Une liberté nouvelle
Une liberté nouvelle
La liberté chrétienne acquise par Jésus-Christ au prix de sa mort constitue le cœur et la fin ultime de notre foi. Affranchi du péché, libéré de l’angoisse de la mort, racheté pour la vie éternelle, le disciple du Christ est appelé à une liberté glorieuse.
« La création a été soumise à la vanité […] avec une espérance : cette même création sera libérée de la servitude de la corruption, pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu » (Rm 8.21).
« Il nous a délivrés du pouvoir des ténèbres et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé, en qui nous avons la rédemption, le pardon des péchés » (Col 1.13-14).
« Mais grâce à Dieu, après avoir été esclaves du péché, vous avez obéi de cœur à la règle de doctrine qui vous a été transmise » (Rm 6.17-18).
« Et cela pour que la justice prescrite par la loi soit accomplie en nous, qui marchons, non selon la chair, mais selon l’Esprit » (Rm 8.4).
« Avoir les tendances de la chair, c’est la mort; avoir celles de l’Esprit, c’est la vie et la paix » (Rm 8.6).
Cette liberté toute neuve n’est rien de moins que la vie éternelle déjà entamée. Elle résulte de la restauration et de l’état nouveau qui fait de nous non seulement des serviteurs de Dieu, mais ses propres enfants. On ne saurait mieux expliquer la nature et la solidité de cette liberté autrement que par les mots mêmes du Christ :
« Si vous demeurez dans ma Parole, vous êtes vraiment mes disciples; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres. […] Si donc le Fils vous rend libres, vous serez réellement libres » (Jn 8.31-32,36).
Notre liberté possède de multiples dimensions. « Il n’y a donc maintenant aucune condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ » (Rm 8.1). Elle est en paix avec lui. « Étant donc justifiés par la foi, nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ » (Rm 5.1). Elle nous arrache à la servitude d’une loi mortelle afin de nous placer sous le signe de la grâce restauratrice. « Le péché ne dominera pas sur vous, car vous n’êtes pas sous la loi, mais sous la grâce » (Rm 6.14). Elle est, enfin, liberté en vue d’une obéissance toute fraîche.
« Mais celui qui a plongé les regards dans la loi parfaite, la loi de la liberté, et qui persévère, non pas en l’écoutant pour l’oublier, mais en la pratiquant activement, celui-là sera heureux dans son action même » (Jc 1.25).
« Parlez et agissez en hommes qui doivent être jugés selon une loi de liberté » (Jc 2.12).
Cette liberté n’a rien d’un libertinage ni d’une indépendance autonome. « Et je l’atteste encore une fois à tout homme qui se fait circoncire : il est tenu de pratiquer la loi tout entière » (Ga 5.3).
En revanche, en tant que liberté par rapport aux traditions et à certaines autorités humaines usurpatrices, elle est l’occasion unique de rendre à Dieu un culte raisonnable. Elle sonne le glas de tout système légaliste et déracine toute prétention de dominer l’homme par une tradition artificielle. Grâce à elle, chacun d’entre nous, disciple de Jésus-Christ, se trouve placé directement sous la tutelle de celui qui, par amour, a offert sa personne pour notre salut. Que serait notre liberté si elle n’était pas l’exercice de la gratitude et de l’amour envers le Seigneur crucifié et ressuscité? Elle est donc autre chose qu’un idéal. Elle est autre chose qu’une théorie qui inspirerait uniquement des chants enflammés. Elle est une « réalité réelle », toute positive, puisqu’elle engendre dans nos cœurs l’amour pour Dieu et inspire nos actes pour nos prochains. Cette liberté est large, solide et pratique pour que nous puissions, avec toute notre force, toute notre âme et avec toute notre pensée, servir Dieu et servir les hommes. C’est ainsi qu’elle nous rend participants et actifs à la plénitude de la vie, cette plénitude que vous cherchez, j’en suis persuadé, celle à laquelle tend tout homme et qui, en dehors du Christ, ne recueille que déception et amertume.
La liberté, pour rester intacte, implique un combat incessant. Car même si le roi des épouvantes et la mort ne sauraient plus nous angoisser, même si le mal ne peut plus, en dépit des apparences, nous atteindre profondément et nous détruire, nous nous rendons compte de l’influence qu’ils exercent, pour l’instant, sur nos personnes.
Nous ne sommes qu’au début de l’étape nouvelle inaugurée après notre libération. Aussi, appliquons-nous à ce que notre liberté ne serve plus l’ancien ordre de choses, ce que la Bible appelle « la chair », c’est-à-dire la nature de péché. « Frères, vous avez été appelés à la liberté; seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon la chair; mais par amour, soyez serviteurs les uns des autres » (Ga 5.13).
Le conflit le plus redoutable que nous connaissions est bien celui de la lutte entre la chair et l’esprit. C’est ici que défaite ou victoire annoncent notre liberté ou notre rechute. Mais cette lutte a une issue certaine, connue par la foi : chaque jour, nous sommes transformés à l’image du Christ.
« Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. Nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons comme un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image, de gloire en gloire, comme par le Seigneur, l’Esprit » (2 Co 3.17-18).
C’est Jésus-Christ qui nous donne une sûre indication de la victoire : « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres » (Jn 8.31-32). Précisément, notre Seigneur priait en notre faveur : « Sanctifie-les par ta vérité » (Jn 17.17).
La place que tient la vérité dans le conflit pour la conquête de la liberté ne doit jamais être minimisée. Elle est, comme jadis, systématiquement combattue, sournoisement dénigrée, ouvertement bafouée. Sacrifiée à des intérêts particuliers, à des raisons que l’Esprit ignore et à des modes de vie et de pensée peut-être en vogue, mais bâtis sur le mensonge, elle est étouffée dans toutes ses manifestations. Tous les problèmes du monde, autant que de l’Église, tournent autour de la vérité et du mensonge. Ceci est d’une évidence aveuglante pour quiconque a envie de voir. Mais qui y prend garde? Apparemment personne, sauf, du moins je l’espère, le disciple, qui, grâce à la vérité, a été affranchi, sanctifié, transformé en une nouvelle créature! C’est lui, le disciple du Christ, qui dans le monde d’aujourd’hui livrera ce combat de la vérité, en saison et hors saison. Quels qu’en soient le prix et le sacrifice exigés.
« Le corps mortel », auquel l’apôtre Paul fait si souvent allusion dans ses écrits, ne désigne pas avant tout notre corps physique, mais l’être tout entier, c’est-à-dire notre ancienne nature. C’est lui qui est l’enjeu de ce conflit redoutable entre vérité et mensonge. Prenons courage, amis chrétiens : le Seigneur est l’Esprit, et là où est l’Esprit, là est la liberté. Jamais, au grand jamais, la vérité et le mensonge ne seront des forces égales; c’est à la vérité de Dieu qu’appartient la victoire; c’est Dieu qui a le dernier mot et qui l’emporte toujours. Et nous, faibles et fragiles créatures, hommes et femmes mortels, nous sommes à présent au bénéfice de sa victoire.
Remarquons, s’il était encore nécessaire, que les obstacles qui surgissent sur le chemin de la liberté chrétienne ne sont pas de nature interne. Le monde dans lequel nous vivons est toujours soumis aux forces maléfiques qui œuvrent pour sa perte. Forces qui portent le nom funeste de péché, de mal et de mort. Nous portons pourtant une étiquette, une marque déposée : celle de la foi, par laquelle nous sommes vainqueurs. C’est elle qui annonce notre identité dans le monde. Quelles que soient les circonstances extérieures, nous sommes, en Christ, des personnes libres.
J’ai parlé des dangers qui guettent l’exercice de notre liberté. L’Écriture nous avertit et nous met en garde contre eux. « C’est pour la liberté que le Christ nous a libérés. Demeurez donc fermes et ne vous remettez pas de nouveau sous le joug de l’esclavage » (Ga 5.1).
Il s’agit principalement d’un retour à certaines coutumes religieuses anciennes et à des pratiques qui devraient être abandonnées. Autrefois, dans l’Ancienne Alliance, leur place et leur importance en vue de l’avènement du salut définitif étaient soulignées. Mais elles étaient provisoires; aussi, lorsque saint Paul en parle, il dit qu’elles étaient « l’ombre des choses à venir » (Col 2.17). Certains chrétiens du début, par exemple ceux des Églises fondées et répandues en Galatie, auxquels saint Paul a adressé une de ses lettres les plus célèbres, revenaient précisément à des coutumes révolues. Ils s’étaient éloignés de l’Évangile libérateur pour adopter de nouveau des règles de conduite mortelles. Ils avaient abandonné l’enseignement reçu, la proclamation de leur liberté avait été oubliée et ils se tournaient vers un « autre Évangile » qui n’était pas l’Évangile! Ils s’étaient laissés séduire et tromper par de faux frères, ceux qui charriaient avec eux des erreurs du passé démasquées, dénoncées, jugées et condamnées. Un légalisme et un traditionalisme artificiels remplaçaient ce que Paul appelait « la liberté glorieuse des enfants de Dieu ».
Cela n’est pas très différent pour nous qui, si souvent aussi, avons de la peine à croire que la grâce divine, à elle seule, nous suffira. Aussi sommes-nous toujours tentés d’ajouter à celle-ci nos œuvres et nos actions méritoires. Nos règles deviennent la norme absolue de notre conduite. Nous cherchons à nous excuser et à nous justifier aux yeux non seulement de nos consciences, mais aussi, quelle audace!, aux yeux même de Dieu.
Parfois, c’est l’approche piétiste qui freine la réforme et le renouveau de l’Esprit. L’expérience subjective des sentiments personnels devient tellement décisive que nous faisons presque fi de la grâce toute suffisante de Dieu. Quand on cherche une sanctification artificielle, on aboutit à une sainteté tronquée. L’arrogance et l’orgueil ne tardent pas à apparaître, étouffant la vision biblique et prophétique de la véritable sainteté chrétienne. Parfois, c’est la fuite hors du monde pour cultiver ces sentiments qu’on dit « spirituels » et qui ne sont rien d’autre que le camouflage de l’introversion et d’un mysticisme quasi païen. Au lieu de la conquête du monde pour Jésus-Christ, c’est plutôt la peur qui envahit les pensées. Une idée, largement répandue chez de nombreux chrétiens, veut que le mal se trouve dans les choses extérieures et non dans notre esprit, ce qui les voue à une vie ratatinée et à un témoignage très limité. Inversement, lorsque la vie par la seule grâce est refusée, il en résulte un attachement excessif au monde.
Le principe régulateur de la liberté chrétienne se trouve admirablement résumé dans la phrase apostolique : « Tout m’est permis, mais tout n’est pas utile » (1 Co 10.23). Ainsi, dans nos libres choix, nous aurons à nous laisser éclairer par l’Esprit et nous laisser instruire par la Parole. Ce ne sont pas les scrupules des autres qui dicteront notre conduite. Quoique tout ne soit pas utile, nous avons à chercher le bien de notre prochain. « Il est bien de ne pas manger de viande, de ne pas boire de vin, et de s’abstenir de ce qui pour ton frère est une cause d’achoppement, de chute ou de faiblesse » (Rm 14.21). Notre liberté ne sera jamais prétexte au mal. Elle favorisera plutôt le climat où s’exerce le service chrétien.
« Car c’est la volonté de Dieu qu’en faisant le bien vous réduisiez au silence l’ignorance des insensés, comme des hommes libres, sans faire de la liberté un voile qui couvre la méchanceté, mais comme des serviteurs de Dieu » (1 Pi 2.16).
Car la liberté chrétienne n’est jamais synonyme d’individualisme.
Nous comprenons aussi que vivre une telle liberté implique une grande maturité. Elle est, certes, le don du ciel, mais elle engage aussi une responsabilité personnelle. Elle suppose le discernement spirituel. Alors seulement elle mènera, jour après jour, à la plénitude de vie.
Plus haut, je mettais en garde contre le traditionalisme ignorant. Faut-il en conclure que toute tradition venant du passé doit être rejetée? Telle n’est pas mon opinion. Si les mauvaises traditions ou les traditions mal comprises peuvent causer une corrosion, les bonnes traditions, elles, peuvent aussi faire éclore une vigueur nouvelle. Il faut de nouvelles outres pour le vin nouveau (pour reprendre une figure employée par Jésus-Christ), mais de vieilles outres peuvent, de nos jours, être plus solides que certains gadgets et prothèses artificielles qu’on nous sert sous prétexte de nouveauté. Pour nous, lecteurs de l’Évangile, le bon usage de la tradition ne signifie rien de moins qu’une conformité à l’Évangile. S’il y avait contradiction entre les deux, il faudrait abandonner la première. S’il y a accord, alors maintenons-la comme une force, celle des vieux piliers massifs qui soutiennent l’ensemble du bâtiment. Des traditions saines et évangéliques, venant du passé, nous annoncent la communion des croyants. Elles peuvent garantir la sauvegarde de la liberté chrétienne offerte par l’Esprit et par la Parole de Dieu.