Dépression et guérison (1)
Dépression et guérison (1)
La dépression représente un 40 % parmi les maladies psychiques qui affectent nos contemporains. Pour des raisons qu’on ignore, elle touche deux fois plus de femmes que d’hommes. La tranche d’âge qui va de 50 à 60 ans est celle qui semble en pâtir le plus. Ce qui est désolant, c’est de constater qu’elle n’épargne nullement les membres des Églises, là où, précisément, le ministère pastoral aurait dû suppléer à la profession du psychiatre. Des ministres du culte eux-mêmes ne sont pas épargnés, surtout à une époque où l’intérêt pour la religion baisse, l’indifférence vis-à-vis de l’Évangile semble générale et l’échec tout au moins apparent du ministère pastoral est cuisant dans un certain nombre de pays occidentaux.
Quelles pourraient être les causes principales d’une telle épidémie?
Du point de vue médical, on peut avancer deux certitudes : l’hérédité d’une part, l’environnement social, culturel et moral de l’autre.
Dû à des facteurs génétiques ou constitutionnels, certaines personnes sont prédisposées plus que d’autres à la dépression. D’autres sont déprimées à cause des tensions insupportables qu’elles subissent dans leur milieu d’existence ou d’activité, ou encore à cause d’une expérience malheureuse. Il est rare que ces deux facteurs opèrent isolément; dans la plupart des cas, il existe une forte interaction entre les dispositions mélancoliques de l’individu et les réactions aux pressions qu’il subit de l’extérieur. C’est du point de vue spirituel et pastoral que nous mentionnerons encore un troisième facteur : celui des problèmes spirituels et religieux à proprement parler.
Nombre de dépressions sont dues à une fausse attitude vis-à-vis du péché. Le problème surgit non pas tant du fait que nous avons commis une erreur spirituelle qu’à cause de notre réaction vis-à-vis du mal accompli. Nous refusons de reconnaître le mal que nous avons fait; nous nous obstinons à ne pas le répudier. En même temps et paradoxalement, nous désespérons en pensant qu’il n’existe pour nous aucun pardon, et, comme dans le fratricide de Caïn, notre visage s’abat terriblement (Gn 4.5). Si nous ne traitons pas le problème à la racine, aucune thérapie ne pourra nous aider.
D’autres dépressions naissent à la suite de vains regrets et de remords futiles. Chacun d’entre nous peut se souvenir d’avoir heurté ou blessé ses proches, et il en conserve jour après jour, si ce n’est année après année, le pénible souvenir. Le regret et l’amertume le rongent comme l’acide ronge le métal. Pourtant, lorsque le mal a été commis et que nous ne pouvons l’effacer, retourner en arrière, faire comme s’il ne l’avait pas été, pourquoi cultiver des souvenirs morbides et entretenir une morosité qui peut tourner à l’obsession maladive? La meilleure attitude consiste à demander à Dieu de nous pardonner, et, lorsque cela est encore possible, demander pardon à la personne que nous avons lésée ou offensée, l’aimer et réparer, dans la mesure du possible, le mal que nous lui avons causé. Finalement, de faire aussi notre possible pour vivre, par la grâce de Dieu, dans la paix et la dignité.
Une autre cause de dépression assez répandue, notamment chez les chrétiens, consiste dans les faux espoirs qu’ils placent en Dieu; ils s’attendent à ce que l’existence chrétienne soit un havre de bonheur et de félicité! Et lorsque surgissent les difficultés, ils s’imaginent qu’ils se sont rendus coupables d’un péché ou tout au moins d’une grave erreur, pour laquelle Dieu les châtie sévèrement. Ils oublient que nous avons été recrutés pour mener une guerre sainte dans un monde où agissent les puissances du mal. L’Écriture sainte nous prévient explicitement que notre course terrestre sera caractérisée par la tribulation. « C’est à travers beaucoup de tribulations que nous entrerons dans le Royaume de Dieu » (Ac 14.22). « J’estime qu’il n’y a pas de commune mesure entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui sera révélée pour nous » (Rm 8.18). La Parole de Dieu rend également clair que Dieu soumet ses enfants — que pourtant il chérit — à une discipline parfois très rigoureuse. Par conséquent, ils devraient s’attendre à des circonstances qui n’ont rien de particulièrement réjouissant. Le danger les guette de refuser de se laisser réprimander, de se laisser aller à la lassitude et au découragement.
« Et vous avez oublié l’exhortation qui vous est adressée comme à des fils : Mon fils, ne prends pas à la légère la correction du Seigneur, et ne te décourage pas lorsqu’il te reprend. Car le Seigneur corrige celui qu’il aime » (Hé 12.5-6).
Nous sommes également prévenus que, si nous avons traversé une série d’épreuves particulièrement ardues, nous n’avons pas à nous imaginer que la fin de toute épreuve a finalement sonné pour nous!
Dans le monde, on entend parfois dire, avec un certain cynisme, que tel ou tel s’attire toujours les ennuis, et que, quoi qu’il fasse, il se trouvera toujours dans le pétrin… Or, la Parole de Dieu nous apprend que ce n’est pas nécessairement nous qui nous attirons les ennuis, mais que les ennuis sont là pour nous harceler sans répit, car nous ne sommes pas immunisés contre le malheur du fait que nous sommes des enfants de Dieu. Mais nous avons la promesse qu’au bout de l’épreuve se trouve la récompense pour celui qui persévérera jusqu’à la fin. Durant l’une de périodes les plus sombres de ma jeunesse je recevais de mon père — pasteur évangélique — entre autres conseils paternels le rappel d’un texte du prophète Jérémie : « Si tu cours avec des piétons et qu’ils te fatiguent, comment pourras-tu lutter avec des chevaux? Et si tu n’es en sécurité qu’en pays paisible, que feras-tu lors de la crue du fleuve? » (Jr 12.5).
Quelle est la responsabilité que l’Église chrétienne devrait exercer en face de la dépression? Pour commencer, de manière communautaire, l’Église devra se porter au secours de ses membres les plus fragiles. Dans le deuil, nous sommes exhortés à nous réconforter mutuellement. « Consolez-vous donc les uns les autres par ces paroles » (1 Th 4.18). De même, nous devons porter les fardeaux les uns des autres, et notamment des plus faibles. « Nous vous y exhortons, frères : avertissez ceux qui vivent dans le désordre, consolez ceux qui sont abattus, supportez les faibles, usez de patience envers tous » (1 Th 5.14). Il existe un ministère de consolation qui appartient à tous les chrétiens sans exception. Les adultes devront soutenir les jeunes, et les jeunes accompagner les vieux. Les pasteurs sont au service de leurs communautés et, inversement, les membres de celle-ci devraient porter le poids, parfois écrasant, dont est chargé leur conducteur spirituel.
Au sens propre du terme, l’Église est un centre de santé : là où les fardeaux sont portés ensemble, les problèmes envisagés en commun, les névrosés traités avec douceur… C’est l’endroit par excellence où les occasions sont offertes pour guérir les blessures de l’âme. On pourrait et devrait développer des personnalités mûries et responsables. Hélas, combien la réalité est différente! Où trouver l’Église locale où l’on peut puiser la force de la consolation?
Une certaine psychologie moderne associe sans la moindre raison dépression et religion! Mais avec le pasteur étranger que je lisais récemment, je puis affirmer que « la religion n’est pas la cause de la mélancolie, cependant, la cause de la mélancolie peut se nourrir d’une fausse conception de la religion ». En effet, la foi chrétienne peut être manipulée et servir abusivement à des fins douteuses.
L’histoire de l’Église prouve malheureusement cela. Même de nos jours, certains chrétiens croient devoir refuser à d’autres le droit d’être heureux! Car ils ont la conviction que, si vous êtes chrétien et heureux, il doit sans doute exister quelque part un problème caché…
Voyons à présent le type de bonheur que le chrétien peut atteindre. Le message chrétien est un message « d’espérance contre toute espérance ». Il crée l’atmosphère d’une joie saine et prépare le terrain pour un optimisme averti. L’antidote à l’anxiété se trouve dans une foi forte, en une philosophie spirituelle de la vie, persuadée que le succès appartient à Dieu et que la victoire a été déjà acquise à la croix. Christ ne déclarait-il pas lors de son premier sermon public : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, car il m’a envoyé pour guérir celui qui a le cœur brisé » (Lc 4.12).
Une deuxième responsabilité de l’Église consistera à dispenser (par le moyen de ses ministres) une direction solidement biblique. En un sens, cela requiert du tact, du bon sens et beaucoup de charité. Mais tout pasteur consciencieux devrait posséder également une solide connaissance des principes devant guider sa pastorale et sa direction spirituelle. Il doit d’abord rappeler au déprimé qu’il n’est pas unique dans son cas, et que son malheur n’est pas une exception. Des hommes de Dieu dans le passé furent profondément déprimés; le cas du prophète Élie vient à l’esprit. Saint Paul rappelle de son côté de quelle manière il était « oppressé de toutes parts » (2 Co 1.8). Ces hommes de la foi connaissaient parfaitement ce qu’est l’abîme de la désolation et, par moments, ils éprouvèrent des sentiments d’une tristesse et d’une amertume quasiment insupportables.
On devrait également encourager les gens à traiter, autant que possible, leurs propres problèmes à l’aide de la Parole, de la prière et de la communion fraternelle dans l’Église. Hélas!, de plus en plus souvent l’Église, s’éloignant d’une pastorale biblique, se démène à créer des centres de consultation psychologique qui deviennent des véritables para-églises, où les chrétiens eux-mêmes se rendent pour le moindre motif pour quémander une miette de secours psychologique et où l’on étale tous ses problèmes — et n’importe lequel d’entre eux — devant le premier conseiller venu… Puis-je vous donner l’avis, amis chrétiens, non pas de garder votre « quant à soi », mais d’être discrets en traitant de vos problèmes? D’essayer tout d’abord de les résoudre par voie normale, si j’ose m’exprimer ainsi, dans le cercle naturel de votre famille et de votre Église? Il ne faut pas bien sûr minimiser, face à des problèmes aigus, la nécessité d’avoir recours à un professionnel compétent, ou même, si cela s’avère nécessaire, à l’hospitalisation, car il y a des cas où cette solution s’impose, et nous devons être reconnaissants pour ce que peut nous offrir, dans ce domaine comme dans d’autres, la médecine moderne. Mais de grâce, ne faisons pas du psychothérapeute l’équivalent de notre épicier du coin, où nous courons lorsque nous avons besoin d’un paquet de sel ou d’un kilo de sucre…
Lorsqu’il n’y a pas d’urgence, essayons de dominer nos problèmes et de créer une ambiance saine autour de nous qui pourra réduire au minimum les foyers de tension afin de vivre dans une paix relative. La psychologie moderne, en tant que telle, n’est pas prête à comprendre la nature des problèmes spirituels et religieux. Pour le chrétien, lorsqu’il n’y a pas de pathologie, un bon sermon, une lecture attentive de la Bible, la méditation et la prière authentique, peuvent s’avérer des thérapies plus efficaces que toutes les ressources réunies de la psychanalyse moderne…
Avons-nous vraiment des raisons sérieuses d’être déprimés? (Lire Ps 42; 1 R 19.9; Gn 4.6) Il existe des dépressions totalement injustifiées! Parfois, celles-ci ne sont que l’expression d’une attitude de péché vis-à-vis des problèmes ordinaires de la vie; parfois, elles sont dues au fait que nous refusons d’exercer nos responsabilités; ou encore parce que nous cultivons et nourrissons, de manière soutenue, des sentiments morbides, ou encore parce que nous adoptons une politique d’indulgence vis-à-vis de nous-mêmes… Ce sont là des motifs qui font échouer nombre de nos contemporains dans la dépression.
Et de grâce, ne luttez pas contre votre dépression en usant et en abusant de l’alcool. Car l’alcool, on le sait, est un facteur dépressif et jamais un stimulant à long terme. On boit parce que l’on est déprimé et l’on s’enfonce dans la dépression parce que l’on continue à boire immodérément. Le cercle vicieux est alors fermé. Le même danger existe dans l’abus des sédatifs et autres drogues légères. J’ai appris par expérience qu’il vaut parfois mieux souffrir d’une douleur physique, lorsqu’elle est supportable, que d’ouvrir trop souvent le tube d’analgésiques, et mieux vaut passer une nuit blanche que de se bourrer de somnifères…
Je mentionnerai, enfin, pour terminer, une autre attitude qui conduit immanquablement à la dépression. Celle qui déplore son propre sort. Si souvent nous estimons que nous ne méritons pas notre sort ni le traitement que l’on nous fait subir! Cela peut être le cas, mais le contraire peut aussi être vrai; peut-être avons-nous rêvé de trop grandes choses pour nous-mêmes et pour notre avenir, et soudain, nous nous rendons compte qu’il existe des limites à nos ambitions et nous nous rendons douloureusement compte que nous sommes plutôt médiocres... Et cela nous est terriblement douloureux. Essayons de vivre en paix avec nous-mêmes, tels que nous sommes, et, surtout, n’accusons pas constamment autrui de nos échecs; n’essayons pas de faire comme la grenouille qui avait voulu devenir aussi grosse que le bœuf et qui a fini par éclater… Acceptons les limites qui sont les nôtres; cessons de jalouser ceux qui sont plus compétents ou qui réussissent mieux que nous; et, s’il y a des raisons pour cela, n’hésitons pas à reconnaître notre médiocrité… Pas tous les ambitieux sont des génies; pas tous les rêves deviendront réalité…
En dernière analyse, notre valeur est établie par Dieu, et c’est lui qui nous nous juge avec vérité et justice, mais qui en même temps nous sauve; qui nous abaisse afin de mieux nous élever en Christ. Car en lui, il nous a déjà accordé tous les trésors de la divinité, et jour après jour son amour paternel et sa grâce toute-puissante nous suffisent. Par conséquent, il n’existe aucune raison pour que nous tombions dans la dépression.