieux. On les trouve mentionnés dans Matthieu 22.16, Marc 3.6 et 12.13 comme des opposants de Jésus.
7. Les esséniens←⤒🔗
Ce groupe n’est pas mentionné dans le Nouveau Testament, quoiqu’il soit contemporain de Jésus. On les rencontre déjà au temps des Maccabées, à partir de la 2e moitié du 2e siècle avant notre ère. L’origine de leur nom reste incertaine.
Près de 4000 d’entre eux sont dispersés dans des villages et des villes de la Judée. Certains vivent à Qumran, près de la mer Morte. Le mouvement se développera peut-être comme groupe opposant au sacerdoce que tenaient les sadducéens. On les a identifiés avec les hassidim, les zélotes et avec des groupes grecs syncrétistes aux mélanges d’éléments iraniens.
Au point de vue théologique, ils sont les plus stricts, s’abstiennent du mariage, sont ascètes, croient en la propriété commune, se considèrent les récipiendaires des promesses d’Israël, reçues par l’intermédiaire des prophètes, rejettent le culte du Temple, le tenant pour corrompu, ont des exigences sabbatiques des plus rigides, observent strictement les ablutions de purification, les prières quotidiennes et sans cesse étudient l’Ancien Testament, ont une orientation apocalyptique très prononcée. Certains pensent que Jean-Baptiste aurait fait partie du mouvement. On ignore à partir de quand ils disparurent de la scène religieuse juive.
8. Les Samaritains←⤒🔗
Dans le cadre du « peuple du pays », les Samaritains doivent aussi être mentionnés, car ils sont des victimes des préjudices nationalistes des Juifs. Au 8e siècle avant notre ère, près de deux siècles après le schisme, les Assyriens se sont soumis le royaume du Nord (Samarie). Un programme forcé obligea les Israélites de cette région d’être déportée en Assyrie. Des Assyriens peupleront le territoire national d’Israël. Des mariages mixtes seront conclus et une religion et une culture syncrétistes en seront le résultat. Les autres Israélites du royaume du Sud (Juda) considérèrent ces nouveaux occupants de Samarie comme impurs et inacceptables comme coreligionnaires.
Après le retour d’Exil, ils refusèrent la proposition des Samaritains de leur apporter une aide lors de la construction du Temple. Ce refus provoqua une solide animosité, fourbit des complots, donna lieu à des assassinats et à une tentative d’assassinat sur la personne de Néhémie, le chef des Israélites judéens (Juifs).
Au cours du 4e siècle, les Samaritains se sont approchés servilement d’Alexandre le Grand et reçurent de lui la permission de bâtir sur le mont Garizim une réplique du Temple de Jérusalem. Cet acte fut considéré par les Juifs comme une violation de la Torah. Le conflit et la violence entre les deux peuples dépassèrent les frontières de la Palestine pour s’étendre à la Diaspora. Lorsque sous Antiochus Épiphane les Juifs furent soumis à une grande oppression, les Samaritains lui déclarèrent qu’ils n’avaient point de lien avec ceux-ci; ils prétendirent être les descendants directs des colonisés de la Perse. En outre, ils demandèrent que leur temple, dressé sur le mont Garizim, soit dédié au dieu Zeus-Hellenios, ce qui, aux yeux des Juifs, devenait un autre acte répugnant. Pendant le conflit de ces derniers avec Antiochus, un certain Apollonius, gouverneur de la Samarie, dirigea ses armées contre l’armée maccabéenne. Plus tard, durant ce même siècle, Hyrcan prit la revanche, fit campagne contre la Samarie, l’assiégea pendant une année entière et finit par la raser au sol.
Pompée arrachera la Samarie des mains des Juifs, reconstruira la ville et fera d’elle une nouvelle province. Comme si ce n’était pas suffisamment insultant pour les Juifs, les Samaritains deviendront également partisans d’Hérode, qui est farouchement opposé aux Juifs, à cause de ses origines iduméennes. Lorsque Hérode assiégea Jérusalem en l’an 37, les Samaritains l’ont soutenu activement. De semblables conflits persisteront jusqu’au premier siècle de notre ère et il y aura escalade de tensions interraciales. Cet arrière-plan historique nous aidera à comprendre la valeur de la parabole du bon Samaritain que Jésus a racontée (Lc 10.25-37). Cette parabole est une critique incisive de préjudices religio-raciaux profonds sévissant depuis plus de sept siècles.
9. Les prosélytes et les craignant Dieu←⤒🔗
Entre les Juifs et les païens, il existe une sorte de classe intermédiaire : ce sont des gens d’origine païenne plus ou moins rattachés au judaïsme.
Les prosélytes, d’un mot grec signifiant s’approcher, sont des païens qui se sont convertis à la foi juive et en acceptent les pratiques, notamment la circoncision. Ils ne sont pas considérés comme des Juifs à part entière, mais sont tenus d’observer l’ensemble de la loi. Ils sont assez nombreux dans la Diaspora et certains rabbins, d’après Matthieu, semblent déployer beaucoup de zèle pour faire des conversions (Mt 23.15); un des sept diacres à Jérusalem était prosélyte (Ac 6.5).
Les craignant Dieu sont aussi des païens attirés par la religion juive, mais ils en refusent certaines pratiques, notamment la circoncision. Légalement, ils restent des païens (Ac 10.1-2)1.
10. Les apocalyptistes←⤒🔗
Les apocalyptistes ne constituent pas à proprement parler un parti bien établi, mais plusieurs Juifs de la période entre 200 à 100 sont persuadés d’une eschatologie apocalyptique imminente. Voici comment on en caractérise les traits saillants de leurs convictions :
L’espoir futur de la prophétie de l’Ancien Testament devient strictement « eschatologie ». La nouvelle eschatologie est dualiste, elle s’exprime dans une doctrine de deux âges, qui comporte une vue transcendantale du Royaume à venir. L’ordre nouveau revêt la forme d’un commencement nouveau, affranchi de toute corruption. La transformation sera cataclysmique, non évolutive. Elle sera amenée par une puissance surnaturelle et ne sera pas l’œuvre des forces humaines. Elle prendra la forme d’un drame cosmique dans lequel les forces démoniaques et divines seront engagées. Cette transformation sera en rapport avec la destinée éternelle et elle comportera la résurrection et le jugement. La fin de toutes choses sera l’œuvre de Dieu et couronnera son dessein concernant l’univers tout entier.
D’après une certaine opinion, l’eschatologie apocalyptique serait apparente dans une forme embryonnaire dans certains écrits primitifs de la littérature biblique; d’autres estiment que la nouvelle eschatologie n’a pas vraiment atteint sa forme complète avant la période qui voit la naissance de la plupart des écrits apocalyptiques, à savoir entre 200 et 100 avant J.-C. Vers l’an 200, Israël se trouve dans le pays promis déjà depuis près de 350 ans et il n’a pas encore atteint la grandeur promise par les prophètes de jadis. Peut-être Israël n’était-il pas devenu totalement une nation sainte comme l’exigeait la loi; néanmoins, ils s’étaient détachés de l’idolâtrie de jadis et on peut affirmer avec certitude qu’ils étaient moralement supérieurs à leurs voisins. Pourtant, le royaume promis n’était pas venu. Israël semble devenu un simple pion entre les mains des puissances étrangères en conflit.
Ainsi, pour les apocalyptistes, la situation d’Israël semblait mortelle. C’était une période déprimante pour les espoirs non accomplis des rêves eschatologiques et l’absence d’un porte-parole véritablement prophétique. En outre, la persécution fut le fléau pour ceux qui restaient fidèles à la Torah et à la religion traditionnelle, tandis que la prospérité florissait pour ceux qui se laissaient helléniser. Cette crise a forcé les apocalyptistes à chercher des solutions créatrices, ce qui produisit l’eschatologie apocalyptique. Elle présentera une nouvelle interprétation de l’histoire et de la destinée humaine avec de nouvelles accentuations et une intuition toute nouvelle.
Note
1. Voir La Palestine au temps de Jésus, cahier no 27, page 27.