Deutéronome 33 - La bienveillance de celui qui demeure dans le buisson
Deutéronome 33 - La bienveillance de celui qui demeure dans le buisson
« Sur Joseph, il dit : Son pays sera béni de l’Éternel, par les largesses du ciel, par la rosée, par l’eau qui s’étale dans les profondeurs, par les largesses des produits du soleil, par les largesses de ce qui germe chaque mois, par les prémices des antiques montagnes, par les largesses des collines éternelles, par les largesses de la terre et de ce qu’elle renferme. Que la faveur de celui qui demeure dans le buisson vienne sur la tête de Joseph, sur le front de l’élu parmi ses frères! »
Deutéronome 33.13-16
Ce sont les paroles de Moïse, l’homme de Dieu, prononcées peu avant sa disparition comme une bénédiction sur la tribu de Joseph, que nous lisons dans ce passage biblique. Moïse, le libérateur et conducteur d’Israël, fait une allusion surprenante dans de telles circonstances au buisson ardent qu’il avait contemplé sur le mont Horeb, alors qu’il paissait les troupeaux de son beau-père, ce buisson « qui brûlait, mais ne se consumait pas ». Ce qui rendait ce phénomène extraordinaire, ce n’était pas simplement le fait qu’il était un miracle relevant du domaine physique, mais encore un fait exceptionnel qui servait de témoin de la présence divine. À travers ce buisson, le Seigneur Dieu s’adressait personnellement à lui. Aussi, la bienveillance dont il avait été l’objet quarante ans auparavant, il la souhaite comme une faveur spéciale pour l’une des douze tribus : « la bienveillance de celui qui demeure dans le buisson ».
Moïse est non seulement un grand conducteur d’hommes, mais encore le type, le modèle même de tout homme engagé au service de Dieu. De prince d’Égypte, il était descendu jusqu’au rang d’humble berger en terre d’exil. Sa carrière prodigieuse ne lui servira jamais de scène pour tenir le rôle du protagoniste; la soif de popularité ou le souci de se faire une réputation n’auront pas de place durant le temps de son ministère, entièrement dévoué à l’Éternel et au bien-être du peuple dont il devenait le Berger. Dévouement au peuple et fidélité à l’Alliance conclue avec Dieu, voilà les points saillants de ce chef authentiquement charismatique. Par amour pour Dieu et pour la défense de son honneur, il acceptera la tribulation et se soumettra aux humiliations.
Le peuple confié à sa direction n’était pas des plus dociles. « Peuple amer et au cou raide », sans cesse prêt à se laisser entraîner sur les pentes du grossier paganisme dont ses voisins étaient les représentants dégénérés. Mais qu’à cela ne tienne; durant les quarante ans qu’il présidera aux destinées de son peuple, il ne flanchera pas. À présent, alors que sa carrière atteint son terme, les douze tribus arrachées « à la maison de servitude » convoitent sa bénédiction. Joseph est celui qui a le privilège de se voir confié à la bienveillance, à la faveur de « celui qui demeure dans le buisson ».
Étrange parole que celle-ci, même pour les descendants de Joseph. Quelle peut en être la signification, voire la portée, plus de trois millénaires après, pour nous-mêmes en tant que témoins de Dieu?
L’énumération des bienfaits matériels promis est impressionnante. Les meilleurs produits de la terre promise, moissons abondantes, fruits délicieux et variés, etc., ils auraient tout cela, mais plus encore. Car sans ce supplément, l’accumulation de biens naturels et matériels risque de se réduire en cendres et poussière et, finalement, de laisser le récipiendaire sur sa faim la plus profonde et la plus lancinante. Ce « plus encore » n’est rien moins que « la faveur de celui qui demeure dans le buisson ». Elle fait justement la plénitude de la bénédiction. Hélas!, la tragédie qui plus tard frappera Israël, au désert pour commencer, ce sera de s’accrocher goulûment à la moisson, de cueillir avidement les fruits sans se soucier de sa sanctification.
N’avons-nous pas nous-mêmes été séduits par un tel matérialisme? Même dans nos relations avec notre prochain, ce qui prime trop souvent n’est-ce pas, hélas!, l’avantage que nous pourrions en tirer plutôt que le souci de bénéficier de leur affectueuse amitié? Ou, inversement, ne nous torturons-nous pas à la pensée que nos enfants, à qui nous avons tout donné humainement parlant, ne nous répondent pas avec l’affection filiale que nous en attendons? Mais peut-être avons-nous failli à leur offrir nos propres personnes? Les bienfaits matériels, même les plus précieux et les plus convoités, ne remplaceront jamais le bien suprême, la faveur divine, qui nous est si généreusement promise.
Moïse promet des bénédictions temporelles, mais il les fait couronner par le don suprême : à savoir la présence et la bonté de Dieu. Pourquoi se réfère-t-il à « celui qui demeure dans le buisson », au lieu de parler du Dieu tout-puissant, nous demandons-nous? Pourquoi cette expression indirecte pour parler de Dieu?
L’expression jaillit du cœur même de Moïse. Elle était la vive réminiscence, dramatique et bouleversante, de l’expérience faite quarante ans auparavant et qui avait tracé son chemin et orienté son ministère. Certes, il y avait eu d’autres tournants décisifs dans sa carrière mouvementée. « C’est par la foi que, devenu grand, Moïse refusa d’être appelé fils de la fille de Pharaon », témoigne l’auteur de la lettre aux Hébreux dans le Nouveau Testament (Hé 11.24). Cette décision avait été suivie par une longue, interminable, sans doute éprouvante période d’exil, qui avait abouti finalement à sa rencontre avec Dieu sur les pentes de l’Horeb. L’Ange de l’Éternel lui apparut. Du milieu du « buisson qui ne se consumait pas », selon le texte biblique (Ex 3.2), Dieu s’adressa à Moïse. Il le chargea d’une mission : celle de libérer le peuple asservi.
L’honneur fait au berger était insigne; pourtant, l’attitude de Moïse, pour commencer, ne fut pas celle de la reconnaissance, mais celle de la consternation. Il fut saisi d’une angoisse indescriptible devant l’immensité de la responsabilité confiée. Toutes les fibres de son être en furent ébranlées. Ne se sentant pas à la hauteur de la tâche, il s’alarma. Pourtant, à cet endroit déjà, il apprit une leçon inoubliable. Dieu était disposé à demeurer avec lui, à l’accompagner. L’essentiel n’était donc pas sa propre capacité ni le nombre de ses mérites. Dans ce merveilleux phénomène qui se déployait sous ses yeux éblouis et son âme tremblante, Moïse découvrait l’extraordinaire, l’indicible et désormais indéfectible présence divine. Aussi, l’intelligence qu’il en eut fut pour lui un puissant soutien durant le reste de sa mission. À présent, pendant qu’il bénit la tribu de Joseph, il s’en souvient.
Rappelons-nous aussi l’ancêtre de la tribu, Joseph, lui aussi divinement désigné pour servir d’agent de Dieu auprès de sa famille tout d’abord, appelée à porter plus tard le nom d’Israël, voire pour sauver d’une calamité un pays entier : l’Égypte des Pharaons. Cependant, pour commencer, il avait connu le rejet et l’exil, les revers d’un sort injuste et même la prison, avant d’accéder aux plus hautes fonctions du gouvernement et, par là, devenir le bienfaiteur des hommes. Telles sont les marques authentiques qui accompagnent tout ministère fidèle au service de Dieu.
D’aucuns ont vu dans le buisson ardent le symbole de l’Église persécutée à cause de sa foi, souvent jetée dans la fournaise ardente, mais miraculeusement préservée… Pour ma part, je ne retiendrais pas cette interprétation. En lui-même, le buisson ardent est un miracle qui pointe vers un miracle plus grand encore. Le feu aurait dû consumer cet arbuste poussant comme d’autres arbustes sur les flancs de l’Horeb et le réduire en cendres. Mais voici que le feu qui l’embrase ne le brûle pas.
Le message à notre intention nous déclare que l’Église est habitée par le Seigneur, aussi bien dans son existence la plus ordinaire qu’au creux des vagues et au creuset des tribulations, et que cela constitue déjà un miracle. Cette existence annonce la faveur divine. L’Église de Dieu sur terre est composée d’hommes et de femmes pécheurs. Les pécheurs ne peuvent pas subsister devant l’ardente présence du Dieu vivant et saint. Notre conscience nous condamne et nous tremblons d’une crainte tout à fait normale si nous nous souvenons de nos fautes. Nous cherchons à l’éviter parce que nous avons peur de lui. Comme Adam après sa faute dit en guise d’excuse tout en cherchant à fuir son Créateur : « J’ai eu peur et je me suis caché » (Gn 3.10), nous avons, depuis les origines, une crainte irrépressible de nous trouver en la présence de Dieu et de nous voir anéantis.
En effet, « il est terrible de tomber dans les mains du Dieu vivant », « car notre Dieu est aussi un feu dévorant », ainsi que nous le décrit le Nouveau Testament (Hé 10.31; 12.29). Un jour viendra où les hommes et les femmes insensés qui l’ont fui supplieront les collines et les montagnes de les cacher devant sa colère. Pécheurs, nous savons que nous ne subsisterions même pas un seul instant en la présence du Saint et du Majestueux, et nos arguments et nos alibis ne serviront à rien. Je le sais tout au fond de mon cœur; chacun d’entre nous a toutes les raisons d’avoir peur, si nous ne sommes que des pécheurs cherchant à fuir Dieu et non des croyants ayant trouvé la paix avec lui.
Ainsi, les flammes brûlant le buisson sur le mont Horeb sans le carboniser sont le parfait symbole de la présence de Dieu; la survie du buisson relève du miracle divin; elle soulève curiosité et émerveillement, symbolise la présence divine dans la vie d’une humanité pécheresse, présence qui la soutient et la fait survivre.
Nous nous trouvons ici devant le paradoxe de l’incompatibilité de sa présence, qui ne pourrait normalement qu’être dévorante, mais aussi la compatibilité qui fait de cette présence redoutable une présence bienveillante en notre faveur. Incompatibilité qui fait le prophète Ésaïe, lors de sa vision au Temple de Jérusalem, s’écrier avec effroi : « Malheur à moi! Je suis perdu, car je suis un homme dont les lèvres sont impures » (És 6.5). Il venait d’avoir, lui, homme mortel et pécheur, la vision du Dieu saint et immortel. Même les anges cachent leur visage en sa présence, nous dit la Bible; à combien plus forte raison l’homme apostat!
Mais l’incompatible est à présent devenu compatible. Tel est le grand miracle qui s’est produit au cours de notre histoire humaine. Dieu est présent avec toute sa splendeur sans en perdre la moindre parcelle, sans renoncer à sa gloire ni amoindrir sa sainteté. Il demeurera avec son peuple. Il lui servira de source de vie nouvelle.
Comment cela est-il possible? Il y eut une condition, celle de sa réconciliation avec nous. La venue ici-bas du Fils de Dieu pour porter nos péchés et expier nos fautes en fut le prix. Il y eut un jour mémorable où les flammes n’épargnèrent pas le Fils unique de Dieu et le dévorèrent entièrement. Depuis lors, Dieu demeure au milieu de nous, son peuple, l’Église chrétienne, avec toute sa faveur. À travers le symbole du buisson ardent, Dieu envoie Moïse vers Israël non en vue d’une libération politique ni d’un sauvetage temporaire de la maison d’esclavage. Il a voulu conclure avec lui la paix, et non signer un éphémère et fragile armistice.
Tel est l’apogée de la bénédiction prononcée par Moïse sur Joseph. « Je vous laisse la paix », a déclaré Jésus à ses disciples, « Je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne s’alarme pas » (Jn 14.27). Ces paroles renferment le secret de notre persévérance dans la foi et expliquent le courage dans le combat chrétien. Quiconque est en paix avec Dieu n’aura peur de personne. Car il se souvient avec saint Paul que « si Dieu est pour nous [et avec nous] qui sera contre nous? » (Rm 8.31). Nous ferons face à toute éventualité et nous résisterons aux agressions les plus violentes, qu’elles soient humaines ou démoniaques.
Restons alors fermes dans la glorieuse libération des enfants de Dieu, nous rappelant le miracle de la présence quotidienne et ferme de Dieu à nos côtés. Sa gloire luit à travers les flammes du buisson et sa voix nous parvient à travers les pages du livre saint. Voici, dit Jésus avant son ascension : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde » (Mt 28.20).