Luc 11 - Une prière pas comme les autres - Parabole des trois pains
Luc 11 - Une prière pas comme les autres - Parabole des trois pains
« Jésus priait un jour en un certain lieu. Lorsqu’il eut achevé, un de ses disciples lui dit : Seigneur, enseigne-nous à prier, comme Jean l’a enseigné à ses disciples. Il leur dit : Quand vous priez, dites : Père! Que ton nom soit sanctifié; que ton règne vienne! Donne-nous chaque jour notre pain quotidien; pardonne-nous nos péchés, car nous aussi, nous pardonnons à quiconque nous offense; et ne nous laisse pas entrer en tentation. Il leur dit encore : Lequel d’entre vous aura un ami qui se rendra chez lui au milieu de la nuit pour lui dire : Ami, prête-moi trois pains, car un de mes amis est arrivé de voyage chez moi, et je n’ai rien à lui offrir? Si, de l’intérieur, l’autre lui répond : Ne me cause pas d’ennui, la porte est déjà fermée, mes enfants et moi nous sommes au lit, je ne puis me lever pour te donner des pains — je vous le dis, même s’il ne se lève pas pour les lui donner, parce qu’il est son ami, il se lèvera à cause de son importunité et lui donnera tout ce dont il a besoin. Et moi je vous dis : Demandez et l’on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et l’on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, celui qui cherche trouve, et à celui qui frappe on ouvrira. Quel père parmi vous, si son fils lui demande du pain, lui donnera une pierre? Ou s’il lui demande du poisson, lui donnera-t-il un serpent au lieu d’un poisson? Ou s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion? Si donc, vous qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent. »
Luc 11.1-13
Dans la version de l’Évangile selon Matthieu, Jésus opposait la prière des païens à celle de ses disciples. Les païens pensent que la prière est un procédé qui permet de contraindre Dieu, si l’on en use avec assez de persévérance. Les disciples de Jésus, au contraire, doivent toujours penser que Dieu est présent et bienveillant. Il leur suffit de peu de paroles, pourvu qu’elles soient conformes à la volonté du Père, « qui sait de quoi nous avons besoin ».
Jésus veut aider ses disciples à mieux comprendre cette vérité au moyen d’une parabole. Un homme vient, à minuit, adresser une requête à son voisin, devant rendre un service qu’il n’est pas en mesure de remplir. Cette histoire, tellement vivante, souligne un contraste plus qu’une analogie. Dieu n’est pas comme l’ami peu complaisant qui ne cède que devant l’insistance et pour avoir la paix; Dieu est bienveillant et prompt à écouter.
En revanche, le croyant qui prie doit bien être certain, comme l’ami importun, qu’on lui ouvrira s’il frappe et qu’il obtiendra s’il demande. Mais là s’arrête la ressemblance; car celui qui prie compte sur la grâce et non sur la faiblesse de Dieu. Il ne pense pas qu’il puisse le contraindre. Il ne lui dicte pas ses exaucements, mais les attend avec humilité. Nous devons persévérer sans jamais nous décourager; parce que nous croyons à son amour tout-puissant, aucune déception ne peut nous faire douter. Il se peut que nous recevions autre chose que l’objet de notre demande. Mais ce que Dieu donne est toujours « une bonne chose ».
La « pointe » de la parabole est donc l’importunité fructueuse de la requête. Réveiller un ami en pleine nuit en tambourinant à sa porte, l’obliger à se lever en enjambant la famille endormie (des commentateurs notent que, selon l’usage, les matelas roulés durant le jour étaient étendus un peu partout la nuit venue), insister jusqu’à ce que la porte s’ouvre, c’est une incongruité, mais une incongruité qui paie. Le trouble-paix s’en retourne avec ses trois pains sous le bras, non pas parce qu’il s’est adressé à un bon ami compréhensif et compatissant, mais à cause de son propre savoir-faire. Là où la timidité n’aurait rien obtenu, l’insistance importune est récompensée. C’est ainsi que les choses se passent quand un homme sait ce qu’il veut. Mais si l’exaucement dépend de la manière dont on prie, il dépend bien plus encore de celui qu’on prie.
Quel est le message que nous tirerons pour nous-mêmes après ce bref commentaire que nous venons de consacrer à la parabole de l’ami importun relative à une prière pas comme les autres?
Arrêtons-nous d’abord sur la condition de disette que doit être celle du fidèle qui prie. C’est là, d’ailleurs, la réponse directe que Jésus donne à ses disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier. Celui qui prie doit se savoir au bout de ses ressources. Autrement, qu’il ne s’attende pas à un quelconque secours de la part de Dieu. Pour apprendre à prier, nous devons être conscients de notre condition de misère, car c’est dans une telle condition qu’on prie avec insistance, faisant part de sa situation de détresse.
Et ce besoin n’est pas purement d’ordre matériel. N’est-il pas la condition du témoin du Christ qui voudrait s’engager au service de son Seigneur? Mal lui en prendrait de se présenter à lui avec assurance et suffisance, étalant ses capacités et faisant la démonstration de ses aptitudes… Si l’on veut s’engager pour la cause du Christ avec toutes ses énergies, il me semble que la toute première condition c’est d’admettre qu’on est à bout de forces. C’est à genoux, la coupe vide, les mains tendues, le cœur affamé, que l’on se présente devant celui à qui l’on adresse ses suppliques.
D’ailleurs, si seulement nous prenions la peine de placer nos existences sous les faisceaux lumineux du divin Sauveur, nous nous rendrions aussitôt compte de notre condition de nécessiteux sans ressource aucune, de notre condition de misère spirituelle, de notre absolu besoin d’obtenir grâce au lieu d’exhiber vertus et mérites… Suivre le Christ arrache une décision de total dépouillement, jusqu’à être en mesure de dire : « Si je vis, je vis par la foi au Fils de Dieu »; ou encore : « Si je vis, ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ en moi » (Ga 2.20). Une fois que nous aurons ressenti ce besoin vital d’obtenir sa grâce, d’être assurés de son pardon, d’être remplis de son Esprit, alors, nous saurons vraiment prier. C’est là la première, l’élémentaire et l’essentielle leçon pour prier correctement.
Soulignons également l’attitude qui devrait nous caractériser : une attitude de combat décidé, de lutte insistante, de persévérance acharnée, jusqu’à ce que nous puissions obtenir ce qui nous manque. La prière est une activité d’une telle intensité qu’aucune nonchalance ni routine ne peuvent la satisfaire. Si souvent nous considérons la prière comme n’étant qu’un doux moment de méditation… J’avoue que les prières qui m’ont le plus marqué ont été celles qui ont été prononcées avec une intensité douloureuse.
La prière n’est pas un bel exercice spirituel qui nous serait simplement donné pour retrouver le repos de notre âme et pour jouir de paisibles moments. Car si nous avons la joie de la prière d’action de grâces et que l’on peut aussi se reposer en Dieu dans la prière, il me semble que ce repos n’intervient qu’à la suite du combat que signifie toute prière…
Souvenez-vous des moments de prière de Jésus, combat spirituel inégalé devant la tombe de Lazare, angoisse mortelle à Gethsémané, lutte infatigable durant quarante jours et quarante nuits dans le désert, et chaque fois qu’il dut faire face à une situation critique durant son ministère. Un passage dans l’épître aux Hébreux résume admirablement cette pratique de la prière du Fils de Dieu, notre Seigneur : « C’est lui qui, dans les jours de sa chair, offrit à grands cris et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui pouvait le sauver de la mort » (Hé 5.7).
L’ombre d’un mystère plane au-dessus de la prière chrétienne; il est impossible de nous en dégager complètement. Tout n’est pas clair; pas toujours… Avec une totale liberté, nous nous approchons de Dieu pour le supplier et, si possible, infléchir sa volonté, notre esprit d’hommes et de femmes dépourvus de ressources, débiteurs, sans droits ni revendications face à l’Esprit de Dieu; notre volonté dressée en face de celle de Dieu… Comme le vieux patriarche Jacob dans sa lutte nocturne avec l’ange, même au prix d’être blessés durant le combat nous dirons : « Je ne te laisserai point partir sans que tu me bénisses » (Gn 32.27).
Je sais également qu’il existe une question qui torture nos esprits. Que devrions-nous demander pour que notre prière soit agréée? Nous avons prié sans cesse, avec persistance et insistance, comme nous y exhorte le Seigneur, et pourtant nous n’avons pas été exaucés. Laissez-moi vous rappeler que l’homme de la parabole de Jésus n’a pas prié pour des futilités, chose que nous faisons si souvent, mais pour un besoin précis et urgent. Il a demandé du pain, besoin vital pour lui-même et pour l’ami qui vient lui rendre visite. Cet homme n’a pas passé son temps à préparer une requête en des formes polies et fleuries, car il était pressé. Il se trouvait dans une situation qui ne tolérait pas de délai.
La prière n’est pas un moment de retraite spirituelle qui oublierait les soucis personnels, ceux de son entourage, les soucis du monde. Ne jouons donc pas des jeux hypocrites avec Dieu, comme si nous étions des êtres hyperspirituels, n’ayant nul besoin de lui adresser des requêtes. Au contraire, nous irons à lui tels que nous sommes. Nous avons des fardeaux, nos proches ont des fardeaux, le monde en est écrasé… Présentons-les avec hardiesse, sachant que nous avons quand même un accès libre auprès de lui (Ph 4.6).
À ce point, je me hâte quand même de vous mettre en garde. Il ne nous est pas permis de demander tout ce qui se passe dans notre tête. Certes, Dieu nous accorde plus que le pain quotidien, parfois il y met le beurre et y ajoute même de la confiture; ailleurs, il le fait accompagner par un dessert. Mais qu’il soit clair que nous lui demanderons principalement ce dont nous avons besoin pour vivre au jour le jour. Le pain et le vêtement, le toit au-dessus de notre tête, la santé et la force physique pour travailler, enfin, tout ce qui permet une existence normale, équilibrée, bien que pas forcément luxueuse. Puis-je aussi vous rappeler que la parabole de Jésus n’offre pas un enseignement systématique sur la prière? Elle en indique un aspect particulier, celui de la persistance.
C’est un exercice bien difficile que de prier; telle est la note qui ressort clairement de cet enseignement. Exercice parfois décevant. Souvent, Dieu nous paraît être comme ce voisin indifférent et insensible face à notre dramatique situation. Que de fois ne nous sommes-nous pas plaints : Nous entend-il, se moque-t-il peut-être de nous? Au lieu de l’œuf attendu, il tend une pierre! La prière peut parfois nous donner l’impression que Dieu nous a abandonnés… C’est l’amère expérience que semble avoir faite l’auteur du Psaume 22 : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné? » (Ps 22.2).
Sachons aussi que la prière n’est point une incantation et encore moins une baguette magique. Il y a aura peut-être de longs délais, mais lorsque la réponse ne nous parvient pas, ne cessons pas de prier.
Enfin, voici la marque essentielle, la marque lumineuse de toute prière : la confiance que nous ferons à Dieu. Jésus nous offre une assurance : « Demandez et il vous sera donné ». Dieu peut tarder, comme le voisin, dont l’indifférence est à la fin vaincue par l’insistance du suppliant. À combien plus forte raison Dieu n’agira-t-il pas en notre faveur! Lorsqu’il tarde, il nous prépare un don meilleur, une grâce plus grande, inattendue (És 54.7-8). Toute vraie prière est exaucée. À condition qu’en fin de compte nous soumettions notre volonté, volonté libre, insistante, persévérante, à la volonté souveraine de Dieu (Ps 18.6-16). Il nous est fait la grâce de prier. Il nous est déjà donné par le Saint-Esprit.