L'élection divine
L'élection divine
La Réforme avait pris à son compte toutes les grandes affirmations bibliques, dont celle de l’élection divine, pour s’opposer à toute déviation doctrinale qui en nierait la validité et en atténuerait la portée : déviation pélagienne et semi-pélagienne dans le catholicisme romain; arminienne et socinienne dans le protestantisme. Ces déviations fondent le salut ailleurs que sur ce terrain biblique ou bien l’attribuent en partie à la contribution de l’homme croyant (le terme théologique est « synergisme »). Le grand motif protestant du « sola fide », par la foi seule, explique clairement la nature de la foi et la part qu’elle tient dans la doctrine du salut.
Entre la puissance et la grandeur de la foi et la mesure dans laquelle le salut se réalise en nous, il existe un lien étroit. Nous l’examinerons plus loin.
L’une des questions les plus importantes que doit se poser le chrétien est la suivante : d’où la foi tire-t-elle son origine? Pourquoi certains l’ont-ils et d’autres semblent-ils en être privés? L’absence de la foi serait-elle imputable à des facteurs psychologiques, culturels, voire aux facultés mentales? Existe-t-il une sensibilité religieuse réservée à des êtres d’élite? De tels facteurs pourraient partiellement expliquer la présence de la foi, mais ils ne sont nullement déterminants pour sa genèse. La présence de facteurs « favorables » ne fait pas nécessairement éclore la foi. En règle générale, nombreux sont ceux dont l’expérience confirme cette constatation. Ils ont cru en dépit de l’absence de tout facteur considéré comme favorable. Une explication psychologique ou culturelle chez les uns, une sensibilité dite religieuse chez les autres n’expliquent pas l’origine de la foi. Mais il y a un troisième facteur : la réponse à la question posée ne se trouve pas en l’homme, mais en Dieu.
Dieu donne la foi. Pourquoi la donne-t-il aux uns et pas aux autres? Notre ignorance ne nous empêchera pas d’ajouter que certainement Dieu a ses raisons pour agir de la sorte. Il n’est nullement obligé de nous révéler ses desseins, encore moins de satisfaire notre curiosité. S’il le faisait, nous ne saisirions pas mieux ses intentions. Qu’il nous suffise de lui faire confiance. L’apôtre Paul s’est longuement penché sur la question; Romains 9 à 11 en donne l’explication et offre une conclusion certaine. Il y rappelle la manière dont, plusieurs siècles avant lui, le prophète Ésaïe s’était déjà posé la même question. En vérité, tout prophète et tout prédicateur de l’Évangile ont connu une expérience aussi douloureuse que celle d’Ésaïe ou de Paul. Cependant, tous ont dû parvenir à la même conclusion : « La foi vient de ce qu’on entend » (Rm 10.17). Elle est le fruit de la prédication de la Parole. Celui qui écoute l’Évangile peut être transformé par l’Esprit. L’apôtre n’explique pas la raison pour laquelle l’Esprit n’applique pas systématiquement sa prédication à ceux qui l’entendent. Il montre simplement comment tout croyant reçoit la foi.
Pour quelle raison tous les auditeurs de l’Évangile ne se convertissent-ils pas? L’Écriture atteste que Dieu donne effectivement la foi, par l’opération souveraine de son Esprit. Il ouvre le cœur et l’intelligence d’hommes et de femmes afin qu’ils puissent recevoir l’Évangile en toute conscience et de manière active. Cette affirmation pourrait être assimilée à tort à un déterminisme. Pourtant, il n’en est rien. L’action dynamique de Dieu est étrangère à tout déterminisme. Or, nous nous trouvons ici en présence d’une très grande vérité biblique. Sans l’action de Dieu, aucun effort, même pas celui déployé par notre évangélisation, ne pourrait aboutir. Sans cette action, nous serions tous plongés dans le plus grand désespoir, pour le temps et pour l’éternité.
Si Dieu n’était pas la Source et le souverain Donateur de la foi, s’il ne se contentait que d’offrir le salut pour laisser ensuite l’homme libre de l’accepter ou de le refuser, personne n’aurait la moindre intention de croire ni le plus petit désir d’accepter son offre, car « nous sommes morts dans nos offenses » (voir Ép 2.1). La nature totalement corrompue de l’homme le rend incapable de croire. Des cadavres spirituels ne peuvent pas manifester une vie nouvelle et, pas plus qu’on n’irait chercher la vie dans un cimetière, on ne peut non plus s’attendre à ce que l’homme naturel, spirituellement mort et opposé à Dieu donne des signes de vie et qu’il croie. « Nul ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’attire », déclarait Jésus (Jn 6.44). Dieu est la Source de la foi et son souverain Donateur. Il nous faut sans tarder aborder de front le rapport entre la foi humaine et l’élection divine.
La doctrine biblique de l’élection est devenue, hélas!, une monstrueuse caricature… Tout d’abord une caricature de Dieu, représenté comme un despote céleste, mais également une caricature de l’homme, qui ne serait qu’un pauvre pantin entre les mains de ce potentat céleste. Caricature également du calvinisme et de Jean Calvin, qu’on persiste à traiter de théologien « sans cœur ni entrailles », avec « sa funeste doctrine de la double prédestination ». Nous n’aborderons pas ici cette doctrine biblique et réformée sans laquelle il n’existerait ni de foi réformée ni même d’Église chrétienne. Pour les détracteurs du calvinisme, ce système théologique et ecclésiastique serait l’assertion d’une volonté suprême inexorable et encouragerait une attitude fataliste de la foi.
L’élection, l’acte par excellence de la grâce, est hélas devenue une pierre d’achoppement, un scandale aux yeux de ceux qui, emportés par leurs préjugés plutôt que par le souci d’un examen sérieux de la vérité biblique, font tout pour la diffamer et la combattre. Au lieu de demeurer l’article fondamental d’une joyeuse et sereine confession de la foi, elle est devenue un « problème théologique », un sombre nuage éclipsant le soleil de l’amour de Dieu.
Déjà à l’époque de la Réforme, elle n’avait pas manqué de créer des tensions et des conflits. En faisant de l’élection un objet de spéculation, des « profanes » n’ont pas craint de souiller le sol sacré sur lequel elle s’enracine. Ils ont réussi à transformer le tabernacle de la bonté et de la sagesse divine en labyrinthe d’intrigues célestes…
Nous nous proposons de nous en tenir à la seule Parole pour rechercher ce qui est clair et nous préserver de ce qui n’est que chimère de l’esprit humain. Gardons-nous de toute vaine curiosité comme d’une ingratitude insensée.
Pour la théologie réformée, le conseil éternel de Dieu n’annonce pas un ordre de choses arrangé et déterminé d’avance dans lequel ni la liberté ni la décision humaines n’interviendraient afin de s’aligner librement sur la décision souveraine divine. L’élection n’est pas une décision froide et inexorable qui forcerait l’homme contre son gré à pénétrer dans le plan du salut. En parlant de l’élection, nous n’évoluerons jamais dans l’abstrait. Elle n’autorise aucune spéculation au sujet du temps et de l’éternité. Elle n’est pas une tentative de dévoiler ici et maintenant un aspect ultra-secret de la foi chrétienne. Il n’existe, par conséquent, aucune contradiction entre l’élection divine éternelle et celle dont nous devenons l’objet maintenant, dans notre existence temporelle.
L’expression biblique « avant la fondation du monde » rejoint et remplit parfaitement la déclaration « il vous a élus en Christ » (Ép 1.4). Dieu n’est-il pas le même hier, aujourd’hui et éternellement? Toutes ses promesses sont sûres parce qu’il ne se renie point. Il reste fidèle à sa propre personne. En dirigeant notre regard vers son amour éternel, il fortifie notre assurance et nous rassure quant à la source et à l’origine du salut. Nous savons que les choses secrètes sont à Dieu, mais que les choses révélées nous appartiennent (Dt 29.28).
Or, l’élection divine ne fait pas partie des desseins secrets de Dieu. Il n’existe pas un mystère de la prédestination. Il n’y a qu’un mystère dévoilé. La prédestination devient, à côté des autres aspects qui composent l’ordre du salut, un facteur supplémentaire de consolation et de joie. L’élection n’est pas un problème ou une question qui viendrait se surajouter à l’ordre normal de la vie chrétienne, au « croire, espérer et aimer ».
L’idée selon laquelle Dieu aurait d’abord choisi et élu quelques hommes depuis toujours, le Christ se chargeant ensuite d’exécuter cette décision (comme si notre élection était l’œuvre du Christ, mais non « en Christ »), ou encore l’idée selon laquelle la colère de Dieu serait apaisée par le Fils qui serait plein de compassion (comme s’il y avait une disharmonie entre les personnes de la Trinité) ne peuvent se légitimer sur le terrain biblique. L’apôtre Paul ne voit qu’une coopération parfaite entre le Père et le Fils (2 Co 5.19).
L’élection a lieu selon le bon plaisir de Dieu, mais ce bon plaisir n’est pas arbitraire, une affaire de « tempérament » ou « d’humeur ». Il révèle le caractère de stabilité et de crédibilité de Dieu et c’est le Christ qui en a été la manifestation tangible, visible et concrète. La certitude de l’amour de Dieu ne peut se rencontrer qu’en la personne du Fils incarné. Si le Fils est pour nous, le Père ne sera pas contre nous. Dieu ne dira rien de plus que ce qu’il a dit définitivement par le Fils. « Celui qui m’a vu a vu le Père » (Jn 14.9). Le Dieu qui élit est le même qui nous sauve en Christ. La reconnaissance de l’élection n’est pas un détour mystique passant outre « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14.6), c’est-à-dire se situant en dehors du Christ. Elle ne vient pas s’ajouter comme un complément étranger à notre salut. Elle est incluse dans notre foi en l’unique Médiateur et n’a pas un caractère provisoire sur lequel viendrait s’ajouter ultérieurement une nouvelle révélation. Dieu a prononcé le « oui » décisif en lui. En Christ, toutes les promesses de Dieu sont « oui » et « amen » (2 Co 1.20).
La question relative aux réprouvés se pose avec une certaine acuité. La prédication de l’Évangile ne l’élude pas. Si la prédication est principalement annonce de la Bonne Nouvelle, elle n’en demeure pas moins le grave avertissement sur le sort éternel réservé à celui qui, soit par insouciance soit par rébellion et refus conscient, aura rejeté l’Évangile. La responsabilité lui en incombe, car Dieu n’est jamais source d’incroyance, mais de foi. Ceci s’appelle « le mystère de l’iniquité ». L’auteur et le responsable du mal, de son mal, c’est l’homme. L’élection, elle, est due exclusivement à l’amour immérité de Dieu. Mais ne dissimulons pas le caractère irréversible de la réprobation, qui est le jugement ultime que Dieu prononce sur tout homme apostat.