Quels droits pour l'homme?
Quels droits pour l'homme?
L’actualité braque régulièrement ses projecteurs sur la question toujours débattue avec ardeur et passion des droits de l’homme.
Mais de quels droits s’agit-il au juste, et qui est cet homme devenu l’objet d’une défense aussi bruyante que théorique, tandis que par ailleurs, un peu partout dans le monde, des hommes, des femmes et des enfants — bien concrets ceux-là — demeurent par millions les victimes de toutes sortes d’exactions, de violences, d’injustices et d’oppressions?
Aussi sommes-nous souvent affligés et parfois même choqués par cette pléthore de discours venant des horizons les plus divers; aussi bien de la part de juristes que de la part d’hommes d’État, sans oublier ceux des moralistes de toute obédience et ceux des hommes d’Église. On dirait que chacun ajoute une note discordante à l’universelle cacophonie dans ce chapitre des droits de l’homme, si mal défendus parce que tellement mal définis!
Si l’on cherchait à comprendre la raison de ces dissonances, on s’apercevrait qu’il n’y aura pas de droits de l’homme à moins de résoudre l’incompatibilité fondamentale entre les différentes théories échafaudées autour de ce sujet. Cette incompatibilité ressort à chacune des étapes de leur évolution historique. Examinons-la avant de conclure par une brève présentation de quelques thèses bibliques sur ce thème.
Le siècle des Lumières, qui succéda immédiatement à la Renaissance. prit à son compte, avec une plus grande virulence encore que la génération précédente, l’idée que l’homme était le maître absolu de sa destinée. Alors et depuis, l’homme et le monde, jusque là centrés sur Dieu et sa providence, sont désaxés et déstabilisés. Le cri de révolte des révolutionnaires modernes « ni Dieu ni Maître » offre un slogan éloquent qui résume tout l’esprit des « Lumières » et de l’humanisme athée. Certaines Églises chrétiennes n’ont pas échappé à la séduction de cette nouvelle et utopique autonomie répandue grâce à une rébellion religieuse radicale. Tandis que le feu et le fer des persécutions de jadis avivaient et revigoraient sans cesse la foi en Dieu, l’actuelle sécularisation que déplorent tant de chrétiens est parvenue à l’enterrer dans la poussière d’idéologies mythiques. Cette fine poussière a réussi à asphyxier lentement, mais sûrement, non seulement les chrétiens, mais encore les autres hommes un peu partout dans le vaste monde.
Certes, le Moyen Âge chrétien n’avait pas fait mieux pour et en faveur des droits de l’homme. Sous prétexte de droit divin, l’Église s’était réservé toutes les prérogatives d’ordre social et disposait de la liberté de tous, usurpant de la sorte ce qui n’appartient qu’à la seule souveraineté de Dieu. Cependant, cette inadmissible usurpation résultait davantage de la fausse vision de la vie humaine, du monde et de l’ensemble de la réalité créée que d’une simple volonté arbitraire de placer toutes choses sous le contrôle de l’Église. La conception dualiste du monde opposant la nature à la grâce a donné naissance à une théorie juridique et sociale qui envisage la séparation artificielle des institutions humaines. Mais, tout aussi artificiellement, elles seront par la suite réunies grâce au « concordat » conclu entre le domaine temporel et le domaine spirituel.
Grâce à cette construction illégitime dont nous voyons encore des traces dans les « concordats » entre le Vatican et certains états dits « catholiques », « l’étage supérieur », surnaturel, vient compléter et perfectionner l’étage « inférieur », naturel et imparfait, pour créer de la sorte l’harmonie entre les deux! C’est ici que doit se trouver cette fatale erreur « chrétienne » dont la théologie et l’Église romaines ont été, entre autres « erreurs fatales », les responsables…
Ce fut dans ce climat souvent tendu et fertile en conflits violents entre les deux pouvoirs — l’un temporel, l’autre spirituel — que la Réforme du 16e siècle proclama, s’appuyant sur l’ensemble de la révélation biblique, le sacerdoce universel de tous les croyants. La découverte de ce droit inaliénable fut la principale proclamation de la Réforme. Si du côté luthérien ce principe biblique a malheureusement conduit à séparer encore ce qu’on appelle les « deux règnes » du Christ (à quelques nuances près), la pensée calviniste avec sa conception holiste (globale) de la création, a restitué avec fermeté et lucidité le règne unique du Christ sur tout homme et sur toutes les instances, qu’il s’agisse des institutions sociales ou juridiques et ecclésiastiques.
Ainsi, investi depuis l’origine d’un pouvoir et revêtu d’une fonction (office), l’homme redevient, par la rédemption et dans la pluralité des institutions, jusqu’à celle de l’État, celles des corporations de travail ou encore dans le domaine culturel, le serviteur de Dieu et responsable uniquement devant lui. Ainsi sont jetés les fondements d’une interprétation biblique et réformée, et le terrain sur lequel on pourra se placer pour discourir correctement des droits de l’homme restera découvert devant lui.
Or, si de son côté l’humanisme athée a beaucoup insisté sur ces droits, il l’a fait en les déformant ici et en les amputant là de leurs éléments essentiels. Il a notamment réussi à dénaturer les droits que le divin Créateur et Rédempteur a accordés à sa créature, créée à son image et à sa ressemblance. Sous l’influence de penseurs tels que Hobbes, Locke et Rousseau, ces droits ont été considérés purement et simplement comme des libertés individuelles. À leurs yeux, la société n’est rien d’autre que la somme totale des individus qui la composent. Cette absolutisation de l’individualisme aboutit au 19e siècle à l’avènement d’un capitalisme outrancier et elle déclencha d’autre part la révolution radicale marxiste donnant naissance à une nouvelle conception totalitaire de l’État. L’État détient alors un droit transpersonnel absolu. D’après les idées capitalistes libertaires, le droit de l’homme est conçu en termes d’une liberté à poursuivre son propre intérêt, de façon purement et exclusivement individuelle.
Si, au départ, on recherche l’abolition de toute oppression politique, on finit toujours par franchir l’étape de la participation à la vie « politique » pour aboutir à la recherche frénétique de la jouissance et à l’innommable luxure de l’ère de consommation contemporaine.
À l’Est, sous des cieux totalitaires, les droits de l’homme sont définis en termes de solidarité égalitaire, mais on se rappellera que celle-ci peut porter le nom funeste de goulag. L’individualisme occidental a absolutisé l’homme, le collectivisme totalitaire a absolutisé l’État. Paradoxalement, les deux positions parfois se rencontrent. Car l’homme individu ne peut pas exister de manière totalement autarcique, coupé de toute structure collective ou communautaire.
L’idée qu’on se fait des droits de l’homme dépend d’une autre idée, plus fondamentale encore : celle qu’on se fait de l’homme lui-même. Il faut admettre qu’il n’est pas tellement facile de répondre à la question de savoir qu’est-ce que le droit de l’homme. Bien entendu, nous devrions chercher un type de société qui ne soit ni totalitaire ni individualiste. L’homme, c’est-à-dire vous et moi, n’est jamais une idée abstraite. Nous n’existons pas de manière isolée. Nos droits sont ceux de père de famille, de sujet d’un État, d’étudiant, de travailleur, etc.
Autrefois, ces droits étaient définis sur la base d’une idée naturelle du droit. Cette idée, qualifiée de fixe et d’universelle, pouvait prévaloir, pensait-on, sous toutes les latitudes. Mais c’est une erreur que de s’imaginer qu’il peut exister quoi que ce soit d’universellement naturel. Il n’y a d’universel que le péché! Pour fonder le droit naturel de l’homme, on se basera sur des pratiques sociales, par exemple la coutume de la polygamie ou le commerce des esclaves, la supériorité raciale, et plus récemment, la pratique de l’avortement ou celle de l’homosexualité, etc.
Si l’idée de droit naturel venait à disparaître, elle serait aussitôt remplacée par une autre que nous appellerons juridiction, ou justice dite sociale. Celle-ci ne vaut pas davantage que la précédente, car elle non plus ne reconnaît ni principe ni normes absolues, puisqu’elle ne possède aucune théorie à ce sujet. Dans son cas, la pratique de la justice se fonde sur l’opinion personnelle du juriste. Or, le juriste et le juge ne sont que des êtres humains! Leur décision ne peut refléter qu’une politique humaine, par conséquent rien qui puisse se prévaloir d’une autorité universelle. Selon la classe des uns, et surtout les réactions — plus souvent viscérales que raisonnées — des autres, on tranchera de la justice et des droits de l’homme. Le crime sera ainsi considéré comme un phénomène social et non pour ce qu’il est, à savoir une faute morale. Alors, l’omniprésente et bavarde psychologie moderne, offrira ses bons offices pour aider — et surtout pour prendre la relève — de dame justice, vacillante et moribonde…
S’il n’existe point de principe de base, c’est la situation vécue qui décidera de tout et finira par disculper même le plus odieux des malfaiteurs. Ne nous étonnons donc pas que, de nos jours, la vie soit plus insécurisée que celle d’il y a à peine cinquante ans. Aussi scandaleux que cela puisse sonner à certaines oreilles, le plus grand fléau moderne ne se trouve pas dans l’accroissement du taux de criminalité — elle a toujours connu des sommets et des tangentes effrayantes —, mais dans l’idée, franchement criminelle, que l’on se fait de la personne humaine ainsi que de la justice et de la loi tout court.
Selon la foi chrétienne, les droits de l’homme sont ceux que Dieu, Créateur et Libérateur, lui accorde. En vertu de sa création par Dieu, l’homme possède un droit inaliénable. Il a droit à la justice et il doit jouir de certaines libertés. L’individualisme ne les accorde que selon des « mérites ». Le collectivisme ne les reconnaît que comme des besoins vitaux, définis par les soins de l’État. La position biblique et réformée sur « les droits de l’homme » est une conception fondamentalement religieuse.
L’homme est serviteur de Dieu, gardien de son prochain, économe de la création, et ce n’est que dans la reconnaissance de sa nature et de ses fonctions ainsi révélées qu’il retrouvera et l’origine et l’unité religieuse de son être.
La Bible n’est pas un livre théorique, au sens scientifique; un froid manuel contenant des principes sclérosés. Elle est la révélation de Dieu faite à l’homme, en Jésus-Christ. Elle rend témoignage au Fils de Dieu et elle nous adresse le message de la rédemption, celle qui rénove et restaure toutes choses, y compris les droits de l’homme.
À titre indicatif, nous recommandons la lecture des textes tels qu’Exode 21 et Deutéronome 4. Il y est question d’une loi juste et bonne. Ces textes présentent et explicitent les garanties d’une bonne pratique et d’un fonctionnement correct de la justice et des droits. Nous y découvrirons les aspects divers de l’existence humaine. Les motifs fondamentaux, les principes régulateurs, les normes générales prescrites qui offrent au croyant des directives sûres. À la lumière de la révélation biblique, nous saurons concevoir et développer une idée juste des droits de l’homme et les respecter. Autrement, nous les anéantirons, et nous avec!
Quels que soient les droits de l’homme, ils sont basés sur le fait de sa création par Dieu. Dieu a conclu une alliance avec sa créature, et même lorsque celle-ci se rebelle, elle n’en sera jamais dispensée. Dans ce sens, le droit de l’homme reflète celui que Dieu exerce sur nos personnes. Nous sommes appelés à devenir le miroir du droit divin pendant que nous jouissons de nos droits. Le principe et le modèle en ont été établis une fois pour toutes. La Parole de Dieu prononcée jadis demeure éternellement valable, y compris pour notre époque. Si actuellement l’homme est cruellement ignoré, manipulé ou violé dans ses droits les plus élémentaires, n’est-ce pas parce qu’il récolte les fruits de la chute? À moins de nous tourner vers l’Écriture, nous verrons tous les droits de l’homme constamment bafoués et piétinés. À moins de lire et de pratiquer le message biblique, nous finirons par maltraiter notre prochain et lui dénier les droits les plus élémentaires.
Un dernier argument et non des moindres, d’autant plus qu’il fonde notre consolation en faveur des droits bibliques de l’homme. Souvenons-nous que la loi, qui n’est pas abrogée dans la Nouvelle Alliance, a été observée et accomplie par Jésus-Christ. Celui qui apparut sur la croix comme l’unique victime pure et sans défense, à qui le droit d’être Fils de Dieu fut refusé, fut précisément celui qui nous révéla la justice de Dieu dans l’offre de sa grâce paternelle. Sa mort et sa résurrection nous accordent, quelle que soit notre situation sociale, le droit le plus absolu de devenir enfants de Dieu au moyen de la foi. À cette condition-là nous aurons nous-mêmes compassion de notre prochain, nous marcherons dans l’humilité devant Dieu et nous respecterons les droits de l’homme, créé à son l’image.