La connaissance de Dieu
La connaissance de Dieu
- La connaissance de Dieu d’après Calvin
- La tentation du doute
- L’incompréhensibilité de Dieu
- La connaissabilité de Dieu
- Dieu est connu par sa révélation
- Dieu peut être connu
- Nous connaîtrons Dieu correctement grâce à sa révélation spéciale et à notre régénération
« Les réalités fondamentales de la religion chrétienne et de la théologie sont Dieu, la révélation et la foi. Ce sont là des postulats prima principia, sur lesquels la structure de la foi chrétienne est élevée. Ils constituent par conséquent les trois principes fondamentaux de la théologie chrétienne », écrivait le professeur H. Bavinck.
Dieu est le principium essendi de la théologie chrétienne (principe de l’être). La révélation (l’Écriture) est le principium cognoscendi externum de la théologie (principe de connaissance externe). La régénération (foi) est le principium cognoscendi internum de la théologie (principe de connaissance interne).
1. Dieu est le principe essentiel du monde et de la connaissance de l’homme, concernant le monde et concernant Dieu. Non seulement nous devons notre existence à Dieu, mais aussi notre connaissance ultime de Dieu dérive de la connaissance que Dieu possède de lui-même. Notre connaissance de Dieu est la réflexion (imparfaite et sujette à des limitations de la vie créée) de la connaissance que Dieu a de lui-même. Que nous fassions de la théologie, à savoir la connaissance de Dieu, trouve son explication en Dieu qui se connaît; car il est un être conscient qui a réparti la connaissance de sa personne à ses créatures. C’est là le sens de notre principe de l’être.
2. La question suivante est : Comment atteindre une telle connaissance de Dieu? La réponse est par la voie de la révélation. Tout être conscient et rationnel est connu en se révélant à d’autres. Dieu aussi se révèle à ses créatures rationnelles. La seule manière dont nous puissions avoir connaissance de Dieu est par son autorévélation. Tel est l’unique principe de connaissance de Dieu, le moyen d’atteindre sa connaissance. Cette révélation est générale et spéciale, dans la nature et dans l’Écriture. Celle-ci interprète celle-là.
3. Cette connaissance de Dieu, qui est objectivement contenue dans la révélation divine, pour devenir une connaissance pour nous doit être appréhendée et vécue dans notre conscience. Cela s’effectue seulement à travers l’illumination de l’Esprit de Dieu. Le cœur de l’homme doit être régénéré, ce qui veut dire qu’elle s’exprimera par la foi, confirmée par le témoignage du Saint-Esprit. Par conséquent, la foi par laquelle nous appréhendons la révélation objective de Dieu devient le principe interne de connaissance. Il est le principe par lequel l’homme appréhende la révélation objective de Dieu. Dans cette révélation subjective, le cercle est formé et la voie par laquelle l’homme atteint la connaissance de Dieu (théologie) est tracée1.
1. La connaissance de Dieu d’après Calvin⤒🔗
Calvin ne s’est jamais détaché de la grande tradition de théologiens qui l’avaient précédé et nullement des grandes confessions de foi œcuméniques. Il s’est abondamment référé à Augustin de même qu’aux Pères grecs du 4e siècle, plus particulièrement à Athanase, célèbre par sa lutte pour la défense de la foi orthodoxe. Il convient donc d’approcher la théologie de Calvin en tenant compte de ses sources théologiques; d’autre part et avec un égal soin, en tenant compte des grandes transformations culturelles et scientifiques de son époque.
Calvin a pleinement participé à son siècle. Il emprunta les outils nouveaux pour forger une pensée rigoureuse. Son époque fut aussi privilégiée pour l’avoir compté parmi les plus illustres et originaux penseurs et comme l’artisan incontesté d’une culture intellectuelle toute nouvelle. Selon le réformateur, la foi chrétienne est possible par la connaissance intuitive de Dieu, cependant uniquement grâce à la médiation de sa Parole. La connaissance de Dieu est acquise dans une expérience immédiate de sa présence personnelle, mais cette expérience est causée par Dieu en personne. Dieu lui-même est l’agent qui provoque sa propre connaissance et nous la communique. C’est la raison pour laquelle Calvin commence son Institution de la religion chrétienne par l’étude de la connaissance de Dieu. On s’étonne qu’il ne l’aborde pas à la manière directe comme le faisaient des théologiens avant lui. Le fondement de cette connaissance ne consiste pas en une série d’arguments en faveur, comme preuve de l’existence de Dieu. Sur ce point, il se sépare de Thomas d’Aquin, lequel avait poursuivi le même objectif, toutefois partiellement seulement. Thomas d’Aquin se demandait au début de sa Somme si l’existence de Dieu allait de soi, question intellectuelle et théorique, mais non biblique.
Calvin présuppose cette existence de Dieu sur le terrain même dont le Docteur angélique (Thomas) avait refusé la validité, c’est-à-dire que l’homme a une connaissance innée de l’existence de Dieu. Bien entendu, Calvin ne tenait pas cette connaissance pour une cognitio Dei, une véritable, suffisante et claire connaissance de Dieu (plutôt une notitia Dei, bien que réelle). Pour le réformateur, il existe un sentiment, plus ou moins conscient, ou bien une idée, qui admet et reconnaît qu’il existe un Autre, en dehors du monde des hommes. Cette connaissance de l’existence de Dieu est innée et elle reste l’un des attributs nécessaires de l’homme. Connaissance que l’on n’acquiert pas à l’école, mais que tout homme apprend dès sa naissance. Une telle connaissance et le culte d’adoration qui l’accompagne rendent l’homme véritablement supérieur aux bêtes. Avant même le naturaliste Buffon, Calvin aurait pu dire que l’homme est un animal religieux. Ce qui est remarquable encore, cette connaissance reste indélébile, car ni le temps ni même le désir perverti de l’homme de s’aliéner de Dieu pour s’assurer une prétendue liberté ne sauront la déraciner.
Cependant, le problème de la connaissance de Dieu est étroitement lié à celui de la révélation de Dieu. Il est exact qu’en dehors de la foi chrétienne, la révélation est propre à d’autres religions. Mais il est significatif que, d’une manière très particulière, ce soit dans le christianisme que le mot de révélation reçoive une interprétation rigoureuse associée à la connaissance de Dieu. Dieu est à la fois l’objet et le sujet de la révélation. La foi chrétienne et biblique regarde en Dieu qui se fait connaître comme le seul vrai Dieu en opposition à tous les faux dieux créés par l’esprit et la main de l’homme. « L’esprit de l’homme est une boutique et de tout temps pour forger idoles », écrivait le réformateur. Le Dieu qui se révèle est le seul; à côté de lui il n’y a en pas d’autres. Il est connu d’une manière qui correspond parfaitement à la révélation de sa personne.
Parce que le problème de la connaissance de Dieu est celui de sa révélation, l’étude de sa connaissance ne devait pas commencer par une enquête sur sa nature. Une fois que le problème de la révélation a été posé et qu’il a reçu la réponse adéquate sur la base du témoignage biblique, le problème de la connaissance de Dieu à son tour reçoit une réponse adéquate. À cette condition, nous savons ce qu’est la vraie connaissance de Dieu. Dans le premier livre de l’Institution, il en pose le principe fondateur. À peu près toute la somme de notre sagesse consiste en ces deux parties : En connaissant Dieu, nous nous connaissons aussi nous-mêmes.
Calvin a commencé par étudier non pas la connaissance de Dieu, mais sa révélation. Bien que l’Institution de la religion chrétienne traitera de la connaissance de Dieu dans ses divers aspects, il n’entreprendra pas de traiter celle-ci en l’isolant de la révélation. Dieu est incompréhensible pour le cœur humain, car le péché a obscurci l’entendement humain, et plus particulièrement son approche de Dieu. À tous les niveaux, Dieu transcende l’homme. La nature divine ne peut être atteinte par notre compréhension. Si Dieu se laissait examiner par l’homme, cela laisserait entendre qu’il s’est totalement et sans réserve abandonné à lui. Il compromettrait sa souveraineté en se laissant manipuler par les caprices insensés du pécheur. Mais c’est dans la passion de la seconde personne de la sainte Trinité que précisément Dieu renoncera à sa liberté et s’abandonnera totalement entre les mains des créatures rebelles.
Ajoutons que même en dehors de toute idée de péché, Dieu ne serait pas totalement accessible à l’homme. Il est transcendant. Bien qu’il existe en soi, c’est seulement par sa révélation qu’il est connu de l’homme pécheur. Dès lors, la part de l’homme consistera à l’accepter par la foi, à écouter la Parole, à recevoir son salut. Le mouvement en sera descendant, à partir de Dieu vers l’homme, non pas ascendant, partant de l’homme pour atteindre Dieu. Pour Calvin ainsi que pour toute théologie évangélique, pour l’Écriture tout entière, le problème de la connaissance de Dieu est associé à celui de sa révélation.
Il ne faudrait pas s’étonner de l’insistance avec laquelle Calvin rappelle certains actes de Dieu par lesquels celui-ci prend l’initiative, notamment en ce qui concerne la prédestination et la justification du pécheur. Dieu qui se révèle attend non pas notre compréhension en soi, comme telle, mais notre soumission à sa personne. Notre connaissance intuitive est telle qu’elle nous renvoie à la réalité objective de la Parole de Dieu, car nous ne connaissons la vérité que par sa vérité. Pour répondre à la même question, l’Église chrétienne a eu recours aux écrits canoniques de l’Ancien et du Nouveau Testament. Elle savait que Dieu parle sur ces pages aussi vraiment et clairement que quand il s’adressait à Élie, à Jérémie ou aux premiers disciples du Christ. Ces écrits communiquent le message de Dieu relatif à sa présence. À ses yeux, contrairement aux dieux païens, le Dieu de la Bible est le Seigneur vivant (voir Ps 115.2-9).
Voyez alors la folie de l’idolâtrie. Elle est la forme la plus extrême de l’aliénation mentale. Ésaïe y a consacré l’une des pages les plus remarquables de la littérature biblique et mondiale (És 40.18-23 et 25-28).
À la question donc « Qui est le Seigneur? », la seule réponse est : Dieu est le vivant, le Créateur éternel de l’univers. Il n’y a en pas d’autre à côté de lui. Tout ce qui existe et respire dépend de lui. Par l’acte de sa volonté, il a donné naissance à ce qui n’existait pas. Dans sa sagesse et par son pouvoir, il a façonné tout ce que nous voyons autour de nous avec leurs particularités magnifiques.
2. La tentation du doute←⤒🔗
« Je crois en Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit. » Je sais que ma foi me procure la vie éternelle par Jésus-Christ mon Seigneur. C’est dans l’engagement et la profession d’une telle foi que je puise la force de vivre. Néanmoins, quelle que soit ma force de croire, je sais que je ne suis jamais à l’abri du doute. Aussi longtemps que Satan s’agitera, il versera le poison du doute dans mon esprit et cherchera à saper ma foi en la réalité du Dieu vivant. Si je n’en étais pas conscient ou si je venais à nier l’action néfaste et destructrice de Satan, la raison en serait que je reste vulnérable aux attaques de l’adversaire malin. Quels que soient la honte et le sentiment de culpabilité que j’éprouve à avoir douté, je ne devrais jamais ignorer la violence d’une telle tentation, je ne devrais la dissimuler; plutôt y faire ouvertement face, pour mieux m’assurer de la victoire de la foi au Dieu vivant. Voilà une attitude chrétienne lucide et dynamique.
Nous n’ignorons pas les raisons de douter de la réalité du Dieu vivant. Raisons ou facteurs qui entrent en scène soit par les portes d’une certaine éducation moderne, soit lorsqu’on assume des positions responsables dans la vie sociale. Nous vivons une époque excessivement pragmatiste. Nos contemporains désirent tout éprouver par le toucher, tout palper par les doigts, sentir tout immédiatement. Il n’y a de vrai que ce que l’on voit et constate empiriquement. Toute pensée qui leur paraît abstraite sera aussitôt écartée. Ils appellent « cadre scientifique » le domaine à l’intérieur duquel ils feront dérouler l’existence ordinaire. C’est là une méthode qui prétend s’appliquer également au domaine de la foi.
Examinons l’origine de cet esprit. Avant l’ère appelée positiviste, il y a quatre siècles, les croyances religieuses étaient admises simplement. Depuis, elles ont laissé la place aux affirmations dogmatiques de la science moderne.
Au fur et à mesure que la science découvrait les lois régissant la nature et l’univers, certains chrétiens incitaient à abandonner certaines idées « naïves » du passé et que par erreur on supposait présentes dans la Bible. Mais ils n’en sont pas restés là et ils se sont laissés enfermer dans une acceptation scientifique du monde, qui, s’imposant avec force, leur enlevait la conviction même de la réalité du Dieu vivant. Ou bien la Bible n’avait rien à offrir en faveur de l’explication scientifique du monde, ou bien elle se trompait lourdement. De toute manière, pour sauver la face et ne pas faire figure de pauvres retardés, ces chrétiens affichaient la conviction que la Bible laissait d’énormes blancs dans l’explication de l’origine du monde et dans celle des lois de la nature. Ces chrétiens ne voulaient pas abandonner leur foi en Dieu; mais leur « Dieu » n’était autre que celui des « blancs » et des « vides », une explication plus ou moins complémentaire du monde et non plus le Dieu vivant de la révélation.
Prenons un exemple de ceux qui tiennent à sauver la face; celui de l’hypothèse de l’évolution des espèces. Nombre de chrétiens admettent encore, même contre les évidences de la science, l’idée d’une certaine évolution des espèces, comme celle des familles. Ne pouvant trouver d’autre solution ou explication à l’origine des choses, ils laisseront quand même une certaine place au Dieu Créateur. Dieu devient ainsi le « remplisseur » de vides plus que le Créateur souverain. Mais ils n’auront pas tardé à éliminer même ce Dieu des « vides » pour s’en tenir uniquement à ce qu’ils appelleront la conception scientifique du monde. Dès lors, Dieu ou son hypothèse ne sont plus indispensables pour expliquer le merveilleux mécanisme de cette vaste horloge appelée univers.
Or, la révélation biblique, et l’Église à sa suite, déclare Dieu comme la source unique de vie et l’origine de toutes choses visibles et invisibles. Lui seul par l’Esprit et la Parole a, par un acte direct, créé l’univers. Si pour certains chrétiens il continue à ne remplir que des « blancs », l’Église confessante le tiendra pour la source de toute respiration et de tout mouvement. Pour les chrétiens qui cherchent leur inspiration en dehors de la révélation biblique, c’est le savant moderne qui est censé déchiffrer le secret des origines et d’interpréter le « comment » de la réalité perceptible. Certains sont allés jusqu’à attendre du savant qu’il crée la vie. Si le succès venait à couronner des efforts scientifiques, le Dieu laissé pour compte qu’ils ont voulu affecter au remplissage de quelques vides sera vite déclaré officiellement mort.
C’est là l’un des facteurs, sans doute parmi les plus répandus, qui entretient ou qui inspire la tentation du doute. Et, comme il se devait, certains théologiens n’ont pas manqué d’anticiper cette prétendue mort de Dieu. Bien que ces étranges hérauts du passé récent de la mort de Dieu diffèrent quant à leurs idées, ils sont tous unanimes pour prétendre qu’il n’existe pas d’être suprême et surnaturel, susceptible d’intervenir dans le cours des événements et pour régler les affaires humaines. Il n’y a personne qui nous fait parvenir de message. Il n’y a ni message ni secours destiné à l’homme se débattant dans d’effarants problèmes de son existence et luttant désespérément entre la vie et la mort. Peut-être la « religion » a-t-elle encore quelque valeur; mais si elle devait survivre, il faudrait qu’elle prenne une nouvelle forme, adaptée, ajustée, conforme aux idées et aux aspirations de l’homme. Voilà une autre raison de douter. L’homme moderne, ne cesse-t-on de rabâcher, ne cherche et ne souhaite nullement entendre une Parole divine, encore moins recevoir des ordres, dictés d’en haut.
Ainsi, reconnaissons franchement que peu nombreux sont ceux d’entre nous à qui sont épargnées de telles tentations. Il n’est pas toujours aisé de persévérer dans la foi dans de telles conditions. Le mot d’ordre moderne est « révolution ». Ce qui nous vient du passé est un héritage encombrant et inutile; il faut s’en défaire à tout prix. L’humanité souffrante crie malgré elle vers le ciel, mais le ciel lui apparaît vide et n’entend que l’écho de ses cris résonnant dans l’étendue de l’espace sidéral. Mais l’humanité même avec son esprit scientifique se résoudra-t-elle à l’idée que personne, vraiment personne, ne prête d’oreille à ses cris et n’accueille ses plaintes?
3. L’incompréhensibilité de Dieu←⤒🔗
Dieu est incompréhensible. Pourtant, nous pouvons le connaître en tant qu’absolu et néanmoins comme un être personnel. Le mystère ne sera pas absent de la doctrine chrétienne. Car le croyant ne peut jamais totalement saisir même la vérité révélée.
Mais cette connaissance dont s’occupe la dogmatique n’est jamais une connaissance aride; au contraire, elle est à la fois pratique et fructueuse. Nous pouvons parler de lui, car il s’est révélé à nous. Il s’est révélé comme le Dieu unique, personnel, élevé au-dessus de toute nature, infini, absolu, tout-puissant et omniprésent.
Les religions païennes, la théologie, la philosophie s’expriment toutes par rapport à l’incompréhensibilité de Dieu. Pour certains, notre capacité de connaître Dieu est soulignée aux dépens de son incompréhensibilité. Pour d’autres, Dieu n’est pas seulement incompréhensible, mais encore inconnaissable, ainsi que le déclare l’agnosticisme. Pour les religions païennes, Dieu peut, certes, être connu; cependant, des penseurs du paganisme nient que Dieu puisse l’être. Parmi eux, les brahmans, le grec Protagoras, dans une certaine mesure Platon, Plotin et les gnostiques.
La théologie chrétienne prit son point de départ en l’incompréhensibilité et l’inconnaissabilité de Dieu, par les premiers penseurs de l’Église, des Pères, tels que Justin Martyr, Irénée, Clément d’Alexandrie, Athanase, Origène, Eusèbe, Augustin, Jean Damascène et d’autres, qui professèrent des idées quasi ou semi-agnostiques.
En ce qui concerne la scolastique, à partir de Thomas d’Aquin, elle ne fut pas aussi radicale que Scot Érigène, pourtant à son tour elle admit l’inconnaissabilité de l’être essentiel de Dieu. Telle fut la position d’Anselme, de Thomas d’Aquin, d’Albert le Grand.
La Réforme aussi a parlé de l’incompréhensibilité de Dieu. Mais l’agnosticisme radical sous sa forme tranchante moderne a été affirmé par Emmanuel Kant (Fichte, Schleiermacher, et en France, Auguste Comte).
À ce propos, soulignons que, selon l’agnosticisme, la nature de la connaissance ou du savoir humain serait relative. C’est l’homme lui-même qui y est la mesure de toutes choses. Les seuls objets de son savoir sont les faits de l’expérience humaine, ou les phénomènes. L’idée de Dieu, du monde, de l’âme est transcendante et ne saurait jamais constituer son savoir intellectuel. Ainsi, Dieu étant un être absolu, il ne peut être personnel ni faire l’objet de notre savoir. La connaissance de l’absolu reste impossible, car autrement ce serait une contradiction des termes; tout savoir implique une relation, tandis que l’absolu est l’absence de relation. Mais cette théorie n’est vraie qu’en partie seulement, et par ailleurs elle est fausse. Certes, il est impossible d’avoir une totale compréhension de Dieu. Mais si Dieu s’est révélé, ce qu’affirme la théologie biblique, alors il est possible de le connaître selon les termes de sa révélation. En outre, si l’on prétend qu’il est impossible de connaître Dieu de manière intellectuelle, il serait pareillement impossible de l’appréhender par le sentiment. Si la raison pure (Kant) ne peut le saisir, la raison pratique ne le peut davantage. Mais nous affirmons qu’en vertu du mystère de la révélation nous pouvons, et de fait nous avons, une connaissance relative de Dieu, quoique nous ne l’appréhenderons jamais dans la totalité infinie de son être personnel.
À ce propos, Cornelius Van Til démontre que :
« L’idée moderne se fonde sur l’hypothèse selon laquelle l’homme est la référence ultime de son discours. Par conséquent, lorsque l’homme ne peut rien connaître, il s’en suit que plus rien ne peut être connu. Tout étant relationnel, toutes choses doivent être de manière exhaustive ou bien connues ou bien rien ne doit être connu. Or, seule la théologie réformée pose clairement la position chrétienne sur et contre toutes les formes non chrétiennes, parce qu’elle seule fait de Dieu la référence ultime de son discours. »
C’est parce que Dieu est ultime que chaque mot de lui nous place sous une obligation. Van Til poursuit :
« Dans Jean 10, nous lisons que les Juifs voulurent lapider le Christ. Ils l’accusèrent de blasphémer parce qu’il s’était fait Dieu. Dans sa réponse, Jésus se réfère simplement à l’Ancien Testament. N’est-il pas écrit dans votre loi “Je dis vous êtes des dieux” (verset 34). Ce passage cité est du Psaume 82.6. Ce qui prouve que le terme “loi” était dans l’intention de Jésus identique à l’Écriture dans son ensemble. De cette loi, affirme Jésus, rien ne peut être ôté. Elle est le tribunal final de toutes choses. Tout passage des Écritures devra, selon Jésus, jouir d’une autorité irréfragable. Et, citant B.B. Warfield, ici nous avons l’affirmation la plus forte possible de l’autorité indéfectible des Écritures, ce qui signifie que l’Écriture ne peut être brisée. »
4. La connaissabilité de Dieu←⤒🔗
Du fait de sa révélation, il existe une connaissance nécessaire et universelle du savoir de Dieu. C’est ce qu’on appelle l’idée innée de Dieu, qui est l’aptitude en l’homme laquelle naturellement et nécessairement engendre une certaine connaissance de Dieu. Ayant déjà longuement parlé de la révélation dans une autre partie de notre travail2, nous n’y reviendrons pas de nouveau. Nous tenons simplement à affirmer que l’Écriture y rend témoignage. Elle est tellement claire que la religion est profondément ancrée dans le cœur de l’homme et que par conséquent il n’existe point d’athéisme véritable. Il n’existe que des athées pratiques.
Cependant, nous prendrons soin de rejeter la théorie de l’idée innée. Les Pères de l’Église ont soutenu que l’idée de Dieu ne requerrait point de démonstration. L’homme parviendrait de manière naturelle, tout à fait nécessairement, à cette idée. Pourtant, elle n’est pas présente dans l’âme au moment de la naissance, c’est-à-dire avant une réflexion ou une observation consciente, mais on y parvient par la méditation sur la révélation de Dieu dans la nature. La scolastique aussi a rejeté l’idée innée.
Selon Calvin et la théologie qui se réclame de lui, la semence de la religion en l’homme, à l’aide de l’observation de la révélation de Dieu dans ses œuvres, se développe de manière naturelle vers la conviction de l’existence de Dieu. Mais la doctrine de l’idée innée, au sens strict, a été rejetée (opposition à Descartes).
Les raisons de ce rejet sont qu’elle conduit au rationalisme en faisant de celui-ci une source indépendante de révélation, ou encore au mysticisme, rendant l’homme indépendant du monde perceptible. Elle contredit l’Écriture, réduisant l’importance et du corps et de l’univers matériel. Que dire aussi des variétés existantes de l’expression de cette idée au cours de l’histoire religieuse de l’humanité. Nous sommes autorisés à parler de connaissance innée de Dieu si nous entendons par là le potentiel ou l’aptitude, et l’inclination ou la disposition en l’homme qui, de manière naturelle et nécessaire, produit une certaine connaissance de Dieu. Par conséquent, nous accepterons la vérité contenue aussi bien dans l’empirisme que dans la doctrine de l’idée innée, mais les erreurs respectives en seront rejetées.
La différence entre la connaissance innée de Dieu et la connaissance acquise consiste dans le fait que dans le premier cas l’homme demeure passif, tandis que dans le deuxième cas, par la foi il est actif. Se fondant sur ce dernier, d’aucuns tentèrent d’obtenir des preuves de l’existence de Dieu par la nature, telles que cosmologique, téléologique, ontologique, morale, historico-théologique; nous avons vu que ces dernières ne sont pas des preuves à proprement parler, mais plutôt des évidences du caractère raisonné de la foi chrétienne. Au regard chrétien, les témoignages rendus dans le domaine de la nature n’ont d’autre valeur que celle de témoignage.
5. Dieu est connu par sa révélation←⤒🔗
Nous affirmons donc que Dieu nous est connu par sa révélation au moyen de laquelle nous le connaissons avec certitude. La foi et la théologie réformées demeurent exclusivement sur le fondement de la révélation. Aussi nous ne posons pas la question de l’existence de Dieu à la manière des incroyants ou des athées.
Nous ne le connaissons que par la foi seule. La relation entre Dieu et nous est de nature religieuse et non ontologique (c’est-à-dire d’après une analogie de l’être, du grec « ontos », être). Entre Dieu et nous, il n’existe aucun point naturel commun. Dieu le Créateur se distingue totalement de sa création. Ainsi, lorsque nous disons que Dieu existe et que nous aussi nous existons, nous n’entendons pas que nous aurions une part quelconque en l’être de Dieu. Son être et le nôtre ne sont pas des concepts univoques. Ce n’est pas à dire que nous ne pouvons avoir une connaissance réelle de Dieu ni parler de lui; au contraire, nous pouvons parler de lui en employant notre vocabulaire humain, d’où le langage anthropomorphique même de la Bible. Lorsque nous employons le même mot en parlant de Dieu et de sa créature, la distinction entre les significations données à ce mot dans les deux cas n’est pas totale. Le mot n’est pas équivoque. Il y a cependant analogie dans les significations, lorsque nous parlons de Dieu et des choses créées avec le même mot (analogie = proportion). Toutefois, dans ce cas, l’analogie est totale, ce qui veut dire qu’elle regarde tout le contenu de la notion. En effet, il n’y a aucun point commun entre le Créateur et sa création. L’analogie entre Dieu et sa création est religieuse et elle n’est que religieuse. Dieu est le Créateur. Il est incompréhensible (Jb 2.7; 36.26, comparer Jn 4.24).
Selon le déisme, Dieu aurait créé le monde sans y intervenir d’une façon actuelle dans son gouvernement. L’exemple de l’horloger qui fabrique son horloge, la monte et ensuite la laisse fonctionner illustre cette pensée-là (Voltaire). L’artisan ne s’en soucie plus. De la même façon, selon le déisme, Dieu ne s’occuperait plus de sa création après l’avoir achevée. Le développement ultérieur de celle-ci serait entièrement déterminé au commencement. Cette opinion déiste ne laisse aucune place pour une révélation. Elle accepte l’existence de Dieu non parce qu’il y a révélation, mais parce que l’existence du monde en soi-même supposerait celle d’une cause supérieure au monde.
L’athéisme nie catégoriquement l’existence de Dieu. Parfois dans cette opinion, la croyance en l’existence de Dieu est expliquée comme étant une projection par l’homme de ses rêves seulement sur le plan du réel.
Le panthéisme professe que tout est Dieu, tandis que le panenthéisme croit que tout est en Dieu.
Pour le rationalisme, l’existence ou la démontrabilité de Dieu coïncident. Pour la théologie réformée, au contraire, il est impossible de démontrer l’existence de Dieu, car notre intelligence ne peut pas dépasser les limites de la création par ses raisonnements, et cela parce que nous ne pouvons pas raisonner avec des notions qui n’ont aucun point commun lorsqu’elles sont employées pour Dieu et ses créatures.
Dans les preuves de l’existence de Dieu de la théologie naturelle du catholicisme romain (reçues aussi dans les Églises orthodoxes grecques et dans certaines familles protestantes), on se rend coupable de l’erreur rationaliste. Selon la doctrine romaine (officiellement depuis le Concile Vatican I en 1870, et confirmé par Vatican II), il serait possible de connaître Dieu comme le commencement et la fin de toutes choses par les lumières naturelles de la raison. La raison pourrait démontrer l’existence de Dieu indépendamment de la révélation. Il est possible que des circonstances accidentelles (morales) empêchent la raison de faire cette démonstration, mais la démonstration reste essentiellement possible.
Les preuves de la théologie scolastique (depuis Thomas d’Aquin) reposent toutes sur la loi de la causalité. On ne peut argumenter de l’effet à la cause, à moins qu’il n’y ait quelque chose de l’effet dans la cause : il faut un « dénominateur commun ». Cependant, selon les données bibliques, cela est impossible dans la causalité divine; la conception de la connaissance naturelle de Dieu par l’homme est fausse, même lorsqu’elle parle d’une révélation naturelle. Elle entend par là toute autre chose que ce que nous entendons par « connaissance de Dieu à travers la nature ». Pour nous, c’est l’efficacité de l’acte révélateur de Dieu qui est le fondement de notre connaissance naturelle de Dieu. Selon la doctrine romaine, c’est au contraire la force convaincante de notre raisonnement qui fonde notre connaissance naturelle de Dieu. Pour nous, il y a toujours corrélation entre révélation et foi; pour Rome, dans le cas de la révélation naturelle, il y a corrélation entre révélation et intelligence.
6. Dieu peut être connu←⤒🔗
Dieu peut être connu dans la création et du fait que nous portons l’image de Dieu. Dieu se révèle au moyen de ce qu’il a créé. Nous pouvons employer les mêmes mots pour désigner la réalité de Dieu et la réalité créée, parce que Dieu a mis une ressemblance entre lui et sa création, spécialement entre lui et l’homme. L’homme a été créé de telle façon qu’il lui fût possible de connaître Dieu, parce que Dieu voulait qu’il vécût avec lui dans son alliance. C’est seulement après avoir parlé de la réalité que nous pourrons aussi parler de la possibilité de la connaissance de Dieu. Celui qui veut parler de la possibilité de la connaissance de Dieu d’une autre manière surpasse les limites de l’intelligence humaine et en vient à une spéculation qui n’est pas permise.
Nous ne pouvons rien dire sur ce qui est possible pour Dieu indépendamment de la révélation qu’il nous accorde. Cette règle est très importante pour notre méthode de raisonnement théologique. Nous ne pouvons pas dire, indépendamment de la révélation, qu’il sera nécessaire pour notre rédemption que la Parole devienne homme et que le Christ soit donc à la fois Dieu et homme. Sachant que le Christ nous a sauvés étant Dieu et homme, nous pouvons ensuite essayer de déterminer pourquoi il était nécessaire que le Médiateur ait eu les deux natures, divine et humaine. Nous suivons la même méthode dans la question de l’unité de la personnalité du Christ. Le Christ a deux natures, mais il est une personne. Il est important de nous rendre compte de l’incapacité de notre intelligence à parler de ce qui est nécessaire pour Dieu lorsqu’il accepte d’assumer la nature humaine. En discutant de l’unité de la personne du Christ, la seule méthode légitime est de déterminer d’abord quelle est la réalité sur ce point. Il sera ensuite possible de dire quelque chose de la nécessité divine.
Ce que nous affirmons au sujet de la ressemblance entre Dieu et sa révélation est différent de ce que prétend la doctrine romaine de l’analogia entis, l’analogie de l’être. Selon nous, la relation entre Dieu et la création n’est pas ontologique (comme pour la théologie romaine), mais religieuse. La relation ontologique est, selon la théologie romaine du Moyen Âge, le fondement des preuves de l’existence de Dieu. Nous, nous parlons d’une relation. Nous rejetons ces preuves naturelles, parce que nous rejetons la relation ontologique qui contredit la transcendance de Dieu. Nous parlons d’une relation religieuse, c’est-à-dire d’une relation toute spécifique entre Dieu et ce qu’il a créé. La ressemblance est une réalité, mais une réalité que nous ne pouvons pas pénétrer plus profondément. Nous ne pouvons pas dire que l’analogie a son fondement plus spécialement dans l’être dont Dieu a fait part à la création.
Il existe une ressemblance entre Dieu et la création. C’est pourquoi, en employant le mot « amour », il est possible de dire que Dieu est amour, mais l’amour dans la création n’est pas l’amour original, mais celui qui est en Dieu (Ps 94.9). La méthode de la théologie spéculative déduit ses conclusions relatives à la nature de Dieu selon trois voies : par affirmation, par éminence, par négation.
Se fondant sur l’analogie de l’être, elle affirme que ce qui est essentiellement bon se trouve en Dieu, parce que Dieu est « la cause » de tout ce qui est, et à plus forte raison de ce qui est bon (affirmation). Mais le bien qui existe dans la créature est toujours limité, alors que Dieu est infini. La théologie romaine affirme qu’il est en Dieu d’une façon éminente en niant toute limite. D’autres choses sont entachées essentiellement d’imperfections ou de mal et ne peuvent se trouver en Dieu : elles seront niées (négation). Cette méthode par les trois voies est fausse parce que nous ne discernons le bien et le mal que dans la lumière de la révélation; nous ne pouvons dire ce qui appartient à l’essence de Dieu qu’en nous appuyant sur la révélation. Cette erreur explique pourquoi, dans l’histoire de la théologie et de l’Église, l’influence de la philosophie d’Aristote a été beaucoup plus grande, dans les débats relatifs aux attributs de Dieu, que l’influence des données de la théologie biblique.
Cette erreur n’est pas particulière aux seuls catholiques romains. La théologie libérale protestante, elle aussi, affirme qu’il y a une contradiction entre la pensée de l’amour de Dieu et celle de la rédemption par satisfaction; ici encore nous sommes en présence de la même erreur. La théologie libérale n’écoute pas ce que la révélation biblique annonce de l’amour de Dieu, mais prétend définir elle-même ce qu’elle entend par amour de Dieu. Nous commettrions la même erreur en affirmant qu’il existe une contradiction entre l’amour de Dieu et les catastrophes naturelles. Naturellement, il est permis de dire que nous ne comprenons pas la correspondance entre cet amour et ces catastrophes; mais dire que la correspondance est impossible est autre chose.
Karl Barth a rejeté toute analogie entre la création comme telle et Dieu. C’est pourquoi pour lui la révélation égale à une dissimulation. C’est une exagération de l’idée de transcendance de Dieu, une attitude de réaction excessive contre le catholicisme et le libéralisme protestant. Selon Barth, une analogie de la foi, ce qui veut dire que par la foi nous pouvons connaître Dieu par nos mots et notions, est en elle-même totalement et essentiellement incapable de nous donner une connaissance de Dieu. Les mots sont plutôt capables de dissimuler Dieu, car Dieu est le Tout Autre. Barth rejette également l’idée de la semence de religion en l’homme, une idée biblique qui a été magistralement exposée par Jean Calvin.
Dans le symbolisme, autre doctrine libérale, la fonction des mots avec lesquels on parle de Dieu consisterait seulement à créer ou à fortifier le sentiment religieux qui est essentiel en religion. La vérité des mots et des notions n’a pas d’importance, mais seulement leur effet. C’est pourquoi certains théologiens libéraux n’ont pas de scrupule à parler avec l’un dans la terminologie orthodoxe et avec l’autre dans une terminologie moderne. Ce qui importe, pour eux, c’est d’atteindre, par exemple de consoler. Un exemple frappant de ce symbolisme dans la prédication est celui de Paul Tillich. On ne peut mieux consoler celui-ci avec un langage orthodoxe et celui-là avec un langage libéral. C’est pourquoi chez les tenants du symbolisme, une terminologie orthodoxe n’est pas toujours la garantie d’une pensée orthodoxe. Discerner un tel libéralisme est très difficile pour des paroissiens simples.
Ces possibilités de connaître Dieu n’ont pas été ontologiquement anéanties par le péché. Le péché est une corruption de la création, mais non son anéantissement. L’homme est resté homme. Or, il est essentiel à l’homme d’avoir une disposition à la connaissance de Dieu. Cette disposition est corrompue totalement, mais elle n’est pas perdue. La grâce est une restauration et non une addition faite à la nature, comme le disent les romains.
Dieu se révèle par le moyen de la création (Ps 8; Ps 19.1-7; Rm 1.19). Dieu peut se révéler dans l’homme Jésus-Christ. C’est l’insensé qui dit dans son cœur : Il n’y a pas de Dieu (Ps 14.1). La connaissance de Dieu n’est pas impossible ontologiquement. Ne pas connaître Dieu comporte toujours une culpabilité. Paul parle des hommes qui retiennent injustement la vérité captive, bien qu’ils puissent connaître Dieu. La possibilité de la connaissance de Dieu existe ontologiquement, c’est la colère de Dieu qui se révèle du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes (Rm 1.18).
Selon Karl Barth, il n’existe pas de révélation générale par les œuvres de Dieu. Dieu se serait révélé objectivement au monde par la croix et la résurrection de Jésus-Christ. C’est pourquoi tout le monde depuis ce moment peut être considéré comme « connaissant Dieu ». Selon lui, on ne peut pas dire qu’il y a une révélation de Dieu en dehors de la révélation de Jésus-Christ. Mais son interprétation ne tient pas compte de la révélation biblique. Son explication des soi-disant Psaumes de la nature ne le fait pas davantage. Selon Barth, le croyant entend la Parole de Dieu dans ses œuvres, quoiqu’il ne soit pas question d’une révélation existant objectivement.
Certains n’estiment pas que l’athéisme, comme d’autres erreurs, soit un manque de foi. Or, l’athéisme n’est pas seulement une chose négative. C’est une rétention de la vérité, ne reposant pas seulement sur un fondement intellectuel, mais surtout sur une base religieuse tout autant que l’idolâtrie. On peut dire la même chose de l’agnosticisme.
7. Nous connaîtrons Dieu correctement grâce à sa révélation spéciale et à notre régénération←⤒🔗
Plus haut, nous avons déjà signalé la pensée de Bavinck sur le sujet. Sans la Bible, on ne peut pas distinguer entre l’œuvre de Dieu et l’œuvre du diable. Toute la création a été corrompue par le péché. L’homme animal ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui et il ne peut les connaître parce que c’est spirituellement qu’on en juge (1 Co 2.14). Nous ne recevons pas une connaissance suffisante de Dieu par sa révélation générale, après la chute, parce que nous avons besoin de la connaissance de Dieu comme Sauveur. Comme Sauveur, nous ne le connaissons que par les Écritures. Il est très dangereux de vouloir connaître Dieu par sa direction de l’histoire, sans écouter les Écritures. Pensons à ce que dit Jésus au sujet des Galiléens massacrés par Pilate et des dix-huit personnes sur qui est tombée la tour de Siloé. Selon Jésus, ces personnes n’étaient pas plus coupables que d’autres habitants de Jérusalem (Lc 13.1-5). Jésus nous avertit aussi de ne pas voir un lien trop étroit entre maladie et péché (Jn 9.1-3). C’est le danger des prétendues révélations particulières qui ne sont pas confirmées par la révélation des Écritures.
Nous signalerons quelques objections élevées contre cette position. Il y a une erreur dans l’opinion selon laquelle nous avons une théologie naturelle indépendamment de la théologie surnaturelle (Rome). Certaines Églises réformées tiennent elles aussi à cette fausse opinion; par exemple, des théologies protestantes parlent des « articles mixtes » et des « articles purs » : quelquefois, on dit que la providence est un article mixte alors que le dogme de la Trinité est un article pur. Or, nous connaissons cet article seulement par les Écritures, mais une connaissance de la providence (ainsi que l’existence de Dieu) serait possible chez ceux qui ne connaissent pas les Écritures. Naturellement, des incroyants parlent aussi de Dieu et de sa providence. Mais ils n’ont pas une connaissance vraie de Dieu. On ne peut isoler un dogme d’un autre. Les dogmes sont vrais seulement en fonction du tout. Qui parle de la providence de Dieu et rejette la Trinité ne parle pas de la providence du Père de Jésus-Christ. Il a une autre idée de la providence que le chrétien. Il est clair que nous ne rejetons pas la révélation générale, mais la théologie naturelle.
Nous rejetterons également comme fausses toutes les méthodes d’évangélisation et de mission dans lesquelles on essaie de construire sur un fondement déjà existant. Naturellement, il sera nécessaire de s’exprimer avec les mots et les notions des non-chrétiens. On ne peut les purifier que lentement. On peut partir des questions qu’on trouve déjà posées parmi les païens (Ac 17). Cependant, on ne peut considérer le paganisme comme une préparation au christianisme. Il n’est pas légitime de parler d’éléments de vérité que posséderait le paganisme, parce que tous les éléments sont en fonction du tout. On ne peut pas les prendre isolément. Pourtant, il est vrai que nous ne pouvons pas expliquer le paganisme, la religiosité générale, la moralité non chrétienne, etc. sans la révélation générale de Dieu. On a ici affaire à la vérité, mais la vérité retenue injustement captive (Rm 1.18).
Parce que l’homme reste l’homme, il doit avoir une relation à cette révélation effective de Dieu. Nous savons que le péché corrompt la nature humaine, mais il ne l’anéantit pas. Pour la nature humaine, il est essentiel d’avoir, comme dit Calvin, le semen religionis, la semence de la religion, une disposition à recevoir la révélation de Dieu. Que l’homme discerne la vérité venant de Dieu, ce n’est pas opposé à la corruption de l’homme. La corruption n’implique pas que l’homme ne peut pas percevoir la vérité, mais qu’il ne veut l’admettre, parce qu’il la retient captive. Cette corruption est totale, c’est-à-dire que la vérité est retenue captive entièrement. Il n’y a pas d’élément de vérité dans le paganisme. Toutefois, il y a souvent une ressemblance entre les idées religieuses et morales des chrétiens et celles des non-chrétiens. Pour comprendre cela, il est nécessaire de ne pas oublier que toutes sont en fonction du tout. Quand la totalité témoigne de la perversion de la vérité, il en est de même pour les différentes parties. Naturellement, la perversion n’est pas toujours la même. Grâce à la révélation générale, la vie a été rendue possible sur la terre après la chute. Une certaine moralité a encore cours. Grâce à la révélation générale, le chrétien peut vivre dans ce monde.
Ailleurs, dans l’histoire des religions, on distingue entre religions monothéistes, polythéistes, etc. N’oublions pas que le monothéisme d’une religion ne signifie pas qu’elle est plus près du christianisme qu’une autre religion. Le monothéisme comme tel ne veut pas dire que la perversion de la vérité soit moins grande.
Selon Jean Calvin, la Bible doit nous servir de lunettes pour lire le livre de la nature.
Selon certains Psaumes, la gloire de Dieu est manifestée dans la création. Dans la théologie ancienne, on distinguait entre la cognitio Dei insita et la cognitio Dei acquisita. La première est celle que l’homme doit recevoir tout spontanément. La seconde indique la possibilité d’élargir la première connaissance par la réflexion. Il s’agit dans les deux cas d’une connaissance de Dieu par la révélation générale. L’homme qui n’a pas été régénéré a aussi le semen religionis; c’est pourquoi il est, lui aussi, atteint par la révélation générale. Cela se passe tout spontanément. Il peut être athée, mais il est important de remarquer que l’athéisme suppose une « rétention » de vérité. Étant homme, il nous est possible de réfléchir sur ce que nous avons reçu spontanément, de cette façon. Nous ne pouvons recevoir l’opinion selon laquelle on peut avoir, sans les Écritures et la régénération, une vraie connaissance de Dieu, soit innée, soit reçue. La cognitio Dei insita et la cognitio Dei acquisita correctes sont seulement possibles par la lumière de Dieu, par la lumière de la Parole de Dieu dans toute la vie et dans toute l’histoire. Chaque homme établit un lien entre sa vie quotidienne et le Seigneur qu’il connaît par sa Parole. Voilà la cognitio insita. Et naturellement, il pourra réfléchir aussi sur ce qu’il aperçoit de Dieu. Alors la cognitio Dei acquisita se développe.
On entend par ces deux manières de connaître Dieu la connaissance de Dieu par la révélation générale éclairée par la lumière des Écritures. Nous remarquons ensuite qu’en parlant de connaissance innée nous ne pensons pas à une connaissance indépendante de la révélation. Par le mot « innée », nous indiquons simplement que cette connaissance se forme spontanément. Nous pouvons constater aussi que, pour le chrétien réformé, les prétendues preuves de l’existence de Dieu ne sont pas sans signification. Nous avons constaté que le terme « preuve » n’est pas juste. On ne peut pas démontrer l’existence de Dieu. Que Dieu existe, c’est une question de foi. Mais si nous croyons à l’existence de Dieu, ces preuves deviennent pour nous des témoignages importants. Ce n’est pas qu’ils puissent être en quelque façon le fondement de notre foi; la foi a un autre fondement. Mais le croyant voit dans l’existence de ce monde fini un témoignage rendu à Dieu qui a créé ce monde. Ainsi découvre-t-il les traces de la sagesse de Dieu dans l’histoire du monde.
Un autre témoignage est l’inquiétude de l’homme jusqu’à ce qu’il ait trouvé son repos en Dieu (Augustin). Nous apercevons aussi l’activité de Dieu dans la religion païenne, dans le besoin d’une moralité, et aussi par exemple dans la discussion sur la transcendance dans la philosophie existentialiste. Toutes ces choses témoignent de la révélation générale, à laquelle personne ne peut échapper. Mais n’oublions pas que nous ne parlons pas d’éléments de vérité possédés par le paganisme. Il s’agit dans tous ces exemples de la vérité retenue captive. N’oublions jamais non plus que nous ne pouvons pas amener les non-croyants à la foi en partant de ces preuves. La foi a besoin d’une autre base.
La doctrine des idées innées s’oppose à notre position. Selon elle, l’homme est capable de connaître Dieu, parce qu’il a en lui-même, indépendamment de toute révélation, une idée de Dieu. Nous la trouvons dans la philosophie idéaliste, la pensée grecque classique et la philosophie moderne. Elle apparaît spécialement pendant la période où la philosophie néo-platonicienne avait une influence importante dans l’Église. Augustin, lui aussi, ne fut pas tout à fait exempt de cette erreur. Elle se trouve dans certaines formes de mysticisme et dans quelques aspects de la théologie et de la philosophie catholique qui essaient de se rapprocher de la pensée des Pères de l’Église. Pourquoi rejeter cette opinion? Trois raisons de le faire : Il n’existe pas de connaissance de Dieu indépendamment de la révélation. Cette opinion ne distingue pas correctement l’Esprit de Dieu de notre esprit, d’où un danger de panthéisme. Elle estime l’esprit plus que la matière, ce qui est une pensée non biblique.
Dans le monde présent, nous n’atteindrons pas la connaissance parfaite de Dieu. Selon la théologie catholique romaine, nous aurons dans la béatitude la « vision essentielle de Dieu ». La théologie réformée s’oppose en général à cette doctrine parce que, pour elle, la révélation de Dieu reste toujours une « descente de Dieu ». Selon la théologie réformée, il n’y a pas de « théosis », divinisation de l’homme, comme cela est admis dans la doctrine catholique et dans la doctrine grecque orthodoxe.
Notes
1. Herman Bavinck, Gereformeerde Dogmatiek, Vol. 1, p. 528-670.
2. Voir nos deux séries d’études intitulées La révélation générale et La révélation spéciale.