Matthieu 16 - Qui dites-vous que je suis?
Matthieu 16 - Qui dites-vous que je suis?
« Jésus, arrivé sur le territoire de Césarée de Philippe, posa cette question à ses disciples : Au dire des gens, qui suis-je, moi, le Fils de l’homme? Ils répondirent : Les uns disent Jean-Baptiste; d’autres, Élie; d’autres, Jérémie ou l’un des prophètes. Mais vous, leur dit-il, qui dites-vous que je suis? Simon Pierre répondit : Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Jésus reprit la parole et lui dit : Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. »
Matthieu 16.13-17
Je suppose que personne, à moins d’être de mauvaise foi, ne met en doute son existence historique. Nous avons en notre possession plus de preuves et de témoignages sur son historicité que sur n’importe qu’elle figure célèbre de l’antiquité. Il a vécu dans un temps parfaitement historique, sous les règnes d’Auguste et de Tibère, et sous Ponce Pilate, pendant les trente premières années de notre ère. On l’a connu travaillant de ses mains, empruntant tel ou tel chemin, mangeant du pain et du poisson, caressant les enfants et dormant recru de fatigue, comme n’importe lequel des hommes étendus sur la natte de jonc, tout à fait semblable à nous. Plein de charité, animé d’une sainte passion, prêchant le Royaume, pardonnant au pécheur, se déclarant Fils de Dieu.
Mais qui est au juste ce Jésus de l’histoire? C’est une question à laquelle Jésus en personne nous convie à répondre. On ne peut pénétrer le mystère de Jésus uniquement en tant qu’historien, pas même en tant qu’admirateur. Et lorsque Jésus nous interpelle, nous sommes contraints de lui répondre, de prendre une décision à son sujet. Tant que nous nous déroberons à cette réponse, Jésus ne sera pour nous qu’une figure extraordinaire parmi tant d’autres, et rien de plus. Il n’accomplira pas le miracle qui nous transforme de fond en comble pour faire de nous des hommes nouveaux.
« Qui dites-vous que je suis? » Aux disciples qui se pressaient autour de lui, subjugués par le charme et le mystère de sa personnalité, Jésus posa un jour cette question. Des rumeurs publiques circulaient à son sujet et des opinions diverses et parfois contradictoires s’exprimaient autour de sa personne. Les uns l’identifiaient à tel personnage historique du passé, tandis que d’autres croyaient voir en lui l’illustre prédicateur Jean-Baptiste.
À vrai dire, Jésus n’avait pas aidé ses contemporains à se faire une idée bien claire de sa personne. Il restait enveloppé d’un certain secret. Il répugnait à la publicité qui aurait obscurci sa mission et peut-être même en aurait empêché la réalisation. Mais à présent, il interroge ses disciples et il attend qu’ils se prononcent clairement : « Et vous, qui dites-vous que je suis? »
La réponse vint sans hésitation, presque fulgurante. Nous en restons encore maintenant abasourdis tellement elle nous paraît incroyable : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant! » Et au moment où je tiens moi-même à confesser une fois de plus ma foi en Jésus-Christ, je veux me rappeler la réponse du Seigneur : « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. »
Voilà le mystère de la personne de Jésus. Ainsi, à la suite de l’apôtre Pierre, de tout le Nouveau Testament et de l’Église universelle, nous savons que nous recevons la foi en Christ du Père des lumières et des miséricordes. « À lui soit la gloire dans tous les siècles. » Et à la suite de tous ces témoins, nous savons que Jésus n’est pas le plus grand parmi l’illustre compagnie des immortels de l’histoire. S’il n’avait été que cela, le jour serait venu où, à son tour, il aurait péri dans la poussière des siècles malgré la démesure de son projet, nous laissant dans la plus amère et la plus cuisante des désillusions.
Mais le ciel s’est ouvert pour nous faire entendre et comprendre qu’en Jésus de Nazareth nous n’avons rien de moins que le Fils du Père, l’incarnation de la divinité. Oui, il y a deux mille ans, dans l’insignifiante petite ville de Bethléem, a jailli la source de vie. Celui qui boit de ses eaux en savoure le pouvoir désaltérant et communie avec le Divin.
Dieu est devenu homme, visible, reconnaissable, prenant un visage ordinaire, portant un prénom courant, voué à la condition de chacun, communiant à nos souffrances, mourant de la mort du réprouvé.
Qui est Jésus-Christ pour le chrétien qui en vit, puisque le Christ habite nos vies par la foi? Chacun de nous a une expérience du Christ au niveau du cœur. Nos confessions de foi précisant le visage de l’Homme-Dieu marquent les événements majeurs de l’incarnation, cernent les contours du mystère. Mais il ne s’agit pas d’une leçon apprise pour être récitée. Ce visage du Christ est offert à notre adoration. Notre expérience chrétienne sera authentique si nous refusons de la nourrir d’autres paroles que celles de l’Évangile, d’autres faits que les faits de l’Évangile; car Dieu n’a rien d’autre à nous dire que ce qu’il nous a dit en nous donnant son Fils. Vouloir faire parler Dieu dans une expérience nouvelle, celle de l’illumination ou du mysticisme, c’est demander que Christ se réincarne une deuxième fois. Pour être fidèles, notre expérience et notre foi en Jésus-Christ doivent se mesurer à la foi de Pierre, à celle du Nouveau Testament. Elles seront ainsi purifiées de toute vaine découverte, de tout artifice, et pourront dire dans la confiance, à titre personnel : « Je crois moi aussi. Je crois, donc je peux annoncer la Bonne Nouvelle. »
Au nom de la liberté et de la tolérance, on éprouve actuellement une sorte de fausse pudeur à parler de Christ alors que toutes les foules ont tant soif de lui, peut-être plus qu’au temps de son humanité. Des esprits qui se veulent forts diront : « Que nous importent des formules dont le moins qu’on puisse dire est qu’elles sont inintelligibles pour les modernes! Pourquoi nous encombrer des credos du passé? » Aussi, voit-on proliférer un peu partout ces caricatures de confessions de foi qui font du Christ un simple mortel. On confesse : « Jésus de Nazareth, espoir du monde », mais je me demande de quoi pourrait me sauver un Jésus qui ne serait pas la révélation du Père, le Dieu incarné, la Parole de vie et de salut. Sous prétexte de rénovation liturgique ou de renouvellement du langage, on nous offre dans des formules émasculées de tout ce qui donne sa véritable dimension au christianisme, un Jésus qui n’est plus celui de la révélation.
Pourtant c’est lui, et lui seul, que nous voulons entendre et suivre. « Je suis la porte », affirme-t-il (Jn 10.9), « Je suis la vérité », déclare-t-il (Jn 14.6); « Je suis la résurrection et la vie », annoncera-t-il devant la tombe d’un ami, ressuscitant le mort et surprenant les vivants (Jn 11.25). « Nul ne vient au Père si ce n’est par moi » (Jn 14.6). Ou bien de telles déclarations sont le fait d’un cerveau anormal, et alors nous sommes encore aujourd’hui les dupes d’un illuminé ayant vécu il y a vingt siècles, ou bien elles sont vraies et alors elles nous sont aussi indispensables, à nous modernes, qu’elles le furent aux Galiléens et aux Juifs du premier siècle.
Ceci nous amène à connaître non seulement Dieu, mais encore nous-mêmes. Pour reprendre l’admirable Pascal :
« Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ, mais nous ne connaissons que par Jésus-Christ. Nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de Jésus-Christ nous ne savons ce qu’est ni la mort ni notre vie ni notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes ».
« Qui dites-vous que je suis? » À présent, nous pouvons dire, plus fortement encore que Pierre au moment de sa confession : « Tu m’as saisi, je me laisse habiter par toi, façonner par toi, changer par toi, ressusciter avec toi. » C’est une chose prodigieuse que d’être animé et habité par lui, la vraie tête de l’humanité. Qu’importe si parfois l’angoisse nous étreint, si nous trébuchons dans l’obscurité ou encore si notre ignorance nous cause du vertige. Il nous suffit d’être animés par lui. Des disciples l’ont suivi sans savoir où il habitait. Comme eux, comme tous les disciples qui le suivent dans l’interminable nuit où se déroule sans désarroi ni désespoir notre marche dans la foi, nous sommes membres du seul corps vivant : l’Église de Jésus-Christ.
Veillons donc, mes amis, à ce que personne ne prenne prétexte de la difficulté de croire pour cultiver le doute. Ceux qui sèment le doute dans les esprits, qui l’entretiennent et le cultivent, qu’ils soient simples chrétiens ou conducteurs spirituels, ceux-là seront responsables de la perte des faibles. Nous vivons dans un temps de difficultés, mais si notre cœur est ouvert pour accueillir l’envoyé du Père, nous confesserons : Tu es le Fils de Dieu.
« Je crois en Jésus-Christ, son Fils unique, notre Seigneur. »