Connaissance de l'islam - Mahomet, fondateur de l'islam
Connaissance de l'islam - Mahomet, fondateur de l'islam
- Avant l’hégire
- La « révélation » et les débuts de la prédication
- Le message
- Les effets de la prédication à La Mecque
- L’hégire
- Séjour à Médine
- Progrès et affermissement
- La mort du prophète
- Après la mort du prophète
La vie du prophète, appelée la « sira », ne nous est connue que par des traditions islamiques. La légende dorée se mêle constamment aux récits historiques et il est malaisé d’en entreprendre une synthèse objective. On doit à un fidèle de Médine nommé Ibn Ishâq, mort vers 769 (plus de 130 ans après Mahomet), un abrégé de la vie édifiante de Mahomet, résumé cohérent et comportant nombre de traditions. Le Coran, lui aussi, contient de nombreuses allusions biographiques.
1. Avant l’hégire⤒🔗
Mahomet est le fils d’Abdallah (mort deux mois après la naissance du prophète) et d’Amina (morte alors que l’enfant atteint l’âge de 6 ans); son nom signifie « le très exalté ». Orphelin, il est élevé par son oncle Abu Talib (mort en 620). Sa famille était composée de membres puissants de leur tribu, appelée Quraysh, responsable de la Kaaba. Abu Talib, bien que personnage influent, était pauvre. Pendant un certain temps, l’enfant servit comme berger dans le désert. À l’âge de 12 ans déjà, il accompagne son oncle avec des caravanes se rendant en Syrie.
Au cours de ces voyages en caravane, le jeune homme eut l’occasion d’entendre des juifs et des chrétiens discourir sur leur Dieu unique. On dit qu’il fut un garçon intelligent, répugnant à la grossière immoralité de son peuple qui lui causait une grande déception. À l’âge de 20 ans, il est déjà une figure populaire. On ajoute qu’il aurait gagné les titres suivants : le vrai, le juste, le digne de confiance. Il vivra cependant assez à l’écart d’une société qu’il tenait pour dégénérée et chaotique.
Arrivé à l’âge adulte, on lui confie la conduite des caravanes. À l’âge de 25 ans, il entre au service d’une riche veuve nommée Khadija. Son savoir-faire impressionnera la dame et peu à peu leur relation s’approfondissant aboutira à un amour réciproquement partagé. Quoiqu’âgée de 40 ans, Khadija épousera le jeune Mahomet, en 595. Durant de longues périodes pendant lesquelles nul parmi ses contemporains, voire ses proches, ne le prenait sérieux, et doutant bien souvent de sa propre vocation, Khadija restera à ses côtés.
Deux fils et quatre filles leur naîtront; pendant la vie de Khadija, durant les années de vie conjugale avec elle, Mahomet ne prendra pas d’autre femme. Par la suite, il épousera cependant plusieurs autres femmes. Durant ces mêmes années, Mahomet s’associe aux principaux de la ville et se familiarise avec la situation politique et religieuse du pays. Khadija était parente d’un Hanif converti au christianisme, et il est probable que le futur prophète eut l’occasion de discuter avec lui, sans doute aussi avec d’autres Hanifs, des problèmes de l’Arabie. Il connaissait des juifs et des chrétiens adorateurs d’Allah, le Dieu unique. Bien qu’il continue à se rendre à la Kaaba, il est probable qu’il se soit déjà rendu compte que les images placées dans la maison d’Allah ne sont pas de véritables dieux.
On peut, avec quelque raison, penser qu’il fut un chercheur de Dieu. À présent, il a aussi bien du temps que de l’argent à sa disposition pour voyager. Sans doute, il lui a semblé qu’il pourrait se rendre ailleurs dans le Nejran, en Syrie ou en Éthiopie, pour effectuer des recherches auprès de chrétiens savants, les interroger au sujet de leurs Écritures et de leur Dieu. Mais il ne semble pas avoir fait d’effort sérieux pour comprendre vraiment le contenu des Écritures chrétiennes. Il n’a jamais su ce qu’était le véritable Évangile. Fut-il vraiment empêché de se rendre dans ces pays, vers des docteurs et des théologiens chrétiens, à cause des querelles sévissant entre diverses branches de l’Église orientale? Ou bien était-ce son orgueil national d’Arabe, originaire de La Mecque, qui l’empêcha de se rendre auprès des juifs et des chrétiens, gens minoritaires, pour chercher auprès d’eux une direction spirituelle? Quelle qu’en soit l’explication, à ce moment-là, il manqua définitivement l’occasion de se familiariser avec le Dieu de Jésus-Christ.
Mahomet apparaît en cette Arabie où se mêlent la fierté, le culte de l’honneur, le respect de la parole donnée, la violence, la brutalité et l’âpreté des mœurs. Lutter contre toute forme d’idolâtrie, prêcher un Dieu unique, transcendant, créateur des mondes, seul juge, tout-puissant et miséricordieux, telle sera la mission principale que désormais il s’assignera. Sur les quinze années qui suivront son premier mariage, nous n’avons guère de renseignement sur lui, sans doute médita-t-il longuement sur ses inquiétudes religieuses, tout en se livrant à son commerce ordinaire.
2. La « révélation » et les débuts de la prédication←⤒🔗
Nous exposerons ici ce que nous rapporte la tradition musulmane au sujet de la « révélation » et des débuts de la prédication du prophète. Une nuit, en l’an 610, alors que Mahomet est âgé de 40 ans, la foi musulmane verra le jour lors d’une « révélation » dans la caverne où il séjourne pendant six mois, et où il se livre à une méditation solitaire. L’ange Gabriel lui serait apparu en lui adressant un ordre : « Proclame! » Ne sachant bien s’il s’agissait d’un rêve ou d’une vision, il répond : « Que dois-je proclamer, je ne sais lire? » Soudain, sa gorge se serre comme si l’ange cherche à l’étouffer. De nouveau retentit l’ordre : « Proclame! » De nouveau, il proteste : « Je ne puis même pas lire », et de nouveau, il éprouve la même sensation d’étouffement; pour la troisième fois, il entend l’ordre :
« Proclame au nom du Seigneur,
Le Créateur qui créa l’homme d’un caillot de sang,
Proclame. Votre Seigneur est gracieux;
Il a enseigné par la plume
Ce que l’homme ignorait. » (Coran 46.1-4)
Après que la vision eut disparu, Mahomet trouvera gravés profondément dans son cœur aussi bien l’expérience que les mots de l’ange; il ne comprenait ce que cela signifiait ni s’il pouvait faire confiance en ce qu’il venait de voir. Ne s’agissait-il pas d’un rêve? Ou d’une illusion? Ne serait-il pas la cible d’attaques de la part des méchants esprits? Ces questions sans réponse le plongeront dans une inquiétude désolante, à tel point qu’il songera à se supprimer. Mais, au moment où il lui semble devoir mettre fin à son existence, une force non identifiée l’en empêche. Tremblant, avec frayeur, il entendra une nouvelle fois la voix de Gabriel : « Je suis Gabriel, l’ange d’Allah, tu es son prophète. » À partir de ce moment, le caravanier sait qu’il sera le prophète d’Allah, chargé de mission auprès des Arabes. Aussitôt, il se mettra à prêcher; Khadija est sa première convertie. D’autres « révélations » ne tarderont pas à lui être accordées, à des intervalles plus ou moins réguliers.
3. Le message←⤒🔗
L’essentiel du message reçu consiste à déclarer l’existence d’un seul Dieu, d’Allah, à l’exclusion de toute autre divinité, seul véritable, créateur des cieux et de la terre. L’homme en est l’esclave; son devoir principal consiste à se soumettre à ce Dieu unique et à lui obéir. La bonté de Dieu et sa miséricorde se manifestent dans la providence qui pourvoit aux besoins de tout homme; aussi tous lui doivent une humble reconnaissance. Un jour eschatologique et redoutable attend le monde lorsque la terre sera ébranlée; alors Dieu ressuscitera les morts pour les faire comparaître devant son tribunal de jugement final. Il récompensera avec des plaisirs charnels et le don d’un paradis sensuel ceux qui l’auront adoré et auront pratiqué de bonnes œuvres; il condamnera par le feu de l’enfer ceux qui se seront adonnés à l’iniquité, la pire de celles-ci étant la confusion du vrai Dieu avec des idoles.
D’où Mahomet tient-il ce message? Selon les musulmans, il l’a reçu pendant des « révélations » successives. On peut supposer que l’unicité de Dieu lui avait été inculquée lors de ses rencontres avec les juifs et les chrétiens. En ce qui concerne le jugement, sans doute il le tenait de certains éléments de la doctrine chrétienne. Quelle que soit la manière dont il les a reçues, Mahomet annoncera ces vérités avec un grand zèle et conviction, cherchant à amener les Mecquois à la repentance et à la foi au Dieu unique.
4. Les effets de la prédication à La Mecque←⤒🔗
Peu de gens accordèrent crédit à la proclamation de ce message et à l’annonce que lui, Mahomet, était porteur d’une révélation divine, Khadija, nous venons de le voir, devenant sa première convertie. Outre elle, ce sera un jeune cousin nommé Ali et son fils adoptif Zayd qui adhéreront à son enseignement. Plus tard, un marchand du nom d’Abu Bakr se joindra au petit groupe d’adeptes. D’autres, dont la plupart des gens modestes, s’ajouteront au groupe.
Ceux des classes supérieures l’ignoreront et bientôt le ridiculiseront, le tenant pour un homme du commun, dépourvu de toute qualification pour assumer une mission divine. Son message relatif à la résurrection des morts n’est qu’une incroyable assertion. Comment les morts reviendraient-ils à la vie? On l’accuse de sorcellerie et de fraude. Tandis qu’il commence à s’attaquer aux dieux de la Kaaba, qu’il tient pour faux, les Mecquois redoublent leur opposition, allant jusqu’à persécuter le petit groupe. Ils n’osent toucher cependant au prophète, parce qu’il jouit de la puissante protection de son oncle Abu Talib.
La persécution devient plus sévère, de sorte que Mahomet envoie 80 de ses adeptes en Éthiopie, pays voisin christianisé. Ces réfugiés y sont accueillis et traités favorablement. Plus tard, rentrant en Arabie, ils retrouveront le prophète à Médine. L’opposition violente n’arrête pas Mahomet dans la dénonciation de ses ennemis, qu’il menace du châtiment divin. De nouveaux convertis s’ajoutent au petit nombre qui l’encourage à persévérer.
5. L’hégire←⤒🔗
Incapable de progresser à La Mecque, il ne vit d’autre alternative que de transférer sa mission vers une localité plus favorable. Il décida de se rendre à Yathrib. À l’approche de son départ, il lui fut accordé une nouvelle « vision » qui le réjouit grandement après 13 ans d’incompréhension. Il se vit transporté au ciel, conversant avec les prophètes et les apôtres du passé et, déclara-t-il, il fut reconnu et honoré d’eux. Selon certaines traditions, durant cette nuit, il se serait corporellement trouvé au ciel, mais, au dire d’Aïsha, son épouse, cette nuit-là il n’avait point quitté son lit.
Ayant appris que les Mecquois voulaient empêcher son départ en compagnie de son ami Abu Bakr, il s’échappa au cours d’une nuit, se réfugiant dans une caverne; de là, ils firent route vers Médine. Cet épisode est appelé par les musulmans le « hejra », l’hégire. Cette nuit de fuite marquera plus tard la première année du calendrier musulman. Durant cette période, il n’a jamais prétendu avoir accompli de miracle. Cependant, il demanda un signe tangible pour convaincre son peuple que c’était bien Dieu qui l’avait envoyé. La réponse reçue affirma que le Coran était précisément le signe demandé. Le prophète considérait les Écritures juives et chrétiennes comme des livres d’inspiration divine authentique; cependant, il estimait que les juifs et les chrétiens en avaient donné de fausses interprétations allant jusqu’à en déformer le contenu. Quant à lui, il prétendra avoir été envoyé directement par Dieu afin de conduire les gens vers la foi véritable, celle d’Abraham. Il imite les juifs qui, pour prier, se tournent vers Jérusalem; il est tout disposé à gagner l’allégeance et le soutien de ces derniers.
6. Séjour à Médine←⤒🔗
Dans sa nouvelle ville de résidence, Mahomet fait édifier la première mosquée. Un jour de vendredi, il y prononce son premier sermon. La situation politique à Médine étant passablement confuse, il prend bientôt entre les mains la direction des affaires aussi bien religieuses que politiques. Le nombre de ses disciples ne cesse de croître. On dit qu’il exerce une autorité prudente, ramenant paix et ordre au sein de la ville anarchique.
Il cherche aussi l’appui des juifs pour l’aider dans son entreprise. La sourate 2.257 dit qu’il ne doit point exister de contrainte religieuse. Bien que certains juifs l’assurèrent que son apparition avait été prédite dans l’Écriture, attestation qu’il cherchait d’ailleurs avidement, la majorité des juifs observa à son égard une prudente neutralité. Les juifs ne pouvaient croire qu’il fût leur messie, lequel, selon les prophéties de l’Ancien Testament, devait être issu de la famille royale de David. Lorsqu’il se rendit compte de l’attitude plus que réservée des juifs à son égard, il les traita d’hypocrites. On lui répliqua que son avènement n’était nullement prédit dans leur Bible; il se contenta alors de les accuser de falsifier leurs propres écrits, non pas d’avoir substitué d’autres, inauthentiques, mais d’avoir omis de mentionner ce qui se référait à sa personne.
7. Progrès et affermissement←⤒🔗
À Médine, il n’est plus un prédicateur isolé, mais un véritable chef politique et religieux. Il communique à ses fidèles son idéal d’une religion purifiée des pratiques païennes, adorant non pas des idoles, mais le Dieu véritable. Le culte de celui-ci devait unir entre elles toutes les tribus arabes de la péninsule. Il se mit ainsi à réformer la législation de la cité et, à partir de l’an 624 de notre ère, à entreprendre une campagne contre les Mecquois, marquée par les événements suivants : une victoire (Badr), une défaite (Ohod), le blocus de Médine que les assiégés entourèrent d’un grand fossé (la guerre du Fossé), une série de négociations, de compromis et, finalement, en 630, la prise de La Mecque. Mahomet s’assurait un onzième mariage avec la fille d’un chef mecquois, concluant les dernières alliances dont il avait besoin pour asseoir son autorité.
En habile politicien, il ne supprima pas le pèlerinage païen à La Mecque, où l’on adorait la pierre noire. Ce pèlerinage était un véritable symbole d’union, puisque toutes les tribus nomades s’y retrouvaient. Le premier pèlerinage exclusivement musulman eut lieu en 632 sous les auspices mêmes du prophète.
Durant toutes ces années, Mahomet se mit à former une communauté de gens unis non par les liens du sang, comme c’était le cas dans une société traditionnelle arabe, mais par la foi en Allah et en son apôtre.
C’est à Médine que Mahomet élaborera sa doctrine religieuse. D’autres « révélations » lui viendront durant des moments d’intense transe; les descriptions qu’il a faites de ces rencontres, mémorisées et enregistrées par ses disciples, seront recueillies plus tard pour former le livre sacré de l’islam, le Coran. Tandis que s’accroît le nombre des adeptes, le prophète entreprend une série de guerres de vengeance. En 628, les Mecquois donnèrent l’accord pour laisser ses disciples effectuer un pèlerinage à la Kaaba, laquelle, aux yeux de la nouvelle religion, passe toujours pour être un lieu saint. Deux ans plus tard, le prophète y conduit une armée de 10 000 hommes, remportant une éclatante victoire sans verser du sang, et en en prenant le contrôle total.
« Le premier souci du prophète fut de créer des rapports nouveaux entre les éléments hétérogènes qui composaient sa troupe. Aux lois tribales qui s’avéraient de plus en plus inadaptées à la vie dans la cité et qui avaient jusqu’ici neutralisé l’action de ses adversaires, il chercha à substituer une loi nouvelle basée, non sur le lien de parenté par le sang, ni sur les alliances tribales, mais sur la communauté de foi au Dieu unique, créateur de tous les hommes et maître de tout l’univers. Le principe de la “umma” fit ainsi son apparition; il allait être le remède le plus efficace contre les rivalités traditionnelles entre les diverses tribus et l’individualisme séparatiste des Arabes. La loi de cette “umma” était déjà esquissée, ses principaux articles étant la foi au Dieu unique, les fins dernières, l’intervention divine dans l’histoire par les prophètes. D’autres articles sont en voie d’élaboration : la réglementation de la prière, le jeûne, l’aumône légale, la confession de la foi, le pèlerinage. Les cinq “piliers” de la foi, de caractère essentiellement moral, préparent le croyant à admettre les trois premiers principes de caractère dogmatique.1 »
Dès le début, l’islam se présente comme une institution Église-État, une société religio-politique dans laquelle le prophète occupe la deuxième place après Dieu en tant que prince gouverneur; il exerce son autorité aussi bien dans le domaine politique que dans celui de la religion. Cette position peut rappeler l’institution théocratique de l’ancien Israël. Mais la tribu des Quraysh se rendra vite compte qu’on vient de fonder un État dans leur État.
La dixième année de la mission, en 620, le prophète éprouvera deux pertes. Son oncle Abu Talib, qui l’avait soutenu et protégé, quoique n’ayant pas adhéré à la doctrine, meurt en cette année. Mourra aussi Khadija, son épouse. Quelques mois après la mort de cette dernière, Mahomet cherche la consolation en épousant Aïsha, la fille de neuf ans de son ami Abu Bakr, qu’il ne prendra chez lui que trois ans plus tard comme épouse favorite.
8. La mort du prophète←⤒🔗
Déjà atteint par la maladie qui devait mettre fin à ses jours, Mahomet conduisit le pèlerinage de 632. Ce fut le grand défilé du triomphe de l’islam. Dans une homélie mémorable, le prophète rappelle à la communauté les fondements de l’islam et, du haut d’un rocher, proclame de sa voix affaiblie, mais amplifiée par celle de Bilâl, le premier muezzin de l’islam :
« Ô hommes, Satan a désespéré d’être adoré sur cette terre qui est vôtre; mais il se contentera des concessions que vous lui feriez dans vos actions; méfiez-vous de lui pour votre religion. […] Ô hommes, écoutez mes paroles et pesez-les; car j’ai accompli ma vie et je laisse en vous ce par quoi vous éviterez à jamais l’égarement, si vous y êtes fidèles, une loi claire, le livre d’Allah et la tradition de son prophète. Écoutez mes paroles et pesez-les. Sachez que tout musulman est un frère pour un autre musulman, que les musulmans sont frères, qu’il n’est licite pour un homme sur la part de son frère que ce que celui-ci lui donne de son plein gré. Ne faites point tort à vos propres personnes. »
Puis il demande à la foule : « Ai-je rempli ma tâche? » « Par Allah, oui! », répond la foule. « Par Allah, reprend le prophète, je rends témoignage! Aujourd’hui, le temps revient au point où il était, le jour où Dieu créa les deux et la terre! »
Ce fut son dernier pèlerinage. Il rentrera à Médine, conscient de la proximité de sa fin. Frappé d’une pleurésie, il mourra à Médine, le 8 juin 632. Il sera enterré sur place, sous la chambre où se trouvait son lit de mort. Cette pièce fut par la suite rattachée à la mosquée. La légende conte que Fâtima, sa fille, prit un peu de la poussière couvrant le cercueil et s’écria : « Lorsqu’on a senti la poussière de sa tombe, peut-on encore prendre goût aux parfums les plus exquis? »
« Cette mort fort inattendue jeta la panique dans la communauté. L’oubliant dans son linceul, ses compagnons se réunissent sans désemparer pour tenter d’assurer sa succession. On vit alors apparaître les prodromes des schismes; mais de peur que les ennemis de la nouvelle religion ne relevassent la tête, des concessions sont faites de part et d’autre et Abu Bakr prit la tête de la communauté.2 »
En dépit de nombreuses légendes, circulant déjà du vivant du prophète, Mahomet a rejeté la prétention à la divinité, soulignant qu’il n’était qu’un être humain, soumis à Allah; son canal seulement.
9. Après la mort du prophète←⤒🔗
Les luttes au nom de l’orthodoxie commencent après la mort du prophète3. Elles n’ont guère cessé. Engagées au nom de la pureté de la loi islamique et du retour aux sources, elles reflètent aussi des rivalités pour l’accession au pouvoir. Sur les quatre premiers califes (les « rachidoûn », ou bien inspirés), trois connaissent un sort tragique. Abu Bakr règne de 632 à 634 et se définit comme calife ou « successeur de l’envoyé de Dieu ». Omar (634-644) s’attribue le titre d’« Amir al Mou’minine », ou commandeur des croyants. C’est lui qui entame les grandes chevauchées à la tête des cavaliers d’Allah, soldats-prédicateurs qui recourent au Coran autant qu’à l’épée, mais il meurt percé du poignard d’un esclave chrétien. Othman (644-656) et Ali (656-661) seront également assassinés. Ces déchirements n’empêchent pas l’islam d’étonner par ses audaces et sa fulgurante progression.
En un siècle se constitue un des plus vastes empires du monde; il s’étend du Tage à l’Indus, de l’océan Atlantique à la mer d’Aral, des Pyrénées au Sahara. Repoussés à Poitiers en 732, les Maures font de l’Andalousie un joyau et de la Sicile un jardin. Malgré ses divisions, l’islam est pendant plusieurs siècles le seul grand foyer de civilisation avec la Chine. Damas, Bagdad, Samara, Samarkand, Boukhara, Le Caire, Kairouan, Bougie, Tlemcen, Fès, Marrakech, Grenade, Cordoue… sont des centres de création qui illustrent le « miracle arabe » comme il y a eu dans l’Antiquité le « miracle grec ».
Alors que l’islam connaît de nombreux schismes et s’étend sur une multitude de peuples, c’est la permanence de l’unité dans la foi et dans le rite qui l’emporte et s’impose, sans empêcher cependant le génie propre à chaque région de s’exprimer. L’art en est profondément marqué. Des minarets carrés d’Andalousie et du Maghreb aux minarets fuseaux du Caire ou d’Ispahan, ce ne sont que variations sur un même thème. Le Coran n’interdit pas formellement la reproduction de la nature dans l’œuvre d’art (le prophète aurait porté une tunique dont le bas était brodé de palmiers et d’animaux), mais il prescrit de détruire les idoles. C’est ainsi que l’abstraction prévaudra dans l’islam, qui n’est pas une civilisation de l’image, mais de l’arabesque : la calligraphie devient l’expression plastique du sacré, comme la psalmodie du Coran est son expression musicale.
Le déclin commence lorsqu’au 11e siècle le calife Al-Qadir définit ce qui doit être l’orthodoxie et ferme la porte de « l’ijtihad » (l’effort de recherche personnelle). Paradoxalement, alors que se confirme le repli de l’islam arabe, l’islam turc prend son essor et domine avec l’Empire ottoman du 16e au 19e siècle, pendant que l’islam de la seconde expansion, grâce aux commerçants et aux marabouts, part à la conquête de l’Afrique noire et de l’Extrême-Orient. Les Arabes ne représentent plus alors que 10 à 15 % des musulmans dans le monde, mais ils jouent encore un rôle capital au 19e siècle avec la « Nahda » (renaissance) qui est à l’origine des grands courants de pensée qui agitent depuis l’ensemble du monde islamique.
Au 20e siècle, l’islam devient un bouclier pour les peuples colonisés. À l’heure de la décolonisation et des indépendances, il est vécu comme une religion du Tiers-monde qui valorise ses adeptes. Il a su profiter des bouleversements économiques et des « ruptures sociales » pour substituer une forme de vie communautaire à une autre devenue anachronique. Face à un Occident laïcisé et à un monde communiste qui professe un athéisme militant, il apparaît beaucoup comme un recours et un refuge. Il emporte surtout l’adhésion parce que sa foi est simple… Cependant, l’islam, qui n’est pas seulement une foi, mais aussi une civilisation, un mode de vie et une culture, saura-t-il relever le défi du siècle, réaliser la symbiose entre religion et développement, tradition et modernité?
Notes
1. Toufic Fahd, Histoire des religions. Vol. 2, Naissance de l’islam, Encyclopédie de la Pléiade.
2. Id.
3. D’après Paul Balta et Anne-Marie Delcambe, L’État des religions, p. 149.