Introduction au livre des Juges
Introduction au livre des Juges
- Généralités
- Auteur
- Plan
- Période
- Les juges
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Message
a. La religion
b. La souveraineté divine
c. La justice de Dieu
d. La miséricorde du Dieu de l’alliance
e. L’importance de la foi
1. Généralités⤒🔗
Le livre des Juges est le deuxième de la série des livres historiques venant après celui de Josué, auquel il se rattache étroitement, aussi bien historiquement que spirituellement. C’est la position qu’il a dans la Bible hébraïque. Dans Josué, c’est une note de victoire qui domine; dans le livre des Juges, c’est une impression de défaite, d’anarchie, d’incrédulité et d’esclavage. Ces pages nous parlent de la misère des tribus, « où chacun faisait comme bon lui semblait ». Les principaux oppresseurs sont le roi de Mésopotamie, Madian, Moab, Canaan, les Philistins. Mais lorsque le peuple gémit sous le joug du conquérant, se repent et se tourne vers Dieu, Dieu lui envoie des libérateurs : les juges.
L’époque dont le livre des Juges retrace le tableau est un temps de transition, où l’on remarque les plus frappants contrastes. On pourrait penser que c’est une période de jeunesse, durant laquelle tout est alerte et viril, mais en même temps rude et violent.
« On a fréquemment présenté cette époque de l’histoire d’Israël comme un temps de formation; il n’y a dans ce point de vue qu’une demi-vérité; c’est en réalité une époque de décadence à la suite d’un noble passé. Le souvenir de ce passé s’y fait jour à chaque instant.
C’est avec une grande énergie que la conscience de l’unité nationale primitive des douze tribus se fait sentir dans les appendices (chapitres 17 à 21); or ces deux morceaux nous placent, non à la fin, mais aux tout premiers temps de la période des juges; nous devons donc voir dans ce sentiment national si fortement prononcé, non le résultat, mais le point de départ de l’histoire de ce temps. Dans le chapitre 2, l’Ange de l’Éternel rappelle expressément au peuple l’alliance jadis traitée entre lui et le Seigneur, et les instructions qui lui avaient été données en vue de la conquête.
D’après Juges 3.1-2, la nouvelle génération, qui n’a point fait, comme celle des pères, l’expérience de la guerre, doit être constamment tenue en haleine par un entourage hostile. Débora traite dans son cantique du fait que toutes les tribus doivent être solidaires les unes des autres. Gédéon s’écrie, rempli des souvenirs du passé : “Où sont les merveilles que nos pères nous ont racontées?” (Jg 6.13). À la pensée de ces merveilles, il refuse la royauté pour ne pas substituer son propre gouvernement à celui de l’Éternel (Jg 8.23) » (Bible Annotée, Conclusion sur les Juges).
En prenant possession du pays, la structure politique d’Israël peut être appelée une structure amphictyonique, c’est-à-dire une assemblée de tribus unies par un lien religieux dont le centre est situé dans un sanctuaire principal. Ce sanctuaire dérive son importance et son autorité de l’alliance conclue au Sinaï, avec l’arrière-fond qu’était la sortie miraculeuse d’Égypte. La tradition d’Israël rend témoignage de manière uniforme à ce genre de structure politique. Il existe également des témoignages ponctuels (ainsi, déjà durant la traversée du désert, le peuple séjournera à Kadès-Barnéa, le terme Kadesh désignant le sanctuaire et indiquant le point central que constitue le sanctuaire).
Durant les deux premiers siècles après la conquête de la Palestine, et pour une brève période, le sanctuaire central se trouve à Sichem, à Silo, ensuite à Béthel, et finalement de nouveau à Silo. Cependant, durant la période des juges il y a de nombreuses tentatives pour briser ce lien politico-religieux, lequel devrait pourtant caractériser idéalement la ligue amphictyonique. Notons que la nature incomplète de la conquête rendit une coopération totale entre les tribus impossible. Des facteurs géographiques exercèrent une influence profonde. Les divisions rendirent très difficile au sanctuaire amphictyonique d’imposer une force cohésive. La rupture de l’organisation interne entre tribus conduisit finalement à l’adoption de la monarchie.
2. Auteur←⤒🔗
L’auteur du livre est inconnu. La tradition rabbinique l’attribuait à Samuel.
3. Plan←⤒🔗
1. Introduction générale - 1 et 2
2. Othniel, Éhud - 3
3. Débora, Barak - 4 et 5
4. Gédéon - 6 à 9
5. Jephté - 10 à 12
6. Samson - 13 à 16
7. Les tentations de la période préroyale - 17 à 21
4. Période←⤒🔗
Cette section est tirée de la Bible Annotée (Introduction au livre des Juges).
Le cadre historique où s’inscrivent les événements racontés est fourni par les nombreuses luttes que les tribus d’Israël ont dû soutenir, à la fois contre les Cananéens autochtones aussi longtemps que ces derniers ont pu défendre leur indépendance, et contre les peuples voisins de la terre promise. Par rapport à ses turbulents voisins, Israël se trouvait fortement handicapé du fait qu’après la mort de Josué, il ne possédait plus d’autorité centrale capable de s’imposer à toutes les tribus. Il y avait bien le sanctuaire, lequel devait garantir la solidarité des différents clans en cas de nécessité. Mais l’Israël de cette époque n’en était pas moins sans cesse guetté par le danger de la dispersion générale.
Le livre comprend un préambule (Jg 1.1 à 3.6); puis le corps du récit (Jg 3.7 à la fin du chapitre 16); enfin un double appendice (Jg 17 à 21). Il relate des événements à partir de la mort de Josué jusqu’à celle de Samson et les débuts de Samuel et l’aurore de l’avènement de la royauté. Quelle fut la durée de cette période de transition? Il n’est pas aisé de l’évaluer avec précision. En additionnant toutes les dates indiquées dans le cours du récit et en y joignant les années d’oppression qui ont précédé l’apparition de chaque juge, on parvient à un total de 410 ans. Mais ce chiffre doit être contrôlé au moyen de celui de 480 que donne 1 Rois 6.1, comme étant celui de toute la durée entre la sortie d’Égypte et la quatrième année du règne de Salomon.
Au premier coup d’œil, on s’aperçoit que ces deux chiffres sont en profond désaccord. En effet, en retranchant 410 années, qui constitueraient la période des juges, des 480 qui forment l’intervalle entre Moïse et Salomon, il ne resterait que 70 ans, d’un côté, pour tout le temps depuis la sortie d’Égypte jusqu’aux juges (avant les 410 ans), et de l’autre, pour tout le temps qui sépare la fin des juges du commencement de Salomon (à la suite des 410 ans), ce qui est évidemment insuffisant. Comment réduire à un total de 70 ans les 40 ans du désert, les 7 ans au moins de la conquête, toute la période des derniers temps de Josué et de l’intervalle jusqu’au premier juge d’une part, et, de l’autre, les 50 ans au moins d’Éli, de Samuel et de Saül, les 40 ans de David et les 4 du commencement de Salomon? Il nous faudrait pour tous ces faits avant et après les juges plus du double des 70 ans qui nous restaient.
Nous ne saurions exposer ici tous les essais que l’on a tentés pour résoudre cette difficulté. Révoquer en doute le chiffre si positif du livre des Rois, provenant sans doute d’un calcul exact fait sous Salomon, pour l’allonger d’une ou deux centaines d’années, serait bien hasardeux, d’autant plus que ce que l’on sait jusqu’à cette heure de la chronologie égyptienne paraît tendre plutôt à raccourcir cette période qu’à l’allonger.
Mais il y a un premier fait à constater : c’est que, comme les oppressions et les délivrances racontées dans les Juges se sont passées isolément pour certaines tribus et dans des contrées éloignées les unes des autres, plusieurs d’entre elles peuvent avoir eu lieu simultanément. C’est ce que nous pouvons constater avec le plus de vraisemblance pour les deux récits de Jephté, à l’est du pays, et ceux de Samson, à l’ouest. Les événements dont les récits sont rapportés dans les chapitres 10 et 13 et suivants seraient ainsi simultanés, et le temps des judicatures de Jephté, Ibtsan, Elon et Abdon serait parallèle aux 40 ans de l’oppression philistine. Comparer aussi Juges 10.6, qui semble affirmer la simultanéité de l’invasion des Philistins et de celle des Ammonites, et qui confirme ainsi le synchronisme de ces deux événements; de ce fait, seul est diminué de 40 ans le total du temps des juges. Il peut y avoir encore d’autres synchronismes, dont nous ne trouvons pas la trace dans le récit, comme celui que nous venons d’indiquer.
Il faut aussi remarquer le nombre 40, qui revient si souvent et qui paraît être plutôt un nombre rond qu’un chiffre exact. On voulait dire par là, en gros, la durée d’une génération. Enfin, dans les 40 années du pontificat d’Éli peut fort bien y entrer le temps des exploits de Samson (qui ne serait mort que peu avant Éli), ainsi que le commencement de l’époque de Samuel. En tenant compte de toutes ces circonstances, nous arrivons à peu près au chiffre du livre des Rois. (Bible Annotée).
5. Les juges←⤒🔗
Les juges ont été des libérateurs que Dieu a suscités à diverses reprises durant cette période s’étendant entre la fin de la direction de Josué et Samuel, le dernier juge, et l’établissement de la royauté. Ce sont des personnages qui servirent d’organes de justice religieuse autant que de direction politico-militaire, durant une longue période de désordre et de violence. Au-dehors, ils repoussent l’oppresseur (voir 2 S 18.19 : « L’Éternel lui a rendu justice en le délivrant de la main de ses ennemis ») et mettent fin à l’anarchie à l’intérieur des tribus (Jg 4.4-5, à propos de Débora). Ils surgissent tantôt dans une tribu, tantôt dans une autre, mais toujours sous l’impulsion d’un appel divin et revêtus d’une force quasi surnaturelle. Ils communiquent leur élan religieux et patriotique à la fraction du peuple qui les entoure pour repousser l’ennemi et rendre, pendant une brève période, la paix en Israël possible.
À douze reprises, le livre montre l’intervention puissante de Dieu et imprime toujours à nouveau dans la conscience la réalité de son Alliance de grâce. Le salut d’Israël vient de l’Éternel. Cependant, le livre ne soulignera que les noms de six juges parmi les douze, parce que considérés comme les plus grands.
6. Message←⤒🔗
Si le but immédiat de la composition de ce livre est de prouver la nécessité d’un roi pour le peuple théocratique, sans lequel la confusion sera perpétuée, nous avons là aussi une ombre des choses à venir, la préfiguration du Roi du peuple de Dieu, rassemblé de toutes nations et de toutes langues, qui établira l’ordre et la justice, et dont le règne durera d’éternité en éternité. Ainsi il montre de quelle manière le développement d’Israël, désormais établi en Canaan, a été entravé par ses errements et ses nombreuses transgressions, et comment Dieu dans sa miséricorde est constamment intervenu pour le retirer des situations de détresse et d’humiliation nationales. Cet état dura jusqu’au moment où, enfin, il accorda une certaine stabilité en permettant l’établissement de la monarchie.
La condition du peuple, laissé à lui-même après la mort du grand conducteur et législateur que fut Moïse, et après lui son successeur, le général Josué, ne fut pas en elle même intolérable, pas plus d’ailleurs que la monarchie ne fut une absolue nécessité. Car le principe théocratique et l’organisation sociale et religieuse, tels que Moïse les avait établis, possédaient suffisamment de force pour soutenir Israël, même en l’absence d’un chef humain. Cela devenait pour les tribus, appelées ainsi à user de leur liberté avec prudence et sagesse, une épreuve sérieuse que malheureusement elles furent incapables d’assumer avec succès.
À la fin du livre des Juges, il devient clair que l’état de culpabilité d’Israël est déterminé par sa violation constante du droit de l’alliance. En outrageant de la manière la plus atroce la femme d’un voyageur, les gens de Benjamin ne transgressent pas seulement les règles sacrées de l’hospitalité en usage dans tout l’Orient, ils ne renient pas seulement la morale et la coutume, mais ils se placent délibérément en dehors du droit qui découle de l’alliance de Dieu. Dans des cas semblables, c’est le peuple tout entier qui doit procéder au châtiment des coupables. Le récit montre que les tribus qui rompent le pacte du Sinaï, comme celles qui refusent de participer à une guerre prescrite à toutes, ont renié leur vocation et méprisé leur devoir.
À une époque postérieure, cette histoire devait rappeler à Israël la nécessité de la discipline communautaire et de l’obéissance dans l’application du droit de punir les rebelles. Mais la punition n’est pas un simple acte de représailles, puisque ceux qui en sont l’objet peuvent être ensuite réintégrés dans la communauté. On voit clairement ici que la loi du talion, « œil pour œil, dent pour dent », n’est pas un principe de vengeance, mais qu’il inclut aussi la miséricorde. La conclusion de l’histoire des juges manifeste ainsi clairement la préoccupation fondamentale du livre à propos de l’ordre qui doit régner au sein du peuple de Dieu.
L’Écriture sainte atteste qu’il est permis à Israël de comprendre son histoire comme une pédagogie divine. Il est permis à ce peuple de se demander en période de crise : « Quel mal avons-nous fait devant l’Éternel? » Et, enfin, il lui est permis de voir dans les délivrances reçues, non pas un fruit de la sagesse humaine, mais un effet de la puissance et de l’Esprit de Dieu. En apprenant à considérer son histoire sous cet angle, le peuple de Dieu acquiert un pouvoir de discernement spirituel qui l’éclaire sur la vraie nature de sa culpabilité et les causes réelles de ses malheurs. L’histoire devient ainsi un moyen dont Dieu se sert pour établir son ordre dans la communauté fondée sur l’action du Saint-Esprit.
Jephté, s’adressant au roi des Ammonites, en appelle aux souvenirs trois fois séculaires de la prise de possession par Israël sorti d’Égypte, des pays au-delà du Jourdain (Jg 11.12-25). On le voit : s’il a dans toute cette histoire le pressentiment d’un grand avenir, cette aspiration part du souvenir d’un grand passé.
« L’histoire de ce temps se concentre dans la biographie de quelques hommes d’une empreinte profondément marquée et d’une énergie exceptionnelle. Les figures d’Éhud, de Débora, de Gédéon, de Jephté, de Samson se détachent du fond obscur de leur époque avec le plus merveilleux relief. Ce sont des portraits à la Rembrandt. L’ombre et la lumière forment dans les vies de ces hommes d’étonnants contrastes. Dans l’ardeur juvénile de Débora, dans la foi sublime de Gédéon, dans l’admirable triomphe de la loyauté chez Jephté et chez sa fille, sur tous les sentiments naturels, et jusque dans le sauvage énergie de Samson, on ne peut méconnaître le feu inspirateur du monothéisme mosaïque primitif. Mais à côté de cela, quelles chutes, tristes monuments de la lutte entre cette foi traditionnelle et la décadence qui suivit l’époque extraordinaire des Moïse et des Josué!
Les figures ainsi tracées ne sont certes pas des produits de l’imagination; ce sont de magnifiques legs de l’histoire. Ce qui le confirme, c’est que notre livre lui-même mentionne six personnages qui ont joué le rôle de juges sur la vie et les exploits desquels il se tait absolument. En serait-il ainsi si l’auteur faisait œuvre de romancier et non d’historien?
Chez le peuple, même contrastes que chez ses héros. D’une part, l’infidélité avec laquelle il s’abandonne aux cultes idolâtres et aux vices grossiers des nations qu’il a eu le tort d’épargner, le lâche découragement avec lequel il accepte l’oppression ennemie, l’égoïsme des tribus momentanément épargnées qui ne s’inquiètent pas du malheur des autres; enfin, des crimes contre nature dignes de Sodome et Gomorrhe; d’autre part de subits réveils au souffle divin et à l’appel des juges; des repentirs et des supplications à l’Éternel; une confiance héroïque en la puissance de son bras!
Remarquons ici un trait singulier. Les deux tribus qui, avec Dan et Benjamin, jouent dans cette histoire le plus triste rôle, sont précisément les deux principales : Ephraïm, à qui sa jalousie envers Gédéon et Jephté attire un sévère châtiment, et Juda, qui avec la plus honteuse lâcheté livre aux Philistins son plus hardi défenseur, Samson. Impossible de voir dans ces récits la moindre tendance à idéaliser soit l’ensemble du peuple, soit l’une ou l’autre de ses tribus, soit aucun de ses personnages marquants; tout nous prouve que l’auteur n’a cherché que la vérité. L’inspiration de son livre est celle de la Bible entière : le zèle pour Dieu et pour Dieu uniquement. Cet esprit-là n’est pas celui de l’homme » (Bible Annotée, Conclusion sur les Juges).
Soulignons dans ces derniers paragraphes quelques-uns des points saillants du contenu et du message des Juges.
a. La religion←↰⤒🔗
En entrant en Palestine, la religion d’Israël avait déjà revêtu définitivement sa forme et établi ses coutumes. Ce fut quasi un miracle qu’elle eût survécu à l’épreuve cruciale des premiers siècles. Mais il aurait fallu plus qu’un miracle pour qu’une telle religion pût se développer après l’établissement en Canaan, sous la pression dévastatrice que les forces adverses ne manqueraient pas d’exercer sur elle. Le rôle de Moïse dans cette formation fut, bien entendu, déterminant. Sous la direction de Dieu, il organisa une masse sans cohésion en un peuple uni, soigneusement réglementé. Le rôle du sanctuaire fut à cet égard essentiel. Le Dieu des tribus était Yahvé, l’Éternel, celui qui les avait arrachés à la servitude et qui avait conclu une alliance avec eux.
Leur part dans cette alliance consisterait à demeurer fidèles et loyaux à ses clauses. Nous n’analyserons pas ici les différentes catégories des clauses-lois, cet examen relevant de la théologie biblique de l’Ancien Testament. Notons cependant que tous les Israélites ne souscrivirent pas automatiquement à la religion instituée et enseignée par Moïse, et la conquête incomplète de Canaan, ainsi que la faillite à exterminer les païens, contribua largement au déclin de la religion de l’Éternel.
Certains Israélites furent tout à fait satisfaits de s’installer parmi les Cananéens païens et même de conclure des mariages mixtes. Il y eut aussi un déclin constant dans la direction accordée au peuple. L’auteur note que le peuple servit l’Éternel pendant tous les jours de Josué et les jours des anciens qui lui avaient immédiatement succédé. Mais à partir de ce moment, aucun conducteur ne put égaler la stature de Moïse ni de Josué (Jg 2.7-11). L’absence d’unité diminua l’importance capitale du sanctuaire central, mais les liens tribaux demeurèrent intacts. Dans les chapitres 20 et 21, nous voyons que l’amphictyonie (association à vocation religieuse, ayant la charge de l’administration du sanctuaire) entra en action contre les graves transgressions d’une seule tribu. Pourtant, même cette unité eut ses limites, car il y eut un abîme entre le nord et le sud.
Le livre nous rapporte nombre d’instances où des faiblesses et des manquements moraux et religieux éclatèrent dans la vie de la nation. Un problème parmi les plus aigus est celui soulevé lors de la judicature de Samson. Il semble que ce juge eut très peu sinon aucun zèle religieux, et dès lors il se comporta de manière irresponsable à cet égard. La difficulté s’agrandit si on tient compte que Samson figure dans la liste des héros de la foi mentionnés dans Hébreux 11.
Autre problème à cet égard : ce n’est que lors de la présence de l’Esprit survenant sur Samson que les grands actes libérateurs de celui-ci furent accomplis. Nous avons tendance à nous représenter l’action de l’Esprit selon les données du Nouveau Testament, en les associant avec la piété de la Nouvelle Alliance. Pourquoi l’onction de Samson qui se rendit coupable d’une vie aussi peu parfaite? Il n’est pas aisé d’apporter une réponse satisfaisante.
Notons cependant que Samson est un homme de son temps, et cette ère est celle du déclin et de l’apostasie. Dans ces récits, nous avons le miroir des conditions prévalentes à cette époque qui est un document de valeur inestimable, mais de manière négative. Non seulement l’époque des juges fut une ère où les normes du Nouveau Testament étaient inconnues, mais même les normes de la religion mosaïque restaient soit inconnues, soit non pratiquées. Le livre rend un témoigne fidèle aux sombres événements qu’il décrit. À cet égard, nous devons tenir aussi compte du but recherché par l’auteur.
Sur les événements qu’il décrit, il porte un jugement de nature religieuse. Cela est moins apparent dans les récits relatifs à Samson. Il semble que les tristes récits de l’existence et de la carrière de celui-ci apportent une confirmation à sa thèse religieuse, même s’il n’y insiste pas particulièrement dans son commentaire. Samson fut un homme de force surhumaine, et durant cette période, il était généralement admis que toute force exceptionnelle était le don du Seigneur et l’effet de l’opération de son Esprit. Inversement, toute anormalité était attribuée à l’esprit du malin, comme ce fut le cas pour Saül.
Notons que, dans tout l’Ancien Testament, tout événement exceptionnel était lié à l’action du Seigneur. Ainsi, il endurcit le cœur du pharaon, ou bien met un esprit de mensonge chez certains prophètes. On a voulu expliquer cela par l’intervention de causes secondaires. Pourtant, le témoignage de l’Ancien Testament est clair. Si Dieu est souverain, alors il faut prendre cette souveraineté très au sérieux; tous les faits et événements doivent être considérés en rapport avec elle. Même si on attribue certains faits à la psychologie, il faut reconnaître que les lois de la psychologie ne sont pas étrangères ou indépendantes de la volonté divine. Bien au contraire, elles lui sont soumises. Il est manifeste que Dieu peut faire d’une personne le véhicule de sa révélation ou le canal de son pouvoir indépendamment des qualités morales de l’individu. Songeons à Balaam, ou à Chamgar, qui est un non-Israélite, ou à Cyrus le Perse. Les choix divins ne sont pas toujours clairement compris par l’esprit de l’homme. Samson ne fait pas exception à cette exceptionnelle manière d’agir divine. Finalement, le livre doit être vu dans le contexte total de la révélation de Dieu dans l’Écriture, car cette révélation est rédemptrice dans son caractère et dans ses objectifs.
Dans l’Ancien Testament, Dieu utilise pour se révéler des instruments qui ne sont pas toujours parfaitement responsables. Bien qu’il y eut des périodes d’un progrès spirituel remarquable, comme celle de Moïse, il y eut aussi des périodes de régression. Le terrain de l’Ancien Testament n’est pas plat, sans aspérités. Bien au contraire, il y a des hauteurs éclairées et de sombres vallées. La période des juges pourrait être appelée « Chronique d’un âge de ténèbres ». L’auteur rend pourtant un témoignage fidèle à l’action de Dieu.
b. La souveraineté divine←↰⤒🔗
Quoique certains des récits contenus dans le livre des Juges sont cruels et qu’il y a de sombres couleurs dans le tableau, l’action de Dieu y reste visible. Il montre sa justice en punissant et sa fidélité en sauvant son peuple. D’ailleurs, cette dernière n’est-elle pas une autre face de sa justice? L’apostasie religieuse ayant entraîné le désordre dans la vie nationale et politique, Dieu lui-même rétablira l’ordre. Il trouvera l’homme et la femme pour la situation précise. Il enverra des libérateurs qui seront des types imparfaits du Libérateur divin à venir.
Cet aspect est déjà visible dans le paragraphe qui précède. Il ordonne à toutes les forces de la nature, c’est-à-dire de sa création, mais aussi de l’histoire, en accord avec ses desseins. Cette puissance souveraine se révèle dans son activité libératrice, lorsqu’elle intervient contre les forces numériquement supérieures des adversaires d’Israël pour le délivrer (voir le cas de Gédéon ou celui de Débora). Si le livre rapporte les exploits de juges particuliers, c’est pour souligner surtout l’action puissante et souveraine de Dieu.
c. La justice de Dieu←↰⤒🔗
L’Ancien Testament s’adresse à nous, il nous invite et exhorte à mener une vie de piété et de justice. Le livre des Juges nous présente ce même appel, mais de manière négative. La justice que Dieu demande n’est pas formulée par des principes théoriques, mais par les actes justes ou iniques des hommes. On peut presque y entendre la voix de l’Esprit : « Prenez garde de ne pas succomber dans la tentation. » La nation élue a perdu son premier amour et sa pureté première et la misère qui survient est due à la faute du peuple.
d. La miséricorde du Dieu de l’alliance←↰⤒🔗
L’apostasie religieuse entraîne le désordre politique, qui à son tour engendre le chaos social. Le retour à Dieu rétablit l’ordre dans la liberté. Le péché d’un peuple ne reste pas impuni, mais là où le péché abonde, la grâce surabonde : Dieu ne se lasse pas de pardonner s’il y a un réel retour à lui. Tel est le message spirituel qui se dégage de l’étude du livre des Juges.
Notons encore que les privilèges ne sont pas une garantie de protection contre la contamination du mal. Les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs, et celui qui n’est pas vainqueur du péché en devient l’esclave. Mais au moment voulu, Dieu sut toujours trouver l’homme de la situation. Dans les délivrances accordées par l’Éternel, pas une parcelle de gloire ne revient à l’homme : tout est grâce. Les cycles du péché, de la servitude, de la supplication et du salut sont fréquemment répétés, de manière presque monotone. On peut se demander comment Israël, en parfaite connaissance des clauses de l’alliance, pouvait se comporter de manière tellement rebelle. Mais d’autre part, on voit de quelle manière Dieu, lui, exerce aussi ses compassions et offre sa grâce.
e. L’importance de la foi←↰⤒🔗
En examinant les caractères individuels des protagonistes ou en méditant sur eux, nous ne découvrons pas beaucoup de grandeur morale pour nous en inspirer, mais nous observons la qualité de la foi qui se soumet à Dieu et sert ses desseins. C’est cet aspect-là que la lettre aux Hébreux souligne, lorsque l’auteur mentionne plusieurs juges dans la liste des héros de la foi (Hé 11.32). Ces personnages ont agi parce que Dieu avait opéré à travers eux.