Le miracle de la beauté
Le miracle de la beauté
La beauté est-elle simplement une question d’opinion ou est-elle davantage que ce que l’œil de l’observateur perçoit?
Pourquoi qualifions-nous les choses de laides ou de belles? Cela dépend-il de notre humeur, de nos sentiments profonds ou de quelque autre chose? La beauté est-elle seulement une perception de l’esprit ou une émotion? Le concept de beauté peut-il s’appliquer à n’importe quoi?
Les idées liées à la beauté dans le monde occidental trouvent leur origine chez le grand philosophe grec Platon (vers 428-347 av. J.-C.). Il proposa que ce qui est beau soit synonyme de ce qui est vrai et de ce qui est divin. Depuis Platon, dans toutes les générations, les penseurs les plus grands et les plus brillants se sont efforcés de répondre à des questions telles que : Comment en arrive-t-on au concept de beauté? Est-il possible d’avoir une conception objective de la beauté? La beauté est-elle simplement dans l’œil de l’observateur? Notre opinion sur la beauté importe-t-elle?
Lorsque nous essayons de répondre à ces questions, lorsque nous étudions la beauté dans la nature, dans l’art et dans la littérature, nous nous engageons dans l’étude de « l’esthétique ». Le philosophe Bernard Bosanquet a exprimé la même chose dans des mots légèrement différents. Il a défini l’esthétique comme étant « la philosophie du beau ».
Notre « philosophie du beau » en tant que chrétiens est-elle différente de celle du monde? Avons-nous une meilleure compréhension de l’esthétique? Si non, devrait-on? Prenons quelques instants pour réfléchir au concept de la beauté ainsi qu’à notre Dieu qui en est la source.
1. Diverses approches de l’esthétique⤒🔗
Dans l’histoire de l’esthétique, on observe un glissement de l’objectif vers le subjectif. Aujourd’hui, de nombreuses personnes croient qu’il n’y a pas de norme pour la beauté, que la beauté se trouve simplement dans l’œil de l’observateur. Depuis la deuxième moitié du dix-huitième siècle, plusieurs facteurs ont contribué au développement du concept selon lequel une œuvre artistique — considérée pendant des siècles comme l’expression de ce qui est beau — doit maintenant être une expression des réponses intérieures de l’artiste à sa propre personne et au monde.
Lorsque nous essayons de comprendre la signification de la beauté et des œuvres d’art, il faut considérer certaines visions du monde telles que l’évolutionnisme et le postmodernisme.
a. Le darwinisme←↰⤒🔗
En 1959, à Chicago, lors d’une célébration en l’honneur du centenaire de la parution du livre L’Origine des espèces de Darwin, Sir Julian Huxley a clairement expliqué le credo des évolutionnistes. Il a dit :
« Dans le schéma de la pensée évolutive, il n’y a plus de besoin ni même de place pour le surnaturel. La terre n’a pas été créée, elle a évolué. Il en est de même pour tous les animaux et les plantes, y compris nous-mêmes les humains, esprit et âme aussi bien que cerveau et corps. C’est la même chose pour la religion. »
Si la matière est la seule réalité dans le darwinisme, alors qu’est-ce que la beauté? Dans son livre State of the Arts : From Bezalel to Mapplethorpe, Gene Edward Veith Jr fait l’observation suivante :
« Le matérialisme ne peut pas vraiment apprécier l’art. Il n’y a pas de place pour la quête de la beauté dans un univers totalement mécaniste. Si Darwin a vu juste, quelle est la valeur de survie de l’art? »
Terry Eagleton, professeur à Oxford et marxiste engagé, soutient dans son livre intitulé The Ideology of the Aesthetic (« L’Idéologie de l’esthétique ») que l’esthétique matérialiste a « pour point de départ les besoins et les désirs concrets et réels des êtres humains individuels ». Il appelle l’art une critique de l’aliénation. Utilisant une rhétorique marxiste typique, il affirme que le savoir, libéré des contraintes théologiques entravant le progrès, peut maintenant avancer à toute vapeur et explorer ce qui était auparavant considéré comme tabou, sans avoir à se soumettre à quelque autorité que ce soit, autre que celle de son propre pouvoir critique et sceptique. Il dit même que l’esthétique dans l’Europe moderne est au cœur de la lutte de la classe moyenne pour l’hégémonie politique. Il est intéressant de constater qu’on ne trouve aucune présentation critique d’œuvres d’art existantes dans le livre de Eagleton. Ce livre, de lecture très dense, montre bien à quel point le matérialisme marxiste n’arrive pas à apprécier la beauté.
Cependant, comme l’exprime Douglas Groothuis dans Truth Decay (« Le Déclin de la vérité »), la création peut exprimer l’excellence esthétique bien au-delà « des possibilités brutes de la simple matière en évolution ».
b. Le postmodernisme←↰⤒🔗
Lorsque Dieu est rejeté et que l’homme est placé sur le trône, il est présumé que le bien et le mal, la vérité et le mensonge, la beauté et la laideur sont des termes qui ne signifient rien. En conséquence, l’opinion individuelle devient le seul critère d’évaluation. Si c’est là la vérité, David Hume, un athée du 18e siècle, avait raison de dire : « La beauté n’est pas une qualité inhérente des choses; elle n’existe que dans l’esprit qui contemple ces choses et chaque esprit perçoit une beauté différente. » Plus simplement, nous pourrions dire : « La beauté se trouve dans l’œil de l’observateur. » Bien que Hume ait vécu avant l’ère du postmodernisme, il résume bien ce que le postmodernisme professe aujourd’hui. Il est triste de constater qu’à notre époque le relativisme postmoderne domine le monde de l’art et qu’il y entraîne beaucoup de confusion, lui ayant fait perdre tout critère qui lui permettrait de porter des jugements esthétiques.
2. Dieu l’Artiste←⤒🔗
Je crois que les chrétiens ont une base plus solide à offrir dans le domaine de l’esthétique que toutes les autres visions du monde contradictoires des temps modernes. Il est futile de parler de la beauté sans référer au Dieu trinitaire. C’est lui la mesure de toute chose. L’homme est soit dans les mains de Dieu, soit seul dans un monde dénué de sens. La connaissance de Dieu est le fondement de la vraie connaissance, y compris dans le domaine de l’esthétique.
Le secret du miracle de la beauté est révélé dans les Écritures, ces Écritures qui ont été rédigées pour toute l’humanité. Elles révèlent Dieu en tant que Créateur de la beauté : « Tout ce qu’il a fait est beau en son temps » (Ec 3.11).
La beauté possède une valeur en soi parce qu’elle est une qualité de Dieu. David espérait ardemment pouvoir « contempler la magnificence de l’Éternel » (Ps 27.4). Dans Attente de Dieu, Simone Weil, une mystique française, observe : « Tout bien procède du Christ. Tout bien a sa source en Dieu. » La structure même de l’univers est une expression de la présence de Dieu dans sa beauté majestueuse et sa grandeur. « Les cieux racontent la gloire de Dieu et l’étendue céleste annonce l’œuvre de ses mains » (Ps 19.1). Quelqu’un a utilisé l’expression « l’esthétique de l’infini » pour désigner la nature.
3. L’œuvre d’art de Dieu←⤒🔗
La prémisse principale de la vision chrétienne du monde, incluant l’esthétique chrétienne, est que Dieu est le Créateur, le grand Artiste qui a créé le monde. Il est le potier, nous sommes l’argile (És 64.7). Dieu a créé le monde selon son vouloir et son bon désir.
Par conséquent, on ne découvre pas la beauté à travers ce que nous ressentons de manière subjective. C’est avec les yeux de la foi, dans le contexte d’un univers divinement ordonné par le Créateur, que la beauté doit être envisagée. Comme le dit Calvin, l’univers créé est le théâtre de la gloire de Dieu. La beauté naturelle et simple de la terre, des saisons, du temps qu’il fait, des arbres, des oiseaux, des fruits et des rivières révèle la gloire de Dieu. Les chutes torrentielles et les montagnes majestueuses suscitent couramment une réponse esthétique chez l’être humain. Nous ne parlons jamais d’un affreux coucher de soleil; nous parlons d’un beau coucher de soleil. Lorsque nous vivions dans les Philippines, les couchers de soleil spectaculaires des tropiques, d’une beauté à couper le souffle, me laissaient toujours dans un état d’émerveillement et d’admiration qui me conduisait à l’adoration. Dieu a fait toute cette beauté.
Et nous pouvons en jouir. Dieu prend plaisir à sa création. L’histoire du monde commence au paradis. Dans ce jardin d’une beauté parfaite vivaient Adam et Ève, le couronnement de la création de Dieu. Dieu, qui supervisait tout le travail avant même leur création, a contemplé son œuvre achevée et a vu que c’était esthétiquement bon (Gn 1.31). C’était de toute beauté, pur et débordant de potentiel.
Dans son poème La Divine comédie, un des grands classiques de la tradition chrétienne, Dante (1265-1321) décrit la beauté extraordinaire du paradis. La force de l’amour qui nous attire vers la beauté de ce qui est bon et vrai constitue le fil conducteur qui sous-tend ce poème dans son entier. Dans la section Paradis, Dante était transporté par sa beauté. Il écrit : « La gloire de celui qui meut toutes choses dans l’univers pénètre et resplendit plus en un lieu et moins ailleurs. »
4. L’homme, un artiste←⤒🔗
Alors pourquoi l’homme peut-il créer des œuvres d’art et apprécier la beauté? Parce que nous ne sommes pas des choses, mais plutôt des êtres créés à l’image de Dieu (Gn 1.26). Nous avons reçu le mandat de travailler au développement du monde. Dieu nous a donné la domination des œuvres de ses mains (Ps 8.6). Dorothy Sayers a observé avec raison que lorsque nous « revenons à ce que l’auteur de la Genèse dit au sujet de l’original à partir duquel “l’image de Dieu” a été modelée, nous ne trouvons qu’une seule affirmation : “Dieu créa”. Apparemment, c’est là la caractéristique commune à Dieu et à l’homme : le désir et la capacité de faire des choses. » Mme Sayers a noté que l’idée de l’art en tant que création est une des contributions importantes du christianisme à l’esthétique.
Dieu le Créateur, un amant de la beauté dans le monde qu’il a créé, a invité Adam, une de ses créatures, à se joindre à lui dans le processus de « création » (Gn 2.15). Il a invité ceux qui sont faits à son image à exercer leurs capacités créatives du mieux qu’ils peuvent. En d’autres mots, puisque nous portons en nous l’image de Dieu, nous sommes nous aussi créatifs.
5. La beauté corrompue←⤒🔗
Mais si Dieu est la source de la beauté, comment se fait-il qu’il y ait autant de laideur? Comment pouvons-nous dire « C’est un monde magnifique » quand nous voyons tant d’horreur dans la nature : ouragans dévastateurs, tornades, tremblements de terre, inondations et bien d’autres choses semblables?
L’existence de forces catastrophiques n’annule pas la présence certaine de Dieu dans sa création. Adam et Ève ont échoué. Au lieu de développer la beauté, ils l’ont ternie, de sorte que l’harmonie de la création s’en trouve maintenant brisée. Les ténèbres combattent la lumière. Depuis la chute et l’expulsion d’Adam et Ève du paradis, toute la culture humaine est devenue un mélange de bien et de mal. L’être humain est à la fois un Dr Jekyll et un Mr Hyde : à la fois un noble porteur d’image et une créature moralement estropiée. Douglas Groothuis fait l’observation suivante : « Notre monde est maudit et notre monde est béni; nous devons chercher à différencier les deux afin d’éviter de bénir ce qui est maudit ou de maudire ce qui est béni. » En Ésaïe 5.20, le prophète lance un avertissement : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal, qui changent les ténèbres en lumière et la lumière en ténèbres, qui changent l’amertume en douceur et la douceur en amertume! »
Lorsque notre culture occidentale a commencé à se couper de ses racines chrétiennes, le relativisme moral a commencé à paralyser le monde intellectuel. Quelqu’un a dit que le siècle passé est peut-être le premier siècle au cours duquel l’existence même de la beauté a été niée catégoriquement. C’est également le siècle qui a vu le rejet le plus violent de la beauté chez certains artistes créateurs. Ils étaient prêts à se passer de la beauté pour parvenir à leur propre vision de la vérité. Ils exprimaient les sentiments mis par écrit par Henry Miller dans son livre Tropique du Cancer (1934) :
« Ce livre n’en est pas un dans le sens ordinaire du terme. Non, c’est une longue insulte, un crachat à la face de l’art, un coup de pied bien placé, à Dieu, à l’homme, au destin, au temps, à l’amour, à la beauté. »
6. La beauté et la rédemption←⤒🔗
Si le péché a corrompu la beauté, comment se fait-il qu’encore aujourd’hui nous puissions trouver de la beauté et en jouir? La croix et la résurrection sont des éléments primordiaux pour bien comprendre la beauté. La beauté, c’est l’harmonie, une harmonie dont nous pouvons encore être témoins dans ce monde chaotique. Cette harmonie a pour source l’Évangile et le cœur de l’Évangile, c’est que le Dieu tout-puissant, Créateur du ciel et de la terre, était en Christ, réconciliant le monde déchu avec lui-même au moyen de la crucifixion et de la résurrection (2 Co 5.19). Le second Adam est venu restaurer ce que le premier Adam a corrompu lors de la chute. Le poète George Herbert (1593-1633) fait dire à Christ sur la croix : « Ô, vous tous qui passez, regardez et voyez; l’homme a volé le fruit, mais je dois monter dans l’arbre, l’arbre de la vie pour tous sauf moi. »
Nous ne pouvons arriver à saisir le sens majestueux de la beauté sans comprendre la douleur et le prix à payer pour être disciple et que Flannery O’Conner (1925-1964) a appelé « la sueur et la puanteur de la croix ». C’est par la croix que le péché et la mort sont vaincus. C’est parce que Christ s’est fait pauvre que nous sommes devenus riches. Il a restauré l’harmonie et la beauté. Les ténèbres du Calvaire éclairent le monde de tous ses feux. C’est dans la lumière du Christ que se trouve la norme absolue de la beauté.
Il reste donc encore en nous une étincelle de l’image de Dieu que nous avons reçue lorsque nous avons été faits. Augustin était stupéfié par toute la beauté qu’il pouvait observer dans notre monde déchu. Il a dit : « L’intelligence remarquable dont font preuve les philosophes et les hérétiques en défendant leurs erreurs et leurs faussetés défie toute imagination! » Un artiste ne crée pas à partir de rien. Il travaille en utilisant les capacités et les talents que Dieu lui a donnés. Il travaille à partir des impressions qui surgissent dans son esprit. Il peut soit mettre en valeur ce qu’il y a de plus beau dans ces impressions, soit les dégrader et les dévaloriser. Tout dépend de sa vision du monde, de son orientation religieuse. Même ceux qui ne reconnaissent pas en Dieu la source de la beauté peuvent tout de même produire des œuvres d’art. Comment devrions-nous réagir lorsque Dieu nous permet de vivre une expérience esthétique, qu’il s’agisse d’un paysage sublime, de la satisfaction que suscite la lecture d’un bon roman, des formes plaisantes d’une belle toile ou d’une belle sculpture? Nous n’avons pas le droit de nous fermer les yeux, de rejeter le don de la beauté que Dieu nous accorde. Gene Edward Veith Jr dit au sujet de ce qui est beau : « Nous avons l’obligation de nous y attarder, d’en jouir pleinement et de glorifier Dieu. »
De nos jours, nous voyons souvent beaucoup plus de laideur que de beauté, mais il y a de l’espoir. Un Nouveau Monde vient bientôt et la beauté originelle du paradis sera non seulement restaurée, mais même surpassée lorsque le Seigneur reviendra. Le temps vient où nous verrons la beauté parfaite et où nous ferons l’expérience de la beauté parfaite : la beauté de notre Dieu. « Tes yeux verront le roi dans sa beauté », a prophétisé Ésaïe (És 33.17).
7. Conclusion←⤒🔗
Quelqu’un m’a demandé : « Pourquoi écrire un article au sujet de la beauté? La réponse n’est-elle pas simple? La beauté n’est-elle pas simplement une question de ce qu’on aime ou n’aime pas? »
Ces questions démontrent à quel point les dimensions esthétiques de la vie ont été négligées par les chrétiens. Carl F. Henry, un érudit évangélique maintenant décédé, a noté que la Bible ne dit pas grand-chose au sujet de l’esthétique (dans le sens où nous l’entendons). Cependant, il dit aussi que, depuis fort longtemps, les évangéliques en disent encore moins et que, dans le contexte culturel actuel, le prix à payer pour cette négligence est élevé. La beauté ne se trouve pas dans l’œil de l’observateur, elle trouve son origine en Dieu. Je crois que si nous ne considérons pas la beauté dans sa perspective biblique, nous ne faisons que contribuer au « déclin de la vérité », déjà si présent dans notre culture.
La vision chrétienne du monde élargit nos horizons, inonde notre monde de la lumière divine et nous permet de discerner de manière juste et précise. La vision transformatrice de l’Évangile nous permet de poser le regard sur ce qui est extérieur à nous. C’est ce que l’apôtre Paul avait à l’esprit. Une théologie solide de la création et de la beauté objective était à la base de son exhortation bien connue :
« Au reste, frères, que tout ce qui est vrai, tout ce qui est honorable, tout ce qui est juste, tout ce qui est pur, tout ce qui est aimable, tout ce qui mérite l’approbation, ce qui est vertueux et digne de louange, soit l’objet de vos pensées » (Ph 4.8).
Qu’il puisse en être ainsi pour nous tous qui confessons servir le Seigneur de toute gloire et de toute beauté.