La naissance d'en haut - D'après l'Ancien et le Nouveau Testament
La naissance d'en haut - D'après l'Ancien et le Nouveau Testament
- Le vocabulaire
- L’Ancien Testament
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Le Nouveau Testament
a. Les Évangiles synoptiques
b. Le quatrième Évangile
c. Les lettres de Jean et l’Apocalypse
d. Les lettres de Paul
e. Les lettres de Pierre
1. Le vocabulaire⤒🔗
Le terme régénération n’est pas fréquent dans l’Écriture. Deux textes seulement dans le Nouveau Testament en font usage : il s’agit de Matthieu 19.28 et d’Actes 3.28. Les lettres de Paul et la lettre aux Hébreux en expriment seulement l’idée sans utiliser le mot. Les mots grecs « anakainoô », « anakainôsis » et « ananéomai » ont un contenu précis. Ils désignent la réalité du salut opéré par le Christ, c’est-à-dire la transformation survenue dans l’existence du fidèle. Par son Esprit, Dieu renouvelle l’être de l’homme afin de le rendre docile à sa loi pour qu’il puisse vivre de sa seule grâce. Il le recrée d’après sa propre image en vue de la connaissance de la sainte volonté divine et afin de témoigner de sa vérité.
Avant de poursuivre notre étude, il serait utile de rappeler la distinction entre le côté subjectif du salut, c’est-à-dire une œuvre opérée, effectuée en nous, et la rédemption qui a été achevée par le Christ, en dehors de nous, et que nous appellerons son côté objectif. En contraste avec la première, cette dernière a été accomplie une fois pour toutes.
2. L’Ancien Testament←⤒🔗
L’Écriture révèle la nature totalement corrompue de l’homme. Cette idée nécessite une précision. La corruption totale n’est pas une corruption absolue. La « totalité » qui la caractérise est relative à tous les aspects de la personnalité de l’homme. En revanche, si elle avait été absolue, aucune régénération n’aurait plus été possible. La situation de l’homme serait irrémédiablement perdue. Il devrait renoncer une fois pour toutes à tout espoir de salut. La corruption caractérise l’homme placé sous le signe du péché et irrémédiablement asservi à cette puissance ennemie. Le péché n’est pas un aspect extérieur et isolé de sa personnalité; il est une force irrésistible asservissant tragiquement l’homme. Le péché n’est pas l’équivalent d’une faute morale; il est corruption religieuse totale. C’est pourquoi il lui faut un renouvellement total. Même si le pardon des offenses est la condition indispensable du salut, l’expiation des péchés ne suffirait pas pour affranchir l’homme déchu. Pour que ce salut soit réel dans son existence, il lui faut un esprit bien disposé.
La transgression du premier couple fut un acte apostat et, depuis celle-ci, ce qui est impur ne saurait produire des fruits purs (Jb 14.14). L’homme né de la femme est fondamentalement corrompu. L’iniquité exerce sur lui un tel pouvoir de séduction que ses seules forces ne sauraient pas y résister. Pour être pécheur, l’homme n’a pas besoin d’atteindre l’âge adulte, car, dès son berceau, il est atteint par le mal. De manière tout à fait naturelle, son cœur se détourne du bien pour se vouer au mal. Il est « conçu dans l’iniquité » (Ps 51.7); le mal est tissé dans son propre cœur. Chacun de ses actes est entaché de mal, chacun d’entre eux devient l’expression du fond perverti de son cœur rebelle à Dieu.
Pour l’Ancien Testament, « le cœur » est le centre et le moteur de toute la personnalité de l’homme. L’homme, pourrait-on dire, est cœur. Ce terme biblique est synonyme d’âme vivante. C’est ce cœur-là qui est corrompu et désespérément malade. Le remède ne peut lui être administré que de l’extérieur. Le seul espoir qu’il a d’être changé réside en une transformation opérée de l’extérieur. De même que le léopard ne peut pas se défaire de ses taches, ainsi l’homme naturel ne peut abandonner sans le secours d’en haut la voie sur laquelle il s’est égaré. Il ne lui suffit pas de purifier ses mains; il lui faut la purification du cœur, sa « circoncision » et un esprit qui soit bien disposé.
Parler à l’homme d’une telle transformation, c’est lui offrir la grâce d’une promesse divine. Or, elle est possible. Dieu permet à l’homme de se détourner de son mal et de l’implorer : « Crée en moi un cœur pur, renouvelle en moi un esprit bien disposé » (Ps 51.12). Il est assuré de l’exaucement de sa prière. L’invocation est possible grâce à la promesse qui la précède, car en s’engageant en faveur de l’homme, Dieu, sans exception aucune, le précède. Il entreprend la circoncision du cœur rebelle. Ainsi l’homme peut-il aimer de tout son cœur et réintégrer la communion brisée. Désormais, la loi sera inscrite non plus sur des tablettes de pierre, mais sur des tablettes de chair. Dieu a ôté le cœur de pierre et l’a remplacé par un cœur de chair, docile et entièrement renouvelé.
À cette possibilité de greffe d’un cœur nouveau s’ajoute, toujours d’après l’Ancien Testament, l’attente de l’accomplissement de la promesse messianique qui fait aussi partie de la régénération. Elle constitue même l’essentiel de l’espérance d’Israël. Le pardon des offenses faisait partie intégrante du salut proposé et accordé par le Dieu miséricordieux. Ce serait pourtant commettre une grave erreur que de limiter la régénération, même dans l’Ancien Testament, à son seul aspect objectif.
La rédemption n’est pas un acte purement extérieur; elle contient aussi une dimension subjective. Elle s’applique dans la vie du fidèle et se manifeste par les effets qu’elle produit dans sa vie. L’auteur du Psaume 51 annonce la purification symbolique, mais ne se borne pas à en faire le rappel. Il oriente le regard vers un autre aspect, plus vital encore que le premier : le renouveau intérieur et le fait de reconnaître la perversion de son être. À cet endroit, nous lisons une expression assez forte pour l’Ancien Testament. Le psalmiste demande la création d’un esprit nouveau; il supplie Dieu de le placer dans une situation entièrement nouvelle, radicalement différente de sa condition antérieure caractérisée par l’asservissement au mal. Ainsi que nous le faisions remarquer, le cœur désigne l’homme dans sa totalité et non pas seulement sa conscience morale. Le psalmiste ne prie pas uniquement Dieu pour être délivré de la faute qui le torture; sa requête ne se borne pas à vouloir obtenir un salut purement extérieur; sa prière est surtout une aspiration profonde et dramatique à voir se réaliser en lui une transformation intérieure. Cependant, outre la nouvelle prise de conscience, la promesse prophétique de régénération annonce également ce qui constitue une partie, voire une composante essentielle du salut, à savoir le renouveau national ainsi que la restauration cosmique future (És 65.17-25; 66.22; Jr 31.31-34; 32.38-40; Éz 36.26-28; Os 6.1-3).
Le célèbre passage de Jérémie 31 éclaire pour la première fois de manière explicite la réalité de la Nouvelle Alliance promise, qui sera la condition préalable pour que la loi soit inscrite dans le cœur. Dieu a l’intention de produire un effet subjectif dans la vie des siens. En vertu de son œuvre « intérieure », les impulsions les plus profondes et les instincts les plus profondément enracinés se tourneront du côté de Dieu et se convertiront à lui.
Si l’Ancien Testament a fait ressortir avec autant de clarté la réalité de la corruption totale de la nature humaine en état de chute, il n’en souligne pas moins la promesse du renouveau qui attend aussi bien les individus que les nations, le monde visible et la création dans sa totalité. L’Esprit de Dieu est chargé de cette opération-là. On peut en déduire que l’intervention spécifique de l’Esprit est en quelque sorte le couronnement de l’œuvre messianique.
3. Le Nouveau Testament←⤒🔗
Le Nouveau Testament souligne également la corruption totale de l’homme. Mais à l’instar de l’Ancien Testament, il annonce également le renouveau. Dans un vigoureux élan doxologique, l’apôtre Pierre en rend compte :
« Béni soit Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, qui selon sa grande miséricorde nous a régénérés pour une espérance vivante, par la résurrection de Jésus-Christ d’entre les morts pour un héritage qui ne peut ni se corrompre, ni se souiller, ni se flétrir » (1 Pi 1.3).
Quelles sont, d’après le témoignage du Nouveau Testament, les données essentielles de la régénération? Examinons analytiquement ces différentes parties.
a. Les Évangiles synoptiques←↰⤒🔗
Le terme « palingenesia », que nous traduirons par renouvellement, renaissance ou régénération, apparaît pour la première fois dans Matthieu 19.28. Dans ce passage, il est associé au renouvellement eschatologique de l’univers. Dans les synoptiques, Jésus fait de fréquentes allusions aux promesses messianiques de l’Ancien Testament. Lors de son premier discours public, il s’est annoncé comme celui en qui les promesses anciennes sont accomplies. Il est le dispensateur de l’Esprit Saint accordant la vie nouvelle. Le renouvellement dont il est de nouveau question ici vise les mêmes objectifs que l’Ancien Testament, c’est-à-dire le cœur de l’homme.
On remarquera sur ce point une différence notable entre la prédication de Jésus et celle de Jean-Baptiste. Ce dernier ne baptise que d’eau. Jésus, quant à lui, baptisera d’Esprit. La repentance, qui est symbolisée pour les baptisés de Jean par leur immersion dans les eaux, apparaîtra comme effective dans le baptême en Esprit pratiqué par Jésus. Nous verrons plus loin que la repentance n’est ni un vain regret sur un passé révolu ni une modification superficielle du comportement externe. Elle implique le changement de l’intelligence (« métanoia »). L’Esprit produit en l’homme régénéré des œuvres dignes de repentance. Aussi peut-on s’attendre à un renversement radical de l’attitude mentale dont la conduite extérieure fournira une preuve suffisante.
À vrai dire, les synoptiques (Matthieu, Marc et Luc) ne sont pas prolixes au sujet de l’Esprit rénovateur. Ainsi que nous le constations dans le chapitre traitant des aspects bibliques de l’œuvre de l’Esprit, il est le don que le Père accorde à ceux qui lui en font la demande. Parce qu’il est le principe même de sainteté, ce serait commettre le péché impardonnable que de le confondre avec des esprits impurs. Matthieu reprend à son compte une grande affirmation de l’Ancien Testament : « Vous serez saints comme je suis saint » (Lv 11.44; 19.2). La version de l’Évangile en devient : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5.48). La perfection chrétienne ne concerne pas uniquement la conduite extérieure, elle est encore une disposition intérieure totale.
Le sermon sur la montagne (Mt 5 à 7) cherche précisément à approfondir l’idée de la justice et à nous faire constater qu’aussi bien dans le cœur, le for intérieur, que dans ses manifestations extérieures, le péché se trouve face à l’exigence de la justice divine absolue. C’est pourquoi les pharisiens sont durement traités par Jésus et qualifiés de sépulcres blanchis. Leur piété religieuse, tout à fait superficielle, est tournée en dérision. À ses yeux, la purification authentique est une affaire du cœur. Ce n’est qu’à cette condition que la purification extérieure pourra en être le signe.
Les synoptiques ont un récit parallèle à l’entretien du Seigneur avec Nicodème. Il s’agit de la rencontre du jeune homme riche avec Jésus (Mt 19.16; Mc 10.17-31; Lc 18.18-30). Quelle que soit la forme dans laquelle chacun des trois évangélistes rapporte cet incident, l’essentiel en rappelle la célèbre conversation de Jean 3. Le jeune homme s’est rendu auprès de Jésus pour plaider, serait-on tenté de dire, en faveur de sa morale religieuse. Certes, il est animé d’une disposition louable. Jésus saisit pourtant l’occasion de signaler à ses disciples la difficulté que soulève la richesse pour l’entrée dans le Royaume. La possibilité du salut implique quelque chose de profond qui ne peut dépendre que de la seule intervention puissante et directe de Dieu.
Ce n’est pas un hasard si cette rencontre et ce dialogue entre Jésus et le jeune homme riche ont été précédés du récit de la bénédiction accordée à des petits enfants; Jésus déclare : « Le royaume de Dieu est pour leurs pareils » (Lc 18 .16). Il signale donc que le Royaume ne fait pas l’objet d’une transaction morale. Aucune qualité « religieuse » ne peut se réclamer des mérites et des droits. Celui qui y aspire devra ressembler à un petit enfant nouveau-né venant au monde dans le plus total dénuement.
Nous pensons que ces deux incidents offrent une parfaite illustration de la nouvelle naissance. Si l’accès au Royaume est fermé, la raison en est la situation dans laquelle se trouve l’homme naturel. L’accès n’est possible que par l’élection, par l’appel efficace et grâce à l’opération de l’Esprit.
b. Le quatrième Évangile←↰⤒🔗
Dans un chapitre précédent1, nous avons eu l’occasion d’examiner seulement en partie l’abondant matériel relatif à la personne et à l’œuvre du Saint-Esprit tels que nous les présente le quatrième Évangile. Examinons dans le présent paragraphe un passage qui a plus spécialement trait à notre sujet, c’est-à-dire l’entretien de Jésus avec Nicodème (Jn 3.1-21).
Nicodème vient trouver Jésus de nuit! Selon une certaine tradition rabbinique, la nuit était le moment le plus propice pour étudier la Torah. Nicodème savait que l’heure nocturne convenait parfaitement pour un entretien religieux avec le Maître. Ne l’accablons donc pas trop, ou trop vite, de lâcheté pour avoir choisi la nuit par crainte des collègues susceptibles de l’accuser de connivence avec « l’imposteur ». En outre, dans l’Évangile selon Jean, nuit et ténèbres ont une connotation spirituelle particulière. Sans chercher à imposer à ce terme un sens grossièrement allégorique, nous pensons qu’il est permis de souligner celui-ci dans le cas de Nicodème. Cette visite « de nuit » met plutôt au grand jour sa situation religieuse réelle.
Nicodème appartient à la haute classe du judaïsme. Il est chef religieux, probablement membre du Sanhédrin, la haute cour religieuse composée de sadducéens (des prêtres), de pharisiens (des scribes ou docteurs de la loi) et de membres « laïcs » du judaïsme de Jérusalem. Nicodème est pharisien; il représente donc parfaitement le meilleur de la religion juive. Comme d’autres Juifs pieux, il aspirait sans doute à son tour à l’avènement du Royaume. Peut-être voulut-il savoir l’opinion de Jésus à ce sujet et obtenir une réponse à son pourquoi.
Étant donné que la réponse de Jésus le laisse supposer, on peut penser qu’il fut aussitôt question de Royaume. Sans tergiverser, Jésus rappelle aussitôt à son illustre hôte l’urgence de passer par la nouvelle naissance.
Parmi les écrits du Nouveau Testament, ceux de Jean sont les seuls à employer cette expression (voir des équivalents dans 1 Pi 1.3; Jc 1.18; Tt 3.5, en la liant au Saint-Esprit).
Malgré toute son érudition religieuse de l’Ancien Testament, Nicodème n’a pas une idée claire de ce qu’il s’agit, ni même aucune idée. Il ne se rend pas compte que celle-ci n’est possible que « anothen », d’en haut, et que Jésus lui indique une réalité totalement spirituelle. Jésus ne parle nullement d’une naissance nouvelle au sens d’une seconde naissance, mais d’une naissance d’en haut. Sans elle, on ne saurait se réclamer du Royaume. Le Seigneur ne signale pas à son interlocuteur ses défauts et ses lacunes psychologiques. Comme tout autre juif pieux, Nicodème n’y aurait pas objecté. Cependant, il ne se rend pas suffisamment compte de l’extrême gravité de sa situation. La chair ayant concentré en elle toute l’incompétence de la créature à se présenter telle quelle devant Dieu, seule une purification totale peut le délivrer de la pollution dans laquelle il baigne en dépit de sa religion moraliste très élevée. C’est pourquoi il lui faut une naissance d’en haut, à partir d’eau et d’Esprit.
Selon John Murray, l’eau représente ici l’aspect purificateur de la régénération qui efface le passé et construit l’avenir. Cette eau, qui, pourrions-nous dire, a fait… couler tant d’encre théologique, était le signe religieux de la purification sans laquelle aucun Israélite ne devait espérer ni purification ni communion avec le peuple élu. Jésus connaît la classe religieuse de son éminent interlocuteur ainsi que sa théologie et le rôle prépondérant de l’eau dans les pratiques du judaïsme de son époque. Aussi explique-t-il la nécessité de la purification comme condition d’accès unique et incontournable au Royaume (És 32.15). Mais la source effective se trouve en haut.
S’il insiste sur l’urgence qu’il y a de naître de nouveau, il en indique aussi simultanément les modalités. L’homme demeure passif comme lors de sa naissance physique. Outre l’eau, il y aura aussi l’effusion de l’Esprit avec son effet purificateur (És 36.25). Sans doute Jésus a-t-il en vue ce passage de l’ancien prophète. Cette activité de l’Esprit est bien mystérieuse. L’activité recréatrice et régénératrice de l’Esprit reste au-delà de l’intelligence et de tout contrôle humain. Elle apporte dans le monde d’ici-bas le souffle du monde d’en haut et elle fait des hommes spirituellement morts des âmes vivantes. De même qu’on ne sait pas bien expliquer le mouvement du vent, mais qu’on en subit quand même les effets, ainsi, si les origines de la naissance d’en haut dépassent notre entendement, ses effets n’en sont pas moins visibles. Il est indispensable que nous lisions et étudiions ce passage en rapport avec Jean 7.37-39, où il est question de vie abondante.
Le fidèle est le bénéficiaire d’un acte rédempteur miraculeux, car la chair n’engendre que la chair. Nicodème, et d’autres à sa suite, s’étonnent de l’étrangeté d’une telle exigence. Il s’agit d’une véritable révolution. La personnalité comme telle ne change pas. Seule la nature est transformée. Désormais, l’homme est animé d’un autre Esprit.
Notons que l’expression « d’eau » (« ex hudatos ») désigne le baptême non pas en tant que cause de la nouvelle naissance, mais comme signe extérieur lui rendant témoignage. Le baptême n’a pas le pouvoir de régénérer. Seul l’Esprit régénère. Ceci saute d’autant plus clairement aux yeux que l’axiome « ce qui est né de l’Esprit est esprit » est prononcé à cette occasion à propos du baptême d’eau. D’après ce passage et d’autres passages du Nouveau Testament, il est impossible de considérer le baptême d’eau comme cause de régénération. Il ne peut pas coïncider automatiquement avec cette dernière. Si cela était le cas, la régénération dépendrait entièrement de l’eau baptismale et non plus de l’opération du Saint-Esprit. Dans son commentaire sur Jean 3.5, Calvin écrit :
« Ce passage a été exposé en diverses sortes. Car d’aucuns ont pensé que les deux parties de la régénération sont ici distinctement exprimées; et que par ce mot “d’eau” est dénoté le renoncement du vieil homme, et par “l’Esprit” ils ont entendu la nouvelle vie. Les autres pensent qu’il y a ici tacitement une antithèse et une opposition, comme si le Christ opposait l’eau à l’Esprit, comme des éléments purs et liquides à la nature des hommes terrestre et grossière. Ainsi ils prennent ceci par allégorie, comme si le Christ nous commandait de dépouiller la pesante masse de la chair qui ne fait que nous charger, et d’être faits semblables à l’eau et à l’air, afin que nous tendions en haut, ou pour le moins que nous ne soyons pas tant appesantis vers la terre. Mais il me semble que ces deux opinions ne sont point à propos de l’intention du Christ.
Chrysostome, avec lequel la plus grande partie s’accorde, rapporte le mot d’eau au baptême. Ainsi le sens serait que nous avons une entrée au royaume de Dieu par le baptême, d’autant que là l’Esprit de Dieu nous régénère. Il en est advenu qu’on a constitué une nécessité précise du baptême pour l’espérance de la vie éternelle. Mais encore que nous accordassions que le Christ parle ici du baptême, il ne faut pas toutefois tant insister sur les mots et les prendre au pied levé, comme on dit, que de penser que le Christ veuille enclore le salut dans le signe extérieur; mais plutôt il conjoint l’eau avec l’Esprit, d’autant que, sous ce signe visible, il atteste et scelle la nouveauté de vie, que Dieu seul fait en nous par son Saint-Esprit. Il est bien vrai que nous sommes déboutés du salut si nous méprisons le baptême; et en ce sens, je confesse qu’il est nécessaire; mais c’est mal entendre la chose, quand on enclôt sous ce signe la confiance du salut.
Or, quant au présent passage, on ne saurait me faire accroire que le Christ parle du baptême; car cela n’eût pas été encore bien à propos. Car il faut toujours avoir mémoire de l’intention du Christ que nous avons déclarée ci-dessus : à savoir qu’il a voulu exhorter Nicodème à la nouveauté de vie, d’autant qu’il n’était point capable de l’Évangile, jusqu’à ce qu’il commençât à être un nouvel homme. C’est donc une sentence simple : qu’il faut que nous naissions derechef, afin que nous soyons de Dieu, et que le Saint-Esprit est auteur de cette seconde régénération. Car, comme Nicodème pensait ici à la régénération dont rêvait Pythagore, qui imaginait que les âmes après la mort de leurs corps entraient dans des autres corps, le Christ, pour lui ôter cette erreur, a ajouté par manière d’interprétation que ce n’est point une œuvre qui se fait naturellement, que les hommes naissent derechef, et qu’il n’est point besoin qu’ils vêtent un autre corps; mais que c’est renaître, quand ils sont renouvelés d’entendement et de cœur par la grâce du Saint-Esprit.
Ainsi il a mis l’eau et l’Esprit pour une même chose. Et cela ne doit point être trouvé dur ni contraint. C’est une façon de parler fréquente et commune dans l’Écriture, que quand il est fait mention du Saint-Esprit, pour exprimer sa puissance, le mot d’eau ou de feu y est ajouté. Nous avons déjà vu assez de fois que c’est le Christ qui baptise de Saint-Esprit et de feu là où le mot de feu ne signifie rien d’autre que le Saint-Esprit, mais montre seulement quelle est son efficacité en nous. Et, quant à ce que le mot d’eau est ici mis le premier, cela n’importe pas beaucoup quant à la substance du propos. Qui plus est, cette manière de parler coule mieux que l’autre; à savoir d’autant qu’après la métaphore et la similitude, le propos est couché simplement et apertement. Comme si le Christ disait que nul n’est enfant de Dieu, jusqu’à ce qu’il soit renouvelé par l’eau; et que cette eau est le Saint-Esprit qui nous purifie, et répandant sa puissance sur nous, inspire une vigueur de vie céleste, au lieu que de notre nature nous sommes tout à fait secs.
Et à bon droit le Christ amène ici une forme de parler commune à l’Écriture, afin de reprocher à Nicodème son ignorance. Car Nicodème devait à la fin connaître que ce qui avait été dit par le Christ était pris de la doctrine commune des prophètes. Ainsi donc, l’eau n’est autre chose que la purification intérieure et l’inspiration de vigueur, qui se font par le Saint-Esprit. De plus, ce n’est point une chose nouvelle que le mot “et” se prenne pour “c’est-à-dire”; à savoir quand le membre de phrase subséquent est la déclaration du précédent. La suite même du texte confirme aussi mon opinion. Car, quand le Christ ajoute aussitôt après la raison pourquoi il nous faut renaître, sans faire mention de l’eau, il enseigne que la nouveauté de vie qu’il requiert gît au Saint-Esprit seulement; il s’en ensuit que l’eau ne doit pas être séparée d’avec l’Esprit.2 »
c. Les lettres de Jean et l’Apocalypse←↰⤒🔗
L’idée de la régénération revient fréquemment dans les écrits de Jean, notamment dans sa première lettre. Quiconque est né de nouveau ne commet pas de péché; sa semence, celle de Dieu, demeure en lui, car il est né de Dieu (1 Jn 3.9). Il est son enfant non seulement au sens juridique comme enfant adopté, mais encore en un sens spirituel et éthique, puisqu’il participe à la vie même de Dieu (1 Jn 5.18-19). Remarquons que, contrairement aux lettres de Paul qui offrent des explications théologiques, celles de Jean possèdent un caractère nettement éthique. En ce qui concerne le comment de la régénération, les lettres soulignent principalement les conséquences qui en découlent. D’où la place importance qu’occupe l’amour de Dieu, qui devra se substituer à celui du monde (1 Jn 2.15-16; voir Jn 5.42-44).
Si le Nouveau Testament reconnaît la corruption totale de l’homme, comme nous l’avons vu dans les paragraphes précédents, il insiste néanmoins plus fortement encore sur sa régénération. Celle-ci aussi l’affecte totalement. La manifestation de la puissance divine est totale, comme dans la vie du Christ (Rm 12.2; Ép 4.23; Col 3.19; Tt 3.5; 1 Pi 2.22).
La régénération individuelle est introduite dans les lettres de Jean comme la contrepartie, voire comme l’anticipation certaine de la rénovation cosmique et eschatologique. Elle est le fruit de l’effusion de l’Esprit qui sera effectuée à la fin des temps (Jl 2.22; Ac 2.16). Elle est visible aux yeux du croyant et est accordée comme le gage des grandes choses que nous attendons pour devenir semblables au Christ (2 Co 3.18).
Quelques mots seulement au sujet de 1 Jean 2.20-27 et 3.24. Il est rappelé que l’œuvre illuminatrice de l’Esprit, qui déverse sa lumière dans la conscience, est la pure lumière des principes éternels, des vérités de la grâce; elle fait de l’enfant de Dieu une nouvelle création, un prêtre et un roi.
L’autre passage parle de croire au nom du Fils et de s’aimer les uns les autres. Une référence explicite est faite au Saint-Esprit. Il y est affirmé que l’Esprit demeure en nous (« ek tou pneumatos »). De cela sont tirées des preuves convaincantes (le contexte immédiat en donnera en partie l’explication). Il s’agit de l’amen accordé à la révélation et de la gloire du Fils incarné.
Dans les autres parties du Nouveau Testament, nous trouverons le reste de la réponse. Notre volonté sera en accord avec la sienne; elle manifestera les fruits de l’Esprit. Rappelons-nous que sa volonté est précisément notre sanctification.
Le livre de l’Apocalypse décrit également la gloire de l’opération présente de l’Esprit. Il abonde en mentions et en références au sujet de l’Esprit. Celles-ci commencent à partir d’Apocalypse 1.4 par la mention des sept esprits, le Saint-Esprit dans sa perfection divine qui est avec le Père et le Fils source de grâce et de paix (Ap 21.17). L’Esprit avec l’épouse dit : « Viens, Seigneur Jésus » (Ap 22.20). Par ailleurs, dans les chapitres 2 et 3, la voix du Christ peut s’identifier parfaitement avec celle de l’Esprit.
Dans Apocalypse 5.6 (et 3.1), le Sauveur apparaît dans sa gloire après les blessures subies sur la croix. Il a sept yeux qui sont les sept esprits que Dieu a envoyés sur toute la terre. Le chiffre sept désigne la perfection de l’Esprit. C’est là une image audacieuse, mais qui comporte plusieurs vérités concernant le rapport du Saint-Esprit avec le Seigneur et sa présence au sein de l’Église. C’est le rappel du rapport intime entre le Fils et l’Esprit ainsi que celui entre leurs œuvres respectives. L’Esprit de la perfection est la puissance qui fortifie l’homme intérieur (Ép 3.16-17), afin que le Christ puisse vivre dans nos cœurs avec toute sa perfection; c’est l’Esprit qui fait de nous un seul corps, celui du Christ (1 Co 6.17), qui unit le croyant à la tête (Ép 4.4). Il n’est plus possible d’avoir avec le Christ glorifié un contact physique, mais la relation s’établit par la médiation de son Esprit. Là où est l’Esprit, là est le Seigneur et son corps.
d. Les lettres de Paul←↰⤒🔗
Bien que le terme comme tel n’apparaisse pas dans les écrits du grand apôtre, l’idée n’en est pas pour autant absente. Deux termes lui sont particuliers. L’un d’eux décrit le mouvement amorcé du côté de l’homme, l’autre exprime l’œuvre divine. La repentance (« métanoia ») et ses synonymes proches en grec (« métamélesthai », « épistréfein », « épistrofè ») désignent la part prise par l’homme dans le changement intervenu. Un autre groupe de mots (« genesthai anothen », « ek théou », « ek pneumatos », « palingenesia », « agenesais apokuesthai », « anakainousthai », « anakainôsis ») décrit l’opération souveraine divine. L’homme se repent afin de se convertir à Dieu, mais c’est Dieu qui le renouvelle et l’appelle à la nouveauté de vie. La transformation qui apparaît aux yeux de l’homme comme le changement de sa vie (« épistréfein ») se traduit ordinairement en français par conversion; elle se fonde sur le changement radical opéré par l’Esprit. La « métanoia » est causée par celui qui sonde le cœur et contrôle tous les mouvements de l’âme.
C’est pourquoi le terme « ktisis » (création) revient si souvent sous la plume de l’apôtre. « Ktizein » (créer) renvoie ainsi à l’œuvre divine, exprimée par le terme « genesthenai anothen » ou bien « pneumatos », le fruit de son opération (« poièma », œuvre, création). L’homme nouveau est créé en Christ, en vue des bonnes œuvres préparées d’avance pour lui (Ép 2.10). Nous nous trouvons ici indéniablement en présence d’une certaine coopération entre Dieu et l’homme. Cependant, il s’agit d’une coopération uniquement au sens de complémentarité, voulue et réglée par Dieu. Si synergisme il y a, l’initiative en revient à Dieu. Car tout vient de lui. Son action se fonde sur son pouvoir qui opère selon son bon plaisir (Rm 1.19). L’homme nouveau est créé (« ktisthenta ») dans la justice, la sainteté et la vérité (Ép 4.24). Il rappelle et il reflète l’image de celui qui l’a créé (« ton ktisthenta auton », Col 3.10).
L’exhortation à revêtir l’homme nouveau ne veut pas laisser entendre que l’homme repenti serait l’artisan et le responsable de sa nouvelle création. Au contraire, elle va aussi vers la même direction. Parce que Dieu opère le vouloir et le faire, l’apôtre peut dire aux Philippiens de travailler à leur propre salut (Ph 2.13). Deux autres passages (Ép 4.23; Rm 12) nous permettent de saisir à la fois la nature du renouveau et celle de notre coopération (« katergazesthai ») : la coopération n’annule ni l’action divine ni son initiative. L’« anakainôsis » (renouvellement) est parallèle à la « métanoia » (repentance) qui est comprise elle aussi comme don de Dieu (2 Tm 2.15). Dans la pensée de Paul, la régénération individuelle est associée à la rénovation cosmique.
C’est l’appel de Dieu, la « klèsis », qui est décisif, et non la conversion, l’« épistréfein ». Cette certitude remplit l’apôtre d’une joie débordante. S’il se reconnaît comme le premier des pécheurs, il se sait également le porteur d’une identité nouvelle (1 Tm 1.15). Dans Éphésiens 3.8, il fait ressortir le contraste entre son indignité antérieure et le privilège de sa position actuelle à laquelle Dieu l’a appelé. S’il exprime son regret d’avoir jadis été du nombre de ceux qui persécutèrent l’Église (1 Co 15.9-10), il ne cesse pas pour autant de se reconnaître sous une identité totalement renouvelée. Il ne rumine pas sur un passé irrémédiablement révolu. Il a appris à laisser le passé derrière lui et à courir en avant. Car là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. Il ne se vante que de sa faiblesse (2 Co 4.7). Ayant été régénéré, il possède une image de soi et une identité entièrement nouvelles. Devenu une nouvelle création, il ira jusqu’à exhorter ses lecteurs à devenir ses imitateurs.
C’est à tort qu’on présente l’apôtre comme un écrivain pessimiste et négatif dans son appréciation de la nature humaine. Certes, il a dû mesurer tout l’abîme du péché; il ne cherche pas pour autant à écraser le pécheur avec ce sadisme théologique propre à tant de spiritualistes et piétistes apparus par la suite. S’il se rappelle sans cesse de la gravité de son péché, ce rappel lui fournit l’occasion de déclarer aussitôt la grandeur insurpassable de la grâce qui efface tout le mal. Si les forces du Malin ne cessent d’agir, la grâce, elle, ne demeure pas passive. Son énergie surpasse de loin celle du prince des ténèbres. D’ailleurs, dans le vocabulaire biblique, grâce est synonyme de force. Qu’on ne se décourage point, la restauration finale ne tardera pas à apparaître. L’Esprit Saint nous est donné comme arrhes de la rédemption finale. Par la foi en Christ, l’apôtre est transformé selon l’image du Fils, de gloire en gloire.
e. Les lettres de Pierre←↰⤒🔗
Dès le début de sa première lettre, saint Pierre annonce la réalité de la régénération. L’expérience des convertis venant du paganisme était identique à celle des convertis du judaïsme. Ils étaient passés des ténèbres à la lumière. Le contenu de sa lettre relève le contraste radical entre leur ancienne manière de vivre et le nouveau mode de vie chrétien. À présent, les fidèles évoluent autour de l’orbite de l’Esprit. Ils ont été transportés de la mort à la vie. Ils sont ensevelis avec le Christ, mais également ressuscités avec lui. C’est dans 1 Pierre 1.23-25 que l’apôtre développe le mieux l’idée de la régénération, depuis les débuts mystérieux dans les cœurs jusqu’à la croissance en une activité consciente. Il mentionne des facteurs extérieurs ayant contribué au changement. Ces éléments sont au nombre de trois : la semence, la parole et la proclamation.
Un premier point à noter, nous avons été engendrés à partir d’une semence incorruptible. La semence constitue le début d’une vie. C’est un commencement, non pas au sens de début d’une série, par exemple celle d’un alphabet, mais celui d’un principe contenant en soi la totalité de la réalité qui va suivre, tel le gland qui contient le chêne tout entier ou comme la semence humaine, dans laquelle l’enfant à naître est en puissance déjà présent. En tant que principe d’une vie nouvelle entièrement sanctifiée, la vie nouvelle plantée dans le cœur du pécheur au moment de la régénération se distingue de l’ancienne vie de triple manière : d’abord, par sa sainteté et son incorruptibilité, à l’opposé même de la vie naturelle corrompue et immorale d’antan; ensuite, du fait qu’elle est immortelle, ce mot possédant ici un sens différent de celui du langage courant. Au sens biblique, l’homme pécheur ne peut prétendre à l’immortalité, car immortalité n’est pas synonyme d’existence éternelle, mais de vie éternelle. C’est une telle vie qui est implantée en l’homme régénéré. Enfin, elle est aussi une vie céleste. « L’homme charnel » ne possède qu’une vie terrestre, tandis que celle du croyant est cachée en Christ, en Dieu, dans les lieux célestes. Lorsque le Christ apparaîtra, elle aussi apparaîtra.
Ce passage traite ensuite de la Parole vivante qui demeure. Celle-ci est effective dans la vie du pécheur. Remarquons qu’il n’est pas question en principe de la Parole proclamée. Ainsi, la semence implantée par l’Esprit se développera en activité consciente. Un tel développement se fait grâce à la Parole vivante. Comme l’enfant est doté de tous les facteurs qui plus tard feront de lui un adulte, ainsi tout ce que le chrétien sera se trouve en principe déjà en lui. La semence devra croître, ce qui ne se conçoit que grâce à l’effet produit par la Parole qui vivifie au point de la faire parvenir à la naissance nouvelle. Lors de la régénération, la possibilité de croire est accordée, implantée dans la vie de l’élu. Ce n’est que par l’intermédiaire efficace de la Parole vivante et opérante de Dieu que la possibilité de croire se transforme en foi consciente. Cette foi saisit la grâce en Christ et se met au bénéfice de son œuvre.
Finalement, la proclamation de la Parole introduit le Christ dans le cœur de l’homme. Sans elle, la conscience individuelle ne connaîtrait pas le Sauveur et ne pourrait pas participer à la régénération.
Les distinctions que nous venons de relever ne devraient pas être prises comme des successions chronologiques intervenant dans le processus de notre régénération. Elles sont plutôt une présentation logique, ou théologique, de l’œuvre de la rédemption. Les petits enfants ne peuvent entendre la Parole prêchée qu’une fois devenus adultes. Il n’en demeure pas moins vrai qu’ils peuvent être régénérés avant qu’ils aient à prendre conscience de la grâce, à cause de la semence implantée et de la Parole vivante qui leur permettra de croître de manière active.
Notes
1. Voir notre article Le Saint-Esprit dans l’Évangile de Jean.
2. J. Calvin, Commentaire sur le Nouveau Testament; Évangile selon saint Jean. Labor et Fides, Genève, p. 74-76.