La grâce
La grâce
« Sola gratia », par la seule grâce! Ce qui distingue l’expérience chrétienne du salut de toute autre expérience religieuse humaine, c’est que la première définit le bien et le mal, détermine la conduite et apprécie les valeurs en fonction de l’initiative de Dieu. Elle juge son salut en fonction de Dieu. L’homme n’a de sens qu’en fonction de son Créateur qui est en même temps sa fin dernière (1 Co 8.6), son unique Maître et Seigneur, qui a le droit de lui imposer sa volonté et de diriger sa vie.
Au regard biblique et du croyant fidèle, l’histoire de l’humanité est une monstrueuse rébellion des créatures à l’égard de leur Dieu1. Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu. Qu’il s’agisse d’Israël, que ce soit les païens, tous sont asservis au péché (Tt 3.3). Mais Dieu manifeste sa grâce salvifique, l’épître aux Romains y rend le témoignage le plus éloquent et le plus émouvant. Il a décidé d’accorder le pardon et le salut à celui qui accorde sa foi à l’Évangile proclamé. Et celui-ci n’est autre chose que la manifestation de la grâce du Père en Jésus-Christ. Depuis toujours en effet, Dieu veut manifester sa bonté, il nourrit des sentiments de miséricorde en faveur de l’homme : c’est son dessein éternel (Ép 3.11; Col 1.26), le dessein secret de sa volonté qui détermine le vrai sens du salut en Jésus-Christ et de l’expérience chrétienne. Il faut méditer sur certains passages remarquables des lettres pauliniennes :
« Mais Dieu est riche en miséricorde et, à cause du grand amour dont il nous a aimés, nous qui étions morts par nos fautes, il nous a rendus à la vie avec le Christ — c’est par grâce que vous êtes sauvés — il nous a ressuscités ensemble et fait asseoir ensemble dans les lieux célestes en Jésus-Christ, afin de montrer dans les siècles à venir la richesse surabondante de sa grâce par sa bonté envers nous en Jésus-Christ. C’est par la grâce en effet que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu » (Ép 2.4-8).
« La grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes, a été manifestée. Elle nous enseigne à renoncer à l’impiété, aux désirs de ce monde, et à vivre dans le siècle présent d’une manière sensée, juste et pieuse, en attendant la bienheureuse espérance et la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus-Christ. Il s’est donné lui-même pour nous, afin de nous racheter de toute iniquité, et de se faire un peuple qui lui appartienne, purifié par lui et zélé pour les œuvres bonnes » (Tt 2.11-14).
« Car nous aussi, nous étions autrefois insensés, désobéissants, égarés, asservis à toute espèce de désirs et de passions, vivant dans la méchanceté et dans l’envie, odieux et nous haïssant les uns les autres. Mais lorsque la bonté de Dieu notre Sauveur, et son amour pour les hommes, ont été manifestés, il nous a sauvés — non parce que nous aurions fait des œuvres de justice, mais en vertu de sa propre miséricorde — par le bain de régénération et le renouveau du Saint-Esprit; il l’a répandu sur nous avec abondance par Jésus-Christ notre Sauveur, afin que, justifiés par sa grâce, nous devenions héritiers dans l’espérance de la vie éternelle » (Tt 3.3-7).
« C’est lui [Dieu] qui nous a sauvés et nous a adressé un saint appel, non à cause de nos œuvres, mais à cause de son propre dessein et de la grâce qui nous a été donnée en Jésus-Christ avant les temps éternels. Cette grâce a été manifestée maintenant par l’apparition de notre Sauveur Jésus-Christ, qui a réduit à l’impuissance la mort et a mis en lumière la vie et l’incorruptibilité par l’Évangile » (2 Tm 1.9-10).
Ces passages font dépendre le salut de la grâce divine, ils relient la misère humaine à l’infinie miséricorde du Père. Parce que la déchéance du pécheur est totale, profonde et incurable, Dieu intervient afin de manifester sa grâce et sa vraie nature. Le salut est plus qu’un sauvetage effectué pendant un malheureux accident de parcours sans gravité; il est la réalisation d’une volonté souveraine et lucide qui prend l’initiative et intervient avec sagesse. C’est un dessein prodigieux, car là où le péché a abondé, la grâce a surabondé.
La grâce, c’est le terme le plus affectionné du vocabulaire biblique. Il révèle le secret du dessein éternel de Dieu. Il désigne l’ensemble de son amour et de sa puissance, son don généreux et son intervention efficace. Il est l’évidence de l’initiative de ses faveurs. Tous les bienfaits de Dieu sont grâce, accordés dans son amour inépuisable, de sorte que la vie de l’homme est suspendue à son secours et dépend de son assistance indéfectible. La grâce de Dieu est toujours active pour sauver le pécheur et le maintenir comme bénéficiaire de son alliance. Elle n’est pas indépendante de son être, mais, en accordant sa grâce, Dieu offre sa propre personne à l’homme déchu et misérable. Ainsi, notre salut est marqué dès l’origine par la gratuité. Tout vient de lui. Il n’existe point de possibilité d’échange entre lui et nous, mais en revanche tout est son don.
Prenons garde cependant de ne pas provoquer des malentendus et qui rabaisseraient la grâce à un vil objet sans prix. Parce que Dieu veut sauver et que le Fils est mort pour le salut, il arrive de traiter la grâce comme une sorte de cadeau fait une fois pour toutes à l’humanité en général, de sorte que chacun y puise par le moyen de sa bonne volonté! Certes, l’efficacité de la grâce est réelle, mais — les Canons de Dordrecht l’ont précisé clairement une fois pour toutes — elle n’est réservée qu’aux seuls élus, de sorte que la grâce ne peut être donnée à chacun que par une initiative libre et imprévisible du Père. À celui qui ne veut pas la recevoir par la foi, Dieu n’accordera rien et son péché reste comme un obstacle à la grâce. Or, Dieu aime qui il veut et il élit qui il décide d’élire; c’est sa liberté inviolable. Ainsi, les élus sauvés seuls mesurent de quelle gratuité ils ont bénéficié. Ils savent qu’ils ont été justifiés gratuitement par sa grâce.
S’il en est ainsi, l’objet de la foi sera de croire en la grâce qui pardonne et qui restaure. La grâce suscitera l’espérance joyeuse, glorieuse, vibrante et audacieuse. Le fidèle, l’élu de Dieu, est assuré du triomphe de Dieu et, par conséquent, de sa participation à cette même victoire. À ses yeux, rien n’est donc perdu. Non seulement il est réhabilité, mais encore il entre dans une relation intime, celle d’une alliance avec le Dieu Sauveur et souverain. C’est avec hardiesse qu’il s’approchera du trône de la grâce. Dans les pires malheurs, sa vie se déploie dans une atmosphère de confiance. Il est plus que vainqueur par celui qui le fortifie. La grâce déclenche alors la gratitude.
« Rendez grâce avec joie au Père qui vous a rendus capables d’avoir part à l’héritage des saints dans la lumière. Il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, le pardon des péchés » (Col 1.12-14).
La reconnaissance est l’attitude permanente du pécheur sauvé par miséricorde se sachant objet de l’amour, entouré et enveloppé de grâce et destiné à la gloire. Parce que le Père a tout donné en donnant son propre Fils, le fidèle doit tout lui rendre dans un culte fervent et lors d’un service zélé (2 Co 9.15). Il s’agit d’une disposition de l’esprit si profonde qu’elle prend la forme d’un culte, d’une liturgie d’adoration, d’une louange d’émerveillement et d’une offrande sans réserve. Tel est le secret de la puissance de la grâce divine qui transforme le pécheur rebelle en « un sacrifice vivant et agréable à Dieu » (Rm 12.1).
Note
1. Voir notre article intitulé La naissance d’en haut – L’oeuvre divine de la régénération, le paragraphe sur la corruption totale.