Cet article sur les questions d'introduction à l'Évangile de Jean traite de son auteur, de son authenticité, des destinataires, de la date et du lieu de sa composition, de ses particularités, de son message et de sa structure.

Source: Introduction au Nouveau Testament. 15 pages.

Introduction à l'Évangile selon Jean

  1. Auteur
  2. Authenticité
  3. Destinataires
  4. Date et lieu de composition
  5. Particularités
    a. Similarités de Jean avec les synoptiques
    b. Les différences
    c. Les miracles dans Jean
    d. Discours de Jésus particuliers à Jean
  6. Structure
    a. Le rapport du premier chapitre avec le reste du livre
    b. Le rapport des événements avec les discours dans le ministère public
    c. Les instructions privées
    d. Les rapports des chapitres 1 à 17 avec les chapitres 18 à 21
  7. Message
    a. La christologie
    b. La vie nouvelle en Christ
    c. L’Église et les sacrements
    d. L’eschatologie
  8. Questions

1. Auteur🔗

La lecture du quatrième Évangile nous permet de déduire un certain nombre de faits concernant son auteur. Il est disciple du Christ et semble habitué à penser en araméen, bien que l’Évangile ait été rédigé en grec. On y trouve peu de propositions subordonnées et, assez souvent, des mots araméens ou hébreux qui sont d’ailleurs expliqués. Il semble être au courant de la tradition juive; le passage de Jean 1.19-28 fait allusion à l’attente du Messie. Il connaît bien les sentiments des Juifs à l’égard des Samaritains (Jn 4.20).

Jean signifie « Dieu est gracieux ». Les épisodes de la vie de Jésus auxquels Jean participe sont beaucoup trop nombreux pour pouvoir être énumérés.

Jean était originaire de la Galilée, de la ville de Bethsaïda, qui était aussi celle d’André et de Pierre. Trois autres membres de sa famille nous sont aussi connus. Son frère, Jacques, son père Zébédée et sa mère Salomé. Ses parents semblent avoir joui d’une situation matérielle aisée. Si Zébédée était le mari de Salomé, sœur de Marie, la mère de Jésus, ainsi qu’on le suppose, Jean devait être cousin de Jésus au premier degré. Il fut parmi les premiers à suivre le Maître. Il est cité comme étant « celui que Jésus aimait » (Jn 21.24) et se trouve parmi les trois intimes du Seigneur (Mc 5.37; 9.2; 14.33).

Ses relations avec le Maître, et sans doute avec d’autres, ont dû être empreintes d’amour, de loyauté et d’ardeur impétueuse, car son surnom de « fils du tonnerre » (Mc 3.17) a dû lui être donné à cause d’un tempérament passionné. On le rencontre pour la première fois en Judée, où il était accouru pour se mettre à l’école du Baptiste. C’est pourtant en Galilée qu’il répond à un appel clair et précis et qu’il quitte tout pour suivre le Maître. Plus tard, il sera choisi pour faire partie des douze. Avec Pierre, André et Jacques, son frère, il figure au premier rang dans la liste des disciples. Il est l’ami de Pierre. Il est fort probable que l’entretien de Jésus avec Nicodème eut lieu chez lui. Il participe à la mission des douze décrite par Matthieu (Mt 10.1-15). Avec son frère, il est prompt à repousser l’homme qui exorcise au nom de Jésus (Lc 9.49), et dans son ardent désir de châtier les incrédules, il veut, comme son frère, appeler le feu du ciel sur un village de Samaritains (Lc 9.52-54).

Les deux frères demandent à leur mère de présenter leur requête à Jésus relative à la position qu’ils désirent occuper dans le Royaume de Dieu (Mt 20.20-28). Au dernier repas, Jean se trouve près de Jésus, jouissant du privilège de son intimité (Jn 13.23).

Lors de l’arrestation de celui-ci, il obtint la permission d’entrer dans la maison du souverain sacrificateur (Jn 18.15) et assista au procès du Sanhédrin. Il fut témoin de la crucifixion et fut invité par Jésus à s’occuper de sa mère (Jn 19.25-27). Il resta près de Pierre durant les deux nuits qui suivirent la mort et l’ensevelissement du Seigneur et fut le premier à visiter le tombeau vide, où « il vit et il crut » (Jn 20.8).

L’épilogue de l’Évangile montre que Jean connut une exceptionnelle longévité; il vécut longtemps après le commencement de l’ère chrétienne. Dans les premières années de l’histoire de l’Église, Jean continue de tenir un rôle plutôt effacé, comme dans les Évangiles. Dans le livre des Actes, il n’apparaît que trois fois, car c’est Pierre qui prend toujours l’initiative. Mais une œuvre profonde s’opère dans son âme pour le préparer à sa future mission. D’après les épîtres, il semble occuper une position élevée dans l’Église. Peut-être mourut-il vers la fin du premier siècle? D’après Galates 2, il était présent lors de l’entrevue de Paul avec les principaux apôtres à Jérusalem à propos de la question controversée de l’observation de toutes les prescriptions de la loi mosaïque. Nous ne savons plus rien sur lui après le Concile de Jérusalem (Ac 15) jusqu’à l’époque de son activité parmi les Églises d’Asie Mineure dont parle la tradition du deuxième siècle. Il est probable qu’il quitta Jérusalem avant sa destruction en l’an 70 et suivit l’émigration de l’Église en Pérée en 67, puis, après la mort de Paul et de ses principaux lieutenants Tite et Timothée, il alla s’installer en Asie Mineure pour devenir le pasteur des troupeaux abandonnés.

Toujours selon la tradition, d’autres l’auraient suivi. Il aurait fondé l’Église d’Éphèse, bien que la critique conteste l’historicité du fait. Le grand cheval de bataille des critiques est une citation de Papias transmise par Eusèbe, dans laquelle il est question d’un presbytre nommé Jean. S’agit-il de Jean l’apôtre ou bien d’un autre Jean? Les hypothèses ont varié à l’infini. Qu’il suffise de dire que la tradition du deuxième siècle fournit suffisamment de données précises pour nous permettre de croire à l’activité de l’apôtre Jean à Éphèse.

Voici une citation d’Irénée :

« Tous les presbytres qui se sont rencontrés en Asie avec Jean, le disciple, rendent témoignage qu’il leur a transmis ces choses, car il a vécu avec eux jusqu’au temps de Trajan. Et quelques-uns ont vu non seulement Jean, mais encore d’autres apôtres. »

Avec sa nature ardente, tempérée sous l’influence du Maître et grâce à la rédemption, Jean devint l’apôtre de l’amour et sa piété communicative influença celle des autres apôtres. Toutefois, le feu dont sa nature était embrasée transparaît encore bien plus tard dans son langage contre les incrédules (Jn 8.44) et contre « les enfants du diable » (1 Jn 3.10). Mais c’est là la même personne qui dit : « Bien-aimés, aimons-nous les uns les autres; car l’amour est de Dieu » (1 Jn 4.7). Nous admettons que ces deux attitudes ne sont nullement contradictoires. Jean offre l’image d’un homme qui aurait pu être un grand pécheur, mais dont le Christ fit l’un de ses plus grands témoins.

Mentionnons en passant que Jacques son frère fut mis à mort en l’an 44 sous Hérode et, selon la tradition, Marie, la mère du Seigneur qu’il avait prise chez lui, serait morte en l’an 47.

Quant à la mort de Jean, elle eut lieu vraisemblablement à la fin du premier siècle. Si lorsqu’il reçut la vocation il n’avait que 20 ou 25 ans, il dut mourir à l’âge de 90 ou 95 ans. Polycarpe et Papias, qui naquirent aux environs de l’an 70, ont pu donc très bien le connaître personnellement. Selon une chronique du neuvième siècle, Jean aurait subi le martyre entre les mains des Juifs. Comme Paul, il ne s’est jamais marié. Enfin, notons le très vif souvenir qu’il garde de sa première rencontre avec Jésus. Il en précise même l’heure : « C’était environ dix heures » (Jn 1.39).

2. Authenticité🔗

Parmi les quatre Évangiles, c’est celui de Jean qui réunit le plus grand nombre de preuves d’authenticité (Jn 21.20-24). En ce qui concerne les preuves internes, elles s’appuient sur l’expression bien connue : « le disciple bien-aimé ». Qui est-ce? Certes, il n’existe pas de témoignage direct d’après lequel Jean fut ce disciple bien-aimé dont il est question dans l’Évangile. Toutefois, les passages suivants témoignent en faveur de cette thèse : Jn 13.23-25; 19.25-27; 20.2-19; 21.7; 21.20-24.

En outre, il est difficile de mettre en doute que celui qui affirme avoir vu les soldats romains percer les côtes de Jésus avec une lance (Jn 19.26, 34-35) soit l’auteur de l’Évangile. On peut aisément conclure de ces témoignages que le disciple bien-aimé était l’un des douze. Ce fait n’étaie pas de manière absolue qu’il s’agit de Jean. Pour le démontrer, nous devons considérer un certain nombre de données dans les synoptiques. Pierre, avec Jacques et Jean, les fils de Zébédée, forment le cercle des intimes (Lc 8.51 et Lc 9.28; Mc 9.2 et Mc 14.33; Mt 17.1 et Mt 26.37).

Il existe également une étroite association entre Pierre et Jean (Ac 3.1; 4.7-22). Jacques fut mis à mort par Hérode (Ac 12.1-2), laissant Pierre et Jean son frère. Par conséquent, la mention du « disciple bien-aimé » dans le quatrième Évangile est d’une grande importance (sauf dans Jn 19.26). Pierre lui est associé. Ces considérations indiquent avec une très grande certitude que le « disciple bien-aimé » n’était autre que Jean et qu’il est l’auteur de l’Évangile qui porte son nom.

En outre, l’authenticité est soutenue, bien qu’indirectement, par le fait que nulle part dans l’Évangile il n’est nommé par son nom. La référence personnelle la plus proche à Jean se trouve dans Jean 21.2, où nous lisons que Jésus se révèle, entre autres, aux fils de Zébédée. Il est toutefois possible que ce chapitre ne fût pas écrit par l’auteur de l’Évangile, mais par un rédacteur, car Jean, l’auteur, tient à rester anonyme.

La question se pose : Pour quelle raison Jean parle-t-il de lui comme du « disciple bien-aimé »? Si c’est la modestie qui le pousse à rester anonyme, pourquoi mentionner si fréquemment cette expression familière? N’aurait-il pas pu se référer à lui-même d’une manière plus discrète? La lecture du chapitre 21 peut nous éclairer. De nombreux spécialistes du Nouveau Testament, même parmi les plus conservateurs, estiment que ce chapitre n’a pas été écrit par Jean, mais par un ou plusieurs rédacteurs. La fin de l’écrit de Jean se trouverait au verset 31 du chapitre 20. Dans Jean 21.24, les mots « nous connaissons » concernant « son témoignage », le « nous » semble indiquer les rédacteurs de cette postface, et le « son », le témoignage du disciple bien-aimé, à savoir le livre dans son ensemble. À cet égard, il est intéressant de noter que l’auteur se réfère au disciple bien-aimé de diverses manières (voir Jn 13.23; 19.26; 20.2-10; quatre fois dans Jn 18.15-16). Il est tout à fait possible que Jean ait employé ce terme pour référer à lui-même, ou encore que des rédacteurs ultérieurs aient désigné Jean en tant que « le disciple que Jésus aimait » (Jn 13.23).

L’auteur, chrétien d’origine juive, possède une connaissance presque parfaite de la Palestine (Jn 4.6). Il donne des détails surprenants, par exemple en ce qui concerne le temps (Jn 11.6), les distances (Jn 6.19; 21.8). De tels détails ne peuvent provenir que de la plume d’un témoin oculaire ayant observé lui-même les choses. Il possède également une bonne connaissance de l’Ancien Testament et des coutumes juives.

Un argument avancé en faveur de la thèse opposée, attribuant l’Évangile à Jean l’Ancien et non pas à Jean l’apôtre, s’appuie sur la prophétie que Jean et son frère devaient boire de la même coupe que le Seigneur. Selon les tenants de cette hypothèse, les deux frères devaient connaître un sort identique, c’est-à-dire le martyre. Ils soutiennent donc qu’il dut mourir avant la rédaction de son Évangile. Cependant, en comparant Apocalypse 1.9 ainsi qu’Apocalypse 3.21; 5.10; 20.6 et 22.5, nous comprenons que si Jean allait être assis sur le trône du Royaume, auparavant il devait aussi boire de la coupe de la souffrance, ce qui se produisit effectivement lors de son exil et emprisonnement à l’île de Patmos.

Participer « à la coupe » ne signifie pas nécessairement subir un martyre violent, mais accepter, par fidélité au Maître, de porter sa croix et de participer à cette coupe. Une légende circulant dans l’Église primitive voulait que, d’après Jean 21.22, Jean ne meure pas avant la seconde venue du Christ! La réalité est plus simple : Jean vécut plus longuement que son frère et que Pierre à cause de sa mission particulière.

À présent, nous mentionnerons quelques preuves externes de l’authenticité johannique de l’Évangile.

Tout d’abord, la tradition de l’Église a toujours affirmé que Jean est l’auteur de l’Évangile qui porte son nom et qu’il l’a rédigé à Éphèse. Les Évangiles synoptiques devaient être connus dès avant la fin du premier siècle. Mais la différence entre les souvenirs personnels du dernier des apôtres vivant encore et le contenu des trois premiers étant notable, Jean dut bien être celui qui rédigea l’Évangile portant son nom.

On trouve, dès les premières années du deuxième siècle, des allusions à cet Évangile dans les écrits d’Ignace, de l’hérétique Basilide, de Justin le Martyr, de Tatien, etc. Dans le dernier quart du deuxième siècle, Irénée, qui avait des rapports fréquents avec l’Asie Mineure et la Gaule, atteste aussi l’idée générale d’après laquelle l’évangéliste était bien l’apôtre Jean. Son témoignage est confirmé par Clément d’Alexandrie, Théophile d’Antioche, Tertullien de Carthage, le gnostique Héraclon d’Italie, le Canon de Muratori ainsi que la préface anti-marcionite des Évangiles, provenant de Rome.

Clément d’Alexandrie (3siècle) écrit : « Jean, le dernier des apôtres, voyant que les choses corporelles avaient été racontées par les autres Évangiles, composa un Évangile spirituel ». Irénée (fin du 2siècle) écrit : « Jean, le disciple qui a reposé sur le sein du Seigneur, a publié lui aussi l’Évangile pendant qu’il demeurait à Éphèse. »

Le fragment de Muratori parle de Jean comme étant l’auteur du quatrième Évangile. Si au début du deuxième siècle l’on n’en retrouve pas des traces aussi claires que celles des synoptiques, rappelons-nous que cet écrit est le dernier à être composé et qu’il a fallu un certain temps pour qu’il circule parmi les Églises. Selon certains critiques, le quatrième Évangile serait dépourvu de toute valeur historique; il ne serait que le résultat de la philosophie du premier siècle… Sans exclure totalement la possibilité que des rédacteurs, sous la dictée de Jean, aient donné un « style fini » à cet écrit, compte tenu des arguments internes et externes, nous sommes convaincus que l’Évangile est bien l’œuvre de l’apôtre qui porte son nom.

3. Destinataires🔗

Les destinataires du quatrième Évangile sont des chrétiens. L’auteur ne s’adresse pas à un groupe particulier, mais manifeste plutôt l’universalité du Christ (Jn 1.7,9,29; 3.16; 4.24; 10.16; 11.52).

Matthieu écrivit très particulièrement à l’intention des lecteurs juifs convertis; Marc pour des chrétiens d’origine romaine, et Luc pour ceux qui venaient du paganisme grec. Quant à Jean, il les englobe tous dans son intention et interprète pour eux le Messie, le Fils de Dieu. Sa préexistence avant que le monde fut, sa relation avec le Père, sa venue dans le monde en tant que « la Parole faite chair » et son œuvre dans le monde aboutit à son apogée lors de sa mort expiatoire sur la croix, sa résurrection victorieuse et, enfin, son retour vers le Père. Cette conception du Sauveur constitua la conviction de la communauté chrétienne primitive, dont l’histoire est tracée dans le livre des Actes. Son intention ressort de son souci de communiquer à tous, de manière universelle, l’Évangile de la divinité de Jésus-Christ. Jean cherche à confirmer et à approfondir la foi au Sauveur, le Fils de Dieu, préexistant et incarné, crucifié et ressuscité « afin que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et qu’en croyant vous ayez la vie en son nom » (Jn 20.31). Cela explique la fréquence avec laquelle apparaissent les mots croire et connaître.

4. Date et lieu de composition🔗

Depuis le dix-neuvième siècle, les questions de la date et du lieu de composition de l’Évangile ont donné lieu à des controverses assez violentes. Des critiques radicaux situèrent cette date vers le milieu du deuxième siècle. Quant aux orthodoxes, ils la placèrent vers la fin du premier siècle. Il nous semble que la deuxième opinion devrait prévaloir pour plusieurs raisons.

Les critiques supposèrent que le développement de la pensée théologique de l’auteur ne pouvait avoir eu lieu que bien après la naissance et la croissance de l’Église primitive, à cause d’un rapport avec la pensée gnostique. Les recherches des quarante dernières années ont considérablement altéré ces opinions radicales et favorisé une date bien antérieure à celle de la fin du premier siècle. Des fragments de papyrus découverts en Égypte prouvent que l’Évangile y était déjà bien connu au début du deuxième siècle.

Sa rédaction (sans doute dans la ville d’Éphèse) dut être complétée bien avant cette date. Il est fort improbable que le quatrième Évangile ait dépendu largement des synoptiques, mais qu’il ait fallu un certain laps de temps pour le développement de la pensée théologique peut être aisément admis. Le prologue de l’Évangile est une pièce maîtresse en faveur de cet argument. Pourtant, le thème se retrouve aussi dans un autre écrit du Nouveau Testament, présenté par Paul dans Colossiens 1.15-20, qui a une date assez primitive par rapport aux spéculations avancées par les critiques radicaux. Par ailleurs, combien de temps est nécessaire pour qu’une pensée théologique se développe, alors que Jean a vécu avec le Maître et qu’il a reçu directement de lui l’enseignement le plus théologique qui puisse être?

Il est évident que l’Évangile n’aurait pu être rédigé en Asie Mineure après le Diatessaron qui le contient et qui date précisément du milieu du deuxième siècle. Quant au lieu de sa composition, c’est la ville d’Éphèse qui est retenue par la plupart des spécialistes. L’environnement est païen, puisque l’auteur explique fréquemment le sens des fêtes et des coutumes juives. Vers la fin du deuxième siècle, Irénée écrivait : « Jean, le disciple du Seigneur qui s’était penché sur lui [lors de la Cène] écrivit l’Évangile tandis qu’il résidait à Éphèse.1 » Selon d’autres sources, Jean vécut la fin de sa vie dans cette ville et y fut enterré. Il existe cependant une tradition d’après laquelle il existait à Éphèse deux personnes nommées Jean : l’un l’apôtre du Seigneur, l’autre un presbytre.

Nous mentionnerons toutefois en passant le silence d’Ignace, évêque d’Antioche en Syrie, qui, sur son chemin de martyr vers Rome, écrivit de nombreuses lettres à des Églises, parmi lesquelles Éphèse, sans pour autant mentionner le nom de l’apôtre, ce qui est difficile à comprendre puisque Jean devait être bien connu dans cette ville. Quelque chose semble ici nous échapper. Quoi qu’il en soit, Éphèse semble bien être le lieu le plus indiqué et le plus probable de la composition de l’Évangile.

5. Particularités🔗

« Tout différent du style des synoptiques, le style johannique offre peu de variétés et de couleur. Certains termes courants dans la Bible ne s’y trouvent jamais (Évangile, parabole, repentance, foi, prêcher, etc.). Des images fondamentales, exposées parfois sous forme d’allégories, constituent le centre des discours de Jésus : l’Esprit et le vent, l’eau vive, le pain de vie, la manne, le berger… L’Ancien Testament déjà connaissait ces vérités maîtresses. L’évangéliste reprend ces grandes affirmations simples ou antithétiques et les développe d’un mouvement de pensée lent et rythmique qu’on a pu comparer à une évolution en spirale. L’absence de raisonnement déductif et son allure de méditation paisible font de cet Évangile un constant appel à l’adoration, un pont jeté entre les données de l’histoire et les réalités éternelles. La sobriété de la parole écrite rend plus aisée l’audition de la Parole de Dieu. Oubliant qu’un homme a écrit ces choses, nous apercevons à travers les pages de saint Jean le Verbe de Dieu, Jésus-Christ.2 »

Les discours de Jésus s’occupent de sa personne plutôt que du Royaume. Les entretiens personnels sont nombreux et les relations de Jésus avec les particuliers sont davantage accentuées que ses rapports avec le grand public. L’Évangile est profondément théologique et il traite particulièrement de la nature et de la personne du Christ, ainsi que du sens de la foi en lui.

Cette insistance sur les rapports de Jésus avec les particuliers apparaît dans vingt-sept cas ou entretiens, dont la plupart sont largement rapportés, et d’autres plus brièvement (voir Jn 4.46-54), tandis que les synoptiques mettent davantage en évidence l’action qui se déroule. Le vocabulaire du quatrième Évangile est aussi inhabituel, au point qu’une ou deux phrases prises en dehors de leur contexte sont immédiatement reconnaissables. Certains mots clés sont répétés à cause de la vérité de l’Évangile et, tels des diamants, exigent d’être vus de chaque côté : vie, lumière, ténèbres, monde, croire, chair, heure. D’autres sont plus abstraits ou ont un contenu plus philosophique : vérité, haine, recevoir, amour (désigné par deux verbes différents), ôter, envoyer, commencer, connaître (encore deux verbes pour le désigner), gloire, glorifier, témoin (verbe et substantif), demeurer, le Père.

Jean souligne la divinité de Jésus : il est le Fils de Dieu (Jn 1.1; 8.58; 10.30; 14.9; 20.28). Cependant, il trace aussi le portrait de son humanité. Celle-ci est soulignée : sa fatigue (4.6), sa soif (4.7), son impatience (6.26), sa déception (6.67), sa sévérité (8.44), sa tristesse (11.35), son appréciation (12.7), son trouble (12.27), son amour (13.1), sa loyauté (18.8), son courage (18.23).

Pour les contemporains qui ne l’ont rencontré qu’occasionnellement, il était « l’homme Jésus », mais pour ceux qui vécurent en sa proximité, il devint le Saint de Dieu (Jn 6.69).

Dans son Argument en tête de son commentaire sur l’Évangile, Jean Calvin écrit : « J’ai l’habitude d’appeler cet Évangile la clé qui ouvre la porte à l’intelligence des trois premiers ».

a. Similarités de Jean avec les synoptiques🔗

Les similarités avec les synoptiques ne manquent pas. En commun avec eux, Jean rapporte un certain nombre d’événements, comme la descente de l’Esprit sur Jésus lors de son baptême (Jn 1.32-34), la purification du Temple (Jn 2.13-16), la multiplication des pains (Jn 6.1-13), la marche sur le lac (Jn 6.16-21), l’onction à Béthanie (Jn 12.1-8) et son entrée triomphale à Jérusalem (Jn 12.12-19). En outre, les récits de la passion, de la mort ainsi que celui de la résurrection du Christ sont très similaires. Un certain nombre de passages individuels se réfèrent à ceux des synoptiques ou y sont similaires (Jn 5.8-9 et Mc 2.11-12; Jn 6.7 et Mc 6.37; Jn 13.38 et Lc 22.34; Jn 14.31 et Mc 14.42; Jn 18.10 et Lc 22.50). En tout, huit pour cent du contenu du quatrième Évangile a une correspondance avec les synoptiques.

b. Les différences🔗

Jean ne rapporte pas de paraboles, quoiqu’il relate des « dires de Jésus » ainsi que chaque discours ayant son thème propre. Il ne rapporte que deux des vingt-neuf miracles recensés par les synoptiques, mais en mentionne cinq que nous ne trouvons qu’ici. Il contient un matériel plus interprétatif que factuel ou événementiel. Il cherche à aller au plus profond du mystère de la personne du Christ. Il est fortement opposé à l’incrédulité des Juifs, qui nient toutes les preuves et rejettent la divinité de Jésus (Jn 5.18; 8.40-48), complotent contre sa vie (Jn 11.8,45-53), excommunient les disciples à travers les autorités religieuses, s’imaginent rendre un culte à Dieu en tuant ses disciples (Jn 16.2). Même une lecture attentive des textes rapportés plus haut montrera qu’il existe des différences entre le quatrième Évangile et les synoptiques. En voici deux exemples.

Nous avons vu que les synoptiques ont une vue d’ensemble très homogène du ministère de Jésus. Après son baptême, sa tentation ainsi que la mort du Baptiste, Jésus se rend en Galilée (Mc 1.14). À peu près tout le ministère de sa prédication, son enseignement et ses guérisons se déroulent dans cette région de la Palestine. Ensuite, il rentre en Judée, où éclate aussitôt le conflit entre lui et les autorités juives qui aboutira à son arrestation et à sa crucifixion. Les apparitions après sa résurrection ont toutes lieu en Galilée et à Jérusalem. Dans Jean, le ministère de Jésus ne commence pas après l’emprisonnement du Baptiste, mais se déroule parallèlement à celui de son précurseur. C’est seulement dans Jean 2.1-12, et aussi 4.43-45, que Jean situe le ministère galiléen de Jésus. Dans Jean 4.1-42, Jésus se trouve en Samarie. Dans l’Évangile de Jean, la plus grande partie du ministère se déroule en Judée. Après sa résurrection, Jésus apparaît aussi bien en Galilée qu’à Jérusalem.

Jean mentionne trois fêtes de Pâques dans le cours du ministère de Jésus (Jn 2.13; 6.4; 12.1). Les synoptiques n’en mentionnent qu’une seule, celle qui précède son arrestation. Selon Jean, le ministère de Jésus dura au moins deux ans et demi; or, les synoptiques ne semblent en rapporter qu’une année environ.

Plus importante encore est la manière dont Jean présente Jésus à ses lecteurs. Dans les synoptiques, la révélation du caractère messianique de Jésus est graduelle et plutôt discrète. En revanche, chez Jean, elle se fait tôt, de manière directe, sans discrétion ou restriction, et elle est presque constante. Dans les synoptiques, vers la fin de son ministère, Jésus demande à ses disciples : « Au dire des gens, qui suis-je? » (Mt 16.13). Chez Matthieu, c’est Pierre qui répond : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16). Sur quoi Matthieu ajoute : « Alors il recommanda sévèrement aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ » (Mt 16.20). Mais Jean porte témoignage « à ce qu’il a vu et entendu » et rapporte de préférence les incidents et paroles qui rendent témoignage au caractère divin de Jésus. Celui qui boit de l’eau terrestre aura encore soif, mais celui qui boira de l’eau que Jésus donnera n’aura plus soif. Jésus est la lumière du monde qui vient d’en haut. Le Père est en lui et lui est dans le Père. Jésus est la résurrection et la vie, etc. Tous ces témoignages aboutissent à la confession de Thomas. Son caractère messianique est révélé non seulement dans de tels passages, mais encore lors des miracles, des discours, voire des controverses.

Certes, le thème se trouve dans les synoptiques. Pierre le confesse comme le Christ; le Fils connaît le Père, et seul le Fils peut le révéler. Il a le pouvoir de pardonner (Mc 2.10). Son « moi je vous dis » de Matthieu 5.22,28,32 manifeste une autorité supérieure à celle de l’Ancien Testament. Mais elle n’est pas aussi directe, ou bien le thème n’est pas aussi total que dans le quatrième Évangile.

En outre, nous trouvons des passages dans les synoptiques où, lorsque le caractère de Jésus est révélé, il donne l’ordre de ne pas le divulguer. Une autre différence entre Jean et les trois premiers Évangiles va dans la direction opposée. L’enseignement de Jésus au sujet de l’obéissance dans les synoptiques est riche et varié. Le Sermon sur la montagne et tant d’autres discours sur l’évangélisation, les paraboles du Royaume, l’observation de la loi, la fidélité dans l’administration des biens, le pardon mutuel, l’hospitalité, la discipline ecclésiastique, le divorce, l’humilité, la vie de piété et de prière abondent et l’illustrent avec force. Jean aussi donne des enseignements sur la vie de la foi, mais il le fait avec moins de précision et surtout en tant que commandement d’aimer (Jn 14.15; 15.12).

Aucun des Évangiles, individuellement, ne présente la totalité de la richesse et de la profondeur de la personne, de la mission et des paroles de notre Seigneur. De même que les synoptiques se complètent mutuellement, ainsi l’Évangile selon Jean complète les trois qui le précèdent.

c. Les miracles dans Jean🔗

  • L’eau changée en vin (2.1-11)
  • La guérison du fils d’un noble (4.43-54)
  • La guérison de l’homme impotent à Béthesda (5.1-9)
  • La guérison d’un homme né aveugle à Béthesda (9.1-12)
  • La résurrection de Lazare (11.17-44)
  • La pêche miraculeuse (21.1-14)

d. Discours de Jésus particuliers à Jean🔗

  • La nouvelle naissance (3.1-21)
  • L’eau de vie (4.1-42)
  • La source de la vie et le témoignage (5.17-47)
  • Celui qui soutient la vie (6.26-59)
  • La source de la vérité (7.14-29)
  • La lumière du monde (8.12-20)
  • L’objet véritable de la foi (8.21-30)
  • La liberté spirituelle et la descendance physique (8.31-47)
  • Le Berger et son troupeau (10.1-21)
  • L’unité du Christ et du Père (10.22-38)
  • Le Rédempteur du monde (12.20-36)
  • La séparation future et le problème des rapports (13.31 à 14.31)
  • L’union avec le Christ (15.1-27)
  • Le Saint-Esprit et l’avenir (16.5-33)

Les derniers discours sont divisés en deux parties : les discours publics où Jésus se présente comme étant la réalité ultime; les discours privés, où le Christ se révèle à ses disciples dans son absolue suffisance éternelle.

6. Structure🔗

Il est évident que nous ne pourrons parler de la structure de l’Évangile de la même manière que pour les synoptiques. Ces derniers ont été « structurés » d’après un cadre géographique précis : les régions où Jésus exerça son ministère public. La structure de l’Évangile de Jean est plus profonde. Elle ne se réfère pas autant à l’ordre dans lequel les parties de cet écrit furent rédigées qu’à la manière dont elles furent assemblées et mises en rapport les unes avec les autres. Ainsi on constatera les faits suivants :

a. Le rapport du premier chapitre avec le reste du livre🔗

Le prologue introduit le Christ comme le Fils incarné de Dieu, Créateur de toutes les choses, qui, étant Dieu lui-même, devint homme. Le témoignage que lui rend le Baptiste l’affirme : « Voici l’Agneau de Dieu » (Jn 1.29). Les deux thèmes de l’humanité et de la divinité de Jésus parcourent le ministère du Christ et dominent l’écrit.

b. Le rapport des événements avec les discours dans le ministère public🔗

Dans les synoptiques, et plus particulièrement dans Matthieu, les événements et les discours sont à des degrés divers en rapport les uns avec les autres. Dans Jean, ils sont inséparables. L’événement fournit le fondement de l’enseignement qui suit. Le discours devient alors une interprétation qui expose et développe le sens profond de l’événement. La purification du Temple, la visite de Nicodème, la multiplication des pains, la guérison de l’homme né aveugle, la résurrection de Lazare, la demande des Grecs de rencontrer Jésus sont ou bien une introduction au discours ou bien un enseignement. Du fait qu’un certain nombre d’événements sont des miracles accomplis par Jésus, appelés « signes », la section des chapitres 2 à 12 est appelée « le livre des signes ».

Certes, Jean ne suit pas absolument ce modèle. Ainsi le changement de l’eau en vin ou la guérison du fils de l’officier ne sont pas suivis d’interprétation orale. L’événement possède un sens en lui-même. Pourtant, tous les deux sont appelés « signes ». Jean s’attend à ce que le croyant, qui voit en ces événements des signes, y aperçoive surtout la gloire du Christ. Qu’entendons-nous exactement par le mot « discours »? Il peut s’agir d’un discours ininterrompu, tel que la lecture d’un sermon ou bien de conversations et de dialogues. Nous trouvons chez Jean ces deux sortes de discours. Ainsi Jean 5.19-47 est un discours ininterrompu. Dans Jean 10.1-18, il n’y a qu’une seule interruption et dans Jean 6.25-65, Jésus enseigne en étant interrompu plusieurs fois. Le reste des chapitres 2 à 12 contient des dialogues et des entretiens.

c. Les instructions privées🔗

Les quatre Évangiles contiennent tous des exemples de discours privés de Jésus avec ses disciples et de discours publics. Dans les synoptiques, les discours privés deviennent plus nombreux à mesure qu’on approche de la passion. Jean sépare carrément les deux types de discours. Les chapitres 2 à 12 contiennent des discours publics, et les chapitres 13 à 17 des discours privés. À l’exception du chapitre 13, tout semble ininterrompu.

L’enseignement privé cherche à atteindre deux buts : Présenter à la manière johannique des discours qu’on trouve aussi ailleurs; développer et enrichir certains des grands enseignements du « livre des signes ».

d. Les rapports des chapitres 1 à 17 avec les chapitres 18 à 21🔗

Le rapport entre ces deux sections est étroit. Dès le premier chapitre, le lecteur de Jean s’attend à la passion et à la mort de Jésus. En outre, la préparation continue tout au long des seize chapitres suivants. Les synoptiques aussi font état d’une telle préparation, mais elle est moins régulière. Il y a des allusions lors de moments particuliers et surtout vers la fin du ministère. Cela commence dans Marc 8.31 (voir Mt 16.21 et Lc 9.22). Mais dans l’Évangile de Jean, Jean-Baptiste annonce sa passion dès le début (Jn 1.29-36).

La désignation d’Agneau indique le sacrifice que Jésus doit subir. Dès le début de son ministère, il entreprend de nettoyer et de purifier le Temple, comme une prédiction de sa mort. Le Fils de l’homme devra être « élevé », sa chair donne la vie au monde, il donne sa vie pour ses brebis. Le souverain sacrificateur estime qu’il est nécessaire qu’un seul périsse plutôt que toute la nation. À une question des Grecs, Jésus prédit la puissance rédemptrice de sa mort (Jn 12.20-28). Dans les chapitres 13 à 17, Jésus parle de sa mort en tant que sa glorification et son retour vers le Père.

À cause de ce rapport intime entre le ministère de Jésus et sa passion, l’attente et la préparation de sa mort viennent plus tôt chez Jean que dans les synoptiques. La passion, la mort et la résurrection dans les chapitres 18 à 21 sont reliées à l’accomplissement de cette préparation.

7. Message🔗

L’Évangile de Jean a été considéré depuis toujours comme le plus théologique des Évangiles. Ceci ne veut pas dire qu’il soit plus difficile d’accès que les synoptiques. En fait, ainsi qu’on le dit à son sujet, cet Évangile est comme une piscine dans laquelle pourraient nager aussi bien un petit enfant qu’un éléphant adulte… Les plus simples parmi les croyants peuvent en saisir le message, même si des années d’étude ne pourront épuiser un contenu aussi profond; ils peuvent surtout y trouver la joie du salut. Ce n’est qu’en l’étudiant systématiquement qu’on pourra parvenir à saisir les thèmes abordés et développés dans ses pages. Le message central du livre est résumé dans la dernière page : ce livre a été écrit afin que l’on croie, et qu’en croyant on ait la vie éternelle.

Que le livre soit plus théologique que les autres signifie que la pensée qui s’y développe est plus unifiée et plus systématique. Il est certain aussi que son langage est plus symbolique. Il serait utile d’aborder ici les thèmes les plus importants qui reviennent dans le quatrième Évangile.

a. La christologie🔗

On a pu comparer le Christ johannique à un portrait fait par un peintre génial, tandis que les trois synoptiques donneraient plutôt de Jésus une série d’instantanés photographiques. Sans prendre à la lettre cette analogie, on peut y saisir le point de vue de l’évangéliste qui retient avant tout la signification profonde des faits, leur valeur théologique et les insère de la sorte dans la trame de l’éternité. Aussi, les récits d’allure purement historique cèdent le pas aux épisodes typiques de la confrontation d’êtres aveugles ou perdus avec le Sauveur; à la distribution du pain et du vin à la foule, à la résurrection annonciatrice de la rédemption du monde… L’enseignement de Jésus, pour la même raison, apparaît moins diversifié, moins pratique que dans les synoptiques. Il y a peu ou pas d’instructions sur les devoirs ou les qualités des disciples, pas d’évocation des péchés qui les menacent, pas de directives quant à la prière, l’usage de l’argent ou le service du prochain. Par contre, plus explicitement encore que dans les synoptiques, le salut est montré à tous et à chacun, et consiste à croire et à connaître, mais d’une croyance et d’une connaissance intimement liées à la vie (Jn 7.17).

Le moyen du salut c’est de demeurer en Christ; la fin du salut c’est de porter du fruit, d’aimer son prochain comme le Christ nous aime et de recevoir la joie parfaite. Cette joie parfaite, cet amour parfait enseigné par Jésus, ce ne sont pas des sentiments humains plus ou moins chaleureux et contagieux, mais une participation effective à la vie du Christ, l’expression nécessaire et normale de la vie nouvelle et éternelle du disciple. Dans cette perspective, il n’y a plus de division ni d’opposition entre la foi et les œuvres, entre la « vie en Christ » et la pratique quotidienne, entre la connaissance de la vérité et l’obéissance. La communion du Père avec le Fils, qui est mystérieusement évoquée dans plusieurs pages, est l’ineffable terme de notre propre communion avec le Fils. Finalement, ce qui importe, ce n’est pas seulement la communion comme telle, mais encore les diverses étapes que nous franchissons.

« L’Évangile n’est pas un guide mystique, mais l’histoire du Christ divin dans l’obscurité d’un ministère terrestre où sa gloire éclate cependant par échappées soudaines; c’est la présentation du Christ éternel à l’Église. Croire que Jésus est l’Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde, croire qu’il est mon Sauveur et mon Dieu c’est déjà entrer dans la vie éternelle. Car le péché suprême c’est l’incrédulité, le refus de participer à la vie de Jésus-Christ et de le reconnaître comme le Fils de Dieu.3 »

b. La vie nouvelle en Christ🔗

L’un des éléments les plus riches de l’Évangile est l’enseignement concernant la vie. Aucun livre du Nouveau Testament ne parle avec plus de sens et plus de clarté au sujet de la vraie vie que Jean. C’est un terme qui résume tous les bénéfices qui s’obtiennent du salut : « Afin que vous croyiez… »

Les racines de la vraie vie du croyant descendent profondément dans la vie même de Dieu. Le Père a la vie en lui-même et il a donné au Fils de l’avoir aussi (Jn 5.26). La vie du Fils est la lumière des hommes (Jn 1.4); celui qui croit en lui a la vie éternelle (Jn 3.36); cette vie est donnée par le Saint-Esprit (Jn 3.8); et tous ceux qui croient en lui la reçoivent (7.38-39). Le Fils donne la nourriture qui dure pour l’éternité (Jn 6.27); car quiconque mange sa chair et boit de son sang possède la vie éternelle (Jn 6.54). Jésus est la résurrection et la vie (Jn 11.25). Cette vie est nourrie et maintenue si l’on demeure en lui (Jn 15.7); elle glorifie Dieu en produisant beaucoup de fruit (Jn 15.8); ce fruit consiste à nous aimer les uns les autres, comme le Christ nous a aimés (Jn 15.17).

Ce langage ne se trouve pas dans les synoptiques. Pourtant, ce serait une erreur que de supposer que le sujet de ces mots ne s’y trouve pas. Au contraire, il apparaît sous d’autres vocables tels que « Royaume de Dieu » ou « Royaume des cieux ». L’expression « entrer dans le Royaume », qui se trouve dans Matthieu, Marc et Luc, a le même sens que l’expression johannique « avoir la vie ». « La vie en Christ », tout comme le « Royaume de Dieu », est une réalité déjà présente. La vie éternelle et la réalité du Royaume ne commencent pas après la mort. Toutes deux commencent par la décision de suivre le Christ. Connaître le vrai Dieu et Jésus-Christ qu’il a envoyé est déjà la vie éternelle (Jn 17.3).

c. L’Église et les sacrements🔗

Certains pensent que le quatrième Évangile ne parle que des rapports individuels entre le croyant et le Christ. On pourrait déduire du silence et de l’absence des termes « Église » et « sacrements » que l’Évangile ignore cet aspect de la réalité nouvelle. En fait, il existe nombre de passages qui seraient impossibles à interpréter en dehors de leurs rapports avec l’ecclésiologie de l’auteur.

Les passages de Jean 17.20 et 20.21 parlent un langage proprement ecclésiologique. Un intérêt missionnaire est manifesté dans Jean 4.35 et 13.20. De même, Jean 20.23 laisse entendre que les disciples, ensemble, représentaient l’ensemble de l’Église qui continue d’agir auprès de l’autorité apostolique. En outre, il y a de nombreux exemples de discours ecclésiologiques dans les discours sur le cep et le sarment (Jn 15), le berger et les brebis, le troupeau (Jn 10), l’instruction donnée à Pierre (Jn 21). Il est question de quelque chose de plus que de suivre Jésus à titre personnel. Il est question d’une communion intime entre le Christ et son peuple, ainsi que de l’exercice de son autorité parmi eux.

Les mêmes considérations sont valables pour les sacrements. Jésus a-t-il vraiment gardé le silence à ce sujet? On ne peut pourtant pas ne pas songer au baptême en lisant Jean 5.5-9. Si le lavement des pieds dans Jean 13.10 n’indique pas à première vue le baptême, mais la nécessité du pardon, il est significatif que, lorsque Pierre cherche à aller au-delà de ce lavement des pieds, Jésus lui rappelle que celui dont les pieds ont été lavés n’a plus besoin d’autre purification. On peut conclure qu’il y a là une allusion au baptême. Quant à la Cène, on en trouve un symbole au chapitre 6, notamment au verset 53. Ce texte ne parle pas en tant que tel de la Cène, mais la célébration de la Cène renvoie à la vérité enseignée dans ce texte. Dans Jean 15.1-11, il n’y a pas de référence spécifique au pain et au vin, mais l’illustration d’une union intime comme celle du cep et des sarments. Enfin, il y a le remarquable passage de Jean 19.34. Ici, le sang célébré par le vin de la communion et l’eau de la purification célébrée par celle du baptême coulent tous les deux du flanc du Crucifié.

d. L’eschatologie🔗

Ceci pourra être mieux compris à la lumière de l’enseignement des synoptiques. Dans ces derniers, l’eschatologie se fonde sur l’enseignement de l’Ancien Testament. D’après cette conception, l’histoire est une ligne continue. Elle aboutit à un jugement et après ce jugement vient la fin. Les synoptiques reprennent cette même idée, mais l’enrichissent par celle du Christ comme Juge et Libérateur. Dans Jean, l’idée de la fin n’est ni ignorée ni récusée. Mais la fin commence déjà ici et maintenant. L’âge nouveau est déjà une réalité présente (Jn 5.24).

« Les morts » sont déjà morts spirituellement. La vraie écoute de la voix du Fils de Dieu est la réponse de la foi accordée à l’Évangile. La vie éternelle est l’âge nouveau se projetant déjà dans l’âge présent. En même temps, Jean retient l’enseignement synoptique d’un terme ultime porté à l’histoire. La résurrection des croyants sera complétée lors de la résurrection physique de la fin des temps. Mais quiconque mange la chair et boit le sang du Christ a déjà la vie éternelle. Jean souligne que la fin est une réalité présente, sans oublier ou omettre de dire qu’elle est également future. Les synoptiques présentent la « fin » comme un événement futur, mais sans ignorer qu’il est déjà présent.

Il est intéressant d’ajouter à ce qui précède les lignes suivantes d’un commentateur :

« Sans doute, l’Évangile selon Jean est le dernier livre qui fut écrit. Pierre et Paul sont morts; Jean est encore en vie, mais se fait vieux; le retour du Christ allait-il avoir lieu bientôt ou n’aurait-il lieu que dans longtemps? Jésus avait fait allusion au sort final de Pierre et de Jean dans 21.18, mais son discours s’adresse à Pierre et semble contenir un avertissement, voire une description du martyre de celui-ci, tandis que ce qu’il prédit au sujet de Jean est différent. Aussi une rumeur se met à circuler parmi les premiers disciples selon laquelle Jésus aurait promis à Jean qu’il ne verrait pas la mort avant son retour. Mais Jésus n’a rien affirmé de semblable, et la foi ne peut pas se fonder sur de fausses rumeurs ou sur des calculs erronés. De tels calculs ou de tels espoirs sont préjudiciables à la vie des chrétiens. Si notre foi n’est fondée que sur des rumeurs imprécises, elle risque facilement de s’effondrer. C’est donc l’intention de l’auteur de corriger cette espérance dépourvue de fondement. La foi ne peut se fonder sur le retour du Christ dont la mort avait précédé celle de l’apôtre. L’évangéliste non seulement corrige cette rumeur, mais encore attire l’attention sur les vraies questions. L’Évangile donne peu d’indications quant au retour du Christ, mais est tout rempli de présence régulière et constante. Jésus est présent; il habite avec les siens; il donne dès maintenant la vie éternelle; il sauve du jugement à venir; il crée un peuple nouveau qui devra mettre en pratique l’amour mutuel. Si le style de vie nouveau est évident, alors l’heure du retour du Christ, voire son retard, importent peu. »

8. Questions🔗

  1. Quels sont les enseignements fondamentaux qu’on peut trouver dans l’Évangile selon Jean?
  2. De quelle manière le Baptiste, André, Philippe et Nathanaël décrivent-ils Jésus?
  3. Quelle est l’erreur théologique de Nicodème?
  4. Pensez-vous que la Samaritaine fut convertie?
  5. Quelle est la mission du bon Berger?
  6. Montrez que Pilate était convaincu de l’innocence de Jésus.
  7. Le quatrième Évangile contient-il tous les discours et toutes les actions de Jésus? Fallait-il qu’il nous rapporte tout?
  8. Que pensez-vous de l’attitude de Thomas?
  9. Soulignez et apprenez les passages suivants qui parlent de la prédestination, des jours derniers, du ciel, de l’inspiration : Jean 16.4; 17.1,2,9,24; 14.3,18,28; 16.2,33; 14.2; 16.12-13.
  10. Soulignez et apprenez les sept « Je suis » prononcés par Jésus : Jean 6.35; 8.12; 10.7; 10.11; 11.25; 14.6; 15.1.
  11. Apprenez les coutumes juives d’après Jean 2.6; 11.55; 13.5; 18.28; 19.31.
  12. Analysez la prière sacerdotale de Jésus en Jean 17.
  13. Qu’est-il dit de l’incroyance dans les passages suivants : Jean 1.46; 3.11,19,20; 5.10,40,42, 44; 6.41-44.
  14. Notez les résultats de l’incrédulité : Jean 3.18,20,36; 4.13-14; 6.35,53,58; 8.19.

Notes

1. Eusèbe, Histoire ecclésiastique, v. 20.

2Manuel biblique, vol. 4.

3Manuel biblique, vol. 4, p. 12-13.