La lecture de la Bible
La lecture de la Bible
1. La lecture en commun et la lecture personnelle⤒🔗
Au temps de Jésus, on lisait les Écritures dans les synagogues. Le Pentateuque était divisé en sections ou « parashas » pour la lecture du jour du sabbat. On lisait aussi les prophètes divisés pour la lecture en « haftaroth ». Certains « ketubim », livres ou écrits saints, étaient lus à l’occasion des fêtes juives.
On lisait le texte en hébreu; ensuite, on le traduisait en araméen et on le commentait. Lorsqu’il s’agissait d’une portion des prophètes, on honorait une personne de l’assistance, un visiteur, en lui demandant d’en faire la lecture. Le lecteur lisait le texte debout (c’était l’attitude du lecteur), puis il s’asseyait (c’était l’attitude du docteur) pour le commenter. La scène est parfaitement décrite dans Luc 4.16-27. Jésus eut plusieurs fois l’occasion de lire et d’enseigner dans les synagogues.
L’Église conserva la coutume de lire publiquement les Écritures. Le ministère du lecteur (« anagnotès » en grec) est signalé dans Apocalypse 1. La lecture (« anagnosis ») à laquelle Timothée est exhorté (1 Tm 4.13), n’est pas la lecture en privé, mais la lecture publique, dans l’Église, ministère exercé d’exhortation (du prophète) et d’enseignement (du docteur).
Parmi les religions du monde méditerranéen du début de notre ère, seules la synagogue et l’assemblée chrétienne possédaient une chaire (« cathedras ») d’où on lisait les textes sacrés. Dans les premières églises, la chaire fut placée au fond de l’abside, à la manière des cathèdres des juges romains. Dans les synagogues, au moins au temps du Talmud, une estrade était dressée au milieu de l’assemblée munie du pupitre (« analogeion »). Plus tard, dans les églises, la lecture se faisait du haut de l’ambon (du grec « anabainein », monter). La première mention de l’ambon se trouve dans le Liber pontificalis (555-559). Souvent, le lecteur était un jeune chrétien se préparant au ministère.
Parmi les plus anciennes mentions du ministère chargé de la lecture des livres saints, citons celles faites par Justin (Apologie, 1,67) qui parle de la lecture des « mémoires des apôtres » (Évangiles) pendant la réunion du dimanche, et par Tertullien (De praescriptionibus, 37) disant que l’Église joignait la lecture de la loi à celle des écrits des apôtres et des évangélistes pour y nourrir sa foi.
La coutume de lire des livres bibliques entiers dans l’Église s’est progressivement perdue. On ne lit plus guère que des péricopes plus ou moins longues se rapportant à la prédication. La lecture n’est plus faite pour elle-même, ce qui est bien regrettable. C’était une chose excellente que d’encourager la lecture individuelle de la Bible, ou commune dans l’Église et par l’Église. Comme, en fait, la lecture individuelle a souvent cessé dans les milieux protestants et comme il n’y a plus de lecture suivie faite en commun dans l’assemblée, l’ignorance grandit. D’ailleurs, la lecture en commun est un acte essentiel à la vie de l’Église. En abandonnant cette lecture commune, la vie spirituelle commune de l’Église est diminuée.
Quand on examine les moyens providentiels dont Dieu use pour garder ses Écritures, on voit que la lecture en commun joue un rôle capital. Par elle, l’Église se familiarise avec le texte au point de ne plus supporter que des changements y soient apportés. On comprend dès lors qu’Augustin fut hostile à la nouvelle traduction de Jérôme qu’il accusait de troubler l’Église. Si l’Église n’est pas familiarisée par la lecture publique avec le texte sacré, on ne peut dire qu’elle le possède collectivement et d’une façon vivante. Le fait de détenir chez soi un exemplaire de la Bible ne prouve nullement qu’on la possède aussi spirituellement. Sans la lecture et la méditation personnelle, sans la lecture et la méditation collective, le peuple chrétien ne perçoit plus les modifications involontaires ou intentionnelles introduites dans le texte. Il ne possède plus vraiment le livre qui devient la possession des « clercs » et même de certains spécialistes. Aujourd’hui, beaucoup achètent une Bible, mais il n’est pas certain que la possession réelle des Écritures par les chrétiens et par l’Église soit aussi ferme qu’aux premiers siècles.
Un texte de Paul dit le but poursuivi par la lecture du Livre. L’apôtre s’adresse à son jeune ami Timothée et soutient que la lecture et notamment la lecture en commun des Écritures produit un résultat salutaire (1 Tm 3.14-17). La pensée de l’homme est imprégnée par la pensée de son milieu et cela contribue à la formation de sa mentalité. En nourrissant sa pensée de textes, d’expressions, d’images, d’histoires, de pensées bibliques, on forme en lui une mentalité chrétienne sur laquelle s’appuieront tous les jugements de valeur qu’il aura l’occasion de porter. Cette mentalité chrétienne commune a son fondement le plus sûr dans la connaissance commune des Écritures. Il appartient à l’Église d’y veiller en particulier en lisant le Livre et en le faisant lire. Il est sage de ne pas faire de la lecture en privé une excuse pour supprimer la lecture en commun.
La lecture personnelle n’était pas généralisée dans l’Église apostolique, car à l’époque les manuscrits étaient rares et l’art de lire peu répandu. À la fin du 2e siècle, Irénée parle d’Églises ne possédant pas encore l’Écriture sainte, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne la connaissaient pas. Il s’agissait de ces exceptions, mais leur absence prouve que la possession individuelle des Écritures n’était pas un élément essentiel du plan de Dieu, sinon on ne comprendrait pas pourquoi l’incarnation qui avait été différée pendant des siècles ne s’était pas produite après l’invention de l’imprimerie!
La lecture personnelle des Écritures a deux avantages principaux : d’abord, elle vient s’ajouter à la lecture en commun en rendant le contact du chrétien avec le Livre plus fréquent et en le prolongeant; ensuite, elle facilite la réflexion et l’étude. Le premier but à atteindre est, en effet, de se familiariser avec le texte de telle sorte que les pensées, les expressions, les images, les histoires prennent place dans la mentalité du chrétien comme une composante dominante, rejetant au second plan et même annulant l’apport de pensées, d’expressions, d’images et d’histoires venues du monde dans lequel le chrétien est placé et dont il ne peut s’évader. Il est certain qu’être familier avec le Livre dès sa jeunesse, c’est-à-dire dès l’âge où s’élabore la mentalité d’un homme, est une grâce. Ceux qui n’en ont pas été les bénéficiaires peuvent trouver une compensation dans la fréquentation assidue du Livre. Il est regrettable toutefois que, même dans les milieux évangéliques, l’étude des Écritures ne soit pas considérée comme l’élément central de l’éducation formatrice de la mentalité chrétienne chez les enfants.
Le second but, déjà inclus dans le premier, est la formation du jugement, de la sagesse, de la connaissance spirituelle, ce qui implique la réflexion et l’étude. Ce travail de réflexion et d’étude est plus rare que la simple lecture. Le lecteur se contente le plus souvent des opinions de son milieu ou de ce qu’il peut entendre dans les prédications de son Église. Cette inertie de pensée est contraire à toute croissance normale de la vie spirituelle et favorise les sectes et toutes les erreurs. C’est pourquoi il serait inefficace de proposer la lecture de la Bible si on ne suscitait ni n’aidait l’étude et la réflexion nécessaires.
Sur ce point, les conseils qu’on peut donner ne diffèrent pas essentiellement de ceux qu’on adresse à ceux qui se préparent pour le ministère. La différence est question de moins ou de plus; elle repose sur des différences de temps consacrés à la réflexion, sur les aides (maîtres ou livres), sur les qualifications personnelles. On ne donnera ici que des conseils généraux. Des livres d’inégale valeur ont été écrits sur la lecture et l’étude de la Bible. Nous en indiquerons quelques-uns sans les recommander… comme parole d’Évangile!
2. Conseils généraux←⤒🔗
Il faut lire la Bible en disciple du Christ. Le chrétien ne se place pas devant la Bible en docteur qui veut étudier un vieux texte, mais comme celui qui ne sait pas et qui cherche à comprendre l’enseignement du Maître divin. Cela implique une humilité intellectuelle rare comme aussi un discernement attentif afin de ne pas écouter, à l’occasion de la lecture et de l’étude de la Bible, les maîtres humains qui obscurcissent la pensée de Dieu par leurs commentaires.
Il faut lire en membre du corps du Christ. Le chrétien est « incorporé » à l’Église. Sa vie spirituelle ne peut se développer normalement en dehors du corps. Se passer des aides que le Seigneur a voulues, c’est s’opposer à sa volonté et se mettre, par orgueil ou par sottise, en dehors des voies normales de la grâce. L’achat d’une Bible et sa lecture n’autorisent pas le chrétien à détendre les liens qui l’unissent à l’Église, bien au contraire, la Bible elle-même le ramène à l’Église.
Il faut tout lire, mais il ne faut pas tout lire d’une façon uniforme. Lire l’Ancien Testament sans le Nouveau, comme les Juifs, ou le Nouveau sans l’Ancien, comme certains chrétiens mal inspirés ou comme certains se contentant de la lecture d’un livre préféré, ou d’un seul chapitre ou de quelques versets ou d’une collection de versets, c’est inévitablement fausser les perspectives de la révélation biblique et risquer de tordre le sens des Écritures. Cependant, il n’est pas bon de lire uniformément sans tenir compte des différences existant entre tel et tel texte. Il y a des disparités de la Bible qui sont plus proches de nous, plus directement assimilables et sur lesquels il est nécessaire d’insister.
Il faut lire beaucoup et, surtout, bien lire. Lire très peu ne serait guère profitable. Lire beaucoup risquerait d’être une perte de temps si on ne lisait pas bien. Pour bien lire, il faut lire lentement en essayant de comprendre et de retenir. Il ne s’agit pas seulement de mémoriser des textes, mais d’assimiler la pensée de Dieu et de la garder inscrite dans sa mémoire, dans son cœur et dans sa vie.
Il faut donc lire pour nourrir sa foi, son espérance et la charité. La lecture des Écritures doit contribuer à la vie. Elle n’a pas pour but d’encombrer la mémoire ni de satisfaire cette petite vanité qui consiste à citer à tort et à travers des textes bibliques. On lit pour savoir et on sait pour vivre de la vie du Christ qui ne peut se développer harmonieusement que dans la lumière. L’homme ne vit pas seulement de pain…
Il faut lire un texte honnête. Nous appelons un texte honnête une version qui ne cache pas le texte primitif, mais permet de le rejoindre à travers elle. Il y a des traductions qui ne sont pas honnêtes parce qu’elles sont littéraires et non exactes. Quand on traduit un texte légal, un contrat, on veille à ce que la traduction soit très exactement représentative du texte original. Or, ici, le texte biblique est infiniment plus sérieux que n’importe quelle loi humaine ou que n’importe quel contrat social. La traduction n’est pas honnête lorsqu’elle est faite pour exprimer les conceptions personnelles du traducteur, même en altérant le texte. Elle ne l’est pas non plus lorsqu’elle cache ses limites en présentant ce qui n’est pas certain comme ce qui l’est. Il faut user avec une grande prudence des traductions et ne pas bâtir sur elles des théories avant d’en avoir vérifié la valeur. Le contrôle des traductions est un devoir de l’Église. Il est regrettable de voir avec quelle indifférence trop d’Églises traitent les questions relatives au texte qu’elles lisent et font lire.
Il faut savoir se servir des aides, c’est-à-dire des moyens prolongeant l’action de l’Église et facilitant l’étude et la réflexion. Pourquoi ne pas se servir des parallèles qu’on trouve dans certaines éditions, des concordances, des dictionnaires et même des commentaires s’ils sont bien faits? N’oublions pas qu’il ne s’agit que d’aides et que le Maître c’est le Seigneur.
Il faut lire en priant. C’est l’Esprit qui nous conduit en se servant des aides matérielles comme de l’Église et qui peut nous aider à percevoir et comprendre la pensée de Dieu.
3. Conseils plus particuliers←⤒🔗
Autant que possible, il est important d’éclairer la lecture par une connaissance suffisante du cadre géographique, historique et archéologique.
Il faut laisser chaque chose à sa place. Pour cela, on ne doit pas placer l’Ancien Testament sur le même plan que le Nouveau; il s’agit de laisser à un livre son caractère particulier, discerner dans le texte les « unités de signification », c’est-à-dire les péricopes formant un tout axé sur une pensée centrale. Un texte isolé n’est pas une unité de signification, séparer les textes de leur contexte est un bon moyen de se tromper.
Il faut chercher à découvrir dans le livre des idées dominantes qu’on retrouve tout au long de la Bible, telles que de constantes notions du péché, de la grâce, de la justice, etc.; étudier les thèmes, c’est-à-dire les idées ou les images qu’on retrouve tout au long du texte comme des leitmotive reparaissant sur des plans différents et à travers lesquels passe un courant de pensée tendant vers une réalisation parfaite du thème en Christ et dans son œuvre.
Il faut chercher à comprendre le plan de Dieu dont la perspective est orientée vers le Christ et son œuvre, en particulier vers la réalisation ultime du couple Christ-Église.
Il faut lire pour comprendre un livre particulier, une idée, une image, un mot. L’étude du vocabulaire est très importante, mais à peu près impossible à partir des concordances françaises. L’étude des images est aussi importante que celle des mots. Elle est plus difficile.
On peut lire d’une façon cursive, mais il importe de savoir noter les passages marquants dans lesquels on a aperçu une leçon spirituelle. Il est bon de garder par écrit le souvenir des lumières et des grâces reçues pendant la lecture des Écritures saintes.
On ne peut lire avec l’intention de tout découvrir dans une seule lecture. Il faut savoir réduire ses ambitions et lire avec une intention précise, pour rechercher une idée, pour comprendre un point de doctrine, pour se nourrir spirituellement, pour contempler et adorer, pour trouver la consolation de l’Esprit.
Il faut lire et relire. L’Écriture est destinée à être relue. Cette relecture a des propriétés bien particulières. On ne lit pas deux fois un texte de la même façon. À la deuxième lecture, on apporte d’autres pensées acquises au cours des autres lectures. Ainsi se forme insensiblement une synthèse vivante dans l’esprit; les textes prennent des coloris nouveaux venant du contexte assimilé peu à peu.
Il est bon de mémoriser des textes, mais le choix de ces textes doit être bien fait. Il faut surtout éviter la pratique trop fréquente dans certaines sectes et qui consiste à faire des listes de textes isolés qu’on utilisera pour la propagande. La Bible ne nous a pas été donnée pour fournir seulement des « dicta probanta », ce n’est pas un recueil qui doit servir à fournir des preuves. D’ailleurs, ces textes isolés risquent de perdre leur signification qui est liée au contexte biblique et d’en acquérir une autre en relation avec la collection artificielle dans laquelle ils sont introduits et avec l’esprit qui l’anime. C’est ainsi qu’on crée des sectes et des hérésies.