Jean 12 - L'entrée de Jésus à Jérusalem
Jean 12 - L'entrée de Jésus à Jérusalem
« Le lendemain, la foule nombreuse de gens venue pour la fête, apprit que Jésus se rendait à Jérusalem; ils prirent des branches de palmiers et sortirent à sa rencontre, et ils criaient : Hosanna! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, le roi d’Israël. Jésus trouva un ânon et s’assit dessus, selon ce qui est écrit : Sois sans crainte, fille de Sion; voici, ton roi vient, assis sur le petit d’une ânesse. Ses disciples ne comprirent pas cela tout d’abord; mais quand Jésus fut glorifié, alors ils se souvinrent que ces choses étaient écrites de lui, et que, pour lui, ils les avaient faites. La foule, qui était avec Jésus quand il appela Lazare du tombeau et le ressuscita d’entre les morts, lui rendait témoignage. C’est pourquoi la foule vint à sa rencontre, car elle avait appris qu’il avait fait ce miracle. Les pharisiens se dirent donc les uns aux autres : Vous voyez que vous ne gagnez rien, voici que tout le monde est allé après lui. »
Jean 12.12-19
La résurrection de Lazare ne cesse de faire retentir écho après écho autour de Jérusalem et de Béthanie. La nouvelle du miracle s’est répandue de proche en proche. Les foules sont en mouvement, elles veulent le constater. Jésus le Sauveur et Lazare le sauvé font sensation. Ce va-et-vient à Béthanie et à Jérusalem commence à devenir inquiétant.
Jésus s’est toujours refusé aux manifestations publiques en sa faveur, même lorsqu’après la multiplication des pains la foule, pressentant la valeur messianique de ce signe, a salué en Jésus « le prophète qui vient dans le monde » (Jn 6.14). Il n’a pas voulu devenir un roi selon le cœur du peuple. « Jésus, sachant qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi, se retira de nouveau sur la montagne, lui seul » (Jn 6.15).
Et maintenant, il ne serait pas surprenant d’apprendre qu’il s’est brusquement retiré. Mais non, il laisse arriver ce qui doit s’accomplir. Son heure est proche. À son entrée à Jérusalem, il n’empêche pas la foule de l’acclamer et de jeter des palmes sous ses pas. Jean précise bien qu’il s’agit d’un hommage enthousiaste rendu à celui qui a ressuscité Lazare. Après le festin seigneurial chez Simon, après le don princier de Marie, une réception royale de la part du peuple.
En ce jour qui précède la passion, Jésus accepte les hommages de la foule saluant en lui « celui qui vient au nom du Seigneur » (Jn 12.13). L’Évangile de Jean ne dit pas que Jésus a préparé cette manifestation. L’initiative vient de l’enthousiasme spontané de la foule composée non seulement, comme dans les récits synoptiques, de pèlerins galiléens qui connaissent depuis longtemps Jésus, mais aussi de Judéens, témoins directs ou indirects de la résurrection de Lazare. Il n’y a pas à s’y tromper : les palmes, les acclamations, les paroles rituelles du Psaume 118, auxquelles la foule donne un sens messianique en les appliquant au Seigneur, tout cela contribue à faire de cette manifestation une sorte de plébiscite populaire.
Le peuple appelle officiellement Jésus à la royauté sur Israël. Il compte qu’il montera sur le trône de David et implore déjà le secours de Dieu sur son règne qui vient de commencer. Jésus sera un roi puissant, tel qu’en exigent les peuples. Il est homme d’action et de succès. Il a pu nourrir cinq mille personnes; alors, ils avaient déjà voulu le proclamer roi. Le peuple voulait un roi à son image et à sa mesure. Le dessein de Dieu était d’établir le Christ Roi non seulement sur Israël, mais sur toutes les nations, sur l’humanité, sur les anges et sur toutes les puissances célestes; « afin qu’au nom de Jésus tout genou fléchisse dans les cieux, sur la terre et sous la terre, et que toute langue confesse que Jésus-Christ est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2.10-11). Il n’y a pas lieu de blâmer le peuple pour son erreur.
« Il faut en premier lieu savoir quelle est l’intention du Seigneur Jésus; c’est qu’il est venu à Jérusalem de son bon gré pour se présenter à la mort; car il fallait que sa mort fût volontaire, d’autant que la colère de Dieu contre nous ne pouvait être apaisée que par un sacrifice d’obéissance. Et de ce fait, il savait bien quelle en serait l’issue; néanmoins, avant qu’il soit mené à la croix, il veut que le peuple lui fasse une entrée solennelle comme à son Roi; et qui plus est, il déclare ouvertement qu’il commence son règne en marchant à la mort. Au reste, bien qu’une grande multitude du peuple célèbre son avènement, toutefois il est inconnu à ses ennemis, jusqu’à ce qu’il ait montré qu’il était le vrai Messie ou Rédempteur par l’accomplissement des prophéties, que l’on verra ensuite chacune en son lieu; car il n’a rien voulu omettre de tout ce qui pouvait servir à la pleine confirmation de notre foi » (Jean Calvin, Commentaire).
Les appréhensions des chefs juifs semblent justifiées par ces mouvements inconsidérés du peuple qui peuvent provoquer une réaction violente des Romains. Il leur apparaît même qu’ils ont laissé passer le moment de s’emparer de lui sans risquer d’ameuter la foule.
En cette journée mémorable où chacun perd la tête, les uns dans une exaltation trop humaine et dans un fol espoir, les autres dans une crainte mêlée de haine pour celui qui trouble ainsi leur tranquillité, le Seigneur seul demeure calme. Il se prête aux acclamations de la foule, refusant de la faire taire malgré les objurgations des pharisiens (Lc 19.39), mais en même temps, il veut leur donner leur véritable signification. C’est pour restituer à son entrée à Jérusalem son sens messianique authentique que Jésus monte sur un ânon. La foule, dans son instinct profond et dans sa foi naïve suscitée par le miracle de la résurrection de Lazare, a raison de saluer en Jésus le Messie, mais elle a tort de voir en lui le Roi d’Israël qui délivrera le peuple du joug romain pour lui rendre son ancienne splendeur.
L’ânon rappelle à tous l’antique prophétie de Zacharie (Za 9.9-10) dont notre Évangile ne cite que le début. Il y est certes question du roi d’Israël, mais il est dit de lui qu’il sera humble, fera régner la justice, détruira les armes et établira la paix parmi toutes les nations et jusqu’aux extrémités de la terre. Ce règne évoqué non par un cheval, monture belliqueuse, mais par l’ânon messianique dépasse donc tout ce que le nationalisme juif pouvait espérer; c’est le règne de Dieu lui-même, dans sa sainteté et dans son amour.
Ce que Jésus voulut proclamer ainsi ne fut pas compris à ce moment. Une fois de plus, Jean avoue humblement que ce n’est que plus tard, quand Jésus eut été glorifié et que les disciples eurent reçu le Saint-Esprit, qu’ils découvrirent la pleine signification du geste de Jésus et la nature du règne qu’il est venu fonder ici-bas.
« De même que la semence ne germe point aussitôt qu’elle est jetée en terre, semblablement le fruit des œuvres de Dieu ne se montre pas du premier coup. Les apôtres servent ici de ministres à Dieu pour accomplir la prophétie; mais ils n’entendent pas ce qu’ils font. Ils entendent que la clameur du peuple n’était pas un cri ou un bruit confus, mais que Jésus-Christ était salué Roi ouvertement et distinctement; nonobstant, ils n’entendent point à quoi tend cela ni ce qu’il signifie. Cela leur est donc comme un spectacle inutile, jusqu’à ce que le Seigneur après sa résurrection glorieuse leur ouvre les yeux. Quand il est dit qu’ils se souvinrent à la fin que ces choses étaient dites de lui, il dénote la cause de cette si lourde et grossière ignorance, qui a précédé l’intelligence de ceci; c’est à savoir d’autant qu’ils n’avaient pas alors l’Écriture pour guide et maîtresse qui dressât leurs esprits à la droite et pure considération; car nous sommes aveugles si la parole de Dieu ne va pas devant pour nous guider. D’ailleurs, il ne suffit pas que la même Parole de Dieu nous éclaire, si d’autre part le Saint-Esprit ne nous illumine pas les yeux, lesquels sans cela seraient aveugles en pleine clarté. Jésus-Christ fit cette grâce à ses apôtres après sa résurrection, d’autant plus que, jusqu’à ce qu’il fût reçu en la gloire céleste, le temps opportun n’était pas encore venu, auquel il dut déployer et répandre les richesses de son Saint-Esprit en grande abondance et à main ouverte. […] Or nous sommes enseignés par cet exemple à ne juger de toutes les choses qui appartiennent au Christ que par l’Écriture, et non point selon notre propre sens charnel. De plus, entendons que c’est une grâce spéciale du Saint-Esprit de nous instruire par succession opportune de temps, pour que nous ne soyons pas stupides à considérer les œuvres de Dieu » (Jean Calvin, Commentaire).
Mais l’Église serait sans excuse si elle ne comprenait pas l’enseignement permanent de cet épisode : le règne du Christ et l’existence de son corps sur la terre ne doivent point être établis ou défendus par la force matérielle; les seules armes dont dispose l’Église sont l’humilité, l’amour et l’esprit de sacrifice. Pour l’instant, malgré son incompréhension, la foule, livrée à son enthousiasme, continue d’acclamer Jésus, et les pharisiens dépités s’exclament : « Voici que tout le monde est allé après lui » (Jn 12.19). Comme Caïphe récemment, ils prononcent involontairement un mot prophétique.
Jésus arrive au Temple. Le piétinement de centaines de pèlerins se fait entendre jusque-là. Ils sont rassemblés sur la route de Jérusalem à Béthanie. La plus grande consternation règne dans les appartements du souverain sacrificateur. Les chefs sentent qu’ils ont assez tergiversé. Ils décident de mettre Jésus à mort.
L’Évangile de Jean nous apprend un détail important. En même temps que Jésus, ils décident aussi de faire périr Lazare, le ressuscité, qui est l’occasion qui provoque la suite de la foule. Tout d’un coup, ils s’intéressent à lui. Intérêt dangereux… Celui qui est sauvé par Jésus n’a pas la vie facile. Le monde a les yeux sur ceux qui suivent Jésus; on l’oublie facilement. Il faut s’en rendre compte; mais « heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice » (Mt 5.10). Heureux ceux qui le suivent, jusqu’à la mort.