Rébellion, destruction et restauration
Rébellion, destruction et restauration
Dieu est un Dieu de justice, proclame la Bible sur toutes ses pages. Il ne laisse pas le mal impuni, quoiqu’en pensent les humains qui se moquent de leur Créateur, ne reconnaissant même pas son existence. Les jugements de Dieu annoncés s’accomplissent-ils? Ou bien s’agit-il de menaces vaines, de paroles en l’air? Dans le traité d’alliance conclu avec son peuple durant le milieu du second millénaire avant Jésus-Christ, l’Éternel a clairement énoncé les bénédictions qui suivraient l’obéissance à ses prescriptions, suivies des malédictions qui ne manqueraient pas de s’abattre sur ce peuple en cas contraire de rébellion.
Telle était d’ailleurs la pratique entre un suzerain et son vassal lors de la conclusion de traités d’alliance à cette époque et même plus tard. Le livre du Lévitique, au chapitre 26, énonce progressivement les malédictions encourues par le peuple de Dieu en cas de désobéissance et d’entêtement dans la rébellion. Car la possibilité de se repentir, de retourner vers l’Éternel est toujours offerte. Mais ce texte parle aussi de la restauration qui suivra les malheurs qui ne manqueront pas de s’abattre sur Israël. Je citerai tout d’abord ce passage du Lévitique, pour le mettre ensuite en perspective avec ce qui s’est passé plus tard dans l’histoire d’Israël :
« Si malgré cela vous ne m’écoutez pas, si vous continuez à me résister, je vous résisterai avec fureur, et je vous corrigerai encore sept fois plus à cause de vos péchés. Vous mangerez vos propres enfants. Je dévasterai vos lieux de culte sur les hauteurs, j’abattrai vos stèles vouées au dieu du soleil et j’entasserai vos cadavres sur les cadavres de vos idoles, et je vous rejetterai. Je réduirai vos villes en ruines, je ravagerai vos sanctuaires et j’en ferai des lieux déserts, je ne me laisserai pas apaiser par le parfum de vos sacrifices et de vos offrandes. Je dévasterai moi-même le pays, de sorte que vos ennemis venus l’occuper en seront stupéfaits. Quant à vous, je vous disperserai parmi les nations païennes, et je vous poursuivrai avec l’épée, votre pays sera dévasté et vos villes deviendront des monceaux de ruines. Alors la terre jouira d’années de repos durant tout le temps qu’elle sera désolée et que vous serez dans le pays de vos ennemis; enfin, elle chômera et jouira de son repos. Durant toute cette période où elle demeurera dévastée, elle se reposera pour les années de repos dont vous l’aurez frustrée le temps que vous l’aurez habitée. Quant à ceux d’entre vous qui survivront, je plongerai leur cœur dans l’angoisse en exil, chez leurs ennemis; au seul bruit d’une feuille qui tombe, ils fuiront comme on fuit devant l’épée de l’ennemi et ils tomberont sans que personne ne les poursuive. Ils trébucheront l’un contre l’autre comme lorsqu’on fuit devant l’épée sans que personne ne les poursuive, et ils seront incapables de résister à leurs ennemis. Vous périrez chez des nations étrangères et le pays de vos ennemis vous dévorera. Ceux d’entre vous qui survivront dépériront dans le pays de vos ennemis à cause de leurs péchés et de ceux de leurs ancêtres.
Alors ils reconnaîtront leurs fautes et celles de leurs ancêtres, leurs rébellions contre moi et la résistance qu’ils m’auront opposée. C’est à cause de cette résistance que je m’opposerai à eux et que je les enverrai dans le pays de leurs ennemis. Si alors leur cœur incirconcis s’humilie et qu’ils reconnaissent que leur châtiment est juste, j’agirai en fonction de mon alliance avec Jacob, de mon alliance avec Isaac, et de mon alliance avec Abraham, et j’interviendrai en faveur du pays. Car le pays sera abandonné par eux et il jouira du repos, après sa dévastation, pendant leur absence. Ils reconnaîtront la justice de leur châtiment, parce qu’ils auront méprisé mes commandements et rejeté mes lois. Et pourtant, même alors, lorsqu’ils seront dans le pays de leurs ennemis, je ne les rejetterai pas et je ne les prendrai pas en aversion au point de les exterminer et de rompre mon alliance avec eux; car je suis l’Éternel leur Dieu. J’agirai en leur faveur conformément à l’alliance conclue avec leurs ancêtres que j’ai fait sortir d’Égypte aux yeux des nations pour être leur Dieu : je suis l’Éternel » (Lv 26.27-45).
Voilà donc comment résonne l’avertissement solennel adressé au peuple de l’alliance au livre du Lévitique. Pour en mesurer la portée et l’accomplissement, je citerai la fin du second livre des Chroniques, toujours dans l’Ancien Testament. Passage étonnant sur la fin du royaume de Juda, qui illustre point par point la section des malédictions du Lévitique que je viens de citer :
« Sédécias avait vingt-et-un ans à son avènement. Il régna onze ans à Jérusalem. Il fit ce que l’Éternel considère comme mal et il refusa de s’humilier devant le prophète Jérémie qui s’adressait à lui de la part de l’Éternel. De plus, il se révolta contre Nabuchodonosor qui lui avait fait prêter un serment de loyauté au nom de Dieu. Au lieu de revenir à l’Éternel, le Dieu d’Israël, il s’obstina dans sa révolte contre lui et lui ferma son cœur. De même, tous les chefs des prêtres et le peuple multiplièrent les pires infidélités en se livrant aux mêmes pratiques abominables que les nations païennes. Ils profanèrent le Temple de l’Éternel dont il avait fait un lieu saint à Jérusalem. L’Éternel, le Dieu de leurs ancêtres, leur avait adressé très tôt et à maintes reprises des avertissements par l’intermédiaire de ses messagers, car il aurait voulu épargner son peuple et le lieu de sa résidence. Mais les Israélites méprisaient les envoyés de Dieu, ils faisaient fi de ses paroles et tournaient ses prophètes en ridicule, jusqu’à ce que la colère de l’Éternel contre son peuple eut atteint un point de non-retour.
Alors l’Éternel fit venir contre eux le roi des Chaldéens qui massacra leurs jeunes gens jusque dans leur sanctuaire. Il n’épargna personne : jeune homme, jeune fille, vieillard, personne âgée : Dieu lui livra tout. Nabuchodnosor emporta à Babylone tous les objets, grands ou petits, qu’il y avait dans le Temple de Dieu, et tous ceux du roi et de ses grands. Les envahisseurs incendièrent le Temple de Dieu et démolirent les murailles de Jérusalem. Ils mirent le feu à tous les palais et détruisirent tous les objets de prix. Nabuchodonosor fit déporter à Babylone les survivants du massacre et il en fit des serviteurs pour lui et ses fils, jusqu’à la prise du pouvoir par l’Empire perse.
Ainsi s’accomplit la parole de l’Éternel, transmise par le prophète Jérémie, disant que le pays serait abandonné pour bénéficier du repos pendant soixante-dix ans jusqu’à ce qu’il ait joui de son temps de repos. La première année du règne de Cyrus de Perse, l’Éternel, pour accomplir la parole qu’il avait prononcée par le prophète Jérémie, agit sur l’esprit de Cyrus, empereur de Perse. Alors Cyrus fit faire, oralement et par écrit, la proclamation suivante à travers tout son empire : Voici ce que déclare Cyrus, empereur de Perse : L’Éternel, le Dieu du ciel, m’a donné tous les royaumes de la terre et m’a chargé de lui construire un Temple à Jérusalem en Juda. Quels sont ceux d’entre vous qui font partie de son peuple? L’Éternel, leur Dieu sera avec eux; qu’ils partent! » (2 Ch 36.11-23).
Ainsi s’achève le deuxième livre des Chroniques : sur un nouveau départ pour le peuple de Dieu, après une période d’exil et de punition. Ce récit illustre parfaitement l’unité que l’on trouve dans l’Écriture sainte entre la loi de Dieu, ici énoncée dans le livre du Lévitique, la parole des prophètes qui rappellent constamment au peuple de l’alliance le contenu de la loi et les implications d’une désobéissance à son égard, et enfin le mouvement historique guidé par Dieu qui dirige les événements, même les plus terribles, conformément à son plan. Rien, en effet, n’arrive au hasard, l’accomplissement de la parole divine est inéluctable, même si par ailleurs Dieu offre toujours la possibilité de se repentir et lance à maintes reprises un appel à son peuple afin qu’il revienne vers lui.
Mais il y a un autre aspect, dans ces deux textes, qui mérite d’être commenté : c’est celui du repos de la terre pendant les 70 ans d’exil des juifs à Babylone. Que signifie ce repos alors que la terre est en friche et à l’abandon? Comment est-il possible qu’une terre dévastée, laissée en friche alors que la population qui l’habitait a été soit décimée par l’ennemi, soit emmenée en captivité, puisse jouir de son repos? C’est la question provoquée par ces deux citations de l’Ancien Testament qui se renvoient l’une à l’autre. La première énonce les malédictions qui s’abattront sur le peuple infidèle à son alliance avec l’Éternel Dieu (Lv 26.33-35). La seconde raconte le sort que connut le peuple et le pays de Juda au moment de l’invasion de son territoire par Neboukadnetsar et les Babyloniens (2 Ch 36.19-21).
Sans doute est-il bon aussi de lire quelle est la prophétie prononcée par Jérémie, dont il est question ici. Au chapitre 25 du livre de Jérémie, on lit les paroles suivantes, prononcées à Jérusalem en 605 avant Jésus-Christ, l’année même de l’accession au trône de Neboukadnetsar, année qui correspond à la grande victoire remportée par les Babyloniens sur les Égyptiens à Karkémish, sur la rive de l’Euphrate :
« C’est pourquoi, voici ce que déclare le Seigneur des armées célestes : Puisque vous n’avez pas écouté mes paroles, je vais envoyer chercher toutes les peuplades du nord — l’Éternel le déclare — et Neboukadnetsar, roi de Babylone, qui servira mes desseins. Je les ferai venir contre ce pays et contre ses habitants, et contre toutes les nations qui l’entourent. Je les exterminerai, je les dévasterai, j’en ferai pour toujours des ruines et l’on se moquera d’eux. Je ferai disparaître de chez eux tous les cris de réjouissance et d’allégresse, la voix du fiancé et de la fiancée, le bruit de la meule et la lumière de la lampe. Le pays tout entier ne sera plus que ruines et terre dévastée. Toutes les nations seront assujetties au roi de Babylone pendant soixante-dix ans. Et au bout de ces soixante-dix ans, je demanderai compte de leur crime au roi de Babylone et à son peuple — l’Éternel le déclare — je sévirai contre le pays des Chaldéens et je le réduirai en désert pour toujours » (Jr 25.8-12).
Si nous prenons ces trois textes ensemble, nous voyons que le Lévitique contient un avertissement prophétique concernant la ruine du pays et l’exil du peuple de Dieu s’il lui est infidèle, tout en insistant sur le fait que ce même pays dévasté jouirait du repos pendant cette période d’exil. La prophétie de Jérémie, elle, annonce la venue prochaine de la malédiction contenue en Lévitique 26, car la situation de rébellion dénoncée en forme d’avertissement général dans le Lévitique s’est développée depuis de nombreuses générations et est en train de porter ses fruits pourris. Le dernier chapitre du second livre des Chroniques, quant à lui, constate la venue de la malédiction sur Juda, l’exil du peuple, la désolation du pays, et en même temps le fait que, comme l’avait annoncé le Lévitique bien auparavant, la terre jouirait de ses sabbats, donc d’un repos dont elle avait été privée. La restauration du peuple juif est aussi mentionnée sous le règne de l’empereur perse Cyrus, qui entre-temps avait défait l’Empire babylonien.
Il y a donc une ligne directrice qui passe à travers ces trois textes et qui parle de l’accomplissement d’une malédiction prévue en cas de rébellion contre l’Éternel. Mais cette ligne directrice parle aussi du nécessaire sabbat dont non seulement les hommes, mais aussi la terre, doit profiter. De même que les hommes et la terre devaient se reposer durant le sabbat hebdomadaire, chaque septième année devait être une année de repos de la terre et de remise générale de dettes. Les esclaves hébreux aux mains de leurs frères hébreux devaient aussi recouvrer leur liberté, car leur vie appartenait en définitive à Dieu et non à d’autres hommes. Cette libération faisait partie intégrale du repos offert par le sabbat divin.
Citons deux autres passages du Pentateuque qui donnent des instructions précises à cet égard. D’abord Exode 23 :
« Pendant six années tu ensemenceras ta terre et tu en récolteras les produits; mais la septième année, tu la laisseras en jachère. Les pauvres de ton peuple mangeront ce qu’ils y trouveront et ce qu’ils laisseront nourrira les bêtes sauvages. Tu feras de même pour tes vignes et tes oliviers. Pendant six jours, tu feras tout ton travail, mais le septième jour tu l’interrompras pour que ton bœuf et ton âne jouissent du repos, et que le fils de ta servante et l’étranger puissent reprendre leur souffle » (Ex 23.10-12).
Ensuite Deutéronome 15 :
« Tous les sept ans, vous remettrez les dettes. Voici ce qui concerne cette remise des dettes : lorsque l’année de la remise aura été proclamée en l’honneur de l’Éternel, tout créancier remettra la dette contractée envers lui par son compatriote, sans rien exiger de lui. Vous pourrez exiger des étrangers le remboursement de leurs dettes, mais vous annulerez les dettes de vos compatriotes envers vous. En fait, il ne doit pas y avoir de pauvres parmi vous, car l’Éternel votre Dieu veut vous combler de bénédictions dans le pays qu’il vous donne comme patrimoine foncier pour que vous en preniez possession, à condition toutefois que vous l’écoutiez pour obéir à tous les commandements que je vous transmets aujourd’hui et pour les appliquer, car l’Éternel votre Dieu vous bénira comme il vous l’a promis. Alors vous prêterez de l’argent à beaucoup de nations étrangères, sans jamais avoir besoin d’emprunter. En effet, vous dominerez beaucoup de nations, et aucune ne vous dominera » (Dt 15.1-6).
Voici encore dans le même chapitre les prescriptions sur la libération des esclaves :
« Si l’un de tes compatriotes hébreux, homme ou femme, se vend à toi comme esclave, il sera à ton service pendant six ans. La septième année, tu lui rendras la liberté. Mais le jour de sa libération, tu ne le laisseras pas partir les mains vides. Tu lui donneras en présent une part de ce que l’Éternel t’aura accordé comme bénédiction : du petit bétail, du blé et du vin. Souvenez-vous que vous avez été vous-mêmes esclaves en Égypte et que l’Éternel votre Dieu vous en a libérés. C’est pour cela que je vous donne aujourd’hui ce commandement » (Dt 15.12-15).
Or, à l’époque du prophète Jérémie, le non-respect des ordonnances sur le sabbat et l’étendue de l’exploitation des uns par les autres avaient atteint un tel niveau que la terre elle-même en était épuisée. Pour qu’elle puisse retrouver son cycle de repos, il fallait qu’elle soit vidée de ses habitants, qu’elle soit donc dévastée par l’ennemi. Voilà donc le paradoxe de la situation : il aura fallu cette dévastation apportée par les Babyloniens et l’exil d’une nation pécheresse pour permettre à la terre d’être en friche. En fait, durant cette période d’exil de la nation, seuls les plus pauvres ont pu rester sur place pour cultiver un peu le sol, afin qu’il ne soit pas complètement abandonné. De cette manière, ce dont on les avait privés jusque là, la jouissance des fruits de la terre le jour du sabbat, a pu leur revenir, comme c’était l’intention divine avec l’institution du sabbat. L’Éternel a donc accompli le but du sabbat en dépit de la désobéissance de son peuple, et même en l’ayant châtié de la manière la plus stricte. La présence des plus pauvres sur cette terre dévastée faisait en même temps le lien avec la restauration future du peuple juif sur cette même terre, une fois les années de repos de la terre accomplies.
« Les envahisseurs incendièrent le Temple de Dieu et démolirent les murailles de Jérusalem. Ils mirent le feu à tous les palais et détruisirent tous les objets de prix. Neboukadnetsar fit déporter à Babylone les survivants du massacre et il en fit des serviteurs pour lui et ses fils, jusqu’à la prise du pouvoir par l’Empire perse. Ainsi s’accomplit la parole de l’Éternel, transmise par le prophète Jérémie; jusqu’à ce que le pays ait joui de ses sabbats, il eut du repos tout le temps qu’il fut désolé, jusqu’à l’accomplissement de 70 ans » (2 Ch 36.19-21).
Complétons ce récit par un passage du second livre des Rois, au chapitre 25 :
« Nebouzaradan, chef de la garde impériale, déporta le reste de la population qui était demeurée dans la ville, ceux qui s’étaient déjà rendus au roi de Babylone ainsi que ce qui restait des habitants. Mais il laissa une partie des gens du pays pour cultiver les vignes et les champs » (2 R 25.11-12).
Pour comprendre l’arrière-plan de cette question du repos de la terre, reprenons maintenant Lévitique 25, avec la prescription suivante donnée par l’intermédiaire de Moïse :
« Dis aux Israélites : Quand vous serez entrés dans le pays que je vais vous donner, la terre elle-même se reposera; pour l’Éternel, vous la laisserez se reposer. Pendant six ans, tu ensemenceras ton champ, et pendant six ans tu tailleras ta vigne et tu en récolteras les produits. Mais la septième année sera un sabbat, une année de repos pour la terre, on la laissera se reposer en l’honneur de l’Éternel; tu n’ensemenceras pas ton champ et tu ne tailleras pas ta vigne. Tu ne moissonneras pas ce qui poussera tout seul de ta moisson précédente, et tu ne vendangeras pas les raisins de la vigne non taillée, afin de donner une année de repos à la terre. Vous vous nourrirez de ce que la terre produira pendant son temps de repos, toi, ton serviteur, ta servante, ton ouvrier journalier et les étrangers résidant chez vous, ainsi que ton bétail et les animaux sauvages qui vivent dans ton pays : tout produit des terres leur servira de nourriture » (Lv 25.2-7).
Nous avons également déjà cité la prescription sur le sabbat que l’on trouve en Exode 23.
Un incident social et religieux très grave, concernant les prescriptions sur le sabbat, s’est déroulé vers la fin du règne du roi Sédécias, celui-là même qui se trouvait sur le trône de Juda au moment de la prise de Jérusalem par Neboukadnetsar. Le chapitre 34 du livre de Jérémie nous le rapporte et nous permet de comprendre quelle a été l’étendue de la violation du principe du sabbat tel qu’on le trouve énoncé dans le livre de l’Exode et celui du Lévitique. Rappelez-vous que tous les sept ans les habitants du pays qui s’étaient volontairement vendus comme esclaves à leurs compatriotes pour racheter leurs dettes ou pour toute autre raison économique, devaient être renvoyés libres chez eux, munis de dons offerts par leurs maîtres. Or, du temps du roi Sédécias, cette règle n’était plus en vigueur, occasionnant un système généralisé d’oppression sociale. Mais entre-temps, Neboukadnetsar avait mis le siège devant la capitale Jérusalem et l’angoisse avait saisi le roi. Voici donc ce que nous rapporte le chapitre 34 du livre de Jérémie :
« Le roi Sédécias avait conclu une alliance avec toute la population de Jérusalem pour que l’on publie la libération de tous les esclaves. Chacun devait affranchir ses esclaves hébreux, hommes ou femmes, en sorte que personne ne retienne plus son compatriote judéen comme esclave. Tous les dirigeants et toute la population avaient conclu cette alliance et s’étaient engagés à libérer chacun son esclave, homme ou femme, pour ne plus les retenir dans la servitude. Ils avaient tenu parole et avaient libéré leurs esclaves. Mais par la suite, ils revinrent sur leur décision et reprirent leurs anciens esclaves, hommes et femmes, qu’ils avaient affranchis, pour les soumettre de nouveau à la servitude.
C’est alors que l’Éternel adressa la parole à Jérémie en ces termes : Voici ce que déclare l’Éternel, le Dieu d’Israël : j’avais moi-même conclu une alliance avec vos ancêtres quand je les ai fait sortir d’Égypte, du pays ou ils étaient esclaves, en leur disant : Au bout de sept ans, chacun de vous laissera partir libre son compatriote israélite qui se sera vendu à lui comme esclave. Celui-ci servira pendant six ans, et la septième année vous l’affranchirez. Mais vos ancêtres ne m’ont pas obéi, ils n’ont pas prêté attention à mes paroles. Or, vous-mêmes, vous avez changé de conduite et vous avez fait ce que je considère comme juste en annonçant chacun la libération de son prochain. Vous avez pris des engagements à ce sujet, devant moi, dans le Temple qui m’appartient. Mais ensuite, vous êtes revenus sur votre parole et vous m’avez déshonoré, car chacun de vous a repris ses anciens esclaves, hommes et femmes, que vous aviez affranchis, et à qui vous aviez permis de disposer d’eux-mêmes à leur gré; vous les avez forcés à redevenir vos esclaves et vos servantes.
C’est pourquoi, voici ce que déclare l’Éternel : Puisque vous ne m’avez pas obéi en libérant chacun son compatriote et son prochain, eh bien moi, je vais vous libérer, l’Éternel le déclare, pour l’épée, la peste et la famine, et vous inspirerez l’effroi à tous les royaumes de la terre. Je livrerai ces hommes qui ont conclu une alliance que j’ai ratifiée. Car vous n’avez pas tenu les engagements que vous aviez pris lorsque vous avez conclu cette alliance devant moi en coupant un veau en deux et en passant entre les deux moitiés. Vous, les dirigeants de Juda et de Jérusalem, les officiers de la cour, les prêtres et tous les gens du pays qui êtes passés entre les deux moitiés de veau, je vous livrerai à vos ennemis et à ceux qui en veulent à votre vie, et vos cadavres serviront de pâture aux rapaces et aux animaux sauvages » (Jr 34.8-20).
Que s’était-il donc passé pour que les riches habitants de Juda reviennent sur leur parole après avoir solennellement libéré leurs compatriotes esclaves? Ils avaient conclu une alliance avec le roi dans le Temple de l’Éternel, donc devant lui : comme c’était la coutume symbolique dans ce genre d’alliance, on avait tué un animal, un veau, et on l’avait coupé en deux parties : les parties contractantes étaient passées entre les deux parties, signe de la malédiction qu’elles appelaient sur elles si elles désobéissaient à leur vœu et à cette alliance : qu’elles connaissent alors le sort réservé à cet animal, qu’elles soient tuées et dépecées. Or, tout semble indiquer que la panique qui les avait fait agir de la sorte à la suite du début du siège de Jérusalem par Neboukadnetsar, s’était dissipée en raison de l’avancée de l’armée égyptienne qu’on pensait être venue à la rescousse pour délivrer le petit royaume de Juda. Neboukadnetsar avait momentanément levé le siège de la ville. Ses habitants ne s’étaient alors plus sentis liés par leur engagement maintenant que le danger semblait écarté. Ils avaient alors forcé ceux-là mêmes qu’ils avaient libérés dans le cadre d’une alliance solennelle, à retourner sous le joug de leur condition sociale servile.
Un tel parjure montrait bien que ce n’est nullement animés par un esprit sincère de repentance et de retour à l’Éternel et à sa loi qu’ils avaient agi, mais bien plutôt par un esprit honteux de marchandage avec le Dieu qui avait libéré leurs ancêtres de l’esclavage lorsqu’il les avait fait sortir d’Égypte. La réponse de l’Éternel, communiquée par la bouche du prophète Jérémie, allait les atteindre radicalement : ils seraient tous emmenés en captivité à Babylone, rendus eux-mêmes esclaves. Seuls les plus pauvres pourraient rester pour cultiver quelques terres, et le reste du pays jouirait du repos qu’on lui avait tant dénié.
Pourquoi la terre est-elle épuisée et a-t-elle besoin de repos lorsque les hommes qui l’habitent commettent horreur sur horreur, transgression sur transgression? La signification du sabbat, qui témoigne du repos que Dieu accorde, est ici à l’ordre du jour. Les péchés du petit pays de Juda, qui devait maintenir l’alliance avec Dieu, n’affectaient pas seulement les individus, mais aussi la terre sur laquelle Dieu les avait placés : la création de Dieu souffre de l’abus que l’on commet à son égard, elle ne trouve pas de repos. Cela est du reste vrai pour la vie de tous les peuples au cours de l’histoire des hommes. La symbiose entre la terre et les habitants qui la peuplent est une donnée biblique incontournable.
La terre n’est pas une entité indifférente aux crimes, même d’ordre social, que l’on commet sur elle, au contraire elle en est affectée au plus haut point. Rappelez-vous des paroles de l’Éternel après le tout premier meurtre, celui de Caïn sur son frère Abel :
« Qu’as-tu fait? La voix du sang de ton frère crie du sol jusqu’à moi. Maintenant, tu seras maudit loin du sol qui a ouvert sa bouche pour recevoir de ta main le sang de ton frère. Quand tu cultiveras le sol, il ne te donnera plus sa richesse. Tu seras errant et tremblant sur la terre » (Gn 4.10-12).
Comme vous le voyez, il existe un lien étroit entre le rendement de la terre et les actions que l’on commet sur elle.
Vous vous souvenez que, dans le cas précis de l’alliance avec Dieu, que le royaume de Juda était censé maintenir, il y avait une prescription aussi bien sur le repos des terres cultivables, mises en jachère chaque septième année, que sur la libération des esclaves hébreux au service de leurs compatriotes et la remise des dettes tous les sept ans. La politique agricole aussi bien que sociale devait répondre au même impératif, celui du repos libérateur initié par Dieu. Au chapitre 25 du livre du Lévitique nous lisons : « Dis aux Israélites : Quand vous serez entrés dans le pays que je vais vous donner, la terre elle-même se reposera; pour l’Éternel, vous la laisserez se reposer » (Lv 25.2).
Vous aurez noté que ce repos n’est pas une simple prescription d’ordre pratique : c’est en effet pour l’Éternel que la terre doit se reposer. Car il est la source ultime du repos, aussi bien comme Créateur qui s’est lui-même reposé de ses œuvres le septième jour que comme Libérateur qui a retiré son peuple de la maison de servitude, de l’esclavage auquel il était soumis en Égypte. Le vrai repos trouve donc à la fois sa source et son aboutissement en l’Éternel, par la contemplation de ses œuvres parfaites de création et de salut. Tout autre repos que celui-ci est en fin de compte artificiel et n’apporte pas les fruits qu’on en attend.
Aujourd’hui, nous voyons à maints égards dans la vie des nations que le lien entre exploitation du sol et des hommes perdure toujours : surexploitation du sol et surexploitation des hommes vont de pair. Cela vient tout simplement de ce que les hommes ne reconnaissent pas que Dieu est à la fois le Créateur des hommes et de la terre, et en définitive leur seul propriétaire. Ils ne se considèrent pas comme les gérants appelés à rendre des comptes à Dieu, mais comme les seuls propriétaires. Au lieu d’être un instrument au service d’une bonne gérance, la technique qu’ils ont développée est bien souvent devenue un instrument d’asservissement, une sorte d’idole en soi au service d’une autre idole, l’homme lui-même et ses rêves fous de domination. Rappelons pourtant les termes du mandat confié par Dieu à l’homme au début de l’humanité, tel que la Genèse nous le révèle : « L’Éternel Dieu prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder » (Gn 2.15).
Quant à l’esclavage moderne, il n’est sans doute pas meilleur que celui d’antan, il est peut-être même pire : le trafic d’êtres humains, femmes et enfants sans défense livrés à des monstres sans pitié, a pris de telles proportions de par le monde que les estimations statistiques concernant le passé pâlissent en regard de ce qui se déroule dans l’univers globalisé d’aujourd’hui. Que ce soit à des fins de tourisme sexuel, pour alimenter les harems d’obsédés de la jouissance, pour fournir des esclaves soumis aux proxénètes à la brutalité sans pareille, ou encore pour accomplir des travaux pénibles requérant une main-d’œuvre enfantine, comme sur certaines plantations, c’est à des dizaines de millions d’êtres humains au bas mot que l’on estime aujourd’hui le nombre de personnes asservies de la sorte.
Mais que dire d’un autre esclavage, apparemment bien plus civilisé et acceptable, celui des dettes accumulées par les ménages et les États? Dettes à long terme pour les particuliers, s’étalant parfois jusqu’à trente ans pour l’achat d’une maison : trente ans de servitude financière à l’égard d’une banque qui demeure de fait la propriétaire des biens immobiliers jusqu’à paiement complet du capital et des intérêts, avoisinant dans certaines circonstances les 15 voire 20 pour cent. On est loin de la norme biblique d’un endettement ne dépassant jamais le terme de six ans. Comment dans ces conditions célébrer d’un cœur libre et joyeux le sabbat du repos divin en l’honneur de l’Éternel lorsqu’on doit traîner un tel boulet?
Quant à la dette des États, aux énormes déficits publics accumulés au cours des années par des gouvernements irresponsables et des politiciens avant tout soucieux de leur réélection, que dire? Des promesses démagogiques honteuses de subventions sociales et autres sont faites régulièrement, qui hypothèquent dangereusement le futur des pays lorsqu’on fait semblant de les tenir en falsifiant les chiffres et les budgets publics. La terre se repose-t-elle, au sens biblique tel que nous l’avons vu, lorsqu’on construit à tout venant et que le secteur immobilier se développe à pas de géants, mais le tout basé sur un système d’emprunts et de spéculation des plus risqués? En fin de compte, la désolation et la ruine atteignent toujours ceux qui veulent vivre au-dessus de leurs moyens. L’effet boomerang des dettes commodes accumulées de manière irresponsable se fait sentir à plus ou moins long terme.
Or, la tentation de tomber dans cet esclavage est d’autant plus grande qu’aujourd’hui les banques font souvent miroiter des facilités financières mirifiques, comme s’il suffisait de trois fois rien pour repayer ces facilitées empruntées. Une banque n’aime jamais trop les clients qui empruntent peu, elle aime au contraire ceux qui s’endettent de plus en plus et lui paient des intérêts, une fois qu’elle a pensé qu’ils sont tout de même solvables à terme. Les cartes de crédit, si pratiques à utiliser comme facilité de paiement dans la vie courante, hypnotisent souvent ceux qui s’en servent et qui signent sans trop y penser les petites fiches qu’on leur présente au moment de la transaction. On verra plus tard comment rembourser, l’important c’est de jouir immédiatement du bien de consommation acquis au simple prix d’une signature, se dit-on parfois.
Dans l’Ancien Testament, les emprunts ne concernaient que les situations extrêmement précaires, là où manquait le strict nécessaire. Il ne s’agissait donc pas de remettre la septième année des dettes accumulées pour des biens de jouissance superflus. Il s’agissait au mieux de dettes encourues pour acquérir un outil de production qui aurait alors permis à l’emprunteur de travailler et de gagner sa vie par lui-même sans devoir s’endetter à nouveau.
De nos jours, on s’endette volontiers pour satisfaire des goûts de luxe. L’apôtre Paul, au chapitre 13 de sa lettre aux chrétiens de Rome, leur enjoint ceci : « Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres; car celui qui aime les autres a accompli la loi » (Rm 13.8). L’idée qui sous-tend la première partie de cette injonction est qu’on ne doit pas être l’esclave ou le serviteur d’une dette, laquelle serait sans doute un obstacle à l’observation du second plus grand commandement, celui de s’aimer les uns les autres. Si nous voulons appliquer cet enseignement, disons que si l’on s’est endetté (car cela peut être pour une raison économique compréhensible, par exemple acheter une maison au lieu de payer un loyer toute sa vie et de ne jamais devenir propriétaire), alors il faut faire un sérieux effort pour rembourser sa dette au plus vite, quitte à faire des sacrifices sur autre chose.
On ne peut aussi éviter de penser aux paroles de Jésus dans l’Évangile selon Luc, au chapitre 16 : « Aucun serviteur ne peut servir deux maîtres. Car ou il haïra l’un et méprisera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon » (Lc 16.13), c’est-à-dire l’idole de l’argent. Servir Mammon, c’est se mettre en état d’esclavage. Aujourd’hui, des nations tout entières — et souvent celles-là mêmes que l’on considère comme développées — sont enchaînées à cette idole par le biais des dettes qu’elles ont contractées pour se donner une illusion d’affluence matérielle.
Les chrétiens devraient donc réfléchir avec sérieux sur toutes ces questions, aussi bien au niveau personnel qu’à l’échelon public, afin de remettre en avant le principe du repos de sabbat, appliqué autant aux hommes qu’à la terre qui les porte, le tout à la gloire de Dieu.