Introduction à l'Évangile selon Matthieu
Introduction à l'Évangile selon Matthieu
- Auteur
- Authenticité
- Destinataires
- Date et lieu de composition
- Particularités
- Structure
- Message
- Questions
1. Auteur⤒🔗
Les renseignements biographiques sur Matthieu, auteur présumé de l’Évangile qui porte son nom, sont peu nombreux. Son nom est la reproduction en grec d’un nom araméen signifiant don de Jahvé, l’équivalent du grec Théodoros. Avant sa rencontre avec Jésus et sa conversion, il s’appelait Lévi. Dans la liste des douze apôtres, il apparaît tantôt comme Lévi tantôt comme Matthieu (Mt 10.3; Mc 3.18; Lc 6.15; Ac 1.13).
Il est le fils d’Alphée et il exerce la profession de péager au service du tétrarque de la Galilée. Il devait avoir une certaine culture générale; sa tâche consistait à relever les taxes romaines dans la ville de Capernaüm. Le péager se remarque dans son style quand il note avec soin les détails concernant les chiffres et l’argent (Mt 26.15; 27.3-10).
Il obéit immédiatement à l’appel de Jésus, il organise un banquet auquel il invite ses anciens confrères, pour les présenter à son nouveau Maître (Mt 9.9-17; Mc 2.13-17; Lc 5.27-32).
C’est à peu près tout ce que nous connaissons de lui d’après le Nouveau Testament. Selon la tradition, il aurait prêché pendant 15 ans en Palestine, puis il serait allé évangéliser d’autres peuples païens. Il serait mort de mort naturelle, soit en Éthiopie soit en Macédoine.
Sous l’occupation romaine, les péagers étaient l’un des groupes les plus méprisés de la société palestinienne par les juifs. L’expression « les péagers et les pécheurs » se trouve à quelques reprises (Mt 9.10-11; Mc 2.15-16; Lc 5.30). Dans Matthieu 21.31, ils sont associés dans la même catégorie morale que les prostituées. Il y avait de très bonnes raisons pour les associer ainsi. Les Romains imposaient de lourds impôts aux pays qu’ils avaient conquis, en divisant le pays en provinces, et ces dernières en districts. L’administration de la collecte d’impôts dans un district était habituellement l’affaire d’un Romain. À son tour, celui-ci louait les services de nationaux et les chargeait de la collecte matérielle des impôts. Tout ce que ces derniers pouvaient amasser au-delà des sommes imposées rentrait dans leur poche. Les péagers opprimaient donc leurs propres concitoyens et étaient les collaborateurs honnis de l’ennemi détesté. Matthieu appartenait à cette classe de gens.
En choisissant les douze, Jésus réunit un groupe de gens qui n’avaient rien de très remarquable en eux-mêmes, pour faire d’eux les fondateurs de son Église. Jacques et Jean, appelés « les fils de la colère », Thomas, qui doutait, Judas le traître, Pierre, le vaniteux maladroit, Simon, un radical, agitateur politique, Matthieu, un collaborateur de l’ennemi. Tous, à l’exception de Judas, prouvèrent que, dans le Royaume de Dieu, le dernier devient le premier…
2. Authenticité←⤒🔗
L’authenticité de l’Évangile qui porte le nom de « selon Matthieu » est un problème qui n’est pas totalement résolu. Ce ne sont que des hypothèses que nous émettrons ici, prenant parti pour celle qui nous semble la plus probable.
Le terme « selon » n’indique pas de manière absolue que la personne mentionnée fut effectivement l’auteur du livre portant son nom. Il pourrait aussi indiquer une conformité à cette personne ou bien une association avec le type de théologie qu’il représentait. Par conséquent, l’acceptation de l’authenticité d’un écrit évangélique dépend d’autres preuves que de la seule mention de son nom. C’est pourquoi des spécialistes, même non suspects de critique biblique, admettent l’hypothèse selon laquelle l’Évangile de Matthieu dans sa forme actuelle put ne pas être rédigé par l’apôtre en personne.
Voyons certains arguments en faveur de cette hypothèse et d’autres contre celle-ci.
L’Évangile ne dit pas explicitement que Matthieu en fut l’auteur. Dans l’antiquité, l’historien Eusèbe (vers le premier quart du 4e siècle) rapporte le témoignage d’un auteur chrétien du 1er siècle, ou du début du 2e, nommé Papias. Selon ce dernier, Matthieu aurait écrit en langue araméenne un document nommé les Logia rapportant les oracles et les discours de Jésus, qui par la suite auraient été traduits en grec. Déjà, Irénée, 150 ans avant Eusèbe, écrivait que Matthieu avait écrit un Évangile à l’intention des Hébreux dans leur dialecte, tandis que Paul et Pierre prêchaient à Rome en y posant les fondements de l’Église.
Voici cependant la traduction de la phrase de Papias, évêque de Hierapolis, telle que la rapporte Eusèbe : « Ainsi, Matthieu a en effet mis ensemble (composé) en langue hébraïque les Logia; quant à leur interprétation, chacun les traita comme il en était capable. » Cependant, personne n’est certain du sens de ces Logia (doctrines ou discours?). Le témoignage d’Origène à la fin du 3e siècle, ne laisse pas de place pour le doute concernant la croyance unanime à ce sujet, et qui remontait déjà à la fin du 2e siècle. Il dit :
« J’ai appris la tradition concernant les quatre Évangiles reçus sans contestation par l’Église de Dieu, sous le ciel; le premier a été écrit par Matthieu, autrefois péager, ensuite devenu apôtre de Jésus-Christ, qui le publia à l’intention des convertis juifs et le composa en langue hébraïque. »
Cette déclaration semble résoudre le problème, mais des difficultés persistent qu’on ne saurait ignorer; nous en mentionnerons deux seulement.
On peut tenir pour certain que notre Évangile canonique n’a pas été écrit en hébreu (ou en araméen), mais en grec, ce qui contredit le témoignage d’Origène et de Papias, si par le célèbre Logia il fallait entendre notre Évangile.
Nous trouvons dans Matthieu la substance de 606 des 661 versets contenus dans l’Évangile selon Marc, ou pour situer le problème autrement, des 1068 versets de Matthieu, 462 seulement sont indépendants de Marc. Ainsi, on peut dire que l’Évangile de Marc se trouve presque entièrement inclus dans celui de Matthieu, à l’exception de 55 versets.
On a objecté que Matthieu avait connu intimement et directement le Seigneur, et que par conséquent il n’avait pas à emprunter au récit de quelqu’un qui ne fut pas un témoin oculaire de la vie et du ministère de Jésus.
Comment parvenir à réconcilier ces deux points de vue divergents?
Voyons d’abord la deuxième objection. Papias écrit que Marc devint l’interprète de Pierre et écrivit avec précision tout ce dont il se souvenait des paroles et des actes du Seigneur. Origène, parlant des Évangiles, dit : « Le second (Évangile) est celui selon Marc qu’il rédigea sous la direction de Pierre. »
Un témoignage identique est rendu par Justin Martyr, Tertullien, Irénée, Jérôme et Eusèbe. Par conséquent, utilisant Marc, Matthieu utilisait aussi le matériel fourni par les discours de Pierre, discours entendus et retenus par Marc, lequel en rédigea vraisemblablement des notes qui sont la substance même du second Évangile. Le sermon de Pierre à Césarée (Ac 10.34-43) est remarquablement semblable au plan général adopté par l’Évangile de Marc. En utilisant Marc, Matthieu se servit des mémoires d’un autre apôtre, appelé avant qu’il ne le fût lui-même.
Quant à la première objection, tout tourne autour de la question de savoir s’il faut ou non identifier l’Évangile canonique avec les Logia dont parle Papias et qu’il déclare être rédigé par Matthieu. Si ces deux écrits sont un seul, nous sommes confrontés avec un problème insoluble qui est le suivant : Papias déclare que Matthieu a écrit en hébreu, mais il est certain que notre Évangile n’a pas été traduit de l’hébreu en grec, mais rédigé directement dans cette dernière langue. Cependant, il n’est pas nécessaire de penser que les Logia dont parle Papias et notre Évangile sont identiques, quoiqu’il semble que Matthieu ait écrit quelque document en hébreu à l’intention des juifs, ainsi que l’affirment Papias, Irénée et Origène, et il existe d’excellentes raisons pour supposer que celui-ci fut incorporé, au moins en partie, dans l’Évangile canonique qu’il rédigea en grec.
Cette simple hypothèse cherche, et nous pensons qu’elle y parvient, à résoudre l’apparente contradiction, et a à son avantage le poids d’un autre exemple, celui de l’écrivain juif Josèphe qui rédigea ses écrits d’abord en hébreu et ensuite en grec, afin qu’ils puissent jouir d’une circulation universelle.
De toute manière, la valeur de l’Évangile ne dépend nullement de son auteur, mais de son contenu. Néanmoins, en l’absence d’une preuve absolue du contraire, il n’est pas infondé de penser qu’il est d’origine apostolique. Bien que plusieurs spécialistes l’attribuent à un évangéliste inconnu, qu’ils appellent le compilateur, nous admettrons le verdict d’Origène déjà cité : selon les partisans de l’authenticité, l’Évangile fut rédigé par Matthieu.
Étant donné le rôle plutôt effacé de Matthieu dans le cercle des douze, il n’y a pas de raison de penser qu’on s’efforce de lui attribuer l’œuvre d’un faussaire. Or, tout compilateur ou faussaire aurait donné à son œuvre un autre nom, un nom d’emprunt, plus célèbre que le sien. L’accord général des premiers auteurs chrétiens au sujet du caractère de Matthieu conforte cette position. T. Manley écrit dans son introduction :
« Au sens strict, tous les Évangiles sont anonymes. Aucun ne porte le nom de son auteur. Seules des raisons externes nous permettent d’inscrire sur le premier Évangile le nom de Matthieu. »
On a souvent rejeté le témoignage de Papias, car il n’existe pas de trace du texte araméen et le grec de l’Évangile ne porte pas de trace de traduction. L’Évangile araméen a pu rapidement disparaître. Le texte grec est ancien et devra probablement être considéré comme une édition plutôt qu’une traduction de l’araméen. L’Évangile est admirablement en contact avec le judaïsme, quoiqu’en devenant progressivement indépendant de lui. Il baigne dans une atmosphère d’attente messianique, quoique le message soit destiné au monde entier. Il préserve l’essence de l’alliance abrahamique qui souligne le privilège d’Abraham et de sa postérité, mais en ajoutant la promesse contenue dans la Genèse. Le contenu de l’Évangile montre clairement qu’il a été destiné aux juifs, ou en tout cas premièrement aux juifs. Si l’on admet l’hypothèse d’un recueil primitif des Logia, on peut distinguer deux groupes de lecteurs au sein des mêmes juifs.
3. Destinataires←⤒🔗
Les destinataires d’un livre sont assez largement déterminés par le but dans lequel le livre a été écrit. Vu le grand intérêt que Matthieu porte à l’accomplissement messianique de l’Ancien Testament, il a sans aucun doute considéré les juifs comme ses lecteurs principaux. Ceux-ci devaient être de deux sortes : certains étaient chrétiens, la grande majorité était juive. Il est probable que ces deux groupes ont été présents dans son esprit. Son écrit se proposait de conforter la foi des premiers, puis de servir dans un but d’évangélisation auprès des juifs.
En montrant que Jésus était bien l’accomplissement des prophéties de l’Ancien Testament, des espérances et des prophéties, il veut s’adresser aux juifs en montrant que sa vie et son ministère furent le grand don que Dieu leur fit. Simultanément, Matthieu pensa aussi à des lecteurs d’origine païenne. Ses références à des païens qui par moment ont la priorité sur des juifs pour l’entrée dans le Royaume, et l’aspect généralement universel de l’Évangile, indiquent cela. Il advint qu’à la fin du premier siècle l’Évangile selon Matthieu devint le mieux connu dans les Églises, qui furent en grande partie d’origine païenne. Ses racines vétérotestamentaires et sa vision mondiale, l’équilibre entre l’événement et l’enseignement, la composition bien établie, rigoureuse, du texte, et sa particulière adaptation pour servir de texte d’enseignement ou pour une lecture publique, favorisèrent cette grande popularité. Avec le temps, les lecteurs juifs qu’il avait eus en vue disparurent, et les lecteurs païens qu’il avait à l’esprit en partie seulement devinrent les principaux bénéficiaires de son écrit.
Des évidences internes faisant apparaître une destination juive sont nombreuses. Ainsi, on trouve une absence considérable d’explication de coutumes juives (Mt 7.3-4 et 15.1-2; voir Mc 14.12 et Lc 22.7 avec Mt 26.17). On trouve également de très nombreuses citations et allusions à l’Ancien Testament qui ne pourraient se comprendre si ce n’est par un public connaissant la Loi et les Prophètes.
La généalogie du premier chapitre remonte jusqu’à Abraham, le père du peuple juif, et à David, dont la postérité devait établir pour toujours le règne de Dieu. Le compte-rendu du Sermon sur la Montagne apparaît comme l’interprétation évangélique de la loi et le contraste entre la doctrine de Jésus et l’enseignement des pharisiens.
Ceux qui parlent l’araméen habitent la Palestine et sont déjà convertis. Ceux qui, juifs hellénistes, ignorent l’hébreu se trouvent pour le plus grand nombre dans les synagogues parlant grec des contrées environnant la Palestine (voir la traduction de certains termes tels qu’Emmanuel, Golgotha, Éloï, Éloï, lama sabachtani).
4. Date et lieu de composition←⤒🔗
De l’avis de la plupart des spécialistes du Nouveau Testament, l’Évangile selon Marc dut être composé avant celui de Matthieu, entre 65 et 70, ce qui explique que ce dernier soit dépendant du premier. Mais quel fut le laps de temps entre la composition des deux Évangiles? L’opinion des spécialistes varie; certains la situent aux environs des années 70, d’autres aux environs des années 80 et d’autres bien plus tard, vers les années 90 et même de manière tout à fait invraisemblable au début du second siècle.
La popularité de l’Évangile selon Matthieu laisse supposer qu’il fut certainement rédigé avant la fin du premier siècle. On peut même avancer l’hypothèse que, dans sa forme actuelle, l’Évangile ne fut pas postérieur à 75, bien au contraire. Voici nos arguments en faveur de cette date :
Le livre dit des Logia étant écrit en langue araméenne, on peut supposer que cette langue était en usage surtout en Palestine ou vraisemblablement dans les environs. Antioche a été retenu comme lieu probable de sa composition. Les citations des Évangiles que l’on trouve dans les écrits patristiques, Papias, Irénée, Ignace, sont en accord avec le texte de Matthieu et montrent que le premier Évangile était probablement favorable à l’Église syro-juive. En outre, l’Église d’Antioche fut la première à posséder une composition de convertis du paganisme parlant aussi bien l’araméen que le grec. Sans qu’une preuve absolue vienne étayer cette hypothèse, on peut penser avec raison à Antioche comme lieu possible de la rédaction de notre Évangile. Ici, les juifs et les gentils se rencontrent; la ville est un grand centre cosmopolite, très proche de la patrie juive. Elle a une Église florissante. Elle a joué un rôle missionnaire de tout premier ordre, servant de base aux voyages de Paul. Du point de vue donc de l’auteur, Antioche et Matthieu sont étroitement liés et la ville sert parfaitement à l’intention de l’auteur. Toutefois, cela n’est qu’une hypothèse. La question donc du lieu de la composition est étroitement liée à celle de sa date. Nous pensons qu’il serait raisonnable de situer celle-ci aux environs de l’année 70, date de la destruction de Jérusalem (voir Mt 24.16).
Le livre de Logia fut probablement rédigé dans les années 66, ou avant, date de la dispersion des apôtres.
Selon Eusèbe, la composition eut lieu quand, après avoir prêché aux Hébreux, Matthieu décida de s’adresser à d’autres, à des païens; et il laissa alors entre les mains des premiers un document écrit. Il nous semble assez difficile de situer la date de rédaction avant la dispersion des chrétiens de Jérusalem (voir Ac 8.14). Car l’Église locale n’aurait pas eu besoin d’un Évangile écrit, les apôtres et les disciples étant présents pour répondre à des questions relatives au ministère de Jésus et afin d’enseigner avec autorité l’Évangile.
Situer la date après 70 paraît difficilement soutenable du fait qu’il ne se trouve aucune allusion à la destruction de la ville de Jérusalem. Irénée la situait aux environs des années 60-68. Si l’on retient cette date, l’Évangile put être écrit originellement pour des non palestiniens parlant l’araméen, qui n’avaient pas accès aux apôtres et dont la connaissance de la vie et du ministère du Christ dépendait étroitement d’un texte écrit.
5. Particularités←⤒🔗
Contrairement aux trois autres Évangiles, Matthieu ne contient aucune indication précise (sous-titre, prologue ou conclusion) qui nous renseigne sur le but que veut atteindre l’auteur (comparer Mc 1.1; Lc 1.1-4; Jn 20.30-31). Néanmoins, ce but se révèle plus ou moins clairement par l’impression générale qui se dégage de son texte.
Pas plus que Marc, dont il suit assez rigoureusement le plan, le premier Évangile ne cherche à retracer une histoire suivie de Jésus. Il reproduit, en les résumant parfois, les principaux récits du deuxième Évangile; en revanche, il donne une place essentielle à l’enseignement et à la prédication de Jésus. Cinq grands morceaux formés de discours de Jésus viennent s’insérer dans le cours général suivi (voir le paragraphe traitant de la structure).
De plus, Matthieu rapporte un certain nombre de récits ou d’entretiens, soit avec les disciples, soit avec les adversaires, dans le but évident de conserver à cette occasion tel ou tel enseignement de Jésus, sur lequel se greffe parfois un développement plus important; tels sont les épisodes rapportés aux chapitres 11 et 12 ou 19 et 20, dont « tout l’intérêt réside dans le fait qu’ils donnent à Jésus l’occasion d’un enseignement qui dépasse la portée de l’incident » (Hébert Roux).
D’une manière ou d’une autre, chaque fait, chaque acte, chaque épisode du ministère de Jésus se rattachent plus ou moins étroitement à sa prédication; il en est une illustration ou une confirmation. Ainsi, l’agencement même du récit de Matthieu contribue à mettre en lumière l’autorité de Jésus : la remarque par laquelle l’évangéliste conclut le Sermon sur la Montagne, « il enseignait comme ayant autorité » (Mt 7.29), révèle la préoccupation dominante de toute son œuvre : montrer que celui qui parle possède le pouvoir de le faire. La prédication du Royaume des cieux est faite par le Roi en personne. Qu’il s’adresse à la foule, aux disciples ou aux scribes et aux pharisiens, sa parole revêt toujours le même caractère de souveraineté indiscutable. Qu’il se présente comme maître de la loi, juge de la tradition des anciens, plus fort que les démons et la maladie, plus grand que Salomon ou que le temple, vainqueur du péché et de la mort, il manifeste toujours son pouvoir royal. Sa parole et ses actes témoignent ensemble de la venue du Royaume dont la réalité et la présence sont inséparables de sa propre personne (Hébert Roux).
L’Évangile selon Matthieu est un livre organisé avec un très grand soin. Nous avons relevé le soin que l’auteur portait aux détails rapportés, la manière dont il témoigne et la précision qu’il met dans son récit. On peut relever le souci de Matthieu de situer la mission du Christ autour de cinq discours, ou groupes de discours. Une fois que nous tenons compte de cette structure, nous apercevons tout l’effort que l’auteur déploie pour réussir la composition de son livre. Son apologie en faveur de Jésus et son appel à se préparer à l’avènement de l’Époux sont divisés et organisés. Autrefois, les écrivains organisaient de manière plus symétrique leurs écrits. Il est important de noter ces divisions symétriques si nous tenons à comprendre le sens du livre et son message particulier.
Notons les sept requêtes du Notre Père, les sept paraboles du chapitre 13, les sept cris de malheur dans le chapitre 23. Le thème d’Emmanuel, Dieu avec nous, apparaît dès le commencement (Mt 1.23) ainsi qu’à la fin, quand Christ promet d’être avec les siens jusqu’à la fin des siècles.
Les auteurs des Évangiles n’étaient donc pas de simples chroniqueurs, dépourvus de tout intérêt théologique, et rapportant un événement après un autre ou un discours après un discours. La Bible n’a pas été écrite par des robots. Les Évangiles, comme chacun des livres du canon biblique, ont été rédigés avec le plus grand soin.
Les traits particuliers de cet Évangile montrent que son auteur place moins d’accent sur les figures individuelles que les deux autres synoptiques (Jean-Baptiste, Marie, mère de Jésus, les douze, Caïphe, Pilate, Simon de Cyrène, Joseph d’Arimathée et autres figures mineures qui jouent un rôle dans les récits; toutes sont secondaires par rapport au noyau du récit).
Certains incidents de la vie de Jésus sont particuliers à Matthieu : la vision de Joseph (Mt 1.20-24), la visite des mages (2.1-12), la fuite en Égypte (2.13-15), le massacre des innocents (2.16), le rêve de la femme de Pilate (27.19), la mort de Judas (27.3-10), la résurrection des saints lors de la crucifixion de Jésus (27.32), les gardes romains achetés par les juifs pour garder le silence au sujet de la résurrection de Jésus (28.12-15), l’ordre baptismal (28.18-20).
Parmi les paraboles, celles de l’ivraie, le trésor caché, la perle de grand prix, le filet, le serviteur impitoyable, les laboureurs dans la vigne, les deux fils, les talents sont particulières à Matthieu.
Trois miracles seulement lui sont particuliers : les deux hommes aveugles (9.27), le démoniaque muet (9.32-33), la pièce de monnaie dans la bouche du poisson (17.24-27). La narration des miracles par Matthieu semble être faite pour prouver le pouvoir messianique de Jésus plutôt que pour faire avancer le récit, bien que les duplicata de ces faits apparaissent chez Marc et chez Luc. L’Évangile selon Matthieu est didactique dans son accent, qu’il place aussi bien sur l’enseignement de Jésus que sur les autres aspects de sa mission. Nous y reviendrons plus loin.
Parmi les autres points soulignés dans l’Évangile et qui en font la particularité, signalons :
a. La continuité entre les deux Testaments←↰⤒🔗
C’est Matthieu, disions-nous déjà, qui établit la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Il le fait principalement en citant l’Ancien Testament ou en y faisant des allusions. Il le fait très souvent par l’expression : « Afin que soient accomplies » (Mt 1.23; 2.15,17,23; 3.3; 4.14-16; 8.17; 12.17-21; 13.35; 21.4; 26.56).
On y trouve 129 références à l’Ancien Testament dont 53 sont des citations et 76 des allusions. Elles sont prises à 25 des 39 livres de l’Ancien Testament et représentent toutes les parties de celui-ci : la Loi, les Prophètes et les Psaumes (le Pentateuque, 1 Samuel, 1 Rois, 2 Chroniques, Esdras, Néhémie, Job, les Psaumes, les Proverbes, Ésaïe, Jérémie, Ézéchiel, Daniel, Osée, Joël, Amos, Jonas, Michée, Sophonie, Zacharie, Malachie).
Parmi les 14 livres non mentionnés, 9 sont d’une importance secondaire. Parmi ces références, 89 sont faites par Jésus, 35 sont des citations et 541 des allusions; 18 des citations et 22 des allusions se trouvent dans la partie narrative de l’Évangile.
b. Le particularisme et l’universalité←↰⤒🔗
Il y a deux accents parallèles dans l’écrit : L’un concerne la place spéciale qu’Israël occupe dans le dessein de Dieu, l’autre l’inclusion des païens dans ce même dessein du salut. On peut en parler comme du particularisme d’Israël et de l’universalisme des païens.
La généalogie par laquelle Matthieu commence son Évangile montre que Jésus fut un fils authentique d’Israël. Il est le descendant d’Abraham, le père de la nation, et de David, le roi glorieux d’Israël. Il a été envoyé seulement aux brebis perdues de la nation d’Israël (Mt 15.24) et c’est vers elles qu’il envoie ses disciples prêcher et guérir. Son style de vie, sa vie religieuse, son milieu social et ses amis les plus intimes sont tous des juifs. En même temps apparaît une forte note d’universalisme. En réalité, celle-ci est ancrée dans le particularisme. Par exemple, dans la généalogie même qui établit l’origine juive de Jésus se trouvent incluses quatre femmes qui ne sont pas d’origine juive (Tamar, Rahab, Ruth et Bathshéba). Il faut noter encore que, mise à part Marie, elles sont les seules à être mentionnées dans la généalogie.
En outre, les mages d’Orient sont des païens et l’Égypte, lieu de refuge de la sainte famille, est aussi une terre païenne. À travers tout l’Évangile, nous trouvons des références aux païens. Une femme cananéenne est louée pour sa foi (Mt 15.28), de même que l’officier romain (8.10). Jésus sera une bénédiction aux Gentils (12.18-21), et plusieurs viendront de l’Orient et de l’Occident pour entrer dans le Royaume (8.11-12). D’autres passages soulignant l’universalisme se trouvent encore, mais le plus connu en est le passage de Matthieu 28.18-20.
c. La discontinuité entre les deux Testaments←↰⤒🔗
De même que l’universalisme court parallèlement au particularisme, de même la discontinuité est parallèle à la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament. L’Évangile souligne fortement ces deux aspects. La nouvelle situation que Jésus inaugure fait partie intégrale de l’ancienne, dont elle est issue, et pourtant elle est aussi totalement distincte. « Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens… Mais moi je vous dis. » L’expression se trouve pas moins de six fois dans le Sermon sur la Montagne (Mt 5 à 7). Jésus dépasse aussi la loi juive ou les coutumes judaïques pour établir une nouvelle moralité, d’une profondeur spirituelle toute nouvelle (Mt 9.10-17; 12.1-8; 15.1-20; 22.23-33). La loi n’est pas dépassée ou abrogée, mais reçoit une nouvelle signification. L’Évangile est ainsi ancré dans la vie et l’histoire d’Israël, mais son fruit est destiné au monde tout entier.
d. Le Royaume des cieux←↰⤒🔗
L’un des aspects les plus saillants de l’Évangile est l’expression « le Royaume des cieux ». Elle n’a pas d’autre sens que celui de Royaume de Dieu, qu’on trouve dans les autres synoptiques. La raison pour laquelle Matthieu s’en sert est sans doute la répugnance des juifs à prononcer le nom de Dieu. Durant la période après l’exil, les juifs refusaient de prononcer le nom du Dieu de l’Alliance, Jahvé, et à sa place ils avaient recours à l’Adonaï, le Seigneur. Quoi qu’il en soit, l’Évangile du Royaume est mis en évidence. La généalogie du premier chapitre suit la lignée royale de Juda. La crainte du roi Hérode à la naissance de Jésus s’explique par l’idée qu’il voit en l’enfant qui vient de naître un probable rival. L’entrée de Jésus à Jérusalem souligne également l’aspect royal de sa mission (Mt 21.5-7). Dans le discours eschatologique, il prédit qu’il siégera sur le trône de sa gloire (25.31). L’inscription sur la croix le présente comme Jésus, le Roi des juifs (27.37).
e. L’Évangile de l’Église←↰⤒🔗
On se réfère souvent à Matthieu comme à l’Évangile de l’Église. Non seulement parce qu’il est le seul à employer le terme d’Église, mais aussi parce que plus que les autres, il semble avoir été rédigé en vue des besoins spécifiques de la communauté ecclésiale naissante (16.18; 18.17). C’est lui qui rapporte l’ordre missionnaire (28.18-20).
Il est le seul Évangile qui parle du baptême au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, formule qui, depuis, permet l’entrée dans l’Église visible. Sans doute durant la période où les premiers chrétiens n’avaient pas d’Évangile écrit, cette formule de Matthieu fut-elle abondamment utilisée dans la liturgie ecclésiastique. Les docteurs et les catéchètes de l’Église primitive ont dû sans doute l’employer comme formule dans leur enseignement. Les évangélistes aussi.
L’Évangile pose quelques règles pour résoudre les problèmes ou les difficultés surgissant entre différents membres de l’Église (18.15-18). L’Église est investie par conséquent de l’autorité de résoudre les problèmes surgis en son sein. Le culte de l’Église aussi bien que le témoignage missionnaire sont sanctifiés et rendus efficaces par la présence du Christ (18.20; 28.18-20). Tout cela indique sans doute que l’Évangile fut rédigé dans l’intention de fortifier la foi d’une Église jeune et encore faible.
f. L’Évangile de l’enseignement←↰⤒🔗
De même qu’on peut appeler l’Évangile celui de l’Église, de même on peut le qualifier d’Évangile d’enseignement. Nous le verrons spécialement dans le paragraphe consacré à sa structure. Huit de ses chapitres sont consacrés à l’enseignement oral : Sermon sur la Montagne (Mt 5 à 7); instruction missionnaire (Mt 10); les paraboles de l’enseignement (Mt 13); discours sur la grandeur et le pardon dans le Royaume des cieux (Mt 18); discours sur la fin des temps (Mt 24 et 25).
Il ne faut pas oublier cependant que Jésus a enseigné autant par ses actes que par ses paroles. Son humilité à chercher le baptême, sa résistance à la tentation, son ministère de guérison, sa critique d’une religion formaliste, son courage face aux adversaires, notamment les pharisiens, sa patience, sa bonté, sa persévérance dans la prière, son exemple d’humilité, son endurance jusqu’à la mort, le tout déjà prévu dans son abaissement et sa naissance dans l’extrême humilité, font certainement partie d’un ministère d’enseignement concret.
Sa vie soumise à la volonté de Dieu est le sceau de vérité et de sincérité placé sur son enseignement verbal. L’exemple de sa vie morale confirme donc son enseignement.
Nous donnerons encore dans ce paragraphe la liste des paraboles du Christ qu’on trouve dans cet Évangile. Pris au sens large, il y en a 40, et 13 d’entre elles sont particulières à Matthieu :
- Le sel de la terre (5.13)
- La lumière du monde (5.14-16)
- L’adversaire (5.25-26)
- Les membres qui offensent ou qui causent du scandale (5.29-30)
- La paille et la poutre (7.1-5)
- Les chiens et les pourceaux (7.6)
- Le chemin large et le chemin étroit (7.13-14)
- L’arbre bon et l’arbre mauvais (7.15-20)
- Les bâtisseurs insensés et les bâtisseurs sages (7.24-27)
- Le médecin et le malade (9.12-13)
- L’époux et la fiancée (9.14-15)
- La pièce nouvelle sur un vieil habit (9.16)
- Le vin nouveau et les vieilles outres (9.17)
- Les paraboles sur le Royaume et le Malin (12.24-28)
- L’homme fort (12.29)Le bon et le mauvais trésor (12.33-37)
- L’esprit mauvais de retour (12.43-45)
- Le bon grain et l’ivraie (13.24-30 et 36-43)
- Le grain de sénevé (13.31-32)
- Le semeur et les terrains (13.3-9 et 18-23)
- Le levain (13.33)
- Le trésor caché (13.44)
- La perle de grand prix (13.45-46)
- Le filet du pêcheur (13.47)
- L’économe et ses trésors (13.52)
- La source de l’impureté (15.11 et 15-20)
- L’aveugle conduisant des aveugles (15.14)
- Le ciel rouge (16.2-3)
- La brebis égarée (18.12-14)
- Le serviteur impitoyable (18.23-35)
- Les laboureurs dans la vigne (20.1-16)
- Les deux fils appelés au travail (21.28-32)
- Les méchants vignerons (21.33-41)
- La pierre rejetée (21.42-44)
- Le mariage du fils du roi (22.1-14)
- Le figuier qui fleurit (24.32)
- Le propriétaire de la maison et le voleur (24.43-44)
- Les serviteurs fidèles et infidèles (24.45-51)
- Les dix vierges (25.1-13)
- Les talents (25.14-30)
g. Les miracles dans l’Évangile selon Matthieu←↰⤒🔗
- La purification d’un lépreux (8.1-4)
- La guérison d’un serviteur du centurion (8.5-13)
- La guérison de la belle-mère de Pierre (8.14-17)
- La tempête apaisée (8.23-27)
- La guérison du démoniaque de Gadara (8.28-34)
- La guérison d’un paralysé (9.1-8)
- La guérison de la femme souffrant d’hémorragie (9.20-22)
- La résurrection de la fille de Jaïrus (9.18-19 et 23-26)
- La guérison des deux aveugles (9.27-31)
- La guérison d’un démoniaque muet (9.32-33)
- La guérison d’un possédé aveugle et muet (12.22)
- La multiplication des pains (environ 5000 hommes nourris) (14.15-21)
- La marche sur la mer (14.25-33)
- La guérison de la fille d’une Syro-Phénicienne (15.21-28)
- La deuxième multiplication des pains (environ 4000 hommes nourris) (15.32-38)
- La guérison de l’enfant lunatique (17.14-18)
- La découverte d’une pièce de monnaie (17.24-27)
- La guérison de l’aveugle près de Jéricho (20.29-34)
- Le figuier rendu stérile (21.18-22)
Trois de ces miracles sont particuliers à Matthieu : les deux aveugles recouvrant la vue, la guérison du démoniaque muet, la découverte de la pièce de monnaie. On peut diviser les miracles de la manière suivante :
- Domaine humain; au nombre de huit
- Domaine cosmique; au nombre de six
- Domaine de l’esprit; au nombre de six
6. Structure←⤒🔗
Il n’existe pas d’autre livre du Nouveau Testament qui soit aussi intelligemment structuré, du point de vue strictement littéraire et de son plan, que l’Évangile selon Matthieu. Il commence par une brève introduction sur les événements entourant la nativité (Mt 1 et 2), suivie de la grande partie centrale décrivant le ministère de Jésus (Mt 3 à 25). Cette section consiste en de petites subdivisions qui apparaissent alternativement comme des matériaux historiques ou didactiques (enseignement). Nous les appellerons sections d’événements et sections d’enseignement. L’écrit se termine par le récit de la passion, de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ (Mt 26 à 28).
Voici cette structure :
1. Introduction (1.1 à 2.23)
Généalogie et naissance de Jésus, visite des mages, hostilité du roi Hérode le Grand, fuite en Égypte, massacre des innocents, retour à Nazareth
2. Ministère public (3 à 25)
- Événements (3-4) : Prédication du baptiste, baptême, tentation, séjour en Galilée, début de prédication, appel des premiers disciples, guérisons
- Enseignement (5-7) : Sermon sur la Montagne
- Événements (8.1-9.34) : Miracles de Jésus
- Enseignement (9.35-10.42) : Discours aux apôtres
- Événements (11-12) : Question du Baptiste, reproche à trois villes, controverse
- Enseignement (13) : Paraboles du Royaume
- Événements (14-17) : Mort du Baptiste, miracles, confession de Pierre, annonce de la passion, transfiguration, monnaie pour l’impôt (et le miracle)
- Enseignement (18) : Sur l’humilité et le pardon
- Événements (19-23) : Départ de la Galilée, controverse, miracles, divers enseignements, nouvelle annonce de la passion, entrée à Jérusalem, contre les scribes et les pharisiens
- Enseignement (24-25) : Prophéties eschatologiques
3. Passion et résurrection (26 à 28)
Dernière Cène, trahison, procès, crucifixion, résurrection, ordre missionnaire
Voici quelques aspects pouvant expliquer la structure de ces dix sections :
1. Chaque section d’enseignement est soigneusement liée aux événements précédents par une phrase de liaison. Un exemple de ce genre de transition se trouve dans la section des chapitres 14 à 17 suivie de la section du chapitre 18 et de la transition à la section des événements qui commence par le chapitre 19. Le chapitre 18 commence par une référence aux dernières paroles prononcées dans la section d’événements qui la précède par les mots « À ce moment », ce qui ouvre la voie au discours qui suit. Ensuite, au chapitre 19, l’expression « Quand Jésus eut achevé ces discours » marque le changement vers la section d’événements suivants.
2. La section événements 8 à 9.34 montre trois groupes de miracles (8.1-17; 8.23 à 9.8 et 9.18-34). Dans la section événements 14.1 à 17.27, il y a encore trois autres groupes de miracles (14.13-26; 15.21-39 et 17.1-27).
En lisant l’Évangile, il faut se souvenir que l’actuelle division de l’Évangile en chapitres (de même que celle de tous les livres de la Bible) n’appartient pas au texte original. Par conséquent, il ne faut pas tenir compte de cette division pour saisir la structure de l’Évangile. Dans chaque section, les divers groupes de miracles sont séparés par des passages qui sont principalement employés dans une intention d’enseignement. Les paraboles dans la section enseignement du chapitre 13 sont au nombre de 7, ce qui est un chiffre symbolique dans toute la Bible.
3. Quatre des cinq sections d’enseignement traitent du ministère privé de Jésus auprès de ses disciples. Seul le Sermon sur la Montagne est un discours public. Les paraboles du chapitre 13 ont été prononcées partiellement en public, partiellement en privé. Notons cependant que leur explication n’est donnée qu’aux seuls disciples. En revanche, les sections événements traitent principalement des discours et des actes publics de Jésus, quoique différents passages ici soient reliés aux disciples (4.18-22; 14.22-33; 16.5-28; 19.25-30).
La section du Sermon sur la montagne (Mt 5 à 7) est un passage d’une grande particularité, non seulement dans l’Évangile, mais encore dans toute la Bible. Aucun autre passage biblique n’atteint un niveau de puissance morale et religieuse aussi grand que celui-ci. On notera la structure qui lui est propre et on le lira avec grand profit si on tient compte de ce qui suit.
Selon A. Hunter, voici le modèle suivi :
a. La première partie du plan pour la vie qu’offre Jésus dans le Royaume est la description de cette vie de béatitude (5.1-12). L’effet de cette vie sera l’enrichissement de la vie alentour, comme dans le cas du sel et de la lumière (5.13-16).
b. Cette vie de béatitude est reliée à celle que les juifs menaient sous la loi, mais elle la surpasse. Jésus vient non pour abolir la loi, mais pour l’accomplir (5.17-20). Six paragraphes commencent par le célèbre « Vous avez entendu qu’il a été dit… Mais moi je vous dis » (5.41-48). Par Christ, la loi trouve son accomplissement dans le Royaume.
c. Une section plus brève (6.1-18) s’intéresse au culte. Elle contraste la pratique en cours avec les exigences spirituelles. Jésus aborde la question de l’offrande, de la prière et du jeûne.
d. La quatrième et dernière section (6.19 à 7.23) expose le développement et la pratique de la vie dans le Royaume. Elle le fait de deux manières. La première (6.19-34) s’occupe exclusivement du développement personnel de la vie spirituelle. Elle ne s’occupe pas du voisin. Ici, ce sont les rapports de l’homme avec Dieu et avec soi-même qui sont soulignés. La seconde (7.1-23) s’occupe du développement spirituel par voie de relation avec autrui.
e. La conclusion du sermon (7.24-28) est la parabole bien connue des deux maisons, l’une bâtie sur le sable, l’autre sur le roc.
7. Message←⤒🔗
L’Évangile selon Matthieu a été écrit pour montrer que Jésus est bien l’accomplissement de la prophétie messianique et qu’il élargit et explique la révélation commencée dans les prophéties de l’Ancien Testament. Le mot Messie est d’origine juive (Meschiah) et signifie Oint. Dans l’ancien Israël, les prêtres étaient oints pour assumer leur fonction ou ministère sacerdotal. Parfois, des prophètes furent également oints. Cependant, plus spécialement encore, la personne recevant l’onction devait être qualifiée pour devenir roi. Parmi les rois d’Israël, David, le plus grand et le plus célèbre, devint le symbole, le type ou la figure du Messie à venir. Matthieu parle de Jésus comme du fils de David, le fils d’Abraham. On ne pourrait concevoir une descendance plus noble. Jésus est né à Bethléem, la ville de David. Des aveugles l’ont salué comme le fils de David. Son ministère de guérison amena la foule à se demander s’il n’était pas le fils de David (Mt 12.23). Une femme cananéenne le considéra comme tel, et les foules l’acclamèrent lors de son entrée à Jérusalem comme le fils de David qui vient au nom du Seigneur. En outre, ses ennemis se moquèrent de lui pour sa prétention d’être roi.
Pilate donna l’ordre d’inscrire sur la croix : « Il est le roi des juifs » (Mt 27.37). Ainsi, le témoignage de Matthieu rendu à la messianité de Jésus se trouve en plein contexte d’Ancien Testament. Jésus exerça cette fonction en lui donnant un sens plus large et plus riche que l’enseignement de l’Ancien Testament. Le Sermon sur la Montagne est l’exemple le plus élevé de cet exercice royal. Parmi les nombreuses citations et allusions à l’Ancien Testament, un quart sont en rapport avec sa fonction messianique. Ce ministère était tellement fondamental que Jésus reçoit aussi le titre grec de Christ, qui veut également dire oint. Ceci est au cœur même de la confession de Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16.16). La prophétie messianique incluait des éléments fondamentaux. Le Messie devait être un juif, totalement identifié avec son peuple. Il devait les bénir avec un renouveau spirituel qui allait toucher au-delà des juifs et amener le salut au monde. Abraham le père des juifs avait été appelé afin qu’à travers lui toutes les nations de la terre soient bénies. Le thème de la portée universelle de l’Évangile est donc bien apparent et constitue une partie essentielle de l’accomplissement de l’Ancien Testament et aboutit à l’ordre missionnaire.
Avec Hébert Roux, nous pensons que l’expression « la bonne nouvelle du Royaume », qui ne se trouve que dans Matthieu 4.23; 9.35 et 24.14, suit précisément la prédication de Jésus, telle que l’a comprise et retenue l’Église primitive. Les discours de Jésus rapportés par Matthieu concernent en effet constamment le Royaume des cieux; nulle part nous ne trouvons dans le Nouveau Testament une définition quelconque de cette expression. Il semble que les auditeurs de Jésus, de même que ceux du Baptiste, n’aient pas eu besoin qu’on leur explique ce terme et que le milieu contemporain de Jésus ait été familiarisé avec cette notion empruntée au langage des prophètes. Et cependant, tout au long de l’Évangile, il plane sur cette réalité du Royaume une sorte d’équivoque. Jésus en parle comme d’un mystère inaccessible et pourtant révélé; comme d’un monde nouveau qui vient et en même temps comme d’une réalité immédiatement présente. De plus, toutes les conséquences morales et spirituelles de la venue du Royaume, l’appel que sa proclamation constitue pour ceux qui l’entendent et les conditions d’entrée qu’il exige, tout cela est inséparable de la personnalité même de Jésus et de sa présence humaine dans le monde. Tout ce qu’il enseigne sur le Royaume des cieux est toujours mis en relation avec l’événement capital vers lequel s’oriente son ministère : sa mort sur la croix, qu’il présente comme l’accomplissement nécessaire de la justice de Dieu. On s’apercevra en analysant les grands discours de Jésus, tels que Matthieu les rapporte, qu’un lien très étroit est établi dans chacun d’eux entre la venue du Royaume qu’il prêche et l’accomplissement du salut dont il est l’auteur. C’est pourquoi il nous a paru que cette notion du Royaume des cieux si caractéristique de l’Évangile, pouvait être considérée comme établissant un pont entre la Bonne Nouvelle que Jésus prêcha, et qui est définie par le mot Royaume, et celle qui sera prêchée à son sujet, à savoir qu’il est le Messie promis, dont la mort et la résurrection consacrent le Royaume1.
Ce message se développe en deux étapes :
La première, concernant la prédication du Royaume, commence à partir de Matthieu 4.12 et va jusqu’à 16.20. Dans 4.17, le thème de la section est donné par la proclamation : « Dès lors, Jésus commença à prêcher et à dire : Repentez-vous, car le Royaume des cieux est proche. »
La seconde étape débute à Matthieu 16.21 et va jusqu’à la fin de l’Évangile. Le thème s’annonce dans le premier verset : « Jésus dès lors commença à montrer à ses disciples qu’il fallait aller à Jérusalem, souffrir beaucoup de la part des anciens… » Ce qui ne veut pas dire que ces deux thèmes de l’Évangile sont sans rapport. Le Royaume annoncé est réalisé à travers la souffrance et la mort du Roi. Didactique, polémique par moments, l’Évangile selon Matthieu est aussi un Évangile missionnaire. Il s’adresse aussi bien aux juifs qu’aux païens pour demander aux uns et aux autres de prendre position : ou bien suivre Jésus et le confesser, ou bien rejeter le Roi et ainsi perdre sa propre vie.
8. Questions←⤒🔗
- Mentionner les événements qui accompagnèrent la naissance de Jésus.
- Qui sont appelés « bienheureux » dans les béatitudes?
- De quoi a-t-on accusé Jésus dans Matthieu 9.34?
- Pourquoi la confession de Pierre est-elle appelée le roc? (Mt 16.16)
- Que nous apprend le chapitre 18 sur la discipline ecclésiastique?
- Expliquer l’apparition des anges à la naissance de Jésus et lors de sa résurrection; quel est leur message?
- Établir une liste des passages qui se réfèrent au Royaume et au Roi.
- Comparer la tentation de Jésus avec celle du premier couple humain.
- Expliquer l’enseignement de Jésus sur le pardon.
- Comparer le Sermon sur la Montagne dans cet Évangile avec celui de Luc.
- Décrire la tâche missionnaire du chapitre 11.
- Expliquer la parabole du semeur dans Matthieu 13.
- Établir la liste des « signes » du retour du Christ.
- Comment expliquer l’attitude de Pilate : par la lâcheté ou par la faiblesse? (Mt 27)
- Expliquer le sens de l’ordre missionnaire d’après Matthieu 28.18-20.
Note
1. Voir Hébert Roux, L’Évangile du Royaume, Labor et Fides, p. 16.