Christologie (15) - Le Christ est vraiment Dieu
Christologie (15) - Le Christ est vraiment Dieu
1. Le Catéchisme de Heidelberg⤒🔗
Dans sa question 33 (jour du Seigneur 13), le Catéchisme de Heidelberg, l’un des documents symboliques réformés les plus universellement reconnus pour sa valeur théologique aussi bien que pour son esprit pastoral et sa méthode catéchétique (ce qui fait de lui l’un des meilleurs livres de la piété réformée), demande :
« Pourquoi le Christ est-il appelé Fils unique de Dieu, alors que nous sommes, nous aussi, enfants de Dieu? — C’est parce que, seul, le Christ est le Fils éternel de Dieu, par nature, alors que nous, nous ne sommes enfants de Dieu qu’à cause de lui, par grâce et par adoption. »
Question 34 : « Pourquoi l’appelles-tu notre Seigneur? — Parce qu’il nous a délivrés et rachetés, corps et âme, du péché et de toute tyrannie du diable, non pas avec de l’or ou de l’argent, mais avec son sang précieux, et ce afin que nous lui appartenions. »
Confesser la divinité du Christ et ses deux natures n’est donc pas, pour la théologie réformée, une doctrine théorique abstraite, mais une confession de foi sotériologique, c’est-à-dire qui concerne notre salut, vibrante de reconnaissance. Le Christ est notre Dieu et notre Seigneur. Cette foi et cette connaissance ont trait à notre propre salut.
Ni scolastique ni abstraction théologique, cette confession se meut au cœur même de la foi chrétienne biblique, celle que la Réforme a redécouverte et dont elle a fait le pilier central de sa théologie dogmatique. La théologie réformée n’est, ni plus ni moins, que la reprise de l’enseignement biblique et son exposition fidèle. Cet article sera limité à l’examen des données bibliques sur la nature divine de Jésus. Jésus n’est autre que le Christ, le Fils éternel de Dieu par nature. Nous ne traiterons pas de la filiation de la seconde personne de la Trinité ou de sa génération éternelle, mais parlerons plus spécialement de Jésus-Christ en tant que vrai Dieu. Le Catéchisme de Heidelberg, que nous avons choisi pour mieux expliquer les positions réformées, ne fait que suivre le modèle du Symbole des apôtres, « et en Jésus-Christ son Fils unique notre Seigneur ».
Pour les auteurs du Catéchisme et pour toute la théologie réformée, Jésus-Christ est Dieu. Ce « Fils de l’homme », le Jésus de l’histoire, l’enfant de Bethléem, qui a vécu et grandi dans la famille de Joseph et de Marie de Nazareth, tel un enfant ordinaire, qui a vécu parmi les hommes, enseigné et accompli des œuvres puissantes, miraculeuses, durant plus de trois ans de ministère public, qui a finalement été mis à mort sur une croix, est aussi celui qui, le troisième jour, est ressuscité des morts, est monté au ciel et a été investi d’une autorité suprême, cosmique. Ce Jésus-là est Dieu, non pas né, mais éternellement engendré, Dieu de Dieu, lumière de lumière.
Toutes les confessions de foi ont exprimé clairement et avec conviction la vérité sur la divinité de Jésus-Christ. La confession était à la fois louange et reconnaissance aussi bien qu’outil polémique contre les hérésies. Elle rassemblait autour d’un même drapeau (le symbole, la mise en commun) les chrétiens orthodoxes, c’est-à-dire adhérant à la foi universelle (catholique au sens originel du terme). Ce que la Réforme a enseigné à la suite de l’Église universelle est puisé dans l’Écriture, le Livre saint essentiel et unique de Dieu le Père.
Le Catéchisme de Heidelberg s’occupe, avec précision, de la divinité distincte de notre Seigneur. Il attire l’attention sur le Fils unique. Quel est le sens du terme, puisque les anges aussi (et parfois l’homme) peuvent être appelés fils de Dieu? S’il existe plusieurs enfants, pour quelle raison le Christ serait-il l’unique?
Le Catéchisme fait la distinction entre le Christ, Fils unique, et la filiation par adoption des fidèles. Si les fidèles sont des enfants de Dieu, le Christ, lui, l’est à titre spécial et unique. Sa filiation n’appartient pas au temps, mais elle vient depuis l’éternité. La nôtre commence au moment où nous avons été adoptés, au cours de l’histoire. La filiation du Christ est naturelle. Il est le Fils par son essence même, par nature, tandis que nous le devenons par grâce. Cette distinction essentielle établie par le Catéchisme vise au moins deux objectifs : d’abord, elle s’oppose fermement à toutes les hérésies qui ont surgi et qui ne cesseront de surgir, niant la divinité du Christ. L’Église a instruit clairement ses membres de cette doctrine, afin qu’ils « ne soient pas emportés à tout vent de doctrine », mais qu’ils demeurent fermes dans la foi enseignée et reçue une fois pour toutes.
Ceci ne serait pas une affaire aussi sérieuse si ceux qui nient cette vérité fondamentale proclamaient en langage clair et sans ambiguïté que le Christ n’est pas le Fils de Dieu. Ce n’est pas le cas, ou pas toujours. Celui qui distille le poison dans l’Église et le déverse dans l’esprit et le cœur des disciples pour démolir leur foi ne le fera pas ouvertement. L’hérésie est rarement reconnaissable à première vue, car si c’était le cas, les croyants pourraient se prémunir contre elle. Elle se dissimule sournoisement, afin d’agir avec plus d’efficacité. Tel est notamment le cas de toutes les hérésies christologiques. Ainsi, Arius, au 4e siècle, ne niait pas ouvertement la divinité du Fils. Il ajoutait ou précisait que « Fils de Dieu » n’était qu’un titre applicable au Christ à la suite de la résurrection et qui le désignait comme l’homme vainqueur. Le Christ n’était donc pas essentiellement et éternellement Fils de Dieu, mais Dieu lui aurait conféré l’honneur exceptionnel de l’appeler Fils unique. D’autres ont ajouté que la divinité de Dieu, qui influence tous les hommes, a été plus forte et plus précise dans la vie de Jésus. Mais cela n’a pas fait du Christ la seconde personne de la Trinité. Le Christ était tellement parfait et si parfaitement humain qu’on pouvait le considérer comme divin… Mais le fait est que le Christ était tout à fait conscient de sa filiation divine, et c’est pourquoi le Catéchisme prend un si grand soin d’en instruire le fidèle.
Cette vérité fondamentale fonde ou ruine le salut, selon qu’elle est crue ou niée. Si le Christ n’est pas vrai Dieu, il n’est pas Emmanuel, Dieu avec nous, il n’y a pas d’incarnation, donc pas d’union entre Dieu et l’homme, pas de séjour de Dieu parmi nous ni même de réconciliation, donc point d’Alliance de grâce. Le Père n’est pas absolument révélé. Si le Crucifié du Calvaire n’est qu’un simple homme mortel, il n’y a pas eu de sacrifice parfait ni d’expiation des offenses. Si le Christ n’est pas Dieu, sa résurrection n’est qu’un mythe. Or, nous croyons en sa résurrection parce qu’auparavant nous avons reconnu sa divinité. N’inversons donc pas l’ordre : ce n’est pas à cause de la résurrection du Christ que nous concluons à sa divinité, mais c’est parce que nous le savons Fils de Dieu que nous admettons sa résurrection qui le déclare enfin, avec puissance, Fils de Dieu.
2. Le témoignage du Christ←⤒🔗
Mais laissons à présent le témoignage du Catéchisme et tournons-nous vers l’Écriture, et tout d’abord examinons le témoignage que le Christ en personne porte à sa propre divinité et qui est le plus important d’entre tous. Si l’Évangile annonce Jésus comme le Christ Messie promis à Israël, et si l’Ancien Testament parlant du Messie ne peut s’appliquer qu’à sa personne, le Christ, lui, ne laisse ni ses auditeurs ni les lecteurs modernes de l’Évangile dans une ambiguïté quelconque au sujet de sa nature divine. Selon le Nouveau Testament, non seulement il a la conviction de sa communion exceptionnelle avec Dieu, mais encore une conscience très particulière et très forte de sa divinité. Cette conscience s’était formée et développée depuis l’âge de douze ans tout au moins.
Ce sentiment reviendra ultérieurement et à maintes reprises pour devenir la note dominante de son enseignement. Il exprime son égalité absolue avec Dieu, le Père (Jn 5.23; 10.30; 12.44-45; 14.9).
Il est le véritable révélateur du Père (Mt 11.27). Son activité est coextensive à celle du Père (Jn 5.19); activité conjointe que nous apprenons par d’autres sources et qui s’étend jusqu’à la résurrection finale et au jugement dernier.
Le fait que Jésus se réclamait de nature divine et qu’il s’identifiait même avec le Père avait été parfaitement saisi par les Juifs eux-mêmes. À une occasion, ils prirent même des pierres pour le lapider. Et la charge principale contre Jésus, lors de l’accusation devant Pilate, était cette même identification avec Dieu réclamée par Jésus. Dans la parabole des mauvais vignerons, Jésus se présente précisément comme l’héritier, c’est-à-dire le dernier envoyé du Père, de Dieu… Et s’il est rejeté, voire tué, il devient la pierre d’angle (Mt 21.33-46). Pour un simple mortel, parler à d’autres hommes comme le faisait Jésus aurait été, en effet, un blasphème.
Il commence par exhorter ses disciples à avoir la foi en lui, qui n’est autre que le chemin, la vérité et la vie. Celui qui l’a vu a vu le Père. Le Père et lui sont un; il s’en va vers le Père, et toute prière adressée au Père en son nom sera exaucée; il promet l’envoi de l’Esprit, une autre personne divine qui le remplacera en tant que le Consolateur et Enseignant. Il rendra les apôtres infaillibles dans leur enseignement, leur accordant l’illumination spirituelle. Il se dit la véritable source de vie pour l’Église. Il est indispensable que les croyants s’unissent à lui, comme le sarment au cep. Ce ne sont pas eux, les disciples, qui l’ont choisi, mais lui qui a choisi les disciples. À cause de cette union étroite, le monde les haïra et les persécutera. Mais auparavant, le monde a haï le Père. Tout ce que le Père possède, Jésus le possède aussi. Dans sa prière d’intercession (Jn 17), il demande que le Père le glorifie de nouveau, afin que le Fils glorifie le Père. Il réclame pour lui l’autorité d’accorder la vie éternelle à ceux que le Père lui a donnés. Cette vie éternelle consiste à connaître Dieu, ainsi que lui-même, Jésus-Christ, afin qu’il soit glorifié de la même gloire dont il était revêtu avant la fondation du monde.
Durant le procès devant le sanhédrin juif, Jésus a publiquement et explicitement affirmé qu’il est le Christ, le Fils du Dieu vivant. C’est précisément la raison de sa condamnation à mort (voir la version de Matthieu et de Marc). Au moment où il charge ses disciples de l’ordre missionnaire, il déclare : « Toute autorité m’a été donnée » (Mt 28.18-20). Son nom se trouve entre les noms des deux autres personnes de la Trinité. Il donne l’ordre à ceux qui croient en lui d’être baptisés en son nom. Il promet sa présence constante, jusqu’à la fin du monde.
Le nom de Dieu pour les Juifs est Yéhova ou Yahvé. Nommer Yéhova et l’appeler, c’est signaler qu’on lui appartient. Lorsque Jésus donne l’ordre à ses disciples de nommer Dieu au moment du baptême, c’est parce qu’il permet que les convertis se placent sous son autorité. Ainsi, il met son nom à côté des deux autres noms de Dieu, le Père et le Saint-Esprit. Comme l’écrit B.B. Warfield, il nomme ici la Trinité et annonce sa personne comme étant l’une des trois personnes qui la forment.
Dans son enseignement, Jésus réclame pour lui la nature divine. Aucune lecture honnête des Évangiles ne peut aboutir à une autre conclusion. Mais c’est également sur la base de son ministère public qu’il la réclamera, sinon toujours explicitement par ses discours, du moins par ses actes puissants. Et finalement, nous verrons le témoignage que le reste du Nouveau Testament porte à sa nature divine.
Jésus s’attribue une autorité spéciale, ce qui apparaît surtout par le fait qu’il pardonne le péché (Mt 9.5; Mc 2.10; Lc 7.48; 23.43; Jn 8.11). Il se place au-dessus des anciens en disant : « mais moi je vous dis » (Mt 5.18); au-dessus de Jonas et de Salomon (Lc 11.31); au-dessus des prophètes (Mt 11.11); Jésus exigeait donc pour lui-même une autorité particulière (Mt 7.22-29; 8.13-22; 10.32-33; 11.6; 16.24; 25.31-32; Mc 8.38; 9.37; Lc 9.57-62; 10.16). L’attitude envers Jésus est décisive : le fait que la miséricorde de Dieu vienne aux hommes par la parole et par l’action de Jésus est la preuve qu’il est véritablement le Messie (Mt 3.15; 12.18; 17.17; Mc 2.17; 10.45; Lc 4.18; 19.10). Les miracles de Jésus sont les signes de la venue du Royaume de Dieu. Ils sont les signes de la messianité de Jésus (Mt 4.23; 9.35; 12.26-29; Lc 9.1-2). Les disciples aussi peuvent accomplir des miracles, mais ils sont tous dépendants de l’autorité qui leur est donnée par le Christ.
Selon le Nouveau Testament, le fait d’accomplir des miracles n’est pas en lui-même une preuve de l’action de Dieu. L’Antichrist fera aussi des miracles. Les miracles du Christ sont cependant des signes du Royaume de Dieu et de son action rédemptrice à travers son Fils. Ils le désignent comme le Messie. Jésus fait cela par obéissance à son Père (Jn 5.36; 10.25). Il veut que ceux qui ont vu ses miracles croient en lui comme le Messie, parce qu’ils prouvent que le temps messianique a commencé en lui (Mt 8.14-17; 11.2-5; Lc 7.20-22). Le Royaume vient en Christ qui proclame le temps du salut (Mc 1.38). Royaume et Jésus sont, dans certains cas, des termes interchangeables (Mt 16.28; Mc 9.1; Lc 9.27; Mt 19.29; Mc 10.29; Lc 18.29). Le Royaume de Dieu vient dans les paroles et dans les actes de Jésus (Mt 12.28; Mc 1.15; Lc 11.20; 17.20-21). Jésus n’est pas seulement un prophète du Royaume de Dieu, mais le Royaume lui-même vient en lui.
Ce qui vient d’être affirmé montre non seulement que le Christ est le Messie, mais aussi que Dieu lui-même vient dans le Messie. Comment pourrait-il pardonner le péché s’il n’était pas Dieu? D’où viendrait alors son autorité? Comment aurait-il pu faire venir la miséricorde et le Royaume de Dieu aux hommes, sans qu’il fût lui-même Dieu? Les miracles de Jésus sont pour les évangélistes des preuves de sa divinité, justement parce que ses miracles sont des signes du Royaume. L’idée de la présence de Dieu en Jésus domine aussi les Évangiles synoptiques. Si les paroles et les actes de Jésus sont tellement importants, s’ils valent tellement la peine d’être décrits, c’est parce que Dieu lui-même agit en Christ.
Matthieu nous montre que la naissance du Christ est l’accomplissement de la prophétie et de l’histoire de l’Ancien Testament (la généalogie) et que Dieu lui-même est présent lorsque Jésus est là. Nous trouvons les mêmes pensées au début de l’Évangile de Luc. Les deux premiers chapitres nous parlent du Christ comme du Sauveur (Lc 2.11), du Fils de Dieu (Lc 1.35), qui peut aussi être appelé Seigneur (Lc 1.76; 2.11). Les anges chantent à l’occasion de sa naissance « gloire à Dieu » (Lc 2.14). La fin de l’Évangile rappelle encore qu’il s’agissait de celui qui exerce toute la puissance dans le ciel et sur la terre (Mt 28.18) et à qui donc revient l’adoration des hommes (Mt 28.9,17). Ces textes, au début et à la fin de l’Évangile, expliquent pourquoi les évangélistes ont parlé de Jésus et dans quel esprit il faut lire ses paroles. Le titre de Christ nous montre aussi qu’il était le Messie, et donc « verus Deus » (vrai Dieu).
Parlons d’abord du titre « Fils de Dieu ». Le roi d’Israël pouvait aussi être appelé « fils de Dieu » selon le Psaume 2, par exemple. Ce texte nous dit cependant des choses qui nous prouvent que le Messie est dans la perspective de ce Psaume. Nous trouvons la même idée en ce qui concerne le « fils de David », qui sera aussi le « fils de Dieu », dont nous parle 2 Samuel 7. Le véritable Fils dont parle l’Ancien Testament, dont les rois sont le type, c’est Jésus lui-même. Les évangélistes tiennent à nous le faire comprendre (Mc 1.11, 8.29, 9.7; 14.61-62; 15.39). Les paroles et les actes de Jésus ont une importance extrême à cause du fait que Jésus est le Fils de Dieu. Le titre « Fils de Dieu », d’abord dans l’Ancien Testament et après dans le Nouveau Testament, a un sens messianique et théocratique. On peut donner ce titre aussi au roi dans l’Ancien Testament. Le titre a peut-être seulement ce sens lorsqu’il est donné à Jésus dans certains passages (par exemple Mt 8.29; 26.63; 27.40; Jn 1.49; 11.27). Mais le Nouveau Testament nous montre le fait que le Christ est le Fils messianique; qu’il est le Fils ontologique (par essence) de Dieu. Le titre « Fils de Dieu » peut avoir ce même sens aussi dans les Évangiles synoptiques.
Il est frappant de noter que Jésus ne parle jamais, selon les Évangiles synoptiques, de Dieu comme « notre Père » dans le sens d’un Père commun à lui-même et aux disciples : il parle toujours de « mon Père » et de « votre Père ». Tout cela fait supposer que le titre « Fils de Dieu » n’a pas seulement un sens messianique. Il y a d’autres passages synoptiques qui ne le disent pas explicitement, par exemple dans les textes du baptême et de la transfiguration. Le nom « Fils de Dieu » a clairement un sens ontologique dans les écrits de Jean. Jésus-Christ est le Fils éternel qui existait déjà avant son incarnation (Jn 3.16; 5.19-26; 8.58; 17.5). Paul appelle Jésus « le Fils » (1 Co 15.28). En dehors de lui, il n’y a pas d’autre Fils de Dieu. Il parle aussi du propre Fils de Dieu (Rm 8.3,32), du Fils de l’amour de Dieu (Col 1.13).
Il y a aussi d’autres titres donnés au Christ qui désignent sa divinité. Pensons, par exemple, au titre « Fils de l’homme » souvent employé dans les Évangiles synoptiques. Il a été emprunté à Daniel 7. Ce prophète parle de quelqu’un qui ressemble à « un fils de l’homme » et qui arrivera dans les nuées du ciel. Il vient d’en haut. Il n’est pas un homme, mais sa figure ressemble à celle d’un homme. Quand le Christ se nomme « le Fils de l’homme », il se réfère à ce passage. Le titre comme tel implique la notion de la préexistence, bien que l’on n’ait souvent pas compris pourquoi Jésus se nommait par ce titre. Jésus dit que le « Fils de l’homme vient du ciel » (Mt 24.30; 26.64; Mc 14.62). Il peut donc pardonner sur terre le péché (Mc 2.10).
Le Christ est aussi parfois appelé « Dieu ». Cela n’arrive pas seulement dans une période postérieure. Le Nouveau Testament montre qu’en Christ on avait déjà le sentiment d’avoir affaire avec Dieu. Une réflexion plus approfondie sur la relation entre Dieu et Christ manque encore dans cette désignation. C’est pourquoi elle semble avoir son origine dans la première période. Cette désignation est quelque peu dure. Cela peut aussi expliquer pourquoi on ne s’en sert pas souvent. Il y avait d’autres expressions ayant le même sens, mais moins tranchantes. Jésus est appelé Dieu dans un certain nombre de passages (Jn 20.28; Tt 2.13; Hé 1.8-9 et probablement aussi Rm 9.5; 2 Pi 1.1; 1 Jn 5.20, et d’une manière moins forte dans 2 Co 5.19 et Col 2.9). Christ est aussi appelé Dieu dans des passages qui ne contiennent cependant pas le terme (Hé 13.8; Ap 1.17; 22.13).
Le titre de « Seigneur » (« Kurios ») désigne Jésus comme le Dieu de l’Ancien Testament (voir par exemple Ph 2.11 et És 45.23; voir aussi Rm 1.4; 13.14; 14.6,9,11; 1 Co 5.4; 2 Co 4.5; Col 1.3; 2.6; Ap 22.20). Ce titre, qui occupe une place très centrale chez Paul, se trouve aussi chez Jean. Il place le Christ sur le même plan que Dieu (Jn 20.28). Le titre « Seigneur », dans cet Évangile, n’est pas employé comme un titre pouvant être aussi donné aux hommes portant le titre de Seigneur.
Signalons enfin le titre « la Parole ». Jésus est appelé la Parole, car il ne parle pas seulement comme les prophètes. Il est en personne la Parole de Dieu. Christ vient d’en haut comme la parole des prophètes venait d’en haut. « Celui qui m’a vu a vu le Père », dira-t-il (Jn 14.9). Jésus ne fait pas appel à une autorité derrière sa personne comme ont fait les prophètes. Christ en personne est la révélation de Dieu. C’est pourquoi on ne trouve pas de récit de sa vocation et de sa réception de la Parole divine. Il ne fait pas seulement entendre la Parole de Dieu, il la fait aussi voir; il est Dieu se révélant. Dans le monde, il révèle la Parole de Dieu, parce qu’il est en lui-même cette Parole; ce qui explique le prologue de l’Évangile de Jean. Il peut nous révéler Dieu, car Dieu est révélé essentiellement en sa personne.
Jean n’appelle pas seulement Jésus « la Parole » à cause de la différence entre la relation des prophètes à leur message et celle de Jésus; Jean nous fait comprendre qu’il pense aussi à Genèse 1.2, quand il appelle Jésus la Parole de Dieu en personne au début de son Évangile. L’évangéliste veut dire que Jésus est la Parole puissante par laquelle Dieu a créé le ciel et la terre. Dieu créa toutes choses par le Christ. Il est la Parole qui sauve et qui détruit, en qui Dieu s’exprime et exerce sa volonté et fait connaître ses pensées (voir Gn 1.1; Ps 33.6; Ps 107.20; És 55.10-11; Jr 23.28-29). Il est aussi possible que Jean emploie le titre « la Parole » lorsqu’il se réfère au Christ pour une raison polémique. Car il est remarquable qu’il appelle le Christ « la Parole », justement quand il pense à sa préexistence. Il ne le fait jamais à propos de sa vie terrestre, bien que l’on pourrait s’y attendre lorsqu’on pense que le Christ est nommé « la Parole » pour le distinguer des prophètes, qui parlaient seulement la Parole. Mais ce n’est pas au sujet de son œuvre de révélation que le Christ est appelé la Parole. C’est pourquoi on peut supposer que Jean tient compte de l’emploi païen du titre « logos » lorsqu’il applique ce titre au Christ. Ce titre était très couramment employé en ce temps-là. C’est pourquoi Jean n’a pas besoin d’expliquer ce qu’il veut dire quand il l’attribue à Jésus. Jean veut dire que Jésus de Nazareth est le Logos véritable. Le vrai Logos a été fait chair. Ainsi, il s’oppose complètement à ce qu’on avait l’habitude de dire et de penser du « logos » dans les cercles païens.
Outre les passages que nous avons déjà cités, on peut aussi se référer pour la préexistence du Christ à d’autres passages (Mc 12.35-37, où le Christ est à la fois le fils et le Seigneur de David; Lc 1.78; Jn 1.1; 17.5; Rm 8.3; 1 Co 4.4; Ga 4.4; Ph 2.6). On peut également faire appel à tous les passages des Évangiles, dans lesquels le Christ dit qu’il est venu ou qu’il a été envoyé. La divinité de Jésus est ainsi clairement exprimée dans Jean 6.44. Les Juifs considéraient Jésus comme un homme ordinaire. Alors, Jésus leur répond que ce n’est que celui qui a été attiré par le Père qui peut pénétrer le mystère de sa personnalité. Il est très important que le Christ dise que l’on doit croire au « ego eimi », « je suis » (Jn 8.58). Cela est expliqué comme une référence à Exode 3.14. Le Christ veut donc dire ici qu’il est Yahvé. Il dit qu’il est « un avec le Père » (Jn 10.30; 17.22). Les Juifs ont très bien compris ce que Jésus voulait dire (Jn 5.17-18; 10.31). Il a été crucifié comme blasphémateur (Mt 26.63). Enfin, nous rappelons ces passages de la Bible qui appellent Jésus le Créateur et le Seigneur de toutes choses (Jn 1.3; 1 Co 8.6; Ép 3.9; Col 1.16; Hé 1.3; Ap 3.14).
Nous avons déjà vu qu’il est un avec le Père; c’est pourquoi il peut tout à fait posséder la place du Père; en dehors de lui, il n’y a pas d’autre Dieu qui se révèle. Jésus peut être le Messie, parce qu’il est le Fils éternel de Dieu, parce qu’il est un avec le Père. Dieu a réconcilié en Christ le monde avec lui (2 Co 5.18-21). L’amour de Dieu vient à nous par Christ (Rm 8.35-39). L’œuvre de Christ est une œuvre divine. C’est pourquoi Christ a obtenu le salut pour nous tous (Mt 1.21; 18.11; Jn 1.14; 14.6; Ac 4.12; 1 Co 1.30). C’est pourquoi nous devons absolument lui obéir dans l’Église (Mt 3.2; 5.11; 10.32; Jn 18.37; 1 Co 11.3; Ép 1.22; Col 1.18; 2.10; Hé 2.8). Christ règne sur toutes choses (Mt 11.27; 28.18; Jn 3.35; 17.2; Ac 2.33; 1 Co 15.27; Ép 1.20-22; Ph 2.9-11; 2 Co 5.10). Il juge les vivants et les morts (Jn 5.27; Ac 10.42; 17.30-31; Rm 14.9-10). L’autorité divine lui appartient essentiellement, le distinguant des prophètes; l’œuvre réconciliante du Christ a une puissance divine.
En lui, Dieu vainc le Malin et libère pour toujours son peuple du diable. La signification dominante de la croix et de la résurrection du Christ se fonde sur sa divinité. Il n’est pas un génie religieux qui aurait découvert la vérité divine comme personne avant lui, mais Dieu en personne est venu en Christ pour sauver sa création. L’initiative de notre rédemption vient de son côté. C’est un don souverain. Celui qui nie la divinité de Jésus doit aussi nier cette souveraineté de la grâce, cet amour libre de Dieu; il doit avoir une autre conception de Dieu que celle de la Bible. Si on nie la divinité du Christ, l’idée de l’histoire elle-même doit aussi changer. Car alors Dieu ne vient plus réellement dans notre histoire; il n’y a plus une réelle histoire du salut qui détermine celle-là. Jésus n’est plus alors que le point culminant de l’histoire de la religiosité humaine. Et si Dieu n’intervient pas réellement dans l’histoire, on ne peut pas éviter une conception évolutionniste et humaniste de celle-ci.
L’œuvre du Christ suppose qu’il est vraiment Dieu, le Fils de Dieu au sens ontologique (par essence). Il ne faut pas comprendre les passages annonçant la position qu’il a reçue à sa résurrection (Ac 2.36, 5.31; Rm 1.3; 1 Co 15.45; 2 Co 3.17; Ph 2.9) comme s’ils affirmaient qu’avant sa résurrection, le Christ n’était pas le Fils de Dieu. Les Actes et Paul veulent seulement dire ici que Jésus se manifesta depuis sa résurrection comme « le Fils de Dieu avec puissance » (Rm 1.4). Paul enseigne que le Christ était déjà, avant son incarnation, le propre Fils de Dieu. L’auteur des Actes ne veut pas du tout dire que le Christ n’était Messie que depuis sa résurrection (voir Ac 10.38, où l’on peut lire que le Christ était oint par le Saint-Esprit pendant sa vie terrestre). Le Christ était, selon Luc, le Fils de Dieu dès le début de sa vie terrestre (Lc 2.49).
Cette confession de la divinité du Christ ne contredit pas le monothéisme. L’incarnation a un fondement trinitaire. L’idée de la divinité du Christ peut sans doute s’opposer à une conception du monothéisme forgée sans tenir compte de la révélation; ce n’est que la révélation qui nous fait connaître le seul vrai Dieu. Nous rencontrons en Christ le Fils de Dieu, qui est tellement un avec le Père que l’on peut dire que le Père se révèle en lui, se donne en lui, parle et agit en lui. Tout dépend pour nous du fait que le Christ est, même pendant son abandon à la croix, un seul Dieu avec le Père. Cet abandon montre cependant la distinction entre le Christ et le Père (Mc 15.34).
Les passages qui parlent de l’envoi du Christ par le Père font remarquer que ce que la Bible nous dit de la divinité du Christ n’élimine pas le Père. Le Christ est Dieu comme le Père. Nous n’avons pas été sauvés par un Dieu secondaire; la réalité de la révélation de Dieu en Christ suppose l’égalité de la divinité du Fils et celle du Père : Dieu se donne en Christ comme il est vraiment. La Bible parle de la soumission du Fils au Père, mais elle ne nous dit pas seulement que le Christ s’est soumis au Père, mais qu’il est aussi activement abaissé, « pour un peu de temps au-dessous des anges » (Hé 2.7); elle ne parle pas seulement du fait qu’il a été envoyé, mais aussi du fait qu’il est venu; « il s’est humilié lui-même » (Ph 2.8). « Pour vous il s’est fait pauvre » (2 Co 8.9). Les Évangiles synoptiques soulignent à plusieurs reprises le caractère volontaire de la souffrance du Christ (par exemple Mt 26.39-46). Il est mort volontairement, comme nous le dit Luc 23.46. On ne doit pas citer Jean 14.28 comme une preuve d’une inégalité essentielle entre le Fils et le Père, une inégalité qui enlèverait la base à tout l’Évangile. Le Fils n’est pas soumis au Père essentiellement, mais à cause de son humiliation volontaire, parce qu’il s’est constitué Médiateur; il se soumet tout en étant égal au Père. « Il a appris l’obéissance, bien qu’il fut le Fils » (Hé 5.8).
Certains s’imaginent que les Évangiles synoptiques contiennent des passages rappelant une période pendant laquelle le Christ n’aurait pas encore été considéré comme le Fils de Dieu dans le sens ontologique. Ils citent par exemple Marc 10.18 qui montrerait, d’après eux, que Jésus s’est considéré comme un homme semblable aux autres hommes. Or, nous remarquons que la suite de ce verset prouve que ce passage de l’Évangile ne considère pas le Christ comme un homme semblable aux autres hommes. Car nous y lisons que Jésus demande avec autorité, au jeune homme riche, d’abandonner tout ce qu’il a et de le suivre. La péricope suivante nous donne la troisième annonce de la mort du Christ, et tout l’Évangile montre d’ailleurs que l’évangéliste ne peut pas avoir voulu nier que Jésus pouvait être appelé « bon ».
Il y a différentes interprétations de ce passage. Il semble que ce jeune homme considérait Jésus comme un rabbi humain, et que celui-ci voulut lui faire comprendre qu’il ne devait pas se baser sur une autorité humaine comme celle des scribes, mais qu’il fallait fonder sa conduite sur ce que Dieu dit. Le texte de Matthieu est un argument en faveur de cette interprétation (Mt 19.17). Le jeune homme ne doit pas chercher de nouveaux commandements de la part d’un homme, mais prendre au sérieux le commandement de Dieu. Tel serait le sens des paroles de Jésus : « Il n’y a de bon que Dieu seul. » Ces mots veulent en tout cas avertir le jeune homme riche de ne pas parler trop facilement de bonté. La bonté est une qualité de Dieu, et on a affaire à Dieu dans les bonnes œuvres.
Il ne faut pas non plus déduire des passages nous rapportant que Jésus s’adressait à Dieu par la prière qu’ils le montrent comme un homme parmi les autres. Sa prière est naturellement une preuve de son humanité, mais elle ne prouve pas que Jésus n’était qu’un homme. Même dans ces passages, il s’agit toujours de la prière du Messie, de la vie de prière du Fils de Dieu. Les évangélistes ne nous parlent jamais d’une prière commune de Jésus et de ses disciples. Celui-ci cherche à comprendre par la prière quelle est la voie qu’il doit suivre pour accomplir son œuvre messianique.
Les passages qui parlent de la foi du Christ soulignent sans doute aussi son humanité, mais ils ne nient pas sa divinité, pas plus que ceux qui parlent de sa prière (Mt 27.43). Ce dernier passage fait allusion, en tout cas, à la foi en Jésus. Il veut nous dire que le Christ a fait son œuvre messianique en se confiant pleinement en Dieu (Hé 2.13; 1 Pi 2.21-23). Il ne s’agit pas de la foi d’un homme comme les autres, mais de la foi du Fils de Dieu dans sa vie humaine de lutte et d’épreuve.
On fait aussi appel à Matthieu 25.40; 28.10 et Marc 3.35 comme argument contre la divinité de Jésus. Ces passages nous racontent que le Christ a appelé les hommes ses frères. Mais il s’en distingue par le fait qu’il est le Fils de Dieu ontologique. Nous avons aussi dans ce cas une analogie dans l’épître aux Hébreux (Hé 2.11,17). Selon ces versets, Jésus établit une nouvelle communauté d’hommes qu’il considère comme des frères. Mais cette communauté a son fondement exclusivement dans la miséricorde du Fils de Dieu qui a voulu se donner aux hommes.
Parlons enfin de l’appel fait dans Marc 13.32, qui signale la connaissance humaine et limitée du Christ. Ce texte lui-même nous montre déjà que la relation de Jésus (le Fils) avec Dieu n’est pas la même que celle des autres hommes avec Dieu. Le Christ se pose comme le Fils, au-dessus même des anges.
Les passages cités, pris comme arguments par ceux qui nient la divinité du Christ, ne sont naturellement pas eux-mêmes des preuves de la divinité du Christ. Nous avons cependant montré qu’ils ne la contredisent pas et qu’ils parlent tous du Christ comme du Fils de Dieu, comme du Messie. Et parce que nous avons vu que, d’après l’Évangile, le Christ ne peut pas être le Messie sans être le Fils de Dieu ontologique, nous pouvons dire que ces passages, cités comme arguments contre la divinité de Jésus, supposent en réalité que le Christ est le Fils ontologique de Dieu.
3. Le témoignage de l’apôtre Paul←⤒🔗
Paul appelle-t-il Jésus Dieu? Selon C.H. Dodd, quoique l’apôtre Paul attribue au Christ des fonctions et une dignité qui impliquent clairement sa divinité, il éviterait de l’appeler Dieu de manière explicite. Dodd n’est pas le seul à avoir cette opinion. L’un des auteurs de l’ouvrage collectif The Myth of God Incarnate, Francis Young, partage le même avis. Un autre théologien du Nouveau Testament, C. Anderson, pense aussi qu’il serait absolument impensable pour quelqu’un qui affirme une foi monothéiste comme Paul de franchir un tel pas théologique. Curieusement, Bultmann était plus que réservé à cet égard, en tout cas lorsqu’il concédait que Jésus a pu être considéré comme Dieu (2 Th 1.12), quoique cette interprétation soit rejetée par nombre de théologiens.
Il est d’une très haute importance de voir clairement et avec précision le problème en question. Personne ne cherche à nier que d’autres auteurs du Nouveau Testament appellent Jésus Dieu. Dans Hébreux 1.8, par exemple, le langage du Psaume 45.7-8 s’applique sans réserve au Christ. La même identification apparaît dans 2 Pierre 1.1, dans le passage dont la traduction correcte est certainement : « par la justice de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ ». Ceci est encore plus clair dans Jean, qui place son Évangile tout entier dans le cadre des deux grandes affirmations explicites de la divinité de Jésus : le prologue tout d’abord, qui déclare que « la Parole était Dieu » (Jn 1.1), et la confession de Thomas, « mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20.28). La première de ces déclarations ne reflète pas seulement le point de vue personnel ou privé de Jean sur la dignité du Christ, mais également la profondeur de sa connaissance. En omettant l’article défini devant Dieu (« théos »), Jean ne réduit pas (à la manière des témoins de Jéhovah) sa déclaration à un niveau impossible : « la Parole était un dieu ». Il évite plutôt une forme de langage qui aurait pu signifier ou bien « la Parole était le Père », ou bien « la Parole était la divinité » (« théios »). Jean a pris soin d’affirmer la divinité du Fils sans porter préjudice à celle du Père, de manière négative en omettant l’article, et de manière positive en affirmant que « la Parole était avec Dieu ». Selon lui, la Parole n’était pas le Père, ni non plus la seule personne de la Trinité. La Parole était Dieu et avec Dieu.
Nous avons vu qu’il n’y a pas le moindre doute que, dans le Nouveau Testament, Jésus soit appelé Dieu. La question qui se pose est de savoir si Paul l’affirme. Nous aurons à examiner le problème avec soin.
Nous ne nous demanderons pas si Paul a cru, sans réserve, à la divinité du Christ, car cela n’est pas mis en question. Par exemple, le texte de Philippiens 2.6, d’après lequel le Christ existait « en forme de Dieu » (forme ou « morphè » signifie la somme totale de caractères ou de traits essentiels). Cette « forme » était donc ce qui constitue exactement une chose, son essence dirions-nous. Dire que le Christ « était en forme de Dieu » n’est rien de moins qu’affirmer qu’il était Dieu, qu’il possédait toutes les qualités essentielles de la divinité. Des théologiens radicaux, tels que John Knox de l’Union Seminary de New York, soutiennent que le terme « morphè » doit être traduit ici par « nature » plutôt que par « forme extérieure ».
Mais plus importante encore que le sens classique est la manière dont « morphè » est utilisée dans la version des Septante. Il convient de remarquer que « morphè » est synonyme de « doxa » (gloire, « kabod », en hébreu), puisque les deux termes sont employés pour traduire l’équivalent hébreu d’image. Dire que le Christ possède la forme de Dieu, « morphè », revient à soutenir qu’il possède la gloire de Dieu. L’apôtre Paul suit par conséquent Jean, lequel a écrit qu’ils ont contemplé la gloire du Fils unique (Jn 1.14). Jacques parle aussi du Christ comme de la gloire (Jc 2.1). Pour bien saisir toute l’importance de ceci, nous devons rappeler le statut de la gloire de Dieu. D’après l’Ancien Testament, elle est inséparable de Dieu en personne : « Je suis l’Éternel, c’est mon nom, et je ne donnerai à personne ma gloire » (És 42.8).
C’est dans ce sens sublime et incommunicable que le Christ est la gloire de Dieu. Mais nous n’oublierons pas qu’en Christ, la gloire de Dieu n’est pas seulement révélée, elle est aussi réinterprétée. Elle prend la forme de Serviteur (Ph 2.7) et devient synonyme de grâce et de vérité (Jn 1.14).
Même s’il était prouvé que Paul ne l’a jamais appelé Dieu, cela ne saurait affecter notre confiance en la divinité du Seigneur, car la doctrine est clairement affirmée de bien d’autres manières. Il serait néanmoins insensé d’amputer sans raison valable une partie du témoignage rendu à la gloire du Christ dans le Nouveau Testament. Il existe au moins trois passages dans les écrits pauliniens où la désignation « Dieu » s’applique à lui. Malheureusement, il y a quelques difficultés que nous devons traiter avec soin.
Actes 20.28 est typique à cet égard. On parle d’un certain doute quant à l’exacte signification de « l’Église de Dieu ». Plusieurs manuscrits rapportent « l’Église du Seigneur ». D’après la seule évidence textuelle, il est difficile de dire ce que l’apôtre a voulu dire. Selon Benjamin Warfield, les meilleurs manuscrits majuscules retiennent « de Dieu », et les meilleurs manuscrits minuscules retiennent « du Seigneur », mais la plupart des témoignages ont « du Seigneur » et « de Dieu » ensemble.
À notre avis, « de Dieu » est la meilleure façon de traduire, d’après deux des plus grands Codex, le Vaticanus et le Sinaiticus, de même que la version latine de la Vulgate. Cette thèse est confortée par le fait que le texte fait une nette allusion au Psaume 74.2 : « Ô Dieu, souviens-toi de ton assemblée, que tu as rachetée. » Ici donc, l’Église est considérée comme étant celle de Dieu. On peut ajouter aussi comme argument non négligeable qu’il était plus facile à un scribe de changer « Dieu » en « Seigneur » que l’inverse.
Non seulement la phrase « l’Église du Seigneur » serait tout à fait familière en tant que désignation vétérotestamentaire du peuple de Dieu, mais il y aurait aussi une certaine aversion pour le concept de sang de Dieu, qui implique une autre lecture. Les ariens, par exemple, l’auraient rejeté, eux qui niaient ouvertement la divinité du Christ, tout comme, parmi d’autres, les anti-patripassiens, qui craignaient qu’on ne soutînt que ce fut le Père qui souffrit; de même, des croyants ordinaires, orthodoxes, étaient offensés par le contraste aigu impliqué dans « le sang de Dieu ».
Il est parfaitement compréhensible qu’on ait voulu adoucir l’affirmation du paradoxe, en substituant « Seigneur » à « Dieu ». Certains théologiens ont aussi été en désaccord au sujet de la phrase « son propre sang », certains soutenant que c’est une mauvaise traduction et que la traduction correcte serait « le sang des siens ». Mais la traduction traditionnelle est grammaticalement semblable et, sans doute pour des raisons théologiques, elle parle du sang de Dieu. Cette phrase doit être certainement maintenue et acceptée à la lumière de la doctrine de la Trinité, comme d’autres faits rapportés dans le Nouveau Testament. Elle est aussi valable que le concept de Marie comme « théodokos » (mère de Dieu) qui a été sanctionné par le Concile de Chalcédoine. Le Christ était une personne divine et cette personne a été le sujet de toutes ses expériences et de toutes ses actions. Ce qu’il fit, Dieu l’a fait. Ce qu’il souffrit, Dieu l’a souffert. Son Église était l’Église de Dieu. Son corps était celui de Dieu. Une fois admis que c’est la personne incarnée qui est morte sur une croix, les objections à Actes 20 disparaissent et on voit ce texte tel que Paul l’a voulu : l’Église est celle de Dieu, elle fut rachetée par son sang.
Dans deux passages, Paul semble appeler Jésus clairement Dieu. Dans Romains 9.5, le problème est que nous ne savons pas comment il convient exactement de ponctuer ce passage. On pourrait lire la fin : « Dieu, qui est au-dessus de tous, soit béni éternellement ». Cette ponctuation distingue Jésus-Christ de Dieu, mais rien, dans le langage apostolique, ne nous contraint à abandonner la traduction traditionnelle.
Dans Tite 2.13, on pourrait lire : « L’apparition de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. » C’est le Christ, et non Dieu le Père, qui, par son futur avènement, accorde une espérance bénie. Le problème de fond n’est pas de savoir si Jésus est appelé Dieu (car il l’est), mais de savoir s’il en est ainsi de la part de Paul ou bien de la part d’un auteur anonyme qui aurait abusé de l’autorité apostolique. On ne peut pas traiter adéquatement cet aspect du problème dans cet exposé. Mais nous pensons qu’aucun des associés de Paul n’aurait établi une règle aussi importante et décisive pour la foi sur des bases malhonnêtes, tout en invoquant Dieu comme témoin de son intégrité (voir 2 Tm 4.1).
Pourquoi ces textes? Pourquoi Paul n’appelle-t-il pas Jésus plus fréquemment Dieu? Une raison partielle est que sans doute, dans la pensée apostolique, Dieu était le nom propre d’une autre personne divine : Dieu le Père. Dans des passages tels que Romains 8.3 et 29-32, Dieu est celui qui envoie le Fils et qui prédestine, appelle, justifie et glorifie son peuple. Occasionnellement, cette règle peut être rompue, et le titre peut s’appliquer au Fils. Mais de telles exceptions sont rares afin d’éviter la confusion entre ceux qui, aux yeux de Paul, étaient deux personnes distinctes. Le Christ était divin sans l’ombre d’un doute, mais il n’était pas Dieu le Père. Ce n’est pas le Père qui s’est incarné. En revanche, ce fut précisément et spécifiquement Dieu le Fils qui apparut pour notre salut.
Une autre partie de l’explication, plus importante encore, qui nous est donnée sur la discrétion de Paul est le fait que l’apôtre a le choix entre les noms « Dieu » et « Seigneur ». Le titre de Seigneur désignait parfaitement la gloire du Sauveur. Dans près de 130 passages, il parle de lui comme du Seigneur qui, à ses yeux, revêt une signification plus considérable. D’une part, il contrebalance le « César est seigneur » des païens. Il y a un autre Empereur que César, à qui les hommes doivent une allégeance totale, par qui sont établies même les puissances et les autorités, et à qui doivent obéissance tous les fidèles.
Sur un autre plan, la désignation « Dieu » aurait mis Jésus dans les rangs des divinités païennes. À l’époque, il y avait des dieux et des seigneurs un peu partout, et la compréhension du message paulinien aurait été quelque peu compromise au milieu des païens. Le « Seigneur » aurait été classé dans la catégorie d’êtres à qui on offrait simplement une vénération religieuse. Selon Paul, le Christ ne pouvait occuper cette sorte de place. Il n’y avait pas des dieux et des seigneurs, mais un seul Seigneur et un seul Dieu (1 Co 8.6).
La désignation du Christ comme Seigneur le mettait en rapport direct et intime avec le Dieu de l’Ancien Testament. Les Septante (LXX) avaient trouvé une solution, qui donnait l’équivalent de Yahvé par le terme « Kurios », ou Seigneur. Pour le monde grécophone du premier siècle, le Seigneur n’était autre que Yahvé. Ainsi, confesser Jésus comme Seigneur, c’était pratiquement lui rendre un hommage suprême, le tenir l’égal même de Dieu. Conscient de ce qu’il affirmait dans Philippiens 2.9, Paul parle du Christ comme ayant reçu le nom au-dessus de tout nom. Il n’y avait donc pas d’autre nom au-dessus du sien. Il ne restait qu’à fléchir les genoux devant lui et à confesser son nom divin, l’équivalent de Yahvé de l’Ancien Testament.