Exode 32 et 33 - Je marcherai moi-même avec toi
Exode 32 et 33 - Je marcherai moi-même avec toi
Exode 32
Exode 33.12-23
C’est comme une flèche bien aiguisée, comme une épée parfaitement acérée, que les paroles de la Bible nous atteignent. Elles viennent nous frapper en plein cœur, non pour nous blesser et nous terrasser, mais pour nous remettre en ordre.
L’histoire de Moïse et celle d’Israël deviennent notre propre histoire. Le veau d’or dressé dans les plaines du Sinaï, sorti d’un moule de fonte, est l’idole à qui nous avons donné notre allégeance. Pourtant, la présence de Dieu, inespérée, mais réelle, reste au milieu de nous.
Nous vivons, nous autres lecteurs des récits de l’Exode, de l’autre côté de la croix et grâce à elle. Nous oublions parfois qu’au point de l’histoire du salut où se trouvait Moïse, la révélation de Dieu ne s’était pas montrée encore pleinement sous le jour de sa compassion infinie. Dieu était davantage connu comme le Dieu de justice, mais il ne s’était pas encore pleinement révélé comme le Père des miséricordes. C’est pour la première fois que résonne ici l’annonce stupéfiante du pardon divin. Dieu vient, enfin, dirions-nous, comme le Dieu d’amour sur un sol encore jonché des débris du veau d’or.
Jusqu’à cet instant, sa puissance et sa majesté s’étaient manifestées avec force dans la création. Si sa promesse tenait bon même après la chute, sa sainteté éclatait à l’heure du premier fratricide, exigeant réparation pour le sang versé. Le déluge emportait dans ses flots déchaînés l’iniquité et la rébellion de l’humanité devenue sans foi ni loi. Et souvenons-nous encore de cette nuit d’horreur dans les plaines de Sodome et de Gomorrhe, où le ciel cracha un feu dévastateur de la part de celui qui ne laisse impunies aucune iniquité ni aucune ignominie…
Cependant, sa bonté éclatera, étonnante, presque déroutante, dans ce lieu d’égarement, où la perversion de l’esprit humain prend la forme d’une fausse religion. Imaginons ce triste épisode du veau d’or à l’aide de la lecture des pages de l’Exode.
Des milliers de tentes sont dressées et éparpillées sur une vaste étendue. Des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants circulent entre elles. Au centre s’élève, redoutable, le sommet rocheux de l’Horeb… Quelques semaines plus tôt, Dieu était descendu sur le mont Sinaï pour y dicter sa divine loi. Ce peuple arraché jadis à la mort, et en conservant encore la sensation de vertige, avait déclaré avec détermination et empressement : « Nous ferons tout ce que l’Éternel a dit » (Ex 19.8). Mais ce jour-là semble bien loin…
À présent, on vit des heures dramatiques, chargées de menaces et de peur. Dans le camp règne un silence pesant, sans jeux d’enfants, sans cris de joie ni feux de camp, sans que les femmes vaquent aux travaux du ménage. Seulement des êtres prostrés osant à peine chuchoter entre eux. Le sentiment de la faute non avouée est bien plus accablant que lorsqu’il y a repentir. Une consternation atterrée ravage les cœurs : trois mille cadavres jonchent le sol brûlant du désert. Ils ont été frappés par celui dont on avait oublié la présence et encore davantage la sainteté. Le camp tout entier semble mort. La montagne, elle, fume et gronde, et la terre craque sous leurs pieds, menaçante, comme dans un effort désespéré pour cracher une réponse.
Chacun des hommes et des femmes de ces tribus nomades sait le pourquoi de ce ciel lugubre; mais l’obscurité morale est encore plus effrayante que cette nuit opaque de fumée et d’orage. Car la nuit est toujours opaque et désespérée lorsque la colère céleste, si angoissante pour l’homme déchu forme une barrière infranchissable entre lui et Dieu, ce Dieu qui refuse de s’accommoder du mal que commet sa créature.
Un homme seul escalade le flanc de la montagne. C’est un vieillard, dont le dos voûté accuse davantage le fardeau d’âmes que ses quatre-vingts ans. Quarante jours plus tôt, il recevait les clauses d’une alliance perpétuelle sur des tables de pierre; ces mêmes tables qui furent jetées à terre et brisées par l’auguste vieillard. Qui oserait le lui reprocher? Lequel d’entre nous ne compatirait à la tristesse sans fond ni mesure de ce pasteur d’âmes? Il venait de voir les danses frénétiques, d’entendre le vacarme insensé fait par les fils et filles d’Israël autour d’une statue inanimée, détrônant et méprisant ainsi le Dieu du ciel, le Libérateur de l’Exode! Cet inerte tas de métal, même précieux, allait-il donc remplacer le Dieu vivant, le Seigneur de l’Alliance de grâce et de fidélité?
Pour la deuxième fois, Moïse remonte sur le sommet de la montagne. Non pour y coller les morceaux brisés des Tables de la loi, mais afin de trouver une réponse aux questions qui le torturent. Dieu pardonnera-t-il à son peuple? Sera-t-il disposé à effacer une iniquité aussi monstrueuse? N’est-il pas le Dieu juste et saint? Il y avait à peine quelques jours, Moïse avait obtenu sa promesse de séjourner au milieu de ces tribus fugitives qu’il avait puissamment délivrées et arrachées à une mort certaine. Il préférait donc ces tentes de nomades au sommet inaccessible où se dévoile sa divine splendeur. Mais Dieu tiendra-t-il sa promesse à présent?
Combien cette question soulève et bouleverse nos propres esprits! Car nous aussi, comme Moïse, nous nous la posons après chacun de nos forfaits. Et peut-être est-ce bien ainsi, car une telle question révèle la présence de l’Esprit en nous, celui qui nous arrache des soupirs, mais qui les transforme, parfois à notre insu, en imploration et en requête : « Je suis indigne et je ne mérite que le châtiment. Dieu voudra-t-il être encore mon Dieu après mon égarement? » Lorsque Moïse, ce lutteur infatigable, rencontrera Dieu, l’angoisse de son cœur explosera : « Ah! ce peuple a commis un grand péché. Ils se sont fait des dieux d’or. Pardonne maintenant leur péché! » (Ex 32.31-32). Et, émouvant dans sa détresse, le vieillard accablé s’arrête un bref instant… N’aurait-il plus la force d’insister, de convaincre, de plaider? Le voilà qui reprend la défense du peuple dont il a la charge : « Sinon, je t’en prie, efface-moi de ton livre que tu as écrit! » (Ex 32.32). Autrement dit, fais-moi périr, que je devienne malédiction, que je paie la rançon!
Ce n’est pas un mortel ordinaire qui parle de la sorte. C’est un homme d’une stature exceptionnelle, que l’art génial de Michel-Ange a su admirablement représenter dans son célèbre « Moïse ». Voilà donc un homme face à face avec son Dieu, luttant avec lui pour lui arracher le salut d’autrui au péril de sa propre vie. Moïse, le leader d’Israël, offre sa personne pour subir le châtiment de son peuple coupable. Quel contraste, mon ami, avec les conquérants de l’histoire, pleins d’orgueil et d’ambition, infatués d’eux-mêmes et qui, pour léguer leur nom à la postérité, n’ont pas hésité à asseoir leur pouvoir sur des monceaux de cadavres et à alimenter leur gloire avec le sang des innocents.
Dieu, lui, n’acceptera pas l’offrande de Moïse. Il faudra un autre, son propre Fils, pour porter le châtiment d’Israël et le nôtre sur sa personne et pour payer de sa vie la rançon de toutes nos transgressions. Moïse, pasteur d’hommes jusqu’au tréfonds de lui-même, se découragera-t-il? « Maintenant, si j’ai obtenu ta faveur, fais-moi connaître tes voies; alors je te connaîtrai et j’obtiendrai ainsi ta faveur. Vois : cette nation est ton peuple » (Ex 33.13). Il s’est engagé dans une telle lutte, dans ce corps à corps avec Dieu, que le souverain Dieu de l’univers s’abaisse pour composer et se laisse enfin convaincre. Il cède devant l’argument qui n’est autre qu’une foi insistante, pressante, une foi qui est la réponse à la toute-puissance et à la compassion infinies du Dieu de la révélation qui dit : « Je marcherai moi-même avec toi » (Ex 33.14).
Cette présence n’est donc pas uniquement réservée aux gens dits vertueux, elle n’est pas une récompense pour les méritants. Elle est aussi offerte à l’ingrat et au rebelle, à celui que Dieu seul peut refaçonner entre ses mains. Moïse formulera encore une autre requête : « Fais-moi voir ta gloire », demandera-t-il à Dieu (Ex 33.18). Et l’interlocuteur divin répondra : « Je ferai passer devant ta face toute ma bonté et je proclamerai le nom de l’Éternel. […] Tu ne pourras pas voir ma face, car l’homme ne peut me voir et vivre » (Ex 33.19-20).
Or, ce n’était pas par curiosité déplacée, par une audace irrévérencieuse, que Moïse voulait voir Dieu face à face. Il avait hâte d’être rassuré, d’apaiser son esprit effrayé. Il désirait pouvoir compter encore davantage sur le Compagnon des siècles. Il cherchait à saisir ce cœur qui palpite et qui bat d’amour pour les siens. Il tentait de percer cette force qui est patiente, cette grâce qui s’offre jusqu’au dernier des malfaiteurs.
Moïse ne verra pas la gloire de Dieu, mais il recevra une description : « L’Éternel, l’Éternel, Dieu compatissant et qui fait grâce » (Ex 34.6). Cette compassion dont vous et moi avons besoin pour vivre, et dont nous vivons effectivement, même lorsque nous l’ignorons…
Ce n’est que bien des siècles plus tard que Moïse verra la face de Dieu dans celle de son Fils Jésus-Christ, lorsqu’accompagné d’Élie le prophète sur le sommet de la montagne de la transfiguration, il conversa tête à tête avec celui qui est son successeur et son supérieur; celui qui a laissé toute sa gloire afin de devenir la victime expiatoire pour le péché des hommes, pour nous révéler le véritable visage de Dieu, du Dieu d’amour. Ce jour-là, la justice et la sainteté, ainsi que l’amour de Dieu ont tellement resplendi qu’aucun mortel ne pouvait regarder en face Jésus de Nazareth, la deuxième personne de la sainte Trinité. « Je marcherai moi-même avec toi. » Arrachée par notre prière, la promesse est accordée à notre foi. Elle est l’unique Bonne Nouvelle dont nous ayons besoin aujourd’hui et durant chacune des journées dont est faite notre vie.
Cette histoire de Moïse n’est pas uniquement un récit du passé. Elle est un arc à travers lequel Dieu nous envoie ses flèches afin de mieux atteindre nos esprits et de faire disparaître les traces de nos convoitises et de nos passions. Chaque jour, lorsque nous traversons des circonstances difficiles dans l’incertitude et le danger, dans la solitude ou avec l’accablant sentiment d’une faute que nous estimons peut-être inexpiable, choisissons, amis, cette flèche-là. Elle ne veut pas être mortelle, elle ne veut que nous arracher à nos déserts et nous écarter des mirages. Elle est une indication sûre de la présence de Dieu. Elle est salut et libération. Dieu sera avec nous, même lorsque nous traversons la vallée de l’ombre de la mort. Il conduit plus encore qu’il n’accompagne. Il affirme — et nous n’avons aucune raison d’en douter — qu’il nous donnera le repos.