Cet article a pour sujet la régénération qui est nécessaire à cause de la corruption de l'homme et qui est l'oeuvre surnaturelle du Saint-Esprit produisant une transformation profonde et radicale dans la vie du croyant.

Source: Essai sur le Saint-Esprit et l'expérience chrétienne. 6 pages.

La naissance d'en haut - L'oeuvre divine de la régénération

  1. Introduction
  2. La corruption totale
  3. La régénération

1. Introduction🔗

Dans l’ordre ou la séquence théologique du salut, la pensée réformée place la doctrine de la régénération en tête, suivie et complétée par celle de la foi, de la justification, de l’adoption, de la sanctification et de la glorification. Pour commencer, le pécheur choisi, élu comme objet de la grâce, est régénéré; ce n’est qu’ensuite qu’il peut croire en Christ et être justifié par la foi seule, devenant ainsi citoyen du Royaume, enfant adopté de la famille de Dieu, sanctifié aussi bien en son corps qu’en son esprit et finalement transféré à la gloire divine. Ceci est l’ordre logique dans lequel la grâce produit les faits principaux de l’expérience chrétienne.

Nous avons vu que la grâce est la cause efficace de l’ensemble du phénomène appelé expérience chrétienne. Or, le tout premier pas en est la régénération. Rappelons les termes de la Confession de foi de La Rochelle :

« Étant asservis au péché de par notre nature corrompue, nous croyons que c’est par cette foi que nous sommes régénérés, afin que nous vivions d’une vie nouvelle. En effet, c’est en nous appropriant la promesse qui nous est faite par l’Évangile, à savoir que Dieu nous donnera son Saint-Esprit, que nous recevons par la foi la grâce de vivre saintement et dans la crainte de Dieu.1 »

La régénération connote le changement révolutionnaire opéré dans la nature humaine. Elle est l’acte divin qui transforme le cœur pécheur et le rend capable d’accueillir le Sauveur. La conversion, elle, est l’acte du pécheur qui suit sa régénération et qui le tourne vers le Christ. Dans la régénération, il reste passif, tandis que dans la conversion, il assume la part active.

Au sens strict du terme, la régénération est l’acte de la grâce qui transforme la disposition, l’orientation dominante de l’âme de l’homme naturel et apostat. En termes bibliques imagés, elle est l’équivalent de l’ouverture des yeux jusque-là aveuglés et des oreilles sourdes, le déliement de la langue muette, la guérison d’un bras paralysé, d’un membre atrophié à présent revigoré, d’un corps mort rendu à la vie, de la sensibilisation d’une conscience morale émoussée. Il s’agit d’une sorte de nouvelle naissance, d’une création nouvelle, le remplacement d’un cœur de pierre par un cœur de chair. Toutes ces images connotent un changement radical, l’ouverture d’un nouveau centre dynamique de la personne, la projection du pécheur vers la direction opposée. Quel que soit le terme utilisé, l’acte s’appellera régénération. Toute chose créée possède invariablement un commencement. La régénération est le début de la vie chrétienne, la première étape vers l’expérience. Le pécheur est-il mort dans ses transgressions? La régénération lui accorde la vie nouvelle. La sainteté lui fait-elle défaut? La régénération, la création nouvelle, la lui procurera. Est-il asservi au péché? Il connaîtra la nouvelle naissance. Est-il semblable à un cadavre déposé dans la tombe? La régénération sera sa résurrection d’entre les morts.

Voyons les causes surnaturelles qui opèrent la nouvelle naissance. La cause efficiente en est l’Esprit Saint, non la volonté humaine, même pas la vérité de l’Évangile comme telle. Cette dernière ne peut exercer son influence qu’à la suite de la régénération. La Bible attribue la régénération à la seule intervention du Saint-Esprit (Jn 3.5; Ph 2.13; Jn 1.13; Éz 11.19; 36.26; Jr 31.33). Elle est l’œuvre de Dieu seul, lequel crée de nouveau (Ép 4.24), engendre (Jc 1.18), vivifie (Jn 5.21), appelle hors des ténèbres à la lumière (2 Co 5.17), rend la vie aux morts (Rm 6.13) par une œuvre exclusivement divine (Ép 2.10).

De tels effets requièrent par conséquent une intervention surnaturelle, toute-puissante, en tant que cause adéquate. Or, ni la volonté humaine ni même la vérité de l’Évangile ne produisent de tels phénomènes. En inaugurant sa grâce, le Saint-Esprit exerce son influence sur l’âme humaine et non sur la vérité. C’est le cœur de l’homme pécheur qui est régénéré, non l’Évangile. C’est le Seigneur qui ouvre le cœur de Lydie (Ac 16.14). La vérité c’est la réalité et elle ne saurait changer; elle est immuable et fixe, sans altération; elle ne requiert aucune transformation. Aussi l’opération divine s’effectue-t-elle sur l’âme de l’homme.

Si la régénération est un acte immédiat et surnaturel de la grâce de l’Esprit, elle n’est pas un acte miraculeux! Le miracle altère, transforme ce que la nature avait produit, par exemple l’eau en vin ou la vie rendue au cadavre enseveli de Lazare. Dans la régénération, c’est la disposition de l’âme qui est renversée, non la nature humaine. La constitution morale et la nature intrinsèque de l’homme ne sont nullement violées par elle; l’acte ou l’opération de l’Esprit de Dieu ne contredit pas la nature ni les lois qui régissent l’esprit de l’homme. Par conséquent, la conversion n’est pas un événement miraculeux. Le saint ne cesse pas de rester un être humain, il n’est pas transformé en créature éthérée. Seule l’orientation de son cœur prend une nouvelle direction morale en se tournant vers Dieu. C’est un arbre dont le fruit change, mais pas la nature. L’arbre ne cesse pas d’être une plante.

Qu’elle est la cause matérielle de la régénération? S’agit-il de l’âme ou des facultés de l’âme? De l’esprit humain (« pneuma ») distinct du corps (« soma »)? De la vie animale (« psuchè »)?

La régénération n’est pas l’équivalent d’une transsubstantiation, mais c’est une disposition morale nouvelle, redirigée, reconstruite, une nouvelle passion morale. Quel que soit le nom qu’on veuille bien lui donner, disposition, principe, passion, inclination, habitude, etc., il y a en l’homme quelque chose qui détermine sa vie morale et la manière dont son cœur et son intellect regardent et se tiennent en face du Christ et de son Évangile; comment il se situe ou réagit face aux réalités de l’Esprit… Quel que soit le nom de ces dispositions et attitudes, il existe un principe dominant sous-jacent à l’intellect et déterminant l’ensemble de ce que l’homme pense de lui-même, de l’univers, de ses obligations ou de Dieu. Cet être intérieur est plus profond que sa sensibilité; dans l’Écriture, il est appelé « le cœur », « la vie », « le discernement ».

Le cœur est donc la matière sur laquelle s’effectue la régénération. Il n’a pas subi de transsubstantiation, devenu une autre créature métaphysique, passant d’un stade inférieur vers un stade supérieur. C’est l’homme tout entier en tant que cœur qui est passé par la nouvelle naissance (2 Co 5.17; Ga 6.15). Rien n’est fait à l’homme, pour l’homme, au sujet de l’homme, mais quelque chose en l’homme pour faire de lui une nouvelle création. Il est touché, transformé dans le centre dynamique même de sa vie « religieuse », non en surface, mais dans sa profondeur même.

Concernant la cause instrumentale de la régénération, il existe trois opinions théologiques divergentes : l’une croit que c’est le baptême, la seconde l’Évangile et la troisième la puissance immédiate du Saint-Esprit. Nous n’entrerons pas ici dans un long débat avec les tenants de la première position. En cours d’étude, nous verrons que le baptême n’est que le signe de la régénération et nullement, au grand jamais, la cause instrumentale de celle-ci.

Les graves questions soulevées par le baptême en l’Esprit, la plénitude de l’Esprit et son « sceau » nous amènent à examiner au préalable la doctrine réformée de la régénération relativement à l’ensemble de l’expérience chrétienne. Cela va sans dire, elle est étroitement associée au baptême qui, comme on le sait, fait à l’heure actuelle le sujet d’un débat passionné et controversé entre partisans de l’expérience pentecôtiste et ceux qui pensent que le fait d’être en Christ inclut tout ce que l’Esprit nous révèle et nous accorde en tant que bénéfice de la rédemption.

Jean 3.3 est le texte classique, mais non isolé, où il est explicitement traité de la nouvelle naissance : « En vérité, en vérité, je vous le dis, si un homme ne naît pas de nouveau, il ne peut voir le Royaume de Dieu. » Cette déclaration de Jésus ne résonne cependant pas comme une nouvelle inattendue, comme si le Sauveur venait d’innover dans un domaine jusque-là inexistant, voire impensable pour la religion de l’Ancien Testament. Or, ce domaine est précisément connu de l’Ancien Testament. Là comme ici, la question décisive concernant l’homme et sa condition devant Dieu est la même : est-il ou n’est-il pas création nouvelle?

L’Ancien comme le Nouveau Testament sont catégoriques à ce sujet. Tout l’être de l’homme naturel respire l’hostilité contre Dieu. Non seulement ses actes extérieurs, mais encore ses pensées les plus intimes et ses affections les plus chères ne se conforment pas à la volonté divine. Ainsi que le déclare saint Paul, l’homme est mort dans ses transgressions (Ép 2.1). Sa condition face à Dieu exige une restauration radicale complète. En termes bibliques, une telle restauration s’appelle régénération.

Notons également que la déclaration de Jésus n’en énonce pas seulement la nécessité; plus encore que l’exigence, elle en affirme la possibilité. Il est possible de naître d’en haut, d’être né de nouveau. La régénération est le don que Dieu nous fait souverainement par l’opération de son Esprit. Jésus-Christ, son ministère, sa passion, sa mort et sa résurrection glorieuse en offrent les garanties suffisantes.

Examinons, pour commencer, le concept biblique fondamental de la corruption totale de l’homme à la lumière de l’Écriture. C’est à l’homme totalement corrompu que la naissance nouvelle se présente à la fois comme exigence radicale et comme possibilité inouïe.

2. La corruption totale🔗

Pour Jean Calvin, la dépravation religieuse totale de l’homme est un fait universellement établi. La meilleure façon de connaître l’homme est de le placer sous le projecteur de la lumière de la Parole et de reconnaître les attributs de son caractère réel et apparemment indélébile depuis sa chute : « tout ce qui est né de la chair est chair » (Jn 3.6), ce qui revient à énoncer que, sur le plan religieux, il n’est qu’une créature insolvable. Cet homme-là doit connaître la régénération. Il ne peut posséder l’Esprit que par la régénération. Nous sommes entièrement chair, sans excepter nos facultés les plus élevées et nos intentions les plus nobles. Tout aussi sévère est la condamnation prononcée contre le cœur, dont il est dit qu’il est plus que tout autre chose « plein de fraude et de perversité ». Quand il veut rabattre l’arrogance du genre humain, Calvin invoque le témoignage de l’Écriture :

« “Il n’y a pas de juste pas même un seul” (Rm 3.10). Il ne dénonce pas les mœurs corrompues d’un certain temps, mais il accuse la corruption perpétuelle de notre nature. Car dans ce passage, son intention n’est pas de reprendre les hommes afin qu’ils fassent un effort pour s’amender, mais bien de leur apprendre que, du premier jusqu’au dernier, ils sont tous enveloppés dans une calamité dont il leur est impossible de sortir si la miséricorde de Dieu ne les en délivre.2 »

C’est en rapport avec le ministère du Saint-Esprit que nous nous occuperons de cette question. Il s’agira de la toute première phase de l’ordre du salut et de son application, c’est-à-dire la régénération.

3. La régénération🔗

Le vaste ministère du Saint-Esprit possède de multiples aspects qui ne sont guère faciles de décrire à l’aide d’un terme unique. Toutefois, le terme régénération, comme nous l’affirmions plus haut, semble suffisamment adéquat pour désigner l’ensemble de ses opérations et la totalité des fruits auxquels elle donne lieu. De quelle façon la régénération s’effectue-t-elle? L’Esprit n’engendre pas une expérience palpable comme telle. Cependant, la difficulté que nous avons à saisir la nature de cette opération s’estompe lorsque nous la comparons à un autre état caractérisant la vie chrétienne, l’union mystique du fidèle avec le Christ.

En effet, pas plus que la régénération, l’union mystique ne saurait être décrite d’après des aspects visibles et observables. Pourtant, nous avons la certitude de sa réalité. C’est aussi le cas pour la nouvelle naissance. Elle est bien réelle, mais ne saurait être perceptible et reconnue que par les yeux de la foi. Celui qui est né de l’Esprit est devenu une nouvelle création. Il nous faut faire ressortir toute la différence entre une transformation radicale de cette nature et l’idée d’un progrès moral. L’Esprit Saint n’intervient pas à la manière d’un maître inculquant quelques vérités que l’on pourrait approfondir et développer par la suite. Il opère instantanément et il pénètre le fidèle tout entier. La régénération ne saurait pas non plus être envisagée comme la simple réforme d’actes extérieurs ni comme la simple rénovation de la pensée. Tout en étant cela, elle n’est pas le rapiéçage de vieux habits. La régénération est une transformation radicale qui ne peut se comparer qu’à la résurrection des morts. L’Esprit atteint l’homme et le transforme; celui-ci met alors toute sa foi en Christ.

Par conséquent, nous ne pouvons souscrire à l’idée prétendument évangélique selon laquelle la régénération n’interviendrait qu’à l’issue de la repentance et de la conversion. Si c’était le cas, la régénération serait due à notre disponibilité pour accueillir la grâce; elle dépendrait d’un point de contact en nous, d’une condition humaine à remplir pour que l’initiative divine puisse se réaliser et la grâce devenir effective. Ce serait souscrire au synergisme que nous dénonçons avec toute la force de notre foi biblique et réformée. C’est à sa suite et en tant que sa conséquence que l’acte de croire et de se repentir devient possible.

De même que nul n’est responsable de la décision et du choix de ses parents biologiques, de son héritage génétique ou de son environnement initial, de même aucun facteur, décision ou acte humains ne sont décisifs pour effectuer la nouvelle naissance. Selon Jésus, celle-ci se produit « d’en haut ». La transformation subjective suivra la transformation objective. En se servant de la Parole et des sacrements, l’Esprit témoigne à nos esprits qu’en Christ Dieu a pris les devants et qu’il est intervenu en notre faveur.

La mort et la résurrection du Fils excluent toute idée sacramentaliste du salut et de la vie chrétienne. D’après la conception de la grâce infuse, celle-ci devient la seconde cause du salut, surajoutée à l’œuvre parfaitement achevée du Christ. Nous avons vu que l’Esprit réveille nos consciences. Il fait naître en nous la conviction du péché (Lc 5.8; Jn 18.8). Personne ne devrait se dire né de nouveau à moins d’avoir ressenti la gravité de sa condition de pécheur. Certes, la loi de Dieu a produit une telle conviction, mais à elle seule, elle est incapable d’effectuer un changement radical, de faire naître la foi, de nous inciter à la repentance qui mène au salut. Seule la grâce opère avec une efficacité réelle.

L’illumination, qui sera l’étape suivante, permettra notre croissance dans la connaissance du Christ (2 Co 4.4). Il ne suffit pas de connaître la volonté divine. Encore faut-il l’observer. L’Esprit oriente son opération vers le renouvellement total de la volonté humaine; il produit la persuasion sans exercer de violence, il provoque le vouloir et le faire selon ce que révèle la Parole. Il rend la volonté conforme à la nature originelle. Il la plie et l’incline à croire d’une foi ferme et pleine (Ép 4.16). En se soumettant au Christ, le fidèle donne la preuve qu’il est effectivement né de nouveau. Ce qui était ancien est passé. Toutes choses sont effectivement devenues nouvelles.

Notes

1. Confession de foi de La Rochelle, article 22.

2. J. Calvin, Institution de la religion chrétienne, édition abrégée en français moderne par Henri Evrard, Presses bibliques universitaires, 1985, p. 60.