Jean 4 - La véritable adoration
Jean 4 - La véritable adoration
« Seigneur, lui dit-elle, tu n’as rien pour puiser, et le puits est profond; d’où aurais-tu donc cette eau vive? Es-tu plus grand que notre père Jacob, qui nous a donné ce puits et qui en a bu lui-même, ainsi que ses fils et ses troupeaux? Jésus lui répondit : Quiconque boit de cette eau aura encore soif; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle. La femme lui dit : Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici. Va, lui dit-il, appelle ton mari et reviens ici. La femme répondit : Je n’ai pas de mari. Jésus lui dit : tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela, tu as dit vrai. Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète. Nos pères ont adoré sur cette montagne; et vous dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem. Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité. »
Jean 4.11-24
La rencontre de Jésus-Christ avec une femme samaritaine près d’un puits situé en dehors de la ville de Sychar a fait l’objet de notre méditation dans un article précédent. Nous continuons cette méditation, en reprenant d’abord les paroles prononcées par Jésus au début de cette conversation. Fatigué après un long voyage à pied, ayant très soif, Jésus avait demandé à cette femme venue puiser de l’eau à ce puits de lui en donner à boire. Étonnée de ce qu’un homme juif lui demande à boire, à elle, femme samaritaine qui, comme son peuple, n’entretenait aucune relation avec des Juifs, elle lui avait répondu d’un ton plutôt railleur. Mais Jésus ne s’était pas laissé démonter : « Si tu connaissais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire! C’est toi qui lui aurais demandé à boire, et il t’aurait donné de l’eau vive » (Jn 4.10).
Jésus lui prêchait immédiatement l’Évangile et se présentait comme celui qui a le pouvoir d’accorder une eau spirituelle qui désaltère totalement ceux qui en boivent :
« Quiconque boit de cette eau aura encore soif; mais celui qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura jamais soif, et l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau qui jaillira jusque dans la vie éternelle » (Jn 4.13-14).
Ce à quoi la femme samaritaine réplique : « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif et que je ne vienne plus puiser ici » (Jn 4.15). Ces paroles sont ambiguës : n’a-t-elle pas encore compris que Jésus parle d’une source spirituelle? Car elle revient à l’eau du puits qu’elle vient puiser tous les jours pour ses besoins physiques. Ou bien a-t-elle plus ou moins compris, mais elle se moque de cet homme qui semble lui promettre monts et merveilles. Alors elle le ramène à sa nécessité pressante et le met au défi de pourvoir à ses besoins matériels : puisque cet inconnu qui a lui-même si soif et lui a demandé à boire, se croit plus grand que le patriarche Jacob qui a creusé ce puits et a donné à boire aux siens et à ses troupeaux, qu’il le prouve maintenant…
Alors Jésus va la confronter avec la triste réalité de sa vie personnelle. Cette fois, elle n’aura plus l’occasion de railler ou même de douter :
« Va, lui dit Jésus, appelle ton mari et reviens ici. La femme lui répondit : Je n’ai pas de mari. Jésus lui dit : tu as bien fait de dire : Je n’ai pas de mari. Car tu as eu cinq maris, et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari. En cela, tu as dit vrai. Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète » (Jn 4.16-19).
Quelle vie que celle de cette femme samaritaine : cinq maris qui tous, l’un après l’autre, l’avaient divorcée. En effet, selon la loi de Moïse, que les Samaritains suivaient eux aussi, c’étaient les maris qui divorçaient de leurs femmes. Bien sûr, comme Jésus lui-même le disait un jour à des docteurs de la loi venus l’interroger sur la question du divorce : « C’est à cause de la dureté de vos cœurs que Moïse vous a permis de divorcer vos femmes, mais au commencement de la création, il n’en était pas ainsi » (Mt 19.8). À cause de cette dureté de cœur, mieux valait pour une femme que son mari la divorce plutôt qu’elle ne soit exposée à toutes sortes de brimades. Mais tout de même : quelle série d’échecs pour cette femme, incapable de maintenir dans la durée une relation conjugale stable! Quelle série d’humiliations, et quelle amertume ne devait-elle pas entretenir dans son cœur?
Désabusée, sans perspective de pouvoir établir une famille solide, après cinq divorces elle s’était remise en ménage avec un sixième homme, mais sans l’épouser cette fois. À quoi bon d’ailleurs? Cela aurait sans doute fini de la même manière. Peut-être ne pouvait-elle pas subsister matériellement sans le soutien d’un homme à ses côtés. Et quel genre d’homme était-ce, pour avoir repris les malheureux restes de cinq mariages ratés? Et ne parlons pas de la réputation de cette femme dans une petite ville comme Sychar. Voilà donc l’être humain à qui Jésus se révélait comme celui qui seul peut donner à boire l’eau qui désaltère au plus profond de soi-même, l’eau spirituelle qui peut apaiser la soif de ceux dont l’existence semble n’être vouée qu’à l’échec. Le Fils éternel de Dieu, venu habiter comme un humain auprès des humains, s’abaissait jusqu’à rencontrer la misère humaine la plus profonde, celle dont ceux qui en souffrent ont même honte…
Mais il aura fallu que Jésus vienne percer cette femme au-dedans d’elle-même, la renvoie à son péché, à ses échecs, à sa misère cuisante, elle qui raillait le Fils de Dieu en lui demandant de prouver ses affirmations au sujet de cette eau vive qu’il prétendait dispenser. Cette fois-ci, la Samaritaine n’avait plus d’échappatoire : celui qui lui parlait disposait bien de l’autorité qu’il s’était attribuée. Elle le reconnaît, d’ailleurs : « Seigneur, lui dit la femme, je vois que tu es prophète » (Jn 4.19). Comment faire autrement lorsqu’on est confronté de manière si inattendue à sa vie privée par quelqu’un qui n’est pas censé en savoir quoi que ce soit? À partir de là, de ce début de repentance à laquelle elle a été induite, cette femme va vraiment se mettre à l’écoute de Jésus.
Elle commence même la seconde partie de la conversation en la faisant porter sur un sujet religieux de la plus haute importance à son avis, celui de la vraie adoration de Dieu : « Nos pères ont adoré sur cette montagne; et vous dites, vous, que l’endroit où il faut adorer est à Jérusalem » (Jn 4.20). Ce sujet est d’autant plus sensible qu’il divise justement les Juifs et les Samaritains : les Juifs déclaraient qu’il fallait adorer Dieu à Jérusalem, où se trouvait son Temple, tandis que les Samaritains, eux, l’adoraient sur le mont Garizim, tout proche. À une époque, ils y avaient même bâti un temple, mais celui-ci avait été détruit par un chef juif quelque 150 ans auparavant. Encore un sujet d’hostilité entre les deux nations…
À l’instar de cette femme, les Samaritains s’appuyaient sur la tradition de leurs pères, comme si cela suffisait à justifier leurs coutumes religieuses. En fait, le temple bâti sur le mont Garizim l’avait été par un grand-prêtre du nom de Manassé qui avait épousé une femme païenne. Pressé de choisir entre la prêtrise et sa femme, et ne voulant renoncer ni à l’une ni à l’autre, il avait fait construire ce temple pour ne plus dépendre des sacrificateurs de Jérusalem.
Quoi qu’il en soit, la femme samaritaine accepte maintenant de se laisser instruire par cet homme juif qu’elle a devant elle et qu’elle prend pour un prophète de Dieu. Il va maintenant l’enseigner sur ce qu’est la véritable adoration due à Dieu.
« Femme, lui dit Jésus, crois-moi, l’heure vient où ce ne sera ni sur cette montagne, ni à Jérusalem que vous adorerez le Père. Vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous, nous adorons ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs. Mais l’heure vient — et c’est maintenant — où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité; car ce sont de tels adorateurs que le Père recherche. Dieu est Esprit, et il faut que ceux qui l’adorent l’adorent en esprit et en vérité » (Jn 4.21-24).
Jésus ne fait pas preuve de chauvinisme vis-à-vis des Samaritains, il ne place pas les Juifs sur un piédestal, quoiqu’il insiste sur le fait très important que la révélation divine a été historiquement accordée au peuple dont il est issu : ceci demeure important à noter et à accepter aujourd’hui encore.
Il y a une ligne historique dans l’action de Dieu envers les hommes qui se manifeste de manière particulière et dont le peuple juif a été le dépositaire. C’est bien par la volonté de Dieu que le Messie est venu de ce peuple et non d’un autre et c’est donc dans ce sens qu’il faut comprendre la parole de Jésus : « Le salut vient des Juifs. » Comprendre la révélation de Dieu au cours de l’histoire des hommes c’est accepter ce fait et honorer la manière dont Dieu a voulu se révéler à l’humanité. Il ne s’agit pas d’inventer à la légère une tradition qui nous convienne ou imaginer une révélation qui plaise à notre fantaisie; bien au contraire, il faut prendre connaissance des voies spéciales de Dieu au cours de l’histoire humaine. Les ignorer ou les rejeter, c’est rejeter l’action de Dieu, et donc rejeter Dieu lui-même.
Cependant, ce privilège accordé au peuple juif durant un temps donné est désormais accompli, terminé : le temps est venu où l’adoration véritable ne recherchera pas un temple fait de pierres et situé soit à Jérusalem, sur la colline de Sion, soit sur le mont Garizim. Le véritable Temple de Dieu, celui qui ne saurait disparaître, c’est Jésus-Christ lui-même, issu du peuple juif, dont le corps brisé sur la croix ressuscitera trois jours plus tard et sera élevé au plus haut des cieux. Jésus annonce à la Samaritaine l’avènement d’un temps nouveau qui est imminent, et au cours duquel Juifs et Samaritains pourront désormais être unis dans une adoration spirituelle qui aura enfin trouvé son objet final, accordé par celui qui est le Père commun à tous. Adorer le Père en esprit et en vérité, c’est donc se détacher de la tradition des pères humains si celle-ci s’oppose à Dieu ou lui fait de l’ombre. Dieu recherche de vrais adorateurs, non pas ceux qui forgent leur propre religion.
Nous verrons dans un prochain article comment la femme samaritaine est parvenue à la foi au Messie de Dieu, celui-là même qui se tenait devant elle et l’enseignait sur ce qu’est la véritable religion.