Matthieu 6 - Ne nous soumets pas à la tentation
Matthieu 6 - Ne nous soumets pas à la tentation
« Ne nous laisse pas entrer dans la tentation, mais délivre-nous du Malin. »
Matthieu 6.13
Liées étroitement ensemble, l’épreuve et sa délivrance constituent deux demandes distinctes de la sixième et dernière partie du Notre Père. L’une concerne notre préservation de la tentation; l’autre notre délivrance finale. Nous faisons ainsi un nouveau pas en avant, nous franchissons une nouvelle étape qui nous mène vers un état supérieur par rapport à celui de la demande du pardon des offenses. Il n’est pas inutile de se rappeler qu’on ne peut pas adresser cette requête à Dieu si on n’a pas obtenu au préalable le pardon. Car elle exprime notre ardent désir de marcher sur la voie de la sanctification totale. Sans la première, nous n’avons pas le droit d’attendre quoi que ce soit de la part de Dieu. Mais une foi délivrés de la tyrannie absolue du péché, nous devons comprendre que le Christ a offert sa vie non seulement pour nous libérer du mal, mais encore pour nous sanctifier totalement.
Dans l’original grec, le mot traduit par « tentation » n’a pas toujours le même sens. Parfois, il désigne une épreuve comme test de la vie. C’est l’épreuve qui donne sa qualité à la foi. Elle lui fait porter des fruits, selon la promesse biblique : « Heureux l’homme qui supporte l’épreuve, car après avoir été mis à l’épreuve, il recevra la couronne de vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment » (Jc 1.12). Dans ce cas, l’épreuve n’a rien d’étrange pour le croyant. Celui-ci devrait même s’en réjouir. Mais tout de suite après, le même mot possède un sens péjoratif. « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : C’est Dieu qui me tente. Car Dieu ne peut être tenté par le mal et ne tente lui-même personne » (Jc 1.13). Tout au long de cette étude, ainsi qu’à chacune des lectures du Nouveau Testament, on devra garder à l’esprit les deux sens du terme.
Épreuve et tentation sont cependant très proches l’une de l’autre. Leur seule différence consiste dans le but pour lequel survient chacune d’entre elles. La première nous est indispensable; la deuxième pourrait devenir inévitable. La tentation pourrait n’être, pour le chrétien, que l’épreuve subie pour sa foi. Il n’existe pas d’épreuve dans ce sens pour le non-chrétien. L’épreuve sous-entend immanquablement un élément positif pour celui qui en est l’objet.
Le chrétien doit être purifié et sa foi en Dieu fortifiée, tels l’or ou l’argent qui subissent l’épreuve du feu. La boue ou la pierre vulgaire n’en ont nul besoin. Ainsi, le non-chrétien n’a pas besoin d’être éprouvé. Il s’oppose à Dieu par nature et, dès lors, tout traitement bienveillant à son égard devient superflu. Le croyant, lui, est soumis à un test aussi longtemps qu’il reste « nouvelle création » en Jésus-Christ, dans la communion du Saint-Esprit, cherchant à produire de bonnes œuvres pour la seule gloire de Dieu. Le non-croyant ne connaît que la tentation, car, ainsi que nous l’affirmions plus haut, l’épreuve comporte l’amour de Dieu; elle atteste à notre cœur que Dieu nous aime, même lorsqu’il permet que nous traversions le feu ardent de l’épreuve.
Malgré les apparences, elle sera toujours éclairée par une lumière qui fait apparaître l’intention bienveillante de Dieu à notre égard. La tentation, elle, révèle la corruption totale de l’esprit humain asservi au mal et en révolte contre Dieu, l’offensant et transgressant sa sainte Parole. Faisons bien attention à ce point : si le croyant est éprouvé, et il l’est fréquemment, l’épreuve pourrait conduire à une tentation terrible à cause de la faiblesse de sa nature et de la fragilité de sa foi. En dépit de la nouvelle nature reçue, il n’est en principe qu’aux débuts de la vie nouvelle. Prenons l’exemple des premiers chrétiens qui se sont trouvés en face d’un choix redoutable : ou bien confesser le nom de Jésus-Christ comme le seul Seigneur, ou bien se soumettre aux exigences de César. Une telle épreuve pour la foi pourrait dégénérer, dans le cas des faibles, en une tentation diabolique. Si le but de l’épreuve est de révéler la vérité de Dieu, la tentation, elle, nous amène vers le mensonge. Elle vise à nous conduire au péché et à la révolte. Elle nous pousse à l’infidélité et nous livre à l’apostasie.
C’est à ce point-là qu’apparaît toute la tragédie d’Eden, celle qui se répète inlassablement dans chacune de nos existences personnelles. L’ordre de Dieu avait été motivé par son amour. La tentation du séducteur visait purement et simplement à la séparation, à la rupture de l’homme avec son Dieu. C’est pourquoi nous prions avec insistance de ne pas être induits en tentation.
Nous savons que nous n’en serons jamais totalement exempts à cause de la faiblesse de notre nature. Satan est présent, tel un lion rugissant rôdant autour de nous, cherchant qui dévorer, selon l’expression imagée qu’utilise l’apôtre Pierre pour décrire l’activité satanique (1 Pi 5.8). Il est le diviseur par excellence, l’adversaire de Dieu et de son Église. Cependant, le pouvoir du mensonge n’est pas aussi étendu qu’il l’était au temps de l’Ancienne Alliance. Le Christ, le Fils de Dieu, prend à présent la défense de son peuple racheté. Il détient le pouvoir absolu dans le ciel et sur la terre.
Satan cherche encore à tromper et à détruire le peuple de Dieu et nous le voyons toujours apparaître puissant et décidé, aux moments cruciaux de l’histoire : au jardin d’Eden, à l’aurore de l’humanité; plus tard dans la vie de Job, ou encore séduisant Judas Iscariote. À présent, il agit par personnes interposées. Il est entouré d’innombrables auxiliaires et suppôts, de légions entières de démons parcourant l’univers et assaillant les hommes sur ses ordres. Ainsi « nous combattons non pas contre le sang et la chair [c’est-à-dire la nature humaine], mais contre des dominations et des puissances, les principautés de ce monde », écrit l’apôtre Paul dans sa lettre aux Éphésiens (Ép 6.12). Notre combat est de nature spirituelle; par conséquent, il nécessite la mise sur pied d’armes spirituelles. Ajoutons à ce propos que l’Écriture sainte nous interdit toute curiosité malsaine à leur égard.
Elle nous avertit simplement des activités des forces démoniaques et elle nous met en garde contre elles. Elle trace aussi une ligne de démarcation et nous informe qu’au-delà de celle-ci nous tomberions irrémédiablement en territoire ennemi. Elle tire souvent la sonnette d’alarme et nous prévient que la zone dangereuse se trouve à proximité. Après Satan, le monde en tant que principe hostile à Dieu surgit comme un autre ennemi redoutable dont il faut nous méfier avec notre dernière énergie.
Il peut exercer sur nous un pouvoir de séduction si grand qu’il finit par nous induire en tentation. Les armes qu’il utilise sont multiples : l’erreur mêlée à la vérité, la convoitise, la fureur des hommes contre les enfants de Dieu, le ridicule ou la diffamation dont ils les entourent, ainsi que la déformation de la foi. Il arrive aussi que le monde dresse des potences et arrache les croyants à la vie.
Il existe enfin l’ennemi interne, cette « cinquième colonne » qui est notre propre inclination au mal, la poursuite de notre intérêt égocentrique nous opposant à Dieu ou nous soustrayant à son regard. Il est quasiment impossible d’échapper à cet ennemi subtil. Dès le matin, il est à pied d’œuvre. Il poursuit ses agressions dans la rue et dans notre lieu de travail et ne nous laisse pas de répit lorsque vient le soir. Le chrétien est informé que la tentation l’assaillira partout et de toute manière. Dieu nous tient au milieu de la fournaise, où il nous appelle à lutter. Il nous y prépare de façon à nous rendre aptes à remporter la couronne de la victoire. Dans cette requête, nous ne prions pas Dieu d’éloigner la tentation une fois pour toutes, car nous n’avons aucune garantie que Dieu nous préservera de toute tentation. Nous ne pouvons résister à la tentation qu’à condition que Dieu vienne à notre secours. Si Dieu n’est pas l’auteur du mal, il a le droit de nous conduire à travers des chemins difficiles dans l’intention de nous éduquer.
Quelle en est la raison? La principale est celle de nous apprendre une grande leçon : nous guérir de notre orgueil et de notre suffisance. Par son moyen, Dieu nous maintient dans l’humilité. Y a-t-il un péché que nous dissimulons soigneusement? Dieu nous laisse aller jusqu’au bout afin que nous en ressentions toute l’horreur. Marchons-nous au bord d’un précipice dangereux, sourds à ses avertissements? Dieu tolère que nous glissions afin de nous relever de notre chute et de nous éloigner des sites présentant trop de risques pour la sanctification de nos vies.
Jouons-nous avec trop de complaisance avec le feu? Il permet que nous brûlions, afin de purifier ce qui n’était en nous que souillure. C’est là une discipline sévère et un remède redoutable que nous ne sommes pas tenus de rendre nécessaires… C’est pourquoi nous devons prier. Prier avec l’assurance que la grâce suffisante de Dieu nous soutiendra dans nos combats, nous préservera des tentations, purifiera notre foi et nous rendra victorieux de sa propre victoire. « Veillez donc et priez », disait Jésus (Mt 26.41). « Priez sans cesse », répète et recommande l’apôtre Paul (1 Th 5.17). La prière est la seule arme efficace contre la tentation, le seul moyen de transformer l’épreuve en purification.
Le sens de la deuxième partie de cette dernière demande est plus large et implique encore davantage que la première partie. « Mai délivre-nous du Malin. » En tant qu’enfants de Dieu engagés sur la voie de la sanctification, nous désirons non seulement être à l’abri des assauts perfides du tentateur, mais encore en être complètement délivrés. Si la première partie n’est qu’une mesure provisoire, la deuxième cherche un état définitif. Nous nous trouvons dans un pays étranger et hostile, entourés de multiples embûches. L’adversaire est présent partout, cherchant à nuire et à détruire. Cette situation nous oblige à nous équiper de toutes les armes de Dieu. La grâce seule pourra nous préserver au milieu de la tentation et nous accorder la délivrance finale. Celui qui aspire au plus profond de lui-même à voir le jour où tous les adversaires de Dieu et de son Église disparaîtront, c’est-à-dire le péché, la mort et le Malin, peut prier dans cette attente : « délivre-nous du Malin ».
Du mal ou du Malin? Le terme utilisé dans le grec original peut être traduit par l’un ou par l’autre. Il est soit au neutre, et alors il s’agit du mal, soit au masculin, et dans ce cas il désigne le Malin, un personnage. L’ensemble du Nouveau Testament nous permet d’opter pour la deuxième traduction. Il s’agit d’être délivrés du Malin et non simplement d’un mal qui ne serait qu’une force impersonnelle. C’est à une personne diabolique que nous nous opposons, et nous prions pour être délivrés de son emprise. Il s’agit, vous vous en doutez, de Satan en personne. La délivrance du Malin nous fait penser en tout premier lieu à notre délivrance du péché et à la libération de toute transgression commise à l’encontre de la Parole de Dieu. Cependant, ne négligeons pas le fait qu’elle contient aussi la délivrance de la souffrance, de la maladie et même de la mort, qui sont les conséquences directes du péché. En un sens, notre prière n’est qu’une espérance eschatologique. Elle contient l’attente de la perfection de toutes choses et l’instauration de la création nouvelle, là où il n’y aura ni souillure ni douleur, où la nuit disparaîtra et les larmes provoquées par la souffrance tant physique que morale seront essuyées.
Est-il convenable que le chrétien prie de la sorte? Certains chrétiens estiment que la prière pour une telle perfection ne s’impose pas, parce qu’ils refusent de croire que le croyant a encore besoin d’être délivré du mal. D’après cette opinion, une telle prière ne convient qu’aux non-croyants, car, d’après eux, l’enfant de Dieu se trouve déjà à l’abri des traits enflammés du diable. À l’appui de leur thèse, ils évoquent les textes bibliques, parmi lesquels Romains 6, où il est question du péché dont le pouvoir est aboli. Cette idée n’a pas de fondement biblique. Songez combien il est difficile d’être chrétien. Si on vous présente une vie dans la foi facile, à l’abri de tout problème et avec la promesse de ne faire que des expériences merveilleuses, n’en croyez pas un mot. On vous trompe!
Être chrétien signifie être tiraillé entre deux forces opposées : celle de Dieu et celle de l’adversaire. L’une veut détruire, l’autre cherche à arracher à la perdition. Celui qui prétend être exempt de péché, de tout mal spirituel, doit avoir une piètre opinion de ce qu’est la perfection exigée par Dieu!
L’observation externe des commandements de Dieu ne suffit pas. Le péché ne consiste pas uniquement en ces actes que nous qualifions d’immoraux et que réprouve… la morale dite publique. Il est la distorsion du cœur et de nos pensées les plus secrètes. L’attitude perfectionniste cherche la solution au mal dans le comportement personnel, méconnaissant de la sorte la valeur décisive de la croix libératrice du Sauveur. C’est principalement sur ce point-là qu’apparaît l’erreur profonde des perfectionnistes. Elle contredit l’affirmation de l’Écriture au sujet de notre condition actuelle. Certes, le Seigneur attend de tous une sainteté analogue à la sienne, car « sans la sanctification personne ne verra le Seigneur » (Hé 12.14). Cependant, nous sommes déjà sanctifiés par le Christ qui a été fait pour nous sanctification aussi bien que rédemption, sagesse et justice (1 Co 1.30). La perfection que Dieu attend de nous est en principe celle dont seul l’homme régénéré peut donner la preuve. Aussi il peut et doit prier avec insistance et foi : « Délivre-nous du Malin. »
L’homme sans Dieu est déjà mort dans ses offenses; sa volonté est asservie et son intelligence obscurcie par le pouvoir du mal. Il est incapable de discerner entre le bien et le mal. Il préfère les ténèbres à la lumière, le mal au bien, l’incrédulité à la foi. Il ne cherche et ne désire aucune perfection; il se complaît plutôt dans la boue où il aime à se vautrer. L’Esprit de Dieu opère un tel changement en celui qui participe à la vie nouvelle, rendue possible grâce à la mort et à la résurrection du Christ, que désormais il pourra marcher vers la sainteté dont il sait combien il est éloigné. « Si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous » (1 Jn 1.8). Bien que l’ancienne nature demeure collée à notre personne tout entière, nous avons reçu un Esprit nouveau. Écoutons donc l’exhortation apostolique : « Revêtez l’homme nouveau » (Ép 4.24). Pour le revêtir, il nous faut combattre sans cesse contre ce qui obstrue la route et qui empêche la progression. Qu’il s’agisse de tentations démoniaques, d’agressions du monde ou de la faiblesse de notre propre cœur, nous devons désirer avant toute chose la progression sur le sentier étroit de notre sanctification.
Que le Seigneur nous vienne en aide afin de veilleur sur nous-mêmes. L’exaucement définitif et total de cette requête nous sera accordé lorsque nous aurons atteint le Royaume éternel. Là, en présence de Dieu et entourés des splendeurs divines, plus rien n’effacera ni ne ternira la gloire céleste réservée à ceux qui sont en Christ.
Dans l’attente de cette espérance glorieuse, nous pouvons et nous devons prier chaque jour « délivre-nous du Malin ». Sans Dieu et sans le secours qu’il met à notre disposition, nous ne pourrions pas mener une vie dans la foi. Il n’existerait ni sanctification ni service à la gloire de son saint nom.