Introduction au livre de Ruth
Introduction au livre de Ruth
- Généralités
- Contenu
- Composition
- Plan
-
Message
a. Le mariage léviratique
b. La souveraineté divine
c. La généalogie de David
d. L’intérêt écologique
1. Généralités⤒🔗
L’histoire de Ruth illustre admirablement le cinquième commandement et la promesse qui le suit. Plus surprenant encore que l’amour d’une fille pour sa propre mère est cet attachement d’une bru à sa belle-mère. Au surplus, l’accent porte plutôt sur le libre choix de cette Moabite qui, ayant dit oui à un homme du peuple de Dieu, a dit oui en même temps à Dieu lui-même… aboutissement typique d’un mariage mixte quand il s’accomplit sous la bénédiction de Dieu.
Les Juifs revenus de Babylone au temps d’Esdras et de Néhémie étaient plus attentifs aux dangers que présentaient les mariages avec des personnes samaritaines ou d’autres peuples voisins plus ou moins paganisés. Le renvoi des femmes étrangères fut sans doute dicté par une volonté de pureté religieuse plutôt que par orgueil raciste (voir Esd 9 et 10; Né 13.23-25).
Certaines lignes du prophète Malachie (Ml 2.14) pourraient bien avoir été écrites pour réagir contre cette tendance particulariste et l’attitude étroite de disciples d’Esdras.
2. Contenu←⤒🔗
C’est une idylle rafraîchissante pour notre âme! L’histoire de Ruth se passe au temps des juges. Au cours d’une famine, une femme israélite, Noémi, avait dû émigrer au pays de Moab avec son mari et ses deux fils. Après la mort de tous les siens, elle rentre en Canaan accompagnée de Ruth, sa belle-fille, originaire de Moab, qui s’est ralliée à la foi israélite (Rt 1.16). Sur le conseil de Noémi, Ruth s’en va glaner, à l’époque de la moisson, dans le champ d’un parent auquel elle offre de devenir sa femme, selon la loi du lévirat qui oblige un homme à épouser la veuve d’un proche parent. Booz se soumet à cette obligation, et c’est ainsi qu’est fondée la famille du roi David.
3. Composition←⤒🔗
« Ce livre raconte comment Ruth la Moabite est devenue l’épouse de Booz, un homme considéré de la ville de Bethléem et l’ancêtre du roi David. On a prétendu que le livre avait pour but de remettre en honneur la loi du lévirat (Dt 25.5-10) et celle du rachat des terres (Lv 25). Mais, dans ce cas, ces lois seraient sans doute expressément rappelées dans le cours du récit. Elles sont simplement supposées connues. Le livre n’a pas non plus pour but de donner une leçon morale particulière. Le verset 17 du dernier chapitre en fait comprendre le véritable but : celui de ne pas laisser perdre le souvenir d’un fait touchant qui intéressait vivement la famille royale d’Israël. Indépendamment même de la promesse messianique dont la famille de David était devenue l’objet depuis la prophétie de Nathan (2 S 7), tout Israélite devait prendre plaisir à ce trait plein de charme où se peignaient les vertus qui avaient fleuri chez les ancêtres du roi selon le cœur de Dieu. Nous n’avons pas besoin de chercher ailleurs que dans ces sentiments-là la raison pour laquelle un auteur inconnu recueillit cette tradition et composa ces pages.
Mais cette tradition repose-t-elle sur un fond réel? Y a-t-il, dans le temps des juges, une place pour ce paisible épisode? Les mœurs et la vie religieuse du peuple ne s’y montrent-elles pas sous un jour trop favorable pour une période si grossière et si profondément troublée? Nous ne le pensons pas. Cette histoire s’est passée à l’écart des grands événements de l’époque et appartient à la sphère purement privée. Le livre des Juges montre lui-même que la piété n’était point morte en Israël, et qu’alors déjà il existait dans son sein une élite qui n’avait pas fléchi les genoux devant Baal. Notre récit n’a rien de ce que réclame la formation d’une légende. On a cherché en vain quelque préoccupation morale ou politique sous l’empire de laquelle l’imagination israélite se serait mise en frais pour attribuer au grand roi israélite une ancêtre d’origine étrangère et de condition obscure.
Quant au moment où s’est passé le fait raconté, il ne faut pas vouloir le déterminer d’après la famine mentionnée en Ruth 1.1. Car le manque de récoltes est fréquent en Palestine. On doit s’en tenir à ce qui ressort de la généalogie finale, qui place Ruth dans la troisième génération avant David, c’est-à-dire environ un siècle avant lui; ce qui nous conduit aux premiers temps de la sacrificature d’Éli et au début des luttes d’Israël avec les Philistins.
La composition de notre livre appartient certainement à une époque beaucoup plus tardive. Si le but de l’ouvrage est celui que nous avons indiqué, il ne peut avoir été composé, au plus tôt, que vers ou après la fin du règne de David. Plusieurs critiques croient devoir descendre jusqu’à l’Exil. Mais, à cette époque, on luttait péniblement contre les mariages avec les femmes étrangères, que ce livre semble consacrer et autoriser (comparez Esd 9 et Né 13). On allègue Ruth 4.7, qui suppose qu’au moment où le livre fut composé, la coutume ici mentionnée n’existait plus. Mais elle avait pu tomber en désuétude durant le siècle qui a précédé l’époque des Rois. On cite également un certain nombre de chaldéismes [aramaïsmes] qui trahiraient une époque postérieure. Mais ils ne se trouvent nulle part dans le cours du récit provenant de l’auteur; ils sont uniquement dans la bouche des interlocuteurs et peuvent avoir appartenu au langage populaire de l’époque. Le récit a sans doute été rédigé dans les premiers temps de la période des Rois. D’après le style, il n’est ni l’auteur du livre des Juges ni celui des livres de Samuel » (Bible Annotée, Introduction au livre de Ruth).
Nous ne savons rien de plus sur les données historiques de ce récit, et l’auteur nous est inconnu. Parce que le livre est un écrit tardif, la Bible hébraïque le place vers la fin, dans la troisième partie : les « Écrits », après les livres historiques et les prophètes. Depuis le 6e siècle après notre ère, le livre entre dans la liturgie de la fête des moissons du culte israélite; on le lisait au culte juif de la fête de la Pentecôte.
Le livre de Ruth est un chef-d’œuvre d’art littéraire. Ce bref récit, qui nous rappellerait une « nouvelle » s’il n’était pas une histoire vraie, pourrait, à première vue, paraître simple si ce n’est simpliste. Pourtant, comme tant d’autres récits bibliques, il est passablement complexe et savamment élaboré. La trame contient de nombreuses symétries et fonctionne à des niveaux divers : romantique, légal, familial, national et, bien entendu, moral et religieux.
Les personnes impliquées sont abordées au moyen de leurs discours et de leurs actes. Il nous est très peu révélé de leur vie intérieure. Comme d’autres livres bibliques, celui de Ruth est écrit avec une rare économie de détails et de mots. Des termes apparaissant fréquemment, tels que « hesed » (grâce miséricordieuse en hébreu) ou « goël » (protecteur ou rédempteur légal, chargé d’exécuter son droit de rachat), sont les principaux concepts qui dominent le récit. Bien qu’il ne soit pas de la poésie, Ruth emploie un langage supérieur et se sert d’un style littéraire élevé.
4. Plan←⤒🔗
1. Au pays de Moab
L’admiration de Ruth pour Noémi se transforme en attachement à la foi de celle-ci
2. Dans les champs de Bethléem
Misère de Noémi; le riche parent (« goël »)
3. Dans l’aire, où l’on bat le blé
Booz manifeste sa noblesse et fait une promesse
4. À la porte de la ville
Booz cherche des témoins avant d’accomplir sa promesse; généalogie de David
5. Message←⤒🔗
Que veut nous apprendre le livre de Ruth? Qu’il est bon d’obéir au cinquième commandement et que Dieu bénit la belle-fille fidèle? Que, même en périodes de désordre, les familles croyantes constituent des havres de paix?
Il faut se laisser prendre au charme de ce court récit. Les trois personnages principaux suscitent l’admiration. Noémi pousse ses belles-filles à la quitter pour revenir dans leur pays et se soucie de l’établissement de celle qui lui est restée fidèle. Ruth, modèle de la fidélité familiale, prononce des paroles qui mériteraient d’être gravées dans la pierre : « Où tu iras, j’irai; où tu demeureras je demeurerai; ton peuple est mon peuple et ton Dieu est mon Dieu; où tu mourras je mourrai et j’y serai ensevelie » (Rt 1.16-17).
Elle travaille comme glaneuse dans le champ de Booz et prend soin de mettre du grain de côté pour Noémi. Lorsque sa belle-mère lui conseille d’aller passer la nuit aux pieds de Booz, pour que celui-ci la prenne sous sa protection comme épouse, elle se tire fort bien de cette situation délicate, puisque Booz voit dans cette recherche un second acte de fidélité qui l’emporte sur le premier (Rt 3.10). Quant à Booz, il se montre généreux envers celle qui n’est qu’une étrangère, invitant ses moissonneurs à laisser tomber quelques épis pour qu’elle puisse les ramasser.
Lorsqu’il songe à exercer son droit de « goël », c’est-à-dire de protecteur légal, selon la loi mosaïque, en la prenant pour épouse, il agit selon les règles légales, prêt à s’effacer devant un parent plus proche. De cette union bénie naîtra un fils, Obed, qui sera, selon la loi du lévirat, le fils de Noémi et d’Élimélec et prendra place dans la généalogie du Christ, comme grand-père de David. David a eu donc des ascendants moabites, ce qui explique que durant la persécution qu’il subit de la part du roi Saül, il chercha refuge pour son père et sa mère auprès du roi de Moab (1 S 22.3-4).
Ce livre souligne la valeur d’une amitié exceptionnelle. Le dévouement de Ruth pour sa belle-mère Noémi et le soin que celle-ci prend d’elle traversent le livre d’un bout à l’autre.
Chacun des trois personnages du livre est soucieux et veut prendre soin de l’autre. Ruth en fait la démonstration envers Noémi et par là envers son défunt mari. Noémi cherche le remariage de sa bru; Booz épouse Ruth par souci de la protéger, en respectant ses droits.
a. Le mariage léviratique←↰⤒🔗
L’histoire signale la situation dramatique d’une veuve sans enfants. Selon la loi du lévirat en vigueur en Israël, le frère d’un homme décédé sans avoir laissé d’enfants était tenu d’épouser la veuve, sa belle-sœur. Un exemple de transgression de cette loi est le cas d’Onan, dans le livre de la Genèse (Gn 38.8-10). Le nom de celui-ci est abusivement associé à une pratique sexuelle anormale; or la faute d’Onan a été tout autre : celle du « coïtus interruptus », afin d’éviter, précisément, d’accomplir son devoir en suscitant une postérité à son frère défunt. Onan ne songe qu’a son propre avantage dans ses rapports intimes avec sa belle-sœur veuve. Le vrai péché d’Onan est donc son manquement envers la loi du lévirat.
Le premier enfant d’un mariage léviratique devait être reconnu comme le fils du défunt et sa postérité ainsi préservée (voir Dt 25.5). Le livre souligne l’importance du respect de cette loi. Bien que ce ne soit pas l’intention principale de l’auteur, il n’est pas sans importance que l’initiative vienne du côté de Ruth au chapitre 2, de Noémi au chapitre 3, et de Booz dans le chapitre 4.
b. La souveraineté divine←↰⤒🔗
Pourtant le livre n’est pas écrit au sujet de cela; le sens du récit est que Dieu veille sur son peuple et qu’il fait tout concourir pour le bien de celui-ci. L’essentiel est la souveraineté de Dieu. Le récit montre quelque chose des rapports entre Dieu et son peuple. Ruth 2.12 fournit une clé à cet égard : « Que l’Éternel te rende ce que tu as fait! Que ta récompense soit complète de la part de l’Éternel, le Dieu d’Israël, sous les ailes de qui tu es venue te réfugier. » C’est donc principalement un livre au sujet de Dieu. Dieu est le Maître souverain qui préside sur tous les événements. Il protège et fait prospérer ceux qui se confient en lui.
Parce que deux femmes se sont abandonnées à la direction divine, acceptant d’un cœur paisible leur extrême dépouillement, se soutenant l’une l’autre, une tragique histoire s’épanouit en un recommencement merveilleux. Ces femmes, qui vont connaître à nouveau le bonheur, ont dû renoncer d’abord au bonheur et ne chercher qu’à plaire à Dieu et à rendre aux autres la vie moins amère. Dieu est le Dieu des veuves et des orphelins; c’est dans l’abîme de détresse où sont plongées deux pauvres femmes qu’il inaugure sa propre histoire, l’histoire de la maison de David, d’où sortira le Messie. En outre, Dieu veut que la vie se perpétue au sein de son peuple. L’antique coutume du mariage léviratique et le devoir de conserver dans la famille les biens fonciers sont considérés comme des exigences divines (Rt 4.1-10).
c. La généalogie de David←↰⤒🔗
Bien que David fut le plus grand roi d’Israël et considéré comme le roi idéal, il n’a pas sa généalogie dans le premier livre de Samuel. Il est appelé simplement « fils de Jessé ». Le livre de Ruth fait état d’une généalogie qui court jusqu’à Pérets, fils de Juda, l’un des douze fils de Jacob. L’intention de l’auteur est de donner une notice biographique des ancêtres pieux de David.
Ainsi, le roi David et son fils, le Messie attendu, ont parmi leurs aïeuls une Moabite, donc une païenne qui, parce qu’elle a demandé une place dans le peuple de Dieu, est devenue une source de bénédiction pour les enfants d’Israël, ainsi que pour tous ceux qui plus tard voudront entrer dans l’Église.
Le livre de Ruth proclame que la communauté de l’alliance dépasse largement les barrières nationales. L’Église de Dieu ne dépend en rien des données du sang ou de la race. Ruth la Moabite appartient au peuple élu; elle a part aux promesses et aux exigences de Dieu, et cela, dès l’instant où elle confesse sa foi : « Ton Dieu est mon Dieu » (Rt 1.16). D’après la tradition biblique, cette païenne d’origine est l’aïeule du roi David. Elle est l’une des quatre femmes mentionnées dans la généalogie de Jésus (Mt 1.5). Il est désormais interdit au peuple d’Israël de revendiquer David ou le « nouveau David » promis, comme un produit de son sang. De même que Dieu est venu du dehors pour élire son peuple, l’arbre généalogique du Messie plonge ses racines à l’extérieur d’Israël aussi. Il n’y a pas pour Dieu de barrières de race, de classe ou de nations. Aux chrétiens d’ouvrir leurs cœurs et leurs maisons aux enfants de Moab, de quelque nom qu’ils se nomment!
d. L’intérêt écologique←↰⤒🔗
La foi dont témoigne le livre de Ruth est une attitude d’obéissance à l’égard des commandements de Dieu. Mais l’usage cultuel de ce petit livre constitue également un témoignage. On le lisait pendant la fête de la moisson qui, ainsi, ne devenait pas une cérémonie à la gloire de la nature, mais rappelait au peuple l’alliance de Dieu, à travers l’histoire de David et la promesse du roi messianique. C’est dans ce climat qu’Israël pouvait ensuite faire un usage vraiment reconnaissant des dons de la nature.
En conclusion, du fait de l’inclusion du livre dans le canon biblique, l’idylle villageoise de Ruth et de son mariage est devenue une sorte de référence prophétique à la famille de David et au règne du Messie promis à sa postérité.