L'interprétation de l'Ancien Testament
L'interprétation de l'Ancien Testament
- Des attaques modernes contre l’Ancien Testament
- Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament
- L’alliance
- L’Ancien Testament comme histoire
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La prophétie de l’Ancien Testament
a. La place des livres prophétiques dans le canon
b. L’inspiration et l’œuvre du prophète
c. L’interprétation et l’accomplissement de la prophétie
L’Ancien Testament (AT) est la Bible des chrétiens. La foi chrétienne est étroitement liée à l’AT, lequel rend témoignage à Jésus-Christ (Jn 5.39). Il contient une révélation suffisante pour le salut des Juifs, mais pas moins pour le nôtre. L’autorité de l’AT était naturellement acceptée par Jésus, qui ne l’a jamais critiqué (Lc 16.31). Dans le Sermon sur la Montagne, il critiquera la manière dont ses contemporains se servaient de l’AT (Mt 5.27-48). Israël est le peuple de l’espérance, aussi l’AT est-il le livre de l’espérance et de la promesse. Il y a par conséquent une liaison essentielle organique entre les deux Testaments, mais au Juif, le sens de l’AT est complètement voilé.
Pour nous, s’en détacher reviendrait à se détacher de Jésus qui se trouve au cœur de son message. L’AT se rapporte au Nouveau Testament (NT) comme le commencement d’une phrase se rapporte à la fin. Cependant, depuis le début du christianisme, il y eut beaucoup de critiques lancées contre lui. Marcion, le premier grand hérésiarque, le rejeta. Le gnosticisme a cherché également à le rejeter en l’allégorisant. L’Église officielle a condamné ces déviations.
1. Des attaques modernes contre l’Ancien Testament⤒🔗
De nos jours, l’AT a subi de nouvelles attaques dont il nous faut dire quelques mots. Ces attaques sont venues de plusieurs côtés à la fois. Elles prouvent à quel point le sens de l’unité des deux Testaments s’est perdu dans les Églises issues de la Réforme.
1. Le libéralisme théologique a été influencé par les doctrines évolutionnistes du temps; en insistant sur le progrès de la révélation, il a établi tout naturellement des distinctions entre les étapes primitives et celles dites supérieures de cette révélation. Cette distinction a abouti à discréditer l’AT. La prédication des prophètes a généralement trouvé grâce aux yeux de l’école libérale; on s’est plu à souligner son caractère strictement monothéiste, universaliste et social. Les Psaumes gardaient une valeur d’édification à condition de les expurger de leurs parties belliqueuses. Pour le reste, on opposait le Dieu sanguinaire de l’AT au Dieu d’amour de l’Évangile, la justice de la loi à la miséricorde du Sermon sur la Montagne. L’AT était bon à mettre au rancart.
Nous avons vu l’unité indissoluble des deux Testaments. Relevons combien est fausse la perspective qui fait de l’AT le témoin exclusif de la justice et du jugement de Dieu, et du NT le témoin exclusif de l’amour de Dieu. On a oublié que des discours de Jésus sont parmi les plus sévères de toute la Bible.
2. Des objections d’un ordre différent ont été élevées contre l’AT dans certaines jeunes Églises d’Afrique et d’Asie. D’une part, les récits de l’AT leur sont beaucoup plus accessibles que ceux du NT, parce qu’ils décrivent un stade de civilisation qui se rapproche du leur; d’autre part, les primitifs trouvent dans l’AT une justification de leurs mœurs et de leurs coutumes et ont quelque peine à comprendre qu’il s’agit là d’un stade dépassé. Quant à des Églises issues du milieu de la spiritualité orientale, Jésus passe, entre autres, pour être l’accomplissement de l’hindouisme!
3. L’attaque la plus récente et la plus violente de toutes est celle qui est venue des milieux totalitaires antisémites. L’on tenta de discréditer l’AT en tant que livre « juif ». Le NT ne tarda pas à être expurgé à son tour.
Adolf von Harnack, au début du 20e siècle, le tenait pour un livre superflu et dangereux. L’école critique de Wellhausen considérait l’AT comme une œuvre purement et simplement humaine. L’AT aurait suivi une tendance évolutionniste, admettant d’abord le polythéisme, ensuite l’hénothéisme (un seul dieu parmi plusieurs), pour aboutir ensuite au monothéisme. Cette école n’a pas compris que les prophètes ne peuvent être expliqués de manière purement psychologique ou historique. On a surtout cherché à analyser des sources dont les écrivains bibliques se sont servis pour composer les livres de l’AT. Cette école suppose une évolution de la religion d’Israël; ainsi les Psaumes seraient en général postérieurs à la Loi, laquelle serait plus jeune que les Prophètes.
On compara les religions païennes orientales à celle d’Israël pour y chercher des parallèles entre les deux. Souvent, on a nié toute indépendance à Israël, en affirmant sa dépendance à l’égard des religions païennes. Actuellement, on scrute davantage ce qui est le trait caractéristique de la religion d’Israël, ce qui lui est propre. La religion de Yahvé, déclare-t-on avec raison, exclut tout lien avec de faux dieux. Israël eut peur de contamination avec les cultes étrangers et les coutumes païennes (Ex 23.19). Il faut mettre en évidence les différences afin que les traits caractéristiques d’Israël sautent aux yeux. La tendance moderne parvient souvent à des conclusions plus conservatrices que celles du passé.
À notre avis, il ne faut pas exagérer la signification des résultats archéologiques. Beaucoup de difficultés surgissent dans l’interprétation de ces découvertes. La conviction personnelle du savant est souvent facteur de décision, beaucoup plus que le texte lui-même! Cela n’empêche pas pourtant la grande signification des découvertes actuelles.
Quant à la critique du texte massorétique, c’est là aussi que les résultats tendent à des conclusions conservatrices. Autrefois, il y avait une profonde méfiance à l’égard du texte massorétique. Mais on reconnaît que la version des LXX donne plusieurs fois une paraphrase et une actualisation et fait une hellénisation.
2. Le rapport entre l’Ancien et le Nouveau Testament←⤒🔗
Wilhelm Vischer, avec L’Ancien Testament, témoin de Jésus-Christ, est allé assez loin en identifiant pratiquement l’AT au NT. Il nous faut certes maintenir l’unité des Testaments, mais cela ne suppose pas leur identité. Vischer a beaucoup de passages forcés, recherchés et spéculatifs. L’AT est l’histoire de la révélation de Dieu à l’homme et de l’activité divine. Il est la préfiguration des événements du temps messianique (Hé 1.1-2). C’est une révélation à caractère préparatoire, Jésus-Christ en étant l’apogée finale. Le NT apporte l’achèvement, la substitution. Les deux Testaments sont ainsi inséparables.
Le NT s’épanouit organiquement. Jésus est supérieur aux prophètes. Le mot « kreiton », « meilleur » en grec, se trouve trois fois plus dans le NT que dans l’AT. Cette thèse nous apprend de quelle manière nous devons lire l’AT. Le NT cherche ses mots non pas dans la philosophie, mais dans l’AT. Nous n’avons donc point besoin ni de spéculation ni d’allégorie pour en comprendre le message.
Il faut malgré tout reconnaître que la révélation de l’AT contient certaines obscurités. La présence de Jésus-Christ nous apporte une plus grande intelligence des mystères célestes.
Selon Jean Calvin, l’Écriture démontre que Dieu, par toutes les promesses terrestres qu’il leur faisait, les a voulus conduire comme par la main en l’espérance de ses grâces célestes.
Comme une maison solidement fondée sur le roc, l’Église de Jésus-Christ n’existe et ne peut vivre que si elle est bâtie sur la Parole de Dieu, c’est-à-dire sur la Bible. Vouloir édifier l’Église sur un autre fondement, c’est construire sur le sable des réalités humaines et c’est d’avance préparer la ruine de la maison. En face des tempêtes que connaît la société dans laquelle nous vivons, en face des épreuves et des tentations que le monde offre aux chrétiens, et en face aussi des habitudes monotones et des traditions mortes où l’Église s’engage souvent, il n’y a rien de plus urgent que de revenir sans cesse et avec fidélité à l’enseignement des Écritures saintes.
La Parole vivante de Dieu est la seule garantie de vie et de vérité que l’Église et que chaque chrétien puissent posséder pour tenir ferme. Même si quelqu’un ne pouvait pas encore connaître le texte de la Bible dans sa propre langue – bien qu’il en existe déjà des traductions totales ou partielles en plus de mille langues et dialectes – il devrait, pour devenir chrétien, recevoir un enseignement directement puisé à la source du livre saint. La foi chrétienne se nourrit de l’étude et de la méditation, donc de la lecture et de la compréhension des livres bibliques.
Lire et comprendre la Bible n’est pas toujours une tâche aussi simple qu’on se le figure. Des problèmes se posent et leurs solutions peuvent entraîner l’Église dans des voies diverses entre lesquelles une décision n’est pas toujours facile à prendre. Une mauvaise interprétation de la Bible est capable de donner naissance à des doctrines fausses qui conduisent l’Église vers des hérésies, c’est-à-dire des formes de pensée ou de foi infidèles à la Parole de Dieu prise dans son ensemble. Une hérésie est un choix fait des passages bibliques pour ne garder que certains aspects jugés comme essentiels, en oubliant les autres aspects pourtant tout aussi importants.
Dans l’Église chrétienne primitive, on se fondait sur deux autorités : d’une part, l’Écriture sainte du peuple juif, c’est-à-dire l’AT, et d’autre part les paroles et l’enseignement de Jésus. Par la suite, ces paroles du Seigneur, utilisées par des évangélistes pour rédiger leurs écrits, furent jointes aux lettres des apôtres, pour constituer peu à peu l’ensemble du NT. Le problème se posa donc très tôt pour les chrétiens de savoir quelle position prendre en face de l’AT. Plusieurs solutions se présentèrent à eux, dont les trois principales sont les suivantes :
1. Puisque l’Église se réclamait de Jésus-Christ et que le NT seul parlait de lui, il était inutile de conserver l’AT, solution radicale représentée notamment par Marcion au 2e siècle.
2. Puisque l’Église se fondait sur la Parole de Dieu et que Jésus citait sans cesse les Écritures dans son enseignement, non seulement il fallait conserver l’AT, mais encore le considérer comme le NT (position notamment d’Origène au 3e siècle, maître de l’interprétation allégorique).
3. Il est certain qu’une autre solution du problème devait être recherchée. Elle l’a été par l’Église chrétienne dès les débuts; elle doit être recherchée toujours à nouveau. Les principes en sont clairs; on ne peut pas supprimer l’AT, sinon le NT devient totalement incompréhensible. Par ailleurs, les deux Testaments ne sont pas exactement identiques et interchangeables. Il convient donc d’affirmer à la fois l’unité profonde et essentielle de toute la Bible, Parole de Dieu pour l’Église chrétienne, et la différence réelle qui demeure entre l’AT et le NT. Disons, pour résumer, que le problème se pose à nous dans les termes simples exprimés par ces formules : le NT ne peut supprimer l’AT; l’AT n’est pas identique au NT; AT et NT sont les deux parties organiques d’un tout qui a une unité fondamentale, mais sont différents dans leur contenu et dans leurs perspectives.
Nous n’allons pas donner un aperçu détaillé et complet de l’extrême richesse de cette partie de la Bible. Dans sa riche diversité, l’AT est comme un vaste pays dont les trois grandes perspectives sont définies par ces mots : histoire, loi, prophétie. Le développement de ces trois aspects nous mettra déjà en garde contre une fausse interprétation de la Bible, qui proviendrait de l’ignorance ou de l’oubli de cette triple réalité.
Notre Introduction à l’Ancien Testament s’adresse à ceux qui ne lisent plus la Bible en l’estimant trop compliquée. Nous croyons cependant en son actualité permanente. Elle permettra de comprendre, nous l’espérons, pour quelle raison l’Église chrétienne ne cesse jamais d’ouvrir et de lire la Bible; elle cherche à faire comprendre de quoi il y est question, et, en dernière analyse, comment Église et AT sont indissolublement liés. Nous voudrions que ce travail constitue en quelque sorte une ration de fer, dont la communauté des croyants puisse user dans des périodes où sa liberté de prêcher est menacée et où il faut que chaque chrétien apprenne à remplir pour ses frères la fonction de prêtre.
Ici même, nous offrons uniquement une introduction et non un commentaire. Il faut lire la Bible elle-même. L’introduction en est issue et y ramène sans cesse.
Relevons encore ici que l’étude de l’AT est particulièrement nécessaire à ceux qui se préoccupent de l’interprétation biblique de l’histoire humaine et du rôle de l’Église dans le monde. Le NT nous donne le fondement de l’attitude du chrétien vis-à-vis du monde, mais c’est l’AT qui nous fournit en quelque sorte la matière de ces relations dans le déroulement concret de l’histoire. Dieu y est à l’œuvre, il intervient dans la législation et le gouvernement de la cité, il dresse ses sentinelles aux portes de la ville, il bâtit et détruit les empires, il dresse les exigences de sa justice en face de l’arbitraire des grands de ce monde. Le NT, lui, a mission d’annoncer l’imminence de la fin des temps, de souligner que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Ici encore les deux messages s’impliquent et se corroborent l’un l’autre; à les isoler, on les fausse; peut-être faut-il attribuer à une méconnaissance de l’AT et de sa notion du règne de Dieu la tendance de certains groupes chrétiens à se détacher du monde et à centrer leur prédication sur le salut personnel et sur la vie à venir.
L’AT n’est ancien que par rapport au NT, c’est-à-dire à la Nouvelle Alliance instaurée par Jésus-Christ. Mais il ne faudrait pas outrer la différence entre les deux, comme si l’Ancienne Alliance et la littérature qui en témoigne avaient ainsi été rendues caduques. Cette vue des choses, qui fut celle de Marcion, reparaît périodiquement dans l’histoire chrétienne. Or, elle porte un coup fatal au NT lui-même.
L’AT fut la seule Bible de Jésus et de l’Église primitive. Comme livre d’éducation juive, il a en quelque sorte façonné l’âme de Jésus. Celui-ci en a assumé les valeurs pour les incorporer à son Évangile : il n’est pas venu abroger la Loi et les Prophètes, mais les accomplir. Les accomplir, c’était d’abord les amener jusqu’à un point de perfection où le sens primitif des textes se dépasse lui-même, pour exprimer en sa plénitude le mystère du Royaume de Dieu… C’était dévoiler le sens définitif d’une histoire liée à une éducation spirituelle, en montrant leur rapport avec le mystère du salut accompli par la croix et la résurrection de Jésus. C’était enfin donner à la prière qui s’y exprimait une richesse de contenu qui en dépassait les limites provisoires. Sous tous ses rapports, Jésus a accompli en sa personne les Écritures qui structuraient déjà la loi d’Israël.
C’est pourquoi l’Église apostolique a trouvé le point de départ nécessaire pour son annonce de Jésus-Christ. Dans la lumière de Pâques, elle n’a pas seulement repassé dans sa mémoire les faits et gestes de Jésus afin d’en comprendre le sens profond. Elle a aussi relu tous les textes anciens qui lui rappelaient l’histoire préparatoire, avec ses péripéties contrastées, ses institutions provisoires, ses réussites et ses échecs, ses pécheurs et ses saints. La personne de Jésus, son acte rédempteur, les structures nouvelles de son Église, n’avaient-ils pas là des ébauches significatives, des annonces enveloppées des préfigurations décelables? C’est pourquoi les livres du NT, sans perdre de vue les leçons positives contenues dans les préceptes de l’AT, en ont habituellement expliqué les textes pour y faire découvrir la présence cachée de l’Évangile. C’est ainsi que l’AT a pu devenir la Bible chrétienne, sans rien perdre de sa consistance propre, mais en acquérant le statut d’Écriture accomplie.
Telle est la perspective dans laquelle le premier enseignement chrétien s’est construit pour expliquer qui est Jésus, Messie juif et Fils de Dieu. Le NT a pleinement révélé la signification chrétienne de l’AT. Il est important que l’Écriture entière soit restée le trésor commun des Églises. L’obéissance commune à l’unique Parole de Dieu n’est-elle pas l’indice le plus sûr d’une unité qui cherche à se reconstruire? C’est en vivant du message biblique à la façon dont en vécurent les apôtres que les chrétiens d’aujourd’hui retrouveront le chemin de leur unité en Jésus-Christ.
3. L’alliance←⤒🔗
Pour pouvoir vraiment entendre le témoignage biblique, il faut commencer par être au clair sur la signification de l’alliance dont Dieu a pris l’initiative. Dieu est le Seigneur qui nous a choisis pour nous libérer de la servitude, et avant d’amener cette œuvre de délivrance à sa plénitude, il nous donne par son Esprit, par sa Parole et par ses commandements, une possibilité de vivre dès maintenant dans la foi et dans l’obéissance.
Toutefois, Dieu et l’homme ne se trouvent plus dans la situation d’interlocuteurs. Il n’y a plus entre eux de relation directe. C’est pourquoi l’Église ne saurait prétendre que Dieu lui parle sans intermédiaire et comme du ciel. De même, dans la Bible, Dieu ne s’adresse pas à nous directement, mais à travers une parole humaine. Car, lorsque deux interlocuteurs ne parviennent plus à se comprendre, par suite d’une rupture de communication, ils sont obligés d’avoir recours à des signes qui leur permettent d’exprimer d’une manière imagée, parabolique, détournée, ce qu’ils ont à se dire. En ce sens, l’alliance et les commandements de Dieu constituent précisément des signes de la part de l’interlocuteur divin dont nous sommes coupés, qui cherche, à travers le miroir des paroles humaines, à nous faire comprendre qu’il est là et qu’il nous parle. La parole humaine devient alors le véhicule de la Parole de Dieu.
Elle remplace la preuve directe. Lorsqu’on n’est pas en mesure de prouver ou de vérifier l’exactitude d’un fait, on en est réduit à écouter ce qu’en disent les témoins. C’est ce qui arrive au tribunal. Et c’est ce que nous sommes obligés de faire, par exemple à propos de la résurrection de Jésus-Christ; nous en sommes réduits à écouter le témoignage des apôtres. De même, nous trouvons chez les prophètes et les rédacteurs des livres de l’AT un oracle relatif à l’amour de Dieu et à sa puissance de délivrance. Car l’amour de Dieu ne peut jamais être démontré, il ne peut qu’être attesté. Parler de Dieu comme font les hommes de la Bible signifie confesser leur foi au Dieu qui s’est révélé à eux. Et c’est dans la mesure où Dieu occupe le centre même des écrits bibliques que ces derniers constituent le canal de la Parole divine, chacun à leur manière.
Comment pouvons-nous entendre le message biblique? Dieu se révèle à son peuple par le moyen du message biblique. Il se révèle, c’est-à-dire qu’il dévoile son être véritable. Cette révélation ne porte pas principalement sur les lois de la nature ni sur l’histoire comme telle. La question fondamentale concerne Dieu lui-même. Que nous révèle la Bible sur sa personne et ses desseins salvifiques?
Les écrits bibliques ordonnent leur matière selon l’objet de leur témoignage, et non pas simplement selon le déroulement chronologique des événements. Certes, il est indispensable que le lecteur parvienne à situer un texte dans son cadre historique, à l’aide des tableaux chronologiques qui accompagnent habituellement les traductions les plus récentes de la Bible. Mais on peut très bien passer à côté du témoignage biblique si l’on se contente de suivre la marche des événements historiques dans le temps, sans prendre garde au message central qui les domine.
Remarquons d’ailleurs que cette sorte d’intérêt peut apporter une certaine satisfaction, soit qu’on cherche dans l’histoire biblique des exemples instructifs, soit qu’on cherche au contraire à y trouver des preuves de l’indignité d’Israël et du judaïsme en général. Mais essayer, par exemple, de déterminer à l’aide des récits du livre des Juges la manière dont les anciens Israélites célébraient leurs fêtes ou leurs sacrifices, ce qu’ils pensaient de la guerre ou de la mort, ne signifie certes pas encore écouter le message de l’Écriture. De même, se borner à suivre le déroulement de l’histoire pour y chercher des preuves de l’accomplissement des prophètes pour en dégager un tableau édifiant de l’évolution du salut d’Abraham à Jésus, c’est rester en marge de la vraie question. Et finalement, c’est montrer que les événements de l’AT ne nous concernent plus.
Enfin, écouter le message de l’Écriture ne consiste pas à reconnaître, selon ses préférences personnelles, l’autorité de tels passages ou séries de passages, qu’on sépare arbitrairement de l’ensemble, tout en refusant de tenir compte du message central. Décider de sa propre autorité que certaines idées favorites, si possible inoffensives et incapables de changer quoi que ce soit, sont seules valables, comme on choisit de belles fleurs dans un parterre, ce n’est pas ce qu’on appelle écouter le témoignage de l’Écriture.
Certes, les témoins bibliques n’ont pas tous vécu à la même époque, dans les mêmes circonstances et avec les mêmes idées. Au cours des siècles de l’histoire d’Israël, de grandes transformations se sont produites, aussi bien sur le plan de la politique intérieure ou extérieure que dans le domaine social, cultuel ou moral. Cette évolution ne s’est pas faite, d’ailleurs, selon une ligne rectiligne ascendante, mais bien plutôt selon une ligne circulaire. De même, le message des témoins bibliques vise toujours des situations concrètes qui varient selon l’époque ou selon le milieu. Le prophète qui élève sa protestation passionnée contre la vénalité des juges, le maître de sagesse qui cherche à donner à ses élèves les bases indispensables d’une vie honnête et droite, le législateur qui médite sur le sens et l’utilité du droit d’héritage, tous ces personnages, et on pourrait en prolonger la liste, occupent, dans le cycle de l’histoire, un point très précis.
Certes, il est assez important de connaître les coordonnées historiques qui fixent dans le temps et dans l’espace la place des témoins bibliques. Mais il ne faut jamais oublier que ces témoins possèdent en quelque sorte un même dénominateur commun; ils sont Israélites, membres du peuple élu, ils font partie de l’alliance de Dieu. Cette alliance est le mystère prodigieux qui fonde l’existence de ce peuple vraiment unique. En faisant de cette nation insignifiante l’objet de son élection, Dieu a voulu manifester sa souveraineté sur le monde entier, révéler qu’il est le Maître de l’histoire.
Ce fait fondamental constitue, dès lors, le vrai critère des événements. La foi en la souveraineté de Dieu et en la réalité de son alliance projette sa lumière sur tout ce qui arrive. Et la vraie question revient toujours à ceci : comment apparaissent, dans cette lumière, les conjonctures présentes? Quelle est, selon le critère de l’alliance, la valeur réelle d’une époque donnée? Que faut-il penser de ses institutions politiques et cultuelles? Qu’en est-il de sa piété, de sa morale sociale, individuelle?
À notre tour, nous lisons et nous entendons le message biblique à une certaine époque de l’histoire. Les circonstances ont changé. Nos institutions ne sont plus celles du peuple d’Israël. Nos problèmes politiques et économiques sont conditionnés par d’autres données. Notre univers physique et mental porte la marque de notre temps. Nous ne pouvons absolument pas retourner en arrière. Mais en tant que membres de l’Église de Dieu, nous savons que notre époque, elle aussi, reste dominée par le fait fondamental de l’alliance, qui projette sa lumière sur nous et cherche à nous saisir.
Pour nous, le contenu de cette alliance, c’est Jésus-Christ. Dans l’AT, il n’est pas directement parlé de Jésus-Christ, mais de l’alliance de Dieu. Toutefois, lorsque dans l’Ancienne Alliance Dieu accomplit son œuvre d’élection, de libération et de sanctification, nous sommes mis en présence d’un témoignage rendu à Jésus-Christ lui-même en ce sens qu’il y est question de notre salut. Il n’y a donc en fait aucune différence entre le centre qui détermine notre foi et celui qui détermine la foi des hommes de l’AT. Il s’agit toujours du même Dieu vivant, Sauveur et lumière du monde, qui éclaire toutes les époques de l’histoire. Pour entendre la Parole de Dieu dans la Bible, il faut donc remplir deux conditions :
Tout d’abord, il faut être au courant des circonstances historiques qui conditionnent le message biblique, pouvoir répondre à la question : À quelle époque et à quels hommes telle parole de l’Écriture s’adresse-t-elle originellement? Cette circonstance des données historiques permet de discerner à la fois la différence et la ressemblance qui existent entre notre époque et les temps bibliques.
En second lieu, il faut pouvoir répondre à la question : Quelle est la foi dont témoignent les écrivains de la Bible? Et qu’est-ce que Dieu veut dire exactement aux hommes d’aujourd’hui comme aux hommes de leur temps, par le moyen de leur témoignage? Si nous savons que les témoins bibliques regardent vers le même centre que nous-mêmes, si nous nous sommes compris avec eux dans la même alliance et placés comme eux en face du même Seigneur qui choisit, élit, délivre et sanctifie, si nous nous rendons compte qu’à partir de ce centre qui ordonne notre vision, Dieu place chaque être humain sous sa lumière bouleversante, alors il nous deviendra clair que nous sommes nous-mêmes visés par l’impérieuse réalité qui commandait l’existence des hommes bibliques et que nous sommes appelés, comme eux, à montrer par notre foi, que Dieu est le Seigneur et que ses exigences concernent les domaines les plus concrets de l’activité humaine.
4. L’Ancien Testament comme histoire←⤒🔗
Dieu est le Dieu d’Israël, c’est-à-dire un Dieu qui se révèle et agit sur le plan de l’histoire. C’est par son fondement historique que la foi chrétienne se sépare radicalement de tous les systèmes philosophiques et de toutes les spéculations métaphysiques. Alors que les hindous et les Grecs conçoivent l’histoire sous la forme cyclique d’un perpétuel recommencement, l’histoire biblique est linéaire. Dieu agit dans l’histoire et la mène à sa fin. Il intervient dans son cours par des actes libres de sa volonté souveraine; Dieu visite la terre. La Bible n’est autre chose que le récit de ces actes successifs de Dieu, acte de création, actes de jugement et de délivrance, culminant dans l’acte rédempteur de l’incarnation. Et la Bible sait que c’est encore par un acte souverain et dernier de Dieu que ce monde prendra fin et que son règne sera inauguré.
L’histoire de l’humanité nous apparaît dès lors comme un drame qui se joue entre Dieu et l’homme, drame dont Dieu reste l’Acteur principal et dont toutes les parties sont étroitement liées. Les récits bibliques ont tous pour but de nous révéler ce sens caché de l’histoire, de nous montrer Dieu à l’œuvre dans le monde des hommes. Dieu ne se révèle pas dans un vide, mais à des hommes de chair et de sang vivant en un lieu, en un temps précis; et ces hommes écoutent ou résistent, se donnent ou se refusent. Le dessein de salut se poursuit à travers eux, malgré eux. Dieu adresse vocation à un homme nommé Abraham, afin de constituer un peuple qui lui appartienne et qui soit son témoin parmi les nations. Et ce peuple se réduit à un reste, ce reste au seul Fils qui, par son obéissance, accomplit le dessein éternel de Dieu, arrache le monde à l’emprise de Satan et engendre le nouvel Israël, l’Église, prémices du règne à venir.
C’est l’unité du dessein du salut de Dieu qui fonde l’unité des deux Testaments. Séparé de l’AT, le langage du NT devient incompréhensible. Les grandes délivrances de l’AT ont un caractère immédiat et concret; mais elles annoncent et préfigurent en même temps la délivrance à venir; le déluge et la traversée de la mer Rouge sont des figures du baptême. La Pâque juive annonce la Pâques chrétienne. La Nouvelle Alliance accomplit l’Ancienne; Jésus en est le Roi, le Sacrificateur et le Prophète. Toutes les figures de l’AT pointent vers le Libérateur et le Médiateur à venir; plus encore, leur témoignage n’a son sens qu’en lui; c’est son Esprit qui les anime. C’est sa grâce qui opère en ces hommes et les meut invisiblement, les conduit vers une fin ultime qui les dépasse. L’Église apostolique a vu tout l’AT dans cette perspective christologique; cette interprétation ressort des Évangiles comme des Actes des apôtres.
5. La prophétie de l’Ancien Testament←⤒🔗
a. La place des livres prophétiques dans le canon←↰⤒🔗
Certains livres historiques sont également appelés prophétiques, ceux qui viennent après le Pentateuque, et sont connus comme les premiers prophètes. Les prophètes ultérieurs sont les livres prophétiques du canon chrétien divisés en grands et en petits prophètes. Daniel n’y figure pas, car il appartient à la troisième division du canon.
Les livres prophétiques peuvent être tous placés dans la période entre la moitié du 8e siècle et la fin du 5e. Mais la prophétie en Israël débuta plus tôt. Il est dit de Moïse qu’il a le don de prophète; de même Miriam, sa sœur, Débora, la juge, et Samuel. À partir de ce dernier, il y aura une succession de prophètes tels que Nathan, Gad et Ahija, Shemaiah et Jéhu, fils de Hanani, qui apparaissent comme les conseillers de David et de ses successeurs. Au début du 8e siècle, Michée, Élie et Élisée jouent un rôle éminent, bien que ces deux derniers n’aient pas laissé d’écrits. Le prophète est aussi appelé voyant et en période de trouble il est consulté par les princes. On trouve également des confréries de prophètes dont les membres sont sujets à l’extase. Il semble qu’au temps de Samuel leur centre se trouve à Rama. Plus tard, on voit des guildes des fils des prophètes, à Béthel et à Jéricho. Cependant, les prophètes auteurs des livres canoniques ont eu des rapports avec les communautés professionnelles qui ont fini par se perdre dans des foyers des fausses prophéties.
Amos, en particulier, affirmera son indépendance par rapport à ces guildes. Le voyant en Israël, comme ailleurs, prédit l’avenir. Cependant, la divination est interdite et combattue. Au fur et à mesure du développement de l’histoire, le rôle du prophète devient plus éthique et spirituel.
b. L’inspiration et l’œuvre du prophète←↰⤒🔗
Selon la définition populaire, le prophète est quelqu’un qui prédit l’avenir. C’était la conception païenne de leurs oracles inspirés. Dans les milieux chrétiens, la définition concerna les prophètes de l’AT. Le prophète parle au nom de l’Éternel, il reçoit de sa part la vérité qu’il déclare en son nom. « Ainsi parle l’Éternel. » La parole de Dieu est distincte de ses propres paroles, désirs, pensées, comme des illusions ou des rêves. Elle lui vient avec un pouvoir irrésistible sans hésitation ou crainte. Parfois, sa parole est prononcée à la suite d’une vision ou de manière parabolique ou par geste.
Le prophète est donc principalement un prédicateur envoyé à leurs contemporains à qui il s’adresse dans des circonstances politiques, sociales et religieuses. Une grande partie de cela est inintelligible si l’on ne comprend pas ces circonstances historiques. En lisant chaque livre prophétique, il convient de consulter aussi les livres historiques de l’AT. Le prophète est également interprète des événements passés. Il révise l’histoire ancienne d’Israël et la commente. La grande leçon tirée du passé est le lien entre, par exemple, une calamité présente et les transgressions religieuses et morales du passé.
Enfin, il prédit aussi certains événements à venir. Certaines de ces prédictions sont précises ou définies, concernant le futur immédiat. Mais, selon le NT, elles regardent aussi le futur lointain. De telles prophéties sont appelées messianiques. Elles annoncent l’avènement de Jésus-Christ.
c. L’interprétation et l’accomplissement de la prophétie←↰⤒🔗
Bien que le test de l’accomplissement ne puisse pas toujours s’appliquer aux prédictions prophétiques par des contemporains, il le sera par nous. Il existe des prédictions qui ne furent pas et ne seront pas accomplies littéralement; il existe donc des principes d’interprétation.
Souvent, le langage est poétique, imagé. Les prédictions sont conditionnelles pour raffermir la piété et la foi présente du peuple. La vision d’avenir du prophète est limitée par les circonstances de son époque. La prophétie n’abandonne jamais le terrain historique. Le présent est le point de départ. Leur description du futur est souvent exprimée en termes d’état des choses destinées à changer. Ainsi, il faut séparer le sens spirituel permanent de la forme transitoire externe. Pour le prophète, l’âge d’or se trouve juste à l’horizon de son époque. Le roi messianique d’Ésaïe apparaît en son temps pour vaincre l’oppresseur. Mais il dit cela dans le langage exalté qui ne pouvait s’appliquer au roi de Juda et n’a été accompli qu’en Jésus-Christ.