Qu'est-ce que l'Église de Jésus-Christ?
Qu'est-ce que l'Église de Jésus-Christ?
Est-il possible de parler de christianisme sans parler de l’Église? Existe–t-il un christianisme sans Église? Et s’il faut parler de l’Église, comment faut-il en parler? Sur quelle base est-elle constituée et comment fonctionne-t-elle? Toutes ces questions vont former le corps de cette méditation, laquelle a pour titre : « Qu’est-ce que l’Église de Jésus-Christ? » On pourrait passer des journées entières, voire des mois entiers à traiter ce sujet, mais nous nous contenterons cette fois-ci d’étudier à la lumière de la Bible, en particulier du Nouveau Testament, quelques textes principaux qui nous éclairent sur la nature de l’Église et nous aident à comprendre le plan de Dieu à son égard.
Notons tout d’abord que le mot Église — « ekklesia » en grec, qui est la langue dans laquelle le Nouveau Testament a été écrit — apparaît 114 fois au cours des 27 livres qui forment son contenu. Cela suffit à écarter l’opinion de tous ceux qui s’imaginent qu’on peut faire l’économie de l’Église dans la pratique de la foi, et qui pensent un peu trop facilement que la foi chrétienne est une affaire purement individuelle. D’après eux, chacun est libre de vivre sa foi comme il l’entend, et le mot « Église » résonne à leurs oreilles comme un résidu obscurantiste hérité du passé, une notion intolérable ou simplement un accessoire dont on est libre de se servir ou pas.
Or, il suffit de lire l’Évangile selon Matthieu pour trouver trois fois dans la bouche de Jésus-Christ le mot « Église », comme dans cet extrait du chapitre 18 que je vous cite :
Si ton frère a péché, va et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu as gagné ton frère. Mais s’il ne t’écoute pas, prends avec toi une ou deux personnes, afin que toute l’affaire se règle sur la parole de deux ou trois témoins [et ici, Jésus cite en fait un passage du livre du Deutéronome, dans l’Ancien Testament]. S’il refuse de les écouter, dis-le à l’Église; et s’il refuse aussi d’écouter l’Église, qu’il soit pour toi un païen et un péager. En vérité, je vous le dis, tout ce que vous lierez sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel » (Mt 18.15-18).
Vous serez d’accord avec moi que, si nous acceptons que Jésus-Christ est la pierre angulaire de la foi chrétienne, alors nous devons prêter beaucoup d’attention à ses paroles pour comprendre son message. Même ceux qui ne sont pas croyants ne peuvent parler du christianisme sans se référer aux textes fondateurs du christianisme.
Or, si nous continuons à feuilleter les pages du Nouveau Testament, dans la Bible chrétienne, nous y découvrons une série de lettres adressées nommément à des Églises. Par exemple, la première lettre de Paul aux Corinthiens commence avec l’adresse suivante : « Paul, appelé à être apôtre du Christ-Jésus par la volonté de Dieu, et le frère Sosthène, à l’Église de Dieu qui est à Corinthe. » La deuxième lettre de Paul aux Corinthiens commence exactement de la même façon, sauf qu’au lieu du frère Sosthène, c’est le frère Timothée qui est mentionné comme collaborateur de Paul. La lettre aux Galates débute de la manière suivante : « Paul, apôtre, non de la part des hommes, ni par un homme, mais par Jésus-Christ et par Dieu le Père qui l’a ressuscité d’entre les morts, et tous les frères qui sont avec moi, aux Églises de la Galatie. » La Galatie étant une province, et non une ville, il s’y trouvait plusieurs Églises en plusieurs endroits, et c’est à l’ensemble de ces Églises que Paul s’adresse dans sa lettre. La première lettre de Paul aux Thessaloniciens, quant à elle, commence ainsi : « Paul, Silvain et Timothée, à l’Église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et dans le Seigneur Jésus-Christ. » Puis suit la salutation : « Que la grâce et la paix vous soient données! »
On pourrait ajouter maints autres exemples (par exemple les 20 fois où le mot « Église » apparaît dans le livre de l’Apocalypse), mais les quelques passages que je viens de lire nous montrent clairement que dès le début du christianisme, les chrétiens sont rassemblés en Églises. Et c’est bien ce que signifie le mot « ekklesia » en grec : il s’agit du rassemblement de ceux qui ont été appelés par Dieu en Jésus-Christ, rassemblement dans une congrégation locale, à un endroit donné, ou encore la totalité de ceux qui appartiennent à Jésus-Christ, par delà les congrégations locales. Il y a donc principalement deux manières de comprendre le mot « Église » dans le Nouveau Testament : soit l’assemblée locale, soit l’ensemble de tous les croyants. Mais nous devons noter que dans le Nouveau Testament le mot « Église » est très souvent lié à Dieu, comme dans l’adresse aux Corinthiens, qui porte la mention de « l’Église de Dieu qui est à Corinthe ». Il ne s’agit donc pas de n’importe quel rassemblement, comme d’un rassemblement politique, même si dans le Nouveau Testament le mot « ekklesia » est quelquefois appliqué à une assemblée du peuple.
L’idée d’assemblée de Dieu n’apparaît pas pour la première fois dans le Nouveau Testament, puisque dans l’Ancien Testament aussi on trouve, en hébreu cette fois, l’expression « assemblée de Dieu », ou « assemblée du Seigneur ». C’est aussi l’idée qu’on trouve derrière le mot « synagogue », assemblée des Juifs dispersés, formant une communauté du salut. Le mot « synagogue » est aussi un mot grec, car après l’exil et la dispersion des Juifs, la langue grecque, parlée couramment autour de la mer Méditerranée, devint aussi leur langue. Les écrits de l’Ancien Testament, originellement rédigés en hébreu, furent traduits en langue grecque, dans ce qu’on appelle la traduction des Septante. Cette version grecque des écrits sacrés était lue, apprise et méditée par les Juifs qui vivaient en dehors de la Palestine, et c’est donc d’elle que vient le mot « synagogue », qui a la valeur de « communauté du salut ».
Mais l’expression « Église de Dieu » nous permet d’éviter au moins une erreur très répandue : dans le Nouveau Testament, le mot « Église » ne désigne jamais un bâtiment, un temple ou une chapelle dans laquelle se déroule un culte. Pourtant, cet usage du mot « Église » est si courant dans la langue française, que lorsque le mot « Église » est prononcé, la plupart des gens s’imaginent qu’on parle d’un édifice dit religieux, par exemple d’une cathédrale. On ne peut naturellement pas changer l’usage et la compréhension des mots tels qu’ils se présentent dans une langue donnée, mais il est très important, pour les croyants au moins, de bien distinguer entre ces deux idées.
Beaucoup de jeunes communautés chrétiennes dans le Tiers Monde ne disposent pas d’un édifice de culte, pas même d’une modeste chapelle, et tiennent leurs cultes ou leurs réunions chez le pasteur, l’évêque ou chez un membre de l’Église. Ceci représente certainement un handicap à bien des égards. Pourtant, en aucun cas cela ne retire leur caractère plein et entier d’Églises, pour autant qu’elles peuvent être appelées « Églises de Dieu » parce qu’elles restent fidèles et soumises à Dieu. À l’opposé, on voit dans des pays riches des assemblées se réunissant dans des bâtiments luxueux, et qui dépensent chaque année des sommes considérables pour renouveler les tapis, moquettes et autres équipements de leurs chapelles, et pourtant qui méritent à peine le nom d’« Église de Dieu » à cause de leur tiédeur vis-à-vis de Dieu.
Une Église pauvre n’est pas fidèle du fait qu’elle est pauvre (il existe beaucoup d’Églises pauvres et infidèles de par le monde, comme il existe aussi des Églises riches et fidèles), mais aux Églises pauvres et fidèles, nous pouvons sans hésitation lire le passage du livre de l’Apocalypse adressé à l’Église de Smyrne :
« Écris à l’ange de l’Église de Smyrne : Voici ce que dit le premier et le dernier, celui qui était mort et qui est revenu à la vie : Je connais ta tribulation et ta pauvreté, et pourtant tu es riche, et les calomnies de ceux qui se disent juifs et ne le sont pas, mais qui sont une synagogue de Satan » (Ap 1.8-9).
Parler de l’Église n’a de sens que par rapport à Jésus-Christ. La relation entre communauté de croyants et bâtiment devient plus claire pour nous si nous relisons un passage de l’Évangile selon Jean, au chapitre 2. Jésus vient de chasser les vendeurs du Temple de Jérusalem et est pris à partie par ceux qu’a choqués cet acte de purification du lieu où le Dieu d’Israël était adoré :
« Les Juifs prirent la parole et dirent : Quel miracle nous montres-tu pour agir de la sorte? Jésus leur répondit : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. Les Juifs dirent : Il a fallu quarante-six ans pour bâtir ce temple, et toi en trois jours tu le relèveras! Mais il parlait du temple de son corps. Quand il fut ressuscité d’entre les morts, ses disciples se souvinrent qu’il avait dit cela et crurent à l’Écriture et à la parole que Jésus avait dite » (Jn 2.18-22).
Ce passage nous enseigne clairement qu’après la résurrection de Jésus-Christ, sa personne a remplacé le temple de Jérusalem où avait lieu le culte à Dieu. Ceci est central dans la compréhension de la foi chrétienne.
Quel est le rapport avec l’Église, demanderez-vous? Il est le suivant : dans le Nouveau Testament, l’Église est plusieurs fois présentée comme le corps du Christ, dans 1 Corinthiens 12, par exemple. Chaque croyant est un membre de ce corps, et l’ensemble des croyants forme la totalité du corps du Christ. Ce n’est donc pas un bâtiment qui devient en soi le lieu du culte, c’est avant tout la vie de chaque croyant et de la totalité de l’Église, dans la fidélité et l’obéissance à Jésus-Christ; car sa vie divine, éternelle et sainte est désormais devenue la vie de la communauté des croyants.
C’est pourquoi l’apôtre Paul peut écrire aux jeunes chrétiens de l’Église d’Éphèse les paroles suivantes, avec lesquelles nous concluons notre méditation :
« Ainsi donc, vous n’êtes plus des étrangers ni des gens de passage; mais vous êtes concitoyens des saints, membres de la famille de Dieu. Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre de l’angle. En lui, tout l’édifice bien coordonné s’élève pour être un temple saint dans le Seigneur. En lui, vous aussi, vous êtes édifiés ensemble pour être une habitation de Dieu en Esprit » (Ép 2.19-22).