Christologie (6) - Jésus est Sauveur
Christologie (6) - Jésus est Sauveur
Faut-il le rappeler? Nous n’adorons pas un Christ mort, dont le cadavre reposerait quelque part en terre palestinienne, mais le Christ vivant, revêtu de pouvoir et exerçant une autorité absolue auprès de Dieu son Père, le Créateur. Il est également vrai que nous adorons le Christ à cause de sa mort, parce que le Christ vivant n’aurait pas de signification pour nous si sa mort n’avait pas un pouvoir d’effet permanent. Il demeure notre unique Sauveur. Les écrits du Nouveau Testament, de même que l’enseignement de l’Église, portent témoignage à la mort du Christ. Les Évangiles la décrivent avec admirable minutie et, en cela, ils lui accordent une importance exceptionnelle, beaucoup plus qu’à d’autres aspects de la vie du Sauveur. Jésus en personne en a parlé de manière à démontrer son importance essentielle.
Le livre des Actes des apôtres souligne cette importance et les lettres apostoliques la considèrent comme un événement capital (1 Co 15.3; Ga 6.14; 1 Pi 3.18; 1 Jn 3.16; Hé 2.9). Nous ne saurions lire ces écrits sans y trouver un témoignage à ce sujet. Nous y apprenons que le Christ est venu non pas tant pour prêcher l’Évangile que pour vivre et mourir, afin qu’il puisse y avoir un Évangile à proclamer. La signification de sa mort n’a pu être comprise qu’après l’événement. Nous ne devons donc pas nous étonner que la mort du Christ tienne une place bien plus importante que son enseignement.
Ce qui est vrai pour le Nouveau Testament l’est aussi pour l’Église universelle. Les grands théologiens, les confessions de foi ou encore l’hymnologie chrétienne expriment la même pensée et la même conviction à cet égard. L’Agneau immolé reçoit l’hommage et l’adoration durant toutes les générations. Pourtant, une question a surgi que nous devons examiner avec attention, afin de dissiper tout malentendu quant à l’ignorance de la mort du Sauveur. Selon les uns, il faudrait distinguer entre la réalité de la mort, l’événement et la théorie qui l’explique. Si la mort elle-même possède un sens, on n’est pas nécessairement tenu à admettre son interprétation « théologique ». Est-ce possible ou légitime? Existe-t-il des faits bruts auxquels on peut donner une interprétation? Certes, on objectera avec un semblant d’objectivité que ce qui nous intéresse c’est le feu qui réchauffe, et non pas la théorie du feu, et qu’il en va de même en ce qui concerne la mort du Christ. C’est le fait qui est important, et non son explication. À notre avis, ces comparaisons ne tiennent pas. Car nous nous intéressons à des faits qui s’adressent à notre intelligence, à nos émotions, à notre conscience, et il n’est pas possible de les séparer de leur explication. Tout événement n’a d’importance que s’il est compris de manière intelligible.
Un fait sans théorie explicative ne peut se lier à notre expérience; il ressemblerait à un rocher planté dans… le ciel! Un fait absolument inintelligible pour un être intelligent est l’équivalent de zéro. Nous admettrons donc, et il faut aussi le déclarer sans fausse pudeur, que la mort du Christ n’est pas un simple phénomène physique; elle s’adresse à notre intelligence et cherche un sens et une explication. Sans doute, on peut être un chrétien authentique sans avoir nécessairement une compréhension parfaite de l’événement. Mais dans ce cas, nous n’aurions pas une parfaite conscience de la mort du Christ et ne saurions pas ce qu’elle signifie vraiment pour notre salut. De toute manière, cette distinction entre fait et théorie ne trouve pas d’appui dans le Nouveau Testament. En ouvrant ses pages, nous sommes aussitôt saisis non seulement par la description de l’événement, mais surtout par son interprétation. Les faits sont essentiels aux auteurs de ces écrits, car en dehors d’eux il n’y aurait pas de foi chrétienne. Pourtant, à moins de leur donner une explication ferme et cohérente, ces faits sont dépourvus de tout sens. Sans ces deux pôles, il n’y aurait pas de christianisme et encore moins de force qui nous attire vers lui. Rejetez les faits et il ne reste que le mythe; refusez l’explication et vous n’avez plus la foi chrétienne évangélique.
Selon Paul (2 Co 5.14), la mort du Christ est revêtue d’une signification exceptionnelle, pour lui personnellement ainsi que pour ses compagnons, parce qu’il a pu l’interpréter, la comprendre, en saisir le sens. Examinez son expérience. Ce n’est pas la croyance en la souffrance physique et la mort biologique du Christ qui en fit l’apôtre et le chrétien hors série que nous connaissons, car il avait eu connaissance des faits matériels, et ceux-ci l’avaient précisément rendu l’adversaire le plus déterminé et le plus farouche du Christ. Mais à la suite de sa conversion, il avouera que ce fut précisément la mort du Christ interprétée qui fit de lui un disciple et un apôtre.
Quelle est cette interprétation? C’est la preuve de l’amour du Christ : Celui qui détient actuellement toute autorité dans le ciel et sur la terre a aimé les siens jusqu’à la mort.
Les premiers chrétiens savaient que la mort du Christ était en rapport étroit avec leurs besoins spirituels les plus urgents. Sans elle, ils n’auraient pas pu bénéficier des grâces qu’il vint apporter. Prenons un exemple concret; supposez qu’un cheval emballé, tirant une voiture vide, aille s’écraser au fond d’un ravin. Un homme, au péril de sa vie, l’arrête au moment dangereux expliquant qu’il vient d’accomplir ce geste par pur amour. Vous seriez peut-être impressionné par son dévouement à moins que vous ne le considériez comme un insensé; avait-il besoin de mettre sa vie en péril? Supposez que la voiture à laquelle est attelé le cheval fou transporte votre famille et vous-même. Quelle différence alors dans votre appréciation ce geste aurait-il faite! Au risque de sa vie, cet homme est devenu votre sauveur. De même, si la mort du Christ n’avait pas eu de rapport direct avec des besoins réels, elle aurait été un sacrifice inutile. Mais sans elle, il n’y avait pas de salut possible. C’est pourquoi « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15.13). L’amour du Christ est bien plus grand parce que sa mort est de nature expiatoire. Le Christ est mort en tant que notre Vicaire, notre Substitut. Lorsqu’un homme brise la loi de son pays, il est jugé et condamné. Pareil jugement attend aussi celui qui a transgressé la loi de Dieu. Pourtant, les disciples sont tout à fait rassurés, et ils peuvent déclarer : « Il n’y a maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » (Rm 8.1). L’innocent a porté le châtiment que nous méritions (Mt 26.28; Ga 3.13; 2 Co 5.21; Hé 9.26; 1 Pi 3.18). Les disciples aimèrent le Christ parce qu’ils se savaient aimés en premier.
Il révèle également l’amour du Père. Souvent, on pense que la mort du Christ fut la satisfaction apportée à la justice divine, ce qui est certainement vrai. Mais on fait comme si le Père, lui, n’aurait pas aimé le pécheur et n’était point disposé à pardonner sans rançon. Rien de plus étranger à la pensée du Nouveau Testament. Les disciples ont vu dans l’amour du Christ la révélation même de l’amour du Père. Ils n’ont pas tenu le raisonnement suivant : Dieu est amour, donc il doit pardonner sans expiation; mais plutôt, Dieu est amour, par conséquent il y a de la place pour l’expiation dans le dessein divin.
Jésus-Christ, le Fils, fait partie de la Trinité; il est de la même substance que Dieu le Père; son sacrifice engage donc l’amour du Père. Nier la nécessité de l’expiation, c’est rabaisser l’image du Père. Si l’amour de Dieu est séparé de sa justice et de sa sainteté, Dieu n’est alors ni parfait ni absolu, quoique saint et juste! Or, plus on comprend que le péché est une offense grave envers Dieu, plus la compassion de Dieu apparaît dans sa grandeur et dans sa clarté dans le sacrifice expiatoire de la croix.
Selon une légende du Moyen Âge, un saint ermite priant seul vit soudain apparaître devant lui une figure merveilleuse. Celle-ci lui intima l’ordre : « Je suis ton Seigneur, tombe la face contre terre pour m’adorer. » Le saint homme, surpris et rempli d’admiration et d’émerveillement, était sur le point de s’exécuter, lorsqu’il s’adressa à la figure et dit : « Mais où sont les traces de tes blessures? » Alors, dit la légende, la figure disparut aussitôt, car elle n’était autre que l’ange des ténèbres, déguisé en ange de lumière. Une profonde vérité est illustrée par cette légende. Le Christ porte encore sur ses mains et sur ses pieds les traces des clous et de toutes les blessures subies pour nous et pour notre salut sur la croix, lieu de notre rédemption, instrument du pardon obtenu, signe de l’amour parfait du Fils et du Père. Car « il a été livré pour nos offenses et il est ressuscité pour notre justification » (Rm 4.25). Nous l’adorons donc comme tel, car notre expérience a été celle de la rencontre avec le Sauveur.