Jacques 2 - La discrimination
Jacques 2 - La discrimination
« Mes frères, ne mêlez pas à des considérations de personnes votre foi en notre Seigneur de gloire, Jésus-Christ. S’il entre dans votre assemblée un homme avec un anneau d’or et un habit resplendissant, et s’il y entre aussi un pauvre avec un habit misérable; si, pleins d’attention pour celui qui porte l’habit resplendissant, vous lui dites : Toi, assieds-toi ici à cette place d’honneur! et si vous dites au pauvre : Toi, tiens-toi là debout! ou bien : Assieds-toi au-dessous de mon marchepied! ne faites-vous pas en vous-mêmes une distinction, et n’êtes-vous pas des juges aux pensées mauvaises? Écoutez, mes frères bien-aimés : Dieu n’a-t-il pas choisi les pauvres selon le monde, pour qu’ils soient riches en la foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment? Et vous, vous avez déshonoré le pauvre! Les riches ne vous oppriment-ils pas et ne vous traînent-ils pas devant les tribunaux? Ne sont-ils pas ceux qui blasphèment le beau nom invoqué sur vous? Sans doute, si vous accomplissez la loi royale, selon l’Écriture : Tu aimeras ton prochain comme toi-même, vous faites bien. Mais si vous vous livrez à des considérations de personnes, vous commettez un péché, vous êtes convaincus de transgression par la loi. Car quiconque observe toute la loi, mais pèche contre un seul commandement, devient coupable envers tous. Celui qui a dit : Ne commets pas d’adultère, a dit aussi : Ne commets pas de meurtre. Or, si tu ne commets pas d’adultère, mais que tu commets un meurtre, tu deviens transgresseur de la loi. Parlez et agissez en hommes qui doivent être jugés selon une loi de liberté, car le jugement est sans miséricorde pour qui n’a pas fait miséricorde. La miséricorde triomphe du jugement. »
Jacques 2.1-13
Nous venons de lire l’un des passages les plus inquiétants de toute l’Écriture sainte. Comme saint Paul dans sa lettre aux Romains, saint Jacques nous révèle que nous sommes tous, sans exception, déclarés coupables. Jacques a en vue ici une communauté chrétienne, attachée par une ferme foi à Jésus-Christ, vivant de sa glorieuse et miséricordieuse présence et de la puissance de son Esprit, qui chaque jour la conduit, la console et l’encourage. Elle entend la Parole de Dieu; la table sainte, celle de la communion, est dressée au milieu d’elle; ses péchés sont pardonnés et la vie éternelle lui est promise. Mais voilà qu’elle juge les gens sur les apparences! Et Jacques cite l’exemple que nous venons de lire.
Qu’y a-t-il d’extraordinaire dans cet exemple? Ne va-t-il pas de soi qu’une personne cultivée, distinguée, a le pas sur quelqu’un de mal habillé, peu instruit et de condition modeste? Jacques pense, au contraire, qu’il se passe là quelque chose de très grave. Si dans une communauté donnée le riche a plus d’importance que le pauvre, c’est qu’elle a trahi son Seigneur, et le culte qui y est célébré est profané à cause de cette attitude discriminatoire. Même si l’on y cherche la face de Dieu et la communion avec Jésus-Christ, le Seigneur de gloire, ni Dieu ni Jésus-Christ ne peuvent plus être présents dans cette assemblée, ni la Parole de Dieu la pénétrer, même si on y entend la plus remarquable des prédications. La route qui conduit vers Dieu a été barrée. Car la foi véritable est exempte de toute acception de personnes. Elle ignore, ou mieux, elle refuse toute discrimination. Elle ne juge pas selon les apparences, la situation, la personnalité de chacun, car ce serait ravir l’honneur du pauvre. Même si l’on prétend aimer Dieu et vivre selon la foi, cette attitude de discrimination montre clairement que l’on n’aime pas Dieu.
Nous sommes tentés de dire qu’il ne s’agit là que de choses extérieures, qui ne concernent pas tellement le domaine de la foi, qui est du domaine intérieur. Qu’on ne vienne donc pas nous dire que nous n’avons pas la foi simplement parce que nous traitons un chômeur un peu différemment d’un homme en vue ou d’un ami! C’est là justement que Jacques n’est plus d’accord avec nous ni avec la plupart des chrétiens. Il ne conteste pas que la foi soit du domaine intérieur, mais il prétend que, si notre foi est vraiment vivante, elle va s’extérioriser, elle devra nécessairement s’extérioriser, le contraire prouverait qu’elle n’existe pas. Car la foi doit produire des œuvres, de bonnes œuvres, sans quoi elle est morte, elle n’est pas la foi.
Or il faut savoir que Dieu veut pénétrer au plus profond de nous que c’est notre vie tout entière qu’il saisit dans sa main. Nous devenons alors la propriété de Dieu, nous lui appartenons corps et âme, notre vie extérieure l’intéresse tout autant que notre vie intérieure. Dieu ne nous veut pas à moitié, il ne veut pas seulement notre esprit, nos pensées, notre âme. Il veut notre être tout entier, notre existence tout entière; c’est pourquoi il habite en nous, en notre être le plus intime il lui dit : Tu m’appartiens.
En parlant ainsi de Dieu, nous parlons de Jésus-Christ. Car le Dieu véritable est celui qui est devenu notre Dieu en Jésus-Christ, qui en Jésus-Christ nous attire à lui, nous, avec tout ce que nous sommes et tout ce que nous avons. Jacques nomme Jésus-Christ « notre Seigneur », il rappelle qu’il règne sur nous et nous parle de sa seigneurie. Si Dieu est vraiment ce Dieu majestueux, à qui notre vie ne peut appartenir que tout entière, comment pourrait-il faire une différence entre le domaine intérieur et le domaine extérieur? Ce Dieu peut-il régner en nous sans qu’aussitôt son règne se manifeste dans notre vie extérieure? Tout ce que nous faisons, comme tout ce que nous sommes, est dominé par sa volonté. Il n’existe aucun domaine dans lequel Dieu n’aurait rien à dire, sur lequel il ne voudrait pas régner. Le signe auquel on doit pouvoir reconnaître que nous vivons réellement dans l’obéissance de la foi au Seigneur de gloire est que nous ne fassions plus aucune différence de classes ou de milieux, entre savants et ignorants, entre riches et pauvres, comme si ces domaines échappaient au contrôle de Dieu.
« Car Dieu a choisi les pauvres selon le monde », écrit saint Jacques. Il fait le contraire de nous; il s’abaisse vers ceux que nous fuyons, il se donne à ceux que nous méprisons. En nous exprimant ainsi, nous parlons une fois encore de ce Dieu qui veut être notre Dieu en Jésus-Christ. En effet, c’est Jésus-Christ qui a suivi l’extraordinaire chemin de l’abaissement; c’est lui qui a proclamé bienheureux les pauvres, les vrais pauvres, ceux qui n’ont ni argent ni bien et qui ne s’attendent qu’à lui. Car Jésus-Christ qui s’est fait pauvre est né dans une crèche et est mort sur une croix, dans le seul but de devenir le frère de tous ceux qui croient en lui et que parfois nous osons repousser. Si nous demeurons en Christ, cela doit se voir à notre attitude à l’égard des déshérités. Il faudra nous y entraîner, parce que même si nous occupons une situation en vue dans la société, nous restons aux yeux de Dieu des pauvres mendiants, qu’il veut combler en nous donnant la foi afin que nous devenions héritiers du Royaume qui est promis à ceux qui aiment Dieu.
Ainsi donc, le riche dont parle Jacques est aux yeux de Dieu un pauvre homme, qui a besoin lui aussi de la miséricorde divine. Jacques ne nous excite pas contre les riches, car il est permis d’être riche. Mais une chose est certaine : même si nous sommes riches, devant Dieu nous restons de pauvres créatures qui ne peuvent vivre, malgré leurs possessions, que de la miséricorde que Jésus accorde aux pauvres et aux misérables. Si le riche comprend cela, il acceptera d’être le frère du pauvre, il n’hésitera pas à s’approcher des humbles afin d’être leur frère et, avec eux, enfant de Dieu le Père. Voilà la raison pour laquelle il faut bannir du milieu de nous la discrimination de toute sorte.
C’est là toute la question des relations humaines qui se pose à nous. Si dans notre monde on rencontre tant de dureté, tant de cruauté, si les hommes sont si distants les uns des autres et s’opposent si souvent les uns aux autres, si la haine des petits répond au mépris des grands, c’est que personne ne regarde vraiment à Jésus-Christ. Au moment où notre monde, malgré toute sa culture, sa science et sa technique, s’enfonce dans l’abîme d’un égoïsme scandaleux, l’abaissement de notre Seigneur devrait être pour nous une grande consolation. Quelle que soit la misère dans laquelle nous tombions, nous retrouvons toujours celui qui est devenu le frère de tous ceux qui sont tombés dans la misère. Si nous acceptions la miséricorde qu’il nous offre de la part de Dieu, quelle communion et quelle compréhension régneraient parmi nous! Quelle solidarité se manifesterait envers les humbles, les pauvres, les opprimés! Mais nous nous opposons à ce message. Nous refusons de nous humilier et d’abandonner notre prestige.
Mais il y a un dernier mot d’assurance. « La miséricorde triomphe du jugement », écrit Jacques. C’est une grande proclamation de victoire. C’est une porte largement ouverte devant tous ceux qui sont découragés et effrayés. Jésus-Christ est aussi venu pour ceux qui ont à reconnaître et à condamner la dureté de leur cœur et leur manque de miséricorde. Car la miséricorde de Jésus-Christ est plus grande que cette accusation et que cette condamnation. Nous qui avons un cœur dur et froid nous pouvons pourtant nous approcher de Dieu, ouvrir nos lèvres pour dire : « Seigneur, viens à notre aide! Rends-nous compatissants et miséricordieux ». Que Dieu nous accorde sa grâce afin que nous devenions à notre tour miséricordieux. En nous donnant sa grâce, Dieu nous rend miséricordieux, si bien que notre douceur sera connue de tous les hommes.