Cet article a pour sujet le milieu religieux païen du Nouveau Testament, le sacrifice grec, les religions à mystère, la philosophie cynique, le stoïcisme, le gnosticisme.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 6 pages.

Le cadre religieux païen du Nouveau Testament

  1. Le sacrifice grec
  2. Les religions à mystères
  3. La philosophie cynique
  4. Le stoïcisme
  5. Le gnosticisme
« Le paganisme, avec ses cultes nationaux traditionnels, était bien vivant dans le monde gréco-romain du premier siècle de notre ère. S’il avait vieilli, des empereurs comme Auguste veillaient à sa restauration. On construisait des temples dont certains étaient fort beaux.
Les panthéons grec et romain s’harmonisaient. On établissait des valences. Le culte qui tendait à s’unifier dans l’empire devenait le signe du loyalisme envers les maîtres de l’empire.
À côté des grands officiels, le peuple conservait des cultes secondaires, des dieux locaux, ses dieux familiaux, ses pénates, les lares, les divinités des eaux, des forêts… Ces cultes serviront d’infrastructures au culte des saints, aux relations avec les morts, dans la chrétienté comme dans le maraboutisme musulman.1 »

Bien que l’expression religieuse gréco-romaine ait revêtu une grande variété de formes, on peut néanmoins faire quelques généralisations. D’abord, la religion gréco-romaine est inclusive, c’est-à-dire que la divinité de n’importe quelle nation peut habiter le Panthéon. Ensuite, un syncrétisme largement répandu s’est mis à mélanger les divinités et à catalyser la tendance vers le monothéisme. Troisièmement, le pouvoir de la fatalité est souligné, il trouve sa justification dans la philosophie stoïcienne et est même adoré comme divinité. Cette croyance en la fatalité s’associe souvent à des étoiles, de sorte que l’astrologie reçut une bien plus grande attention encore. Quatrièmement, la magie est le moyen de gérer le monde. La superstition, la sorcellerie, des amulettes, des formules de guérison, la divination prolifèrent. Cinquièmement, la religion n’est pas une entreprise privée, elle a au contraire une nature corporative et un côté social très développé. La piété n’est nullement individualiste. La famille, la religion, la moralité sont toutes étroitement associées. Les règles de la pureté rituelle sont normalement cérémonielles et non purement éthiques.

1. Le sacrifice grec🔗

Au cœur du message du Nouveau Testament se trouve l’affirmation selon laquelle la mort de l’un était offerte comme sacrifice expiatoire. Ce message, le monde gréco-romain pouvait parfaitement le comprendre, car on se servait des sacrifices dans les cultes et la théologie du sacrifice humain était une connaissance commune, quoique l’on doit distinguer entre les cultes olympien et chthonien. Le but de ce dernier est d’apaiser des esprits mauvais qui causent des maladies, le vieillissement, la mort, aussi bien que d’ôter la pollution et les puissances inférieures. Ces puissances maléfiques ne sont pas des hôtes bienvenus à des rituels religieux. Les rites en question sont nocturnes et exécutés avec un esprit terrorisé, en contrastant avec les sacrifices diurnes des festivités des Olympiens. Le culte des chthoniens est considéré comme l’aspect le plus primitif de la religion grecque. Les festivals sacrificiels sont les moyens traditionnels qui servent à surmonter toutes sortes de crises sociales. D’extraordinaires situations d’urgence, de famine et de maladies produisent des sacrifices humains répétés.

Dans plusieurs des tragédies de l’auteur grec Euripide, le sacrifice humain expiatoire tient un rôle essentiel. En effet, le sacrifice volontaire devient presque une routine dans l’œuvre de cet auteur classique. D’autres, tels qu’Eschyle ou Sophocle, vibrent aussi du même thème. Un dernier exemple nous vient de Lucain, neveu de Sénèque et contemporain de saint Paul. Dans ses Pharsalia, il dépeint la mort de Caton comme un sacrifice expiatoire. Au sommet de son œuvre, Caro dit :

« Puissent les dieux stricts des Romains recevoir une expiation totale, puissent les deux armées me percer d’un côté à l’autre, mon sang rachètera le peuple, ma mort achèvera l’expiation pour tout ce que les Romains ont mérité par leur déclin moral. »

Ces mots nous aident à comprendre pourquoi les écrits chrétiens les plus primitifs pouvaient être compris par des Grecs et des Romains.

2. Les religions à mystères🔗

La religion païenne était particulièrement vivace dans les provinces romaines de l’Orient, en Cappadoce, en Syrie et en Égypte. Venant d’Alexandrie, les cultes d’Isis et de Sérapis sont répandus dans le monde gréco-romain par les marins et les commerçants, pendant les deux derniers siècles précédant notre ère. Venus de Syrie, ce sont les cultes d’Atargatis (Astarté, Aphrodite) et d’Adonis qui sont répandus par le soin des marins et des commerçants phéniciens. De la Phrygie viennent les cultes d’Attis et de Cybèle, adoptés officiellement par Rome dès 204 avant notre ère. De plus loin encore vient le culte de Mithra, le dieu iranien.

Les « mystères » sont des rites d’initiation. Les cultes à mystères, orientaux et helléniques, s’influencent mutuellement. Citons les cultes de Demeter (Éleusis), de Dionysos, de Cybèle, d’Isis… Ces trois derniers ne sont pas localisés, ils ont un caractère œcuménique, universel. Ces initiations n’ont aucun caractère moral. Elles contribuèrent cependant à approfondir le sentiment religieux en éveillant le sens de l’au-delà, l’espérance en une vie au-delà de la mort, le désir d’une union avec Dieu, l’idée de « dieux sauveurs ».

Il y avait chez certains païens une recherche de Dieu singulièrement raffinée. Le platonisme, puis le néo-platonisme de Plotin, par des voies autres que celle du gnosticisme ou de la gnose, tentent de s’approcher de Dieu. Ces tendances devaient trouver leur place dans la synthèse mystique qui s’opéra notamment par l’intermédiaire du Pseudo-Denys l’Aréopagite (5siècle).

Il y eut chez les meilleurs des philosophes païens des essais de réflexion sur l’existence, sur les principes de la sagesse qui devaient la gouverner. Au-dessus de la mentalité populaire s’élaborait une culture acceptée par une élite. Non seulement on proposait un art de vivre, mais encore un art de penser. Cette culture morale et intellectuelle ne fut pas ignorée de la jeune Église. Les rhéteurs et les philosophes convertis l’importèrent dans l’Église. Le stoïcisme et le platonisme trouvèrent une place dans la synthèse dont des éléments positifs pouvaient être empruntés par le christianisme primitif, et ils le furent. Lorsque le monde sortit de l’Église, à partir du 16siècle, il emporta ce qu’il avait apporté autrefois, prenant l’aspect d’un monde christianisé, assez différent de celui mondanisant qu’il reniait.

Il est plus difficile de décrire l’apport du peuple, mais il fut réel. Le niveau moral était bas. On peut s’en faire une idée par les textes de Paul décrivant les mœurs païennes et ce qui en restait chez les chrétiens issus du paganisme. Sur le plan religieux, la crédulité et les superstitions dominent. Malgré les édits impériaux, l’astrologie reste florissante ainsi que la magie et la divination. C’est par le peuple que pénètrent dans le christianisme les formes religieuses inférieures : culte des morts et relations avec les morts, superstitions, magie des sacrements et des sacramentaux avec le magicien qui est le prêtre.

Avec le déclin régulier de la religion institutionnelle et traditionnelle, la participation dans les cultes dits de mystère s’accrut considérablement. Ce culte peut se définir comme un rite secret par lequel des particuliers choisissent des initiés, entrent dans une relation spéciale avec le dieu et sont assurés d’en obtenir des bénéfices. Par exemple, Dionysos est le dieu qui meurt et ressuscite et assure la fertilité de la terre et la fermentation du vin. Le nectar ambroisien que l’on consomme chez ses adorateurs, lorsqu’il est lié à des rites orgiaques, laisse l’adorateur dans le sentiment d’une communion avec le pouvoir et le mystère du Dionysos. Dans un cadre agricole, les religions à mystères célèbrent la mort et la résurrection de dieu au moment des semailles et de la moisson. Dans le cadre urbain, les mystères délivrent, affranchissent l’adorateur de l’existence banale; cependant, l’identification avec la mort et la résurrection rend le célébrant capable de partager le mystère de la vie et de se mêler à l’ordre cosmique.

3. La philosophie cynique🔗

Le cynisme est un autre développement important de la pensée grecque de cette même période. L’un de ses principaux porte-parole, Diogène Laërte ou Laerce, attribue à Antisthènes, précurseur des cyniques, l’intuition révolutionnaire selon laquelle la souffrance possède des vertus et des mérites. Diogène a accepté, développé, exposé et popularisé l’enseignement de son prédécesseur. Son objectif principal dans la vie consiste à mépriser la richesse, la célébrité, le plaisir, la vie, et à faire valoir la supériorité de leurs opposés : la pauvreté, la mauvaise réputation, la dureté des mœurs et la mort.

Quatre éléments fondamentaux forment la compréhension cynique de la nature de l’univers : une vision du monde pessimiste; le sage fait partie d’une minorité méprisée; la tendance au masochisme; la souffrance fait partie de la nature, aussi est-elle utile.

Indéniablement, les philosophes cyniques ambulants ont coloré la façon dont des contemporains de la période néotestamentaire considéraient les chrétiens. Mais il serait absurde de trouver, ainsi que l’on a essayé de faire, des traces de cynisme dans certains écrits de Paul, notamment ceux qui traitent de ses peines et de ses labeurs, ou encore dans certaines attitudes de Jésus (Mt 6.19-34; Mc 6.8; Lc 9.5).

4. Le stoïcisme🔗

On peut rapprocher les cyniques des stoïques. Cependant, ces derniers adoptent une attitude plus philosophique et une explication du monde que n’ont fait les cyniques. Ils ont pensé de manière plus systématique. Le stoïcisme semble avoir trois préoccupations majeures : la physique, la logique, l’éthique. Selon la physique, l’univers est l’incarnation d’une force immatérielle, partiellement active et partiellement passive. La portion active s’appelle âme. Le logos divin contrôle le cosmos et pénètre l’ensemble de la création. On pense généralement que ce logos divin est l’âme de l’univers et l’âme individuelle humaine est considérée comme l’émanation du logos; par conséquent, elle aussi est divine. Les stoïques pensent que Dieu détermine le monde et tous les événements. La providence constitue sa rationalité, le processus historique ayant un objectif précis. Elle permet le maintien et le bon ordre du monde et est bénéfique à l’humanité. La douleur, la souffrance et le mal opèrent de manière juste et avec un dessein déterminé. Comme les cyniques, ils tiennent la douleur pour un facteur positif.

Bien que tout à fait étranger à l’esprit fondamental de l’Ancien Testament (lequel affirme un principe rétributif, le bien est récompensé, le mal est puni), la notion selon laquelle la souffrance serait quelque peu bénéfique est assez familière au Nouveau Testament (Rm 5.3-5; Hé 12.4-13; Jc 1.2-4).

Certains estiment que Paul dut subir l’influence stoïque, ce qui apparaîtrait dans sa manière de faire de la diatribe, de la polémique, en se représentant un opposant imaginaire. En outre, des termes communs aux deux se retrouvent dans le Nouveau Testament tels qu’autosuffisance, esprit, conscience, logos, vertu, etc. Finalement, l’ensemble des codes (Ép 5.21 à 6.9; Col 3.13 à 4.1; 1 Pi 2.13 à 3.7), tant dans leurs formes que dans leur contenu, laisserait entrevoir une certaine influence stoïque.

5. Le gnosticisme🔗

Au salut par les initiations s’ajoutait ou s’opposait l’idée d’un salut par la connaissance (gnose). L’orphisme et le néo-pythagorisme, par leurs spéculations, touchaient à la philosophie et ouvraient les voies au gnosticisme. La gnose se trouve dans les écrits hermétiques. Dans ces écrits, des éléments grecs et égyptiens sont amalgamés et présentés sous le nom d’Hermès Trismeiste (identifié au dieu Thot). Le gnosticisme a revêtu des aspects juifs que l’on retrouve chez les esséniens et chez Philon d’Alexandrie, auteur juif non orthodoxe du premier siècle de notre ère. Au cours du 2siècle de notre ère, le gnosticisme cherchera à pénétrer le christianisme.

Chaque docteur gnostique a façonné le matériel avec un sens d’individualité, de sorte que le gnosticisme est devenu plutôt un terme général couvrant une catégorie confuse de constructions individuelles. Si nous gardons cela à l’esprit, il est possible de faire un schéma des traits généraux de ce courant de pensée mythico-religieux. La majorité de ceux-ci croient que la matière est mauvaise en soi, l’esprit quant à lui est bon. L’essence du gnosticisme réside en un dualisme qui sépare le monde d’au-dessus de celui d’en dessous, la vérité du mensonge, la connaissance de l’ignorance, la lumière des ténèbres, l’esprit de la matière. Mais ce sont là des séparations et une opposition qui relèvent de l’ordre de l’être, de la métaphysique, et non comme c’est le cas dans la révélation biblique, de l’ordre de la morale. Selon l’anthropologie gnostique, les humains sont des ignorants et des aveugles, destinés à s’aventurer sans objectif dans l’obscurité de l’ignorance. Cependant, certains d’entre eux possèdent une étincelle de la divinité. Un rédempteur a été envoyé de la part de Dieu qui est intervenu et a illuminé les égarés; il a révélé la voie pour échapper au monde matériel. Une fois éclairés et en possession du savoir spécial (« gnosis » en grec), les gnostiques reconnaissent leur citoyenneté céleste, leur origine, leur destinée.

Certains des thèmes courants du gnosticisme comprennent : l’existence d’esprits intermédiaires, émanation du premier principe; des classes d’êtres humains qui déterminent leur destinée; un accent sur l’expérience spirituelle; la liberté par rapport à la loi morale, qui conduit soit à l’ascèse soit au libertinage et à l’anomie totale; un désir de connaître les secrets de l’univers; un sens d’aliénation par rapport au monde et une préoccupation avec le problème du mal.

Certains des faux enseignements critiqués par le Nouveau Testament visent des éléments stoïques. Certains des thèmes des lettres aux Corinthiens, tels que la sagesse, la connaissance, la liberté, l’expérience spirituelle, etc., résonnent étrangement semblables à des idées gnostiques. Les dualismes de l’Évangile selon Jean (vie-mort, vérité-mensonge, lumière-ténèbres) ressemblent à celles qui sont familières à l’école gnostique. La lettre aux Colossiens combat une hérésie qui tend vers la spéculation cosmique. Les lettres pastorales (Timothée et Tite) attaquent un faux enseignement relatif à la pratique de l’ascèse, la spéculation sur les éons, une prétention exclusive à un savoir supérieur et une tendance vers un comportement libertin. Ces contours possèdent une certaine ressemblance avec les thèmes des lettres aux Corinthiens.

Nous avons décrit, bien que de manière insuffisante, l’arrière-plan religieux du Nouveau Testament, mais celui-ci nous permettra de saisir le cadre dans lequel le Nouveau Testament a été rédigé et les divers milieux dans lesquels les premières communautés chrétiennes ont vécu et témoigné. Nous avons signalé les principaux mouvements, il en existe d’autres que nous n’avons pas jugé utile d’inclure dans le présent chapitre. Ceux qui désirent approfondir leurs connaissances feront bien de consulter des ouvrages spécialisés soit d’exégèse soit d’histoire contemporaine du Nouveau Testament.

Note

1. Gabriel Millon, cours professé à la Faculté de théologie évangélique, Aix-en-Provence.