L'Église sous la croix (2) - Fulcran Rey, prédicant du Désert
L'Église sous la croix (2) - Fulcran Rey, prédicant du Désert
- Sa naissance et son enfance
- Sa résolution à participer à l’œuvre de Dieu en France
- Ses exhortations et ses encouragements
- Sa participation aux assemblées du Désert
- Ses adieux à son père
- Sa vigueur renouvelée
- Son arrestation par les dragons du roi
- Son procès et son ministère dans les fers
- Ses derniers moments
- La vie et la mort de ce martyr font réfléchir
- Son exemple nous parle du Royaume éternel
Dans notre premier article de cette série, je vous ai brossé un tableau de la situation du protestantisme en France au 17e siècle et de la persécution dont les protestants furent les victimes dès avant la Révocation de l’Édit de Nantes par le roi Louis XIV. Cette fois-ci, je vous raconterai par le détail l’histoire de Fulcran Rey, l’un de ces prédicants du Désert qui maintinrent l’Église de Jésus-Christ durant cette époque de persécutions. Je le ferai en m’inspirant d’un ouvrage publié il y a 120 ans par le pasteur Daniel Benoit, et qui porte le titre suivant : L’Église sous la croix.
Le 7 juillet 1686, dans l’après-midi, une foule immense stationnait au pied du château qui se dresse sur une des places publiques de la ville de Beaucaire, située sur le Rhône, non loin des premiers contreforts des Alpes. Ce qui fixait l’attention de cette foule émue c’était une potence dressée au milieu de la place sur laquelle un jeune homme de 24 ans se préparait à subir le dernier supplice. Il avait une apparence modeste et distinguée. Son regard était animé et sa physionomie portait les traces d’une certaine exaltation; mais ce qui, à cette heure suprême, saisissait vivement son esprit, ce n’était pas la crainte de la mort, c’était l’assurance qu’il allait bientôt, par elle, entrer en possession de la félicité éternelle. En présence de l’échelle fatale, il s’écria : « Oh! Que cette échelle m’est favorable puisqu’elle doit me servir de degré pour achever ma course et pour monter au ciel! » Ce jeune homme était le proposant des Églises du Désert Fulcran Rey, le premier prédicateur de l’Évangile mis à mort après la Révocation de l’Édit de Nantes de 1685.
1. Sa naissance et son enfance⤒🔗
Fulcran Rey était né à Nîmes vers 1662 dans une famille pieuse. Avant sa naissance, sa mère avait eu comme une prévision du sort qui attendait cet enfant. Elle avait vu en rêve un aigle qui se posait au pied de son lit. Il avait deux plumes dans son bec et elle entendit une voix lui dire : « Regarde, une de ces plumes signifie que l’enfant qui naîtra de toi annoncera l’Évangile et l’autre qu’il le scellera de son sang! » À son réveil, pleine de trouble, elle raconta son rêve à son mari, qui, frappé du caractère étrange de ce rêve, le mit par écrit dans un registre de famille pour voir si l’événement se produirait.
Dès son enfance, le jeune Fulcran manifesta de bonnes dispositions. Il fit de rapides progrès dans l’étude des langues et de la philosophie, et plus tard dans celle de la théologie, car ses parents le destinaient à devenir pasteur; mais il n’était encore que simple proposant lorsque Louis XIV révoqua l’Édit de Nantes que son grand-père Henri IV avait promulgué pour accorder aux protestants de France la liberté de conscience et de culte. Ainsi se trouvait fermée la carrière que Fulcran désirait vivement embrasser. Selon les termes de l’Édit de Révocation, le jeune proposant devait, comme tous les pasteurs en exercice, quitter le royaume dans l’espace de quinze jours sous peine des galères. Il vit la pioche des démolisseurs réduire en ruines le temple de la Calade, où, depuis plus d’un siècle, les réformés de Nîmes célébraient leur culte. Il vit deux pasteurs abjurer leur foi pour trouver la sécurité, la considération publique et la fortune, mais à cette pensée, tout son être se révoltait.
2. Sa résolution à participer à l’œuvre de Dieu en France←⤒🔗
Il pouvait encore suivre, dans leur exode, les 700 pasteurs qu’on n’avait pas pu corrompre et se réfugier comme eux en Suisse ou en Hollande; mais que deviendraient alors les âmes de ses frères et sœurs livrés sans défense à leurs oppresseurs? Sa résolution fut bientôt prise : il comprit que quand la maison brûle tout le monde doit mettre la main à l’œuvre pour éteindre le feu et que Dieu, qui se fait glorifier par des enfants qui tètent encore leur mère, pourrait bien se servir de lui pour édifier ses enfants, malgré sa jeunesse et son instruction encore inachevée. Et il resta pour embrasser la redoutable carrière de prédicateur du Désert, dont il fut l’un des tout premiers.
Il commença son œuvre par la ville de Montauban. Il espérait moissonner beaucoup d’âmes dans cette ville qui autrefois avait eu son académie réformée. Mais, en raison des persécutions, la population de cette ville avait perdu toutes ses convictions d’antan et s’était bien refroidie. Comme ses exhortations y étaient mal accueillies, Fulcran la quitta pour se rendre à Milhau, dans le Rouergue. Là non plus il ne fut pas bien reçu, ni ailleurs où il avait pourtant des parents. Ceux-ci, convertis au catholicisme ou faisant semblant de l’être, ne tenaient pas à se compromettre en le recevant. Il partit de là et dut encore quitter un autre lieu. Il ne savait où diriger ses pas, lorsqu’il fit la rencontre de deux riches personnalités protestantes qui avaient dû quitter leurs foyers et qui erraient aussi à l’aventure. Ils lui offrirent de l’accompagner dans ses tournées et de pourvoir à ses besoins; ensemble, ces hommes présidèrent quelques assemblées et firent plusieurs visites à des protestants qui habitaient des quartiers retirés.
3. Ses exhortations et ses encouragements←⤒🔗
Le jeune Fulcran Rey, qui souhaitait revoir sa famille, se rendit à Nîmes en passant par Montpellier. Il trouva dans cette dernière ville quelques pasteurs protestants qui n’étaient pas encore sortis du royaume et qui faisaient viser leurs passeports à l’intendant du roi Bâville. Il essaya en vain de les convaincre de ne pas abandonner leurs troupeaux aux loups ravisseurs : leur détermination était prise; mais il les assura que quant à lui il ne quitterait jamais son poste. Fulcran Rey présida plusieurs assemblées à Nîmes et dans les environs. Mais la police en eut vent et quelques-unes de ces assemblées furent surprises, ce qui coûta la liberté ou la vie à plusieurs personnes : certaines furent pendues, d’autres massacrées, d’autres envoyées aux galères.
Rey lui-même, trahi par un homme qui pourtant avait sa confiance, mais qui, après avoir abjuré, était devenu traître à gages, ne dut son salut, après Dieu, qu’à une fuite rapide qui le conduisit jusqu’à la ville de Castres. Il se mit aussitôt à prêcher dans cette ville, non sans succès. Plusieurs furent touchés par ses exhortations pressantes. Il ramena de leur égarement quelques-uns de ceux qui s’étaient laissé entraîner à abandonner leur foi et à pratiquer le rite romain. Il empêcha plusieurs autres de succomber à la tentation. Malheureusement, le vent de la persécution soufflait là comme ailleurs, et il dut quitter à leur tour ces contrées pour revenir une seconde fois à Nîmes. Quand il restait caché dans la maison paternelle, il en profitait pour écrire des lettres pleines de consolation aux fidèles détenus sur les galères; et quand il sortait de sa cachette, c’était pour visiter les malades, consoler les victimes de la persécution ou prendre part à quelques assemblées du Désert.
4. Sa participation aux assemblées du Désert←⤒🔗
Le jeune proposant quitta bientôt Nîmes pour se rendre dans les Cévennes. La population protestante de ces montagnes, consternée d’abord par la Révocation, avait repris connaissance d’elle-même, la première émotion passée. Trois mois après l’édit funeste de Louix XIV, les assemblées du Désert commencèrent. Comme l’a écrit le grand historien Michelet :
« Au rude mois de janvier, sous le ciel, à la bise, par les longues nuits sombres, les ouragans neigeux d’hiver, le peuple, sans pasteur, pasteur lui-même et prêtre, commence d’officier sous le ciel. Celui qui avait sauvé sa Bible l’apportait, son recueil de psaumes l’apportait, celui qui savait lire lisait, un enfant parfois, une fille, et quiconque savait parler parlait. On chantait à mi-voix, craignant l’écho trop fort du ravin, des gorges voisines. »
Après la Révocation de l’Édit de Nantes par le roi Louis XIV, en 1685, les protestants se réunissaient en assemblées secrètes pour continuer à célébrer le culte, malgré l’interdiction royale. C’est cette période du protestantisme français que l’on appelle « le Désert ». Le jeune Rey, qui dirigeait de ces assemblées, ne savait que trop qu’il risquait la mort pour avoir contrevenu aux termes de cet édit inique. Mais sa foi était plus forte que la crainte ou les hésitations.
5. Ses adieux à son père←⤒🔗
Ces hommes intrépides, qui bravaient tout pour entendre l’Évangile, connaissant de réputation la piété et le zèle du jeune proposant, lui adressèrent un appel. Il n’hésita pas à y répondre. Mais, prévoyant que sa fin pourrait être prochaine, dans l’éventualité d’une capture par la police du roi, il fit, dans la lettre suivante qui a été conservée, de touchants adieux à son père, qu’il ne devait plus revoir ici-bas. Je vous la lis telle quelle, tenez simplement compte de ce qu’elle est écrite dans la langue française de la fin du 17e siècle :
« Mon très cher et très honoré père, lorsqu’Abraham voulut monter sur la montagne de Morija pour aller offrir son fils Isaac en holocauste, suivant le commandement qu’il avait reçu de son Dieu, il ne consulta point avec la chair, mais il s’approcha hardiment de cette montagne et s’écria : “En la montagne de l’Éternel, il y sera pourvu.” En effet, il y fut pourvu, puisque Dieu se contenta de son obéissance. Dieu n’a point parlé à moi de bouche-à-bouche, comme il parla à ce patriarche; mais ma conscience m’inspire de m’aller sacrifier pour lui et pour l’intérêt de son Église. Je ne sais si Dieu se contentera du désir que j’ai de faire sa volonté, sans m’exposer à la mort. Mais, quoi qu’il en soit, sa volonté soit faite. Si je suis pris, ne murmurez pas contre lui; souffrez patiemment tout ce qu’il lui plaira m’envoyer pour l’intérêt de mon Dieu et pour l’avancement de son Église. Oh! Quel bonheur me serait-ce, si je pouvais être du nombre de ceux que le Seigneur a réservés pour annoncer les louanges et pour mourir pour sa cause! »
6. Sa vigueur renouvelée←⤒🔗
Comme s’il avait brisé, avec cette lettre, les derniers liens qui le rattachaient à la terre, Fulcran Rey se mit à proclamer, avec une force nouvelle, la vérité évangélique. Il disait aux fidèles qui se groupaient autour de lui que la vérité qu’ils croyaient était la seule qu’il fallait croire; que c’était un dépôt qu’il fallait conserver comme on l’avait reçu; que c’était la perle de grand prix pour laquelle il fallait laisser toute autre chose; que c’était un trésor qu’il fallait préférer à toutes les richesses du monde et même à sa propre vie. Lui-même devra payer de sa vie cette hardiesse au service de l’Évangile. On a conservé l’écho de ses brûlantes improvisations :
« Athlètes de Jésus-Christ, vous qui vous êtes relâchés dans le combat et qui revenez pour combattre, et vous, fidèles combattants, qui jusqu’ici n’avez pas lâché pied, essuyez toutes les attaques de Satan et de ses émissaires; soutenez tous les coups de ses troupes de dragons armés contre vous. Fortifiez-vous au Seigneur et en la puissance de sa force. Soyez revêtus de toutes les armes de Dieu pour résister à toutes les embûches du diable et pour soutenir tous les combats où vous allez entrer. Je sais quelle est la rage de vos ennemis; elle n’est pas satisfaite des maux qu’elle vous a faits, elle veut vous en faire encore de plus grands. Il n’y a rien qu’elle ne fasse pour venir à bout de vous. Si elle vous ferme les passages pour vous empêcher de fuir, ce n’est peut-être que pour dégainer enfin son glaive contre vous et pour employer contre vous les gibets et les flammes. Tenez ferme contre tous ceux qui voudraient vous ravir votre couronne, car ils sont obstinés dans le furieux dessein de vous la ravir. Ayez plus de constance pour leur résister qu’ils n’ont de force et de furie pour vous tourmenter. »
7. Son arrestation par les dragons du roi←⤒🔗
Pendant six semaines, Fulcran Rey ne cessa de visiter et d’exhorter ses frères. Fatigué par ses courses et ses prédications, il descendit à Anduze pour s’y reposer quelques jours. C’est là qu’un certain Alméras, originaire de cette ville, qui lui avait témoigné beaucoup de sympathie et lui avait servi de guide dans les Cévennes, le trahit lâchement. Il n’avait pu résister à l’appât de la forte somme offerte par l’intendant du roi Bâville à qui livrerait le prédicant. Dans la nuit du samedi au dimanche, pendant que Rey se recueillait dans une maison de la ville et se préparait pour la prédication du lendemain, les soldats royaux qu’on appelait les dragons, mirent la main sur lui. Ils l’enfermèrent aussitôt dans l’hôtel de ville, et comme l’un d’eux le poussait violemment dans son cachot, en le prenant aux cheveux, le prisonnier lui dit : « Souviens-toi que Dieu te punira selon tes œuvres. » Cette parole ne devait pas tarder à se vérifier. S’étant pris de querelle avec un de ses camarades, ce malheureux soldat fut, le soir même, tué en duel. Rey fut chargé de fers et gardé à vue par six dragons qui reçurent l’ordre de ne laisser personne approcher du prisonnier.
8. Son procès et son ministère dans les fers←⤒🔗
Le juge du lieu lui fit subir un premier interrogatoire :
« Avez-vous prêché? lui demanda-t-il.
— Oui, répondit le prévenu, c’est le devoir que Dieu m’a prescrit et ma tâche ordinaire.
— Dans quel endroit?
— Partout où j’ai trouvé des fidèles assemblés.
— Quelles étaient ces personnes?
— Je n’ai pas fait attention à les connaître, mais à leur apprendre leur devoir.
— Quel était votre but en prêchant?
— J’avais en vue de les consoler et de les affermir dans la crainte de Dieu et dans la repentance de leurs péchés. »
Après cet interrogatoire, trente dragons furent chargés de le conduire à Alès. Plusieurs femmes l’accompagnèrent hors de la ville en pleurant, mais il leur dit, à l’exemple de Jésus-Christ :
« Pourquoi pleurez-vous et pourquoi vous affligez-vous en vos cœurs? Ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos péchés, pour trouver grâce devant Dieu et pour obtenir miséricorde, ce qui vous est très nécessaire, et ce après quoi vous devez toujours soupirer. »
À Alès, notre prisonnier dut subir un second interrogatoire devant Lefèvre, lieutenant criminel de Nîmes; mais il répondit avec autant de présence d’esprit et de fermeté qu’à Anduze. Des moines de différents ordres s’efforcèrent de le convertir, mais tous leurs efforts furent inutiles; ils trouvèrent toujours en lui un même cœur et la même résolution. Ce qu’il leur dit de sa religion et de son devoir de la prêcher et de la garder jusqu’à son dernier soupir et de tout souffrir pour elle, les émut si fort qu’en sortant de la prison ils ne purent s’empêcher de verser beaucoup de larmes. Ceci est certainement un fait étrange, mais qui s’explique par la sérénité du jeune prisonnier. Alors on défendit avec soin l’accès de sa prison et on le garda à vue pour qu’il lui soit impossible de continuer son ministère dans les fers. Mais on ne pouvait l’en empêcher.
Sur le chemin de Nîmes, il rencontra beaucoup de protestants de tout âge et de toute condition qui, les larmes aux yeux, faisaient des vœux pour qu’il soit acquitté. Il les remercia, implora sur eux, à son tour, les bénédictions divines et les encouragea vivement à mener une vie conforme à l’Évangile. Le juge qui l’accompagnait lui promit plusieurs fois la vie sauve, s’il abjurait : « Je suis pleinement assuré, lui répondit le jeune homme, de la pureté de ma religion. J’aime mieux mourir mille fois que de la quitter. Ne me parlez plus de cela. » Puis il ajouta : « La grâce que je vous demande, c’est que vous défendiez à mes parents, quand je serai à Nîmes, l’accès de ma prison. » Il craignait que la vue de leur douleur n’amollît son courage. Il se contenta de leur faire dire qu’ils pouvaient être sûrs de sa fermeté, de sa constance et de sa parfaite résignation à la volonté de Dieu.
En fait, il n’avait pas à craindre la visite de ses parents, car il ne fit que traverser sa ville natale, où il pensait peut-être qu’on instruirait son procès. Mais on n’avait pas l’intention de l’y faire mourir. Comme la ville de Nîmes était pleine de protestants, on craignait une émeute. Tout au moins, on craignait que le spectacle du martyre de ce jeune homme et sa constance ne réveillent la conscience de tant de gens qui, conservant la vérité dans leur cœur, la cachaient au-dedans d’eux.
Arrivé de nuit et enfermé quelque temps dans la conciergerie, où il eut encore à subir les assauts impuissants des prêtres, il repartit de nuit, afin qu’on ne donne pas l’éveil et qu’on puisse le conduire sûrement à Beaucaire, où l’intendant Bâville vint le rejoindre. Cet homme usa tout d’abord de douceur envers le prisonnier, l’exhortant, le conjurant même, au nom de sa jeunesse et de tous les biens de cette vie, de se convertir pour avoir la vie sauve. Mais à toutes ces insinuations, Fulcran répondait :
« Je n’aime pas le monde ni les choses qui sont dans le monde; j’estime tous les avantages dont vous me parlez comme de l’ordure. Je les foule à mes pieds. La vie ne m’est pas si précieuse, pourvu que je gagne Christ. Quelle que soit la mort que j’endure pour lui, elle me sera glorieuse, et je serai trop heureux si je meurs pour lui et pour la cause pour laquelle il est mort! »
Et, comme un autre martyr, le père de l’Église du second siècle Polycarpe, il ajoutait : « Comment quitterais-je un si bon maître! Il ne m’a jamais fait que du bien. »
Après le tour de l’intendant vint celui des prêtres et des moines. Ils le visitèrent dans sa prison et mirent tout en œuvre pour le faire rentrer dans le giron de l’Église officielle. Il déjoua leurs pièges et réfuta sans peine leurs arguments. Comme ceux de Nîmes, d’Alès ou d’Anduze, ils furent obligés de reconnaître qu’ils n’avaient jamais entendu si bien parler et que ce jeune homme rendait compte de sa foi d’une façon merveilleuse. Qu’il est vrai de dire que Dieu n’abandonne jamais ses enfants dans l’épreuve, et qu’il leur donne, à l’heure où ils en ont le plus besoin, une sagesse à laquelle personne ne peut résister! Seul contre tous, ce jeune homme de 24 ans confondait ses persécuteurs. Bâville devait en avoir une preuve nouvelle. Il fit asseoir le prévenu sur la sellette et fit une dernière tentative auprès de lui.
« N’avez-vous pas agi, en prêchant, contre la volonté du roi? lui demanda-t-il.
— Le Roi des rois me l’a ainsi ordonné, répondit Rey, et il est juste d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes.
— Monsieur Rey, vous avez encore du temps pour vous sauver.
— Oui, Monseigneur, et c’est ce temps que je veux encore employer à mon salut.
— Changez, et vous aurez la vie.
— Oui, Monseigneur, il faut changer, mais c’est pour aller de cette terre de misère au royaume des cieux, où une heureuse vie m’attend que j’aurai et posséderai bientôt.
— Craignez-vous qu’on ne vous tienne pas la promesse de vous sauver la vie?
— Ne me parlez plus de cette vie; j’en suis détaché. Je n’ai plus d’espérance en elle. Je cherche et j’attends tout autre chose. La mort m’est meilleure que la vie. Dieu m’a fait la grâce de connaître ma religion; Dieu me fera la grâce de mourir pour elle. Pour tous les trésors de la terre, je ne laisserai pas ceux du ciel.
— Pesez les suites de votre résistance, continua encore Bâville.
— Je n’ai plus à décider ce que je dois faire; j’ai déjà choisi. Il n’est plus question ici de marchander. Je suis tout prêt à mourir, si Dieu l’ordonne. Toutes les promesses ne sauraient m’empêcher de rendre à mon Dieu ce que je lui dois. »
Un contemporain de ce procès, qui y assista, rapporte que Fulcran Rey fit toutes ces réponses avec un même ton de voix, avec beaucoup de respect, de douceur et de modération, en donnant toujours des marques d’une résignation à Dieu. Dans tous ces discours et dans tous ses gestes, il faisait voir que le Saint-Esprit s’était répandu sur lui avec abondance et qu’il était secouru du ciel d’une façon extraordinaire.
9. Ses derniers moments←⤒🔗
Il nous reste à voir ce que furent les derniers moments de la vie du jeune prédicant Fulcran Rey, et comment il ne se départit à aucun moment du courage et de la persévérance dont il avait fait preuve jusque là.
Fulcran avait comparu devant plusieurs tribunaux. L’issue de son procès ne pouvait être douteuse. Convaincu d’être prédicant et d’en avoir rempli les fonctions dans la province du Languedoc, il fut condamné à être pendu, après qu’on lui ait au préalable appliqué, en langage de l’époque, la question, c’est-à-dire une forme de torture pour arracher des aveux. Il écouta d’un air serein la lecture de son jugement.
« On me traite plus doucement, dit-il, qu’on n’a traité mon Sauveur, en me donnant une mort si douce. Je m’étais préparé à avoir les membres rompus ou à être brulé. »
Puis, jetant les yeux au ciel, il s’écria :
« Je te rends grâce, Seigneur du ciel et de la terre, de tant de biens que tu me fais. Je te rends grâce de m’avoir trouvé digne de souffrir pour ton Évangile et de mourir pour toi. »
Fulcran Rey subit la question sans se plaindre. Toutes les questions qu’on lui posa ne lui arrachèrent que ces mots : « J’ai tout dit; je n’ai plus rien à répondre. » Ses juges, ne pouvant rien tirer de lui, le firent détacher. Alors il leur dit :
« Vous venez de m’infliger une peine que je n’ai guère sentie. Je crois que vous avez plus souffert que moi. Je puis vous assurer que, au plus fort de la douleur que vous avez voulu que j’endure, je n’ai pas senti de douleur. »
Comme il était pourtant brisé de fatigue, on lui offrit à manger. Il accepta en disant :
« Les uns mangent pour vivre et moi je mange pour mourir. C’est le dernier repas que je prendrai sur terre; mais, dès ce soir, il se prépare pour moi un banquet dans les cieux. »
L’heure était maintenant venue d’aller au supplice. Il y marcha avec une contenance calme et assurée, chantant des psaumes et repoussant les moines qui l’importunaient de leurs discours et qui l’accompagnèrent jusqu’au pied de la potence.
« Retirez-vous, leur disait-il, vous êtes des consolateurs malvenus. Il n’y a rien à faire ici pour vous. »
Ayant rencontré quelques frères qui pleuraient, il les salua, leur laissant pour adieu des paroles d’encouragement. En sortant par la porte Beauregard, il vit la potence dressée devant lui. Cette vue ne fit que lui inspirer des transports de joie. Il s’écria :
« Courage! Courage! Voici le lieu que je m’étais depuis longtemps mis devant les yeux! Qu’il me paraît agréable! J’y vois les cieux ouverts pour me recevoir et les saints anges, qui me tiennent compagnie, tout prêts à m’y enlever. »
Il voulut chanter un psaume, mais les officiers de la justice s’y opposèrent. Au pied de la potence il se mit à genoux, puis il franchit avec joie les degrés de l’échelle. Il vit que les moines montaient après lui. Comme ses mains étaient enchaînées, il leur fit signe du pied de se retirer :
« Je vous l’ai déjà dit, je vous le dis encore, s’écria-t-il, je n’ai pas besoin de votre secours; j’en reçois assez de mon Dieu pour faire le dernier pas qui me reste à faire, afin de remplir toute ma carrière. »
Il voulut parler pour édifier encore ses frères avant de rendre le dernier soupir; mais le roulement d’un grand nombre de tambours étouffa sa voix; et c’est au milieu de ce bruit qu’il rendit l’âme à Dieu.
10. La vie et la mort de ce martyr font réfléchir←⤒🔗
Trois ans auparavant, le martyr Homel, au milieu des souffrances horribles du supplice de la roue, avait harangué le peuple à Tournon et ses paroles avaient longtemps résonné dans les cœurs des habitants de cette ville. On ne voulait pas de nouveau courir le risque de transformer l’échafaud en siège de prédicateur. Néanmoins, pour tous ceux qui en furent les témoins, la mort de Fulcran Rey fut la plus éloquente de ses prédications. Des catholiques romains eux-mêmes avouèrent qu’il était mort en véritable martyr. La ville de Beaucaire, toute plongée dans les ténèbres et les préjugés, en fut profondément secouée.
Un célèbre pasteur de cette époque réfugié à Rotterdam, Jurieu, conclut de la manière suivante sur ces événements :
« Je souhaiterais que trois ou quatre sortes de gens réfléchissent sur cette mort. Premièrement, les ennemis de la vérité. Est-il possible qu’ils ne reconnaissent jamais là-dedans le caractère de la vraie religion? Je les engage vivement à considérer ce qui ressemble le plus à Jésus-Christ et ses apôtres : un homme qui meurt comme nous venons de voir mourir ce jeune homme, ou des gens qui le font mourir pour sa religion et parce qu’il n’a pas voulu y renoncer? Deuxièmement, je mets cet exemple devant les yeux de ceux qui ont renoncé à leur foi et qui, séduits ou par leurs passions ou par leurs illusions, regardent la religion qu’ils ont quittée comme une religion abominable. Peuvent-ils être persuadés que tant de courage, tant de piété, tant de constance, tant de modération, tant de douceur viennent de celui qui est le père du mensonge et la source des crimes? Si c’est l’Esprit de Dieu qui produit ces effets miraculeux dans nos martyrs, notre religion n’est donc pas privée du Saint-Esprit? Dieu ne nous a donc pas abandonnés? Nous ne sommes donc pas en dehors de son Église? »
Puis, se tournant vers les faibles qui, tout en conservant la vérité dans le cœur, n’avaient pas craint de la renier des lèvres, le pasteur de Rotterdam leur adresse cette vive injonction :
« Je le demande : n’étiez-vous pas obligé à faire ce que ce martyr a fait? A-t-il rendu à Dieu plus qu’il ne lui devait? Qui est celui qui n’est pas obligé de sceller et de confirmer la vérité par ses souffrances? Ne vous justifiez pas. Relevez-vous par la repentance si vous voulez que Dieu vous pardonne. »
Un autre réfugié célèbre provenant de la ville de Nîmes, un juriste qui publia en Angleterre une histoire de sa ville natale, raconte dans les dernières pages de son ouvrage le martyre de Fulcran Rey et du pasteur Brousson, très actif dans les assemblées du Désert. Il conclut en ces termes :
« Faisons bien attention à rendre notre confession et notre foi glorieuses, par une conduite sage et modeste, par une vie exemplaire et par un entier dévouement au service de Dieu. Souvenons-nous toujours que nous sommes les enfants et les pères des martyrs. N’oublions jamais cette gloire. Tâchons de la transmettre à la postérité. »
Un autre auteur protestant contemporain écrit ceci dans une lettre donnant elle aussi les détails de la vie et la mort de Fulcran Rey :
« Dieu veuille nous mettre en état de pouvoir imiter le zèle et la fidélité de ce digne martyr de nos jours, pour le suivre jusque dans son repos et dans son triomphe! C’est le vœu que je pousse de bon cœur vers le ciel pour vous et pour tous ceux qui vous ressemblent. »
11. Son exemple nous parle du Royaume éternel←⤒🔗
Que pouvons-nous ajouter à ces paroles écrites il y a trois siècles, que chacun peut s’appliquer à soi-même? L’exemple de Fulcran Rey et de bien d’autres, sur lesquels je reviendrai dans d’autres articles, nous dit fortement à tous que l’Évangile est une puissance et que seul le Royaume promis par Jésus-Christ à tous ceux qui croiraient en lui est permanent. Même les biens les plus précieux que nous possédons ici sur terre ne sauraient peser en face de ce Royaume.
Je voudrais justement citer quelques paraboles de Jésus-Christ sur le Royaume des cieux. Nous les trouvons au chapitre 13 de l’Évangile selon Matthieu :
« Le royaume des cieux ressemble à une graine de moutarde qu’un homme a prise pour la semer dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences. Mais quand elle a poussé, elle dépasse les autres plantes du potager et devient un arbuste, si bien que les oiseaux du ciel viennent nicher dans ses branches. […] Le royaume des cieux ressemble à du levain qu’une femme prend pour le mélanger à une vingtaine de kilogrammes de farine. Et, à la fin, toute la pâte lève. […] Le royaume des cieux ressemble à un trésor enfoui dans un champ. Un homme le découvre : il le cache de nouveau, s’en va, débordant de joie, vend tout ce qu’il possède et achète ce champ. Voici encore à quoi ressemble le royaume des cieux : un marchand cherche de belles perles. Quand il en a trouvé une de grande valeur, il s’en va vendre tout ce qu’il possède et achète cette perle précieuse » (Mt 13.31-33, 44-46).
Reprenons ces autres paroles de Jésus-Christ à ses disciples, que nous trouvons au chapitre 13 de l’Évangile de Marc, et que j’ai citées au début de notre premier article de cette série intitulée l’Église sous la Croix. Ces paroles, je les ai illustrées par l’histoire de la persécution des protestants en France il y a trois siècles. Elles restent valables pour de nombreux chrétiens dans le monde aujourd’hui et le resteront certainement jusqu’à l’avènement de Jésus-Christ, lors de son retour qui mettra fin à la forme actuelle de ce monde dans lequel nous vivons. Elles avertissent et encouragent à la fois tous ceux qui ont mis leur espérance en Jésus-Christ comme en leur Dieu Sauveur :
« Prenez garde à vous-même; on vous livrera aux tribunaux, et vous serez battus de verges dans les synagogues; vous comparaîtrez devant les gouverneurs et devant les rois, à cause de moi, pour leur servir de témoignage. […] Quand on vous emmènera pour vous livrer, ne vous inquiétez pas d’avance de ce que vous direz, mais dites ce qui vous sera donné à l’heure même; car ce n’est pas vous qui parlerez, mais l’Esprit Saint. Le frère livrera son frère à la mort, et le père son enfant : les enfants se soulèveront contre leurs parents et les feront mourir. Vous serez haïs de tous à cause de mon nom, mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé » (Mc 13.9-13).