Christologie (2) - La signification du Christ pour nous
Christologie (2) - La signification du Christ pour nous
La foi en Jésus-Christ, Dieu et homme, dans le contexte culturel qui nous est proposé, ne dépend nullement de ce contexte. Cependant, des questions souvent aiguës surgissent au sein de la culture pluraliste qui est la nôtre, sans que cela soit toutefois caractéristique de notre époque.
La société contemporaine du Nouveau Testament n’était pas moins pluraliste que la nôtre. Dans les grands centres urbains de l’Empire romain foisonnaient, se croisant et se chevauchant, des idées philosophiques et des idéologies multiples. L’Évangile a dû se frayer un chemin à travers une Babel de religions, de langues et de cultures extrêmement vigoureuses et vivantes.
Au cours de vingt siècles d’existence, l’Église a dû se frayer un chemin de la même manière. Néanmoins, l’existence d’une société pluraliste fait actuellement l’objet d’une attention particulière. Jamais auparavant autant de représentants d’ethnies, de langues, de cultures, de mentalités et de mœurs ne se sont côtoyés à une échelle si vaste qu’à l’heure actuelle dans les grandes métropoles de l’Occident. Des barrières infranchissables ont été enfoncées par la fusion de toutes ces pluralités. À travers elles semble surgir une nouvelle civilisation ainsi qu’une culture globale à caractère totalitaire. Des valeurs spirituelles jadis confinées dans telle ou telle région semblent actuellement reconnues et admises. On appelle de tous ses vœux une « spiritualité collective » davantage philosophique et culturelle que « religieuse ». « Le 21e siècle sera religieux ou ne sera pas », mais quelle sera au juste sa religion?
Il est évident que les problèmes issus de l’interaction raciale et culturelle causent à nos dirigeants de lourds soucis. Ceux qui sont chargés de la fonction publique, les travailleurs sociaux, les éducateurs et les penseurs seront-ils en mesure de rechercher les bonnes solutions et de découvrir celles qui s’imposent pour la sauvegarde des droits de l’homme et pour libérer les opprimés qui peuplent tous les « goulags », anciens ou plus récents? Le pluralisme culturel et social moderne ne laisse pas les Églises indifférentes à notre époque. Ces Églises, qui jadis envoyèrent des missionnaires pour l’évangélisation des pays lointains, se trouvent actuellement confrontées sur leur propre sol aux multiples visages d’un paganisme tout proche et à la présence, ici et là, de missionnaires à rebours, venus paganiser l’Occident.
Pour un certain nombre de penseurs chrétiens, les religions non chrétiennes, dynamiques et actives à souhait, devraient servir de solution de rechange à une foi chrétienne défaillante et déclinant à vue d’œil : la disparition de toute distinction devrait être envisagée avec un soulagement bienfaisant. Il faut inaugurer enfin, clame-t-on, une ère d’œcuménisme total dans laquelle la symbiose, voire la synthèse entre les premières et la seconde serait envisagée comme la plus heureuse et la plus urgente des solutions sur le plan religieux. Ces spiritualités et leurs prophètes, depuis les maîtres hindous jusqu’aux tenants des religions dites « monothéistes » du Proche-Orient, sont en définitive, surtout de la part de ceux qui prônent le renouveau de la tradition judaïque monothéiste (pourtant sans Dieu), des attaques en règle contre le Christ des Évangiles. Pour eux, le Christ n’est pas la voie, la vérité et la vie, aussi il n’a nul droit de réclamer pour lui-même une seigneurie universelle, telle que la confessent les Églises. Il n’a pas de signification ultime pour l’homme moderne. Il ne peut plus exiger, comme durant vingt siècles, une allégeance totale et exclusive de la part de ses adhérents.
Les positions défendues par les agnostiques de toutes sortes réapparaissent. Toutes les religions auraient un seul et unique dénominateur commun : conduire l’homme vers le bien. Ainsi, christianisme libéral et humaniste d’hier, christianisme agnostique, voire carrément athée d’aujourd’hui, se donnent la main en vue de la création d’une religion universelle, d’où l’Évangile sera exclu et dont le salut sera le fruit d’une société et d’une culture pluralistes.
Des chrétiens, saturés de discours en faveur d’un œcuménisme monothéiste, amalgame de christianisme, de judaïsme et d’islam, réagissent et s’en tiennent fermement à la déclaration biblique au sujet de Jésus-Christ, confessant sans compromission leur foi — celle de l’Église universelle — au Dieu révélé comme Père, Fils et Saint-Esprit. D’autres points essentiels les séparent de ces autres monothéismes. Ne serait-ce que la rémission des péchés au moyen de l’expiation achevée par le Dieu fait homme, qu’aucune autre religion n’enseigne comme le fait l’Évangile chrétien. Les points communs existant entre les grandes religions monothéistes et la foi évangélique, le chrétien sait les expliquer par l’opération de la grâce générale, ou commune, qui ne laisse personne venant au monde dans l’obscurité absolue en ce qui concerne la vérité.
Pour les besoins d’une littérature consacrée à la « spiritualité » du monde et aux religions de l’humanité, on pourra, à la rigueur, admettre la constitution d’une anthologie de textes choisis, aussi bien du Talmud que du Coran et de la Bible chrétienne. Mais une telle anthologie ne pourra contenir, par principe, aucune affirmation sans équivoque sur la personne et sur le ministère de Jésus-Christ, celui que les pages des Évangiles nous font connaître et que l’Église universelle confesse depuis ses origines. Une anthologie religieuse de cette sorte ne peut rien déclarer au sujet de la signification universelle, exclusive et finale de la personne de Jésus-Christ.
Or, l’Évangile n’offre pas des idées ou un code de conduite morale comme tels, mais il rend témoignage à une personne unique dont l’autorité sur la vie individuelle de ses disciples, sur l’existence de l’Église et sur l’histoire des vingt derniers siècles est incontestablement affirmée et ne peut passer inaperçue au regard du plus « neutre » des observateurs.
Vu la confusion moderne au sujet de la personne de Jésus-Christ, il serait souhaitable de répéter une expérience que l’Église du 5e siècle fit pour les besoins de son époque. Le pape Damase de Rome chargea un théologien bien connu, Jérôme, de préparer une version unique de la Bible, en latin, pouvant jouir de la confiance de tous et d’une autorité incontestable pour la foi universelle (catholique). À cette époque, une grande confusion existait aussi à cause d’innombrables témoignages, souvent incomplets, si ce n’est contradictoires, rendus à la personne de Jésus-Christ. La même confusion est réelle parmi nous. Nous n’aurons qu’à regarder pour voir et nous étonner du nombre impressionnant de « théologies », « christologies » et « discours » sur la foi, dont l’essentiel révèle davantage la secrète angoisse des auteurs et leurs ambitions personnelles inavouées, plutôt qu’un discours clair et intelligible sur le Fils de Dieu, à la fois Dieu et homme.
Il est salutaire de tendre l’oreille à l’avertissement du Christ, mettant en garde contre de telles confusions. Pour nous, la question est de savoir, encore et toujours, qui est le Christ, ce qu’il est à titre personnel, ce qu’il est pour l’Église, dont il est l’origine et le Chef, et dont il demeure le Maître souverain ultime. Nous aurons à choisir entre le témoignage que lui rendent l’Écriture et l’Église, conduites par l’Esprit, et les discours souvent hautement fantaisistes, déloyaux, ainsi que les portraits inauthentiques qu’on a tracés de sa personne.
L’une des dominantes d’une certaine christologie moderne consiste à souligner l’incarnation au détriment de la mort expiatoire du Christ. Une autre le présente comme l’archétype, dont la conduite et la volonté doivent être imitées. Mais ce « Christ »-là n’est plus celui que l’Église attend comme le Seigneur qui revient en gloire pour juger les vivants et les morts.
Le plus grand problème christologique est, bien entendu, celui qui s’acharne à séparer le Jésus de l’histoire du Christ de la foi. Le premier doit, prétend-on, être saisi avec plus ou moins de bonheur; quant au second, il échapperait, déclare-t-on péremptoirement, à l’investigation de l’historien et ne saurait être cerné, même obscurément, par la foi.
Le tout premier témoin de la résurrection, une femme, Marie, dans sa détresse immense interrogeait déjà au matin de Pâques : « On a enlevé du tombeau le Seigneur et nous ne savons pas où on l’a mis » (Jn 20.2). Que dirions-nous, nous autres chrétiens du siècle présent, appelés à vivre par la foi? Marie, au moins, l’a vu; elle aurait même pu le toucher. Mais il y a plus que la simple détresse qui noue notre gorge, c’est aussi l’indignation envers ceux qui s’acharnent à nous ôter la personne du Christ, sans pourtant savoir où la loger. Heureusement, il nous reste la Parole et l’Esprit, dont les témoignages conjugués nous suffisent pour savoir qui est Jésus et où et comment le rencontrer.
Les notes dogmatiques nous offriront l’essentiel des données bibliques sur la personne de Jésus-Christ. Ici même, nous chercherons pour commencer à examiner la signification de Jésus dans notre histoire et le sens cosmique de sa personne et de sa mission.
Dans la vie, dans la mort et dans la résurrection de Jésus-Christ, Dieu en personne était présent au cours de l’histoire. Telle est la signification définitive du Sauveur des hommes pour l’humanité tout entière. Jamais personne d’aussi grand en dehors de lui n’a pénétré notre monde. Personne n’exerça une semblable autorité, qui n’est autre que la révélation même de Dieu. Nous ne connaissons les desseins de Dieu concernant notre destin et leur accomplissement en notre faveur que par sa Parole et grâce à sa mission. Ici, dans cette vie offerte, l’amour de Dieu a éclaté pleinement, suffisamment et définitivement en faveur des élus. Jamais rien n’a été accompli d’aussi décisif en notre faveur. Son œuvre infligea une défaite irrémédiable à nos ennemis, la vie a été rendue à nos êtres mortels; nous sommes entourés de sa sollicitude et couverts par sa protection. Il presse le pas. Il est en route pour nous conduire vers l’avenir qu’il a préparé. Bien plus, ce chemin, l’unique, est paradoxalement celui qui nous emporte vers l’issue glorieuse. Telle est notre espérance.
En chargeant les disciples d’évangéliser les nations, le Christ leur confia une mission dépendant directement de son autorité exclusive. L’activité missionnaire de l’Église a produit un impact décisif sur l’histoire, non seulement parce qu’une catégorie d’hommes l’ont accueilli et que d’autres l’ont rejeté, ou que les forces matérialistes lui résistent et le combattent. Même là où il a été rejeté comme Fils de Dieu, la prédication de l’Évangile a permis l’éclosion et le développement des idées de justice, de liberté et de culture. L’obstacle à la mission chrétienne provient davantage de la propagation de fausses idées, de l’infidélité de l’Église et de son autosatisfaction, que de l’adversaire extérieur. Le Christ n’a pourtant pas abandonné son dessein universel de réconcilier le monde avec Dieu, au moyen de la croix.